Lausanne 37e année      «ne pas subir»      Février  2007 No 362

 

 

Sommaire :

 

Editorial

Pour une fois, la rédactrice responsable a chargé Xavier Savigny de rédiger l’éditorial. La rédaction unanime est opposée à la caisse unique.

 

Bricoles

Où il est question d’un temple transformé en maison de quartier, d’un voleur qui se plaint de n’être pas engagé par sa victime, et d’un ministre qui croit en l’indépendance de la justice

 

En direct de Sirius

Max s’est promené dans le cyber-espace, il analyse les modes de langage journalistiques et plaint la France désorientée

 

De l’art de couper les cheveux en quatre…

Pollux s’est penché sur les sondages et doute quelquefois de leur utilité

 

Absence de repères

Michel de Preux rappelle à François-Xavier Putallaz les exigences de la logique formelle et les enseignements de Saint Thomas.

 

La paix du travail est-elle menacée ?

A lire : la dernière livraison d’«Etudes et enquêtes», publication du Centre patronal

 

Summum jus…

Pour Claude Paschoud, la presse est souvent le dernier recours du justiciable ou de l’administré confronté à une machinerie (judiciaire ou administrative) qui l’écrase ou qui ne l’entend pas

 

Comment va le chat Whispers ?

Dans ce billet d’humeur, C.P. se moque des prétentions de la presse bien pensante à la hiérarchie des informations.

 

 

 

 

Editorial

 

Alors que la date fatidique du 11 mars approche à grands pas et que le dilemme cornélien entre caisse unique et caisses multiples va devoir être tranché par chaque citoyen de ce pays, essayons de remettre chaque chose à sa place sans nous laisser aller à la facilité du discours polémique.

 

Tout d’abord, quels sont les arguments des initiants et dans quelle mesure sont-ils pertinents ?

 

1.     La publicité et les frais administratifs génèrent des frais considérables à la charge des assurés. La publicité est assumée par les gains des assurances complémentaires et non par la LAMal. Elle n’est donc pas à la charge de l’assurance de base. Les frais administratifs ne sont pas très importants (5,6% selon l’OFSP) par rapport aux frais administratifs (9,9% selon l’intéressée) de la CNA, mammouth de l’assurance accident, auquel la potentielle caisse unique peut être comparée en termes de fonctionnement. Si l’on met ces chiffres en parallèle avec les coûts générés par le tourisme (env. 1%), il est clair que la création d’un organisme monopolistique n’est financièrement pas avantageuse.

2.     Il n’y a pas de concurrence effective entre les caisses car toutes fournissent les mêmes prestations dans l’assurance de base. C’est vrai pour ce qui concerne les prestations fournies. Néanmoins, il est possible pour une caisse d’offrir des primes plus basses grâce à une gestion plus stricte des ses coûts administratifs et par un contrôle systématique de ce qu’elle rembourse. A contrario, une caisse unique n’aura aucune raison de chercher une gestion efficace de ses charges.

3.     La caisse unique deviendrait une sorte d’AVS du système de santé. Les initiants comparent la caisse unique à l’AVS et semblent trouver cela très bien. Lorsque l’on voit se creuser le déficit de l’AVS dont on nous prédit la faillite pour demain faute de mesures drastiques pour trouver de nouvelles sources de financement, on s’étonne que cela devienne le modèle ultime de ce qui est efficace en matière de réduction des coûts.

4.     Les primes en fonction du revenu apportent une plus grande justice sociale. La justice sociale est un mot magique, fédérateur de bonnes volontés. Dans la pratique, les primes en fonction du revenu présentent deux inconvénients majeurs : tout d’abord, il s’agit d’un nouvel impôt qui n’a même pas le bon goût de se déguiser et qui sera, comme il se doit, particulièrement lourd pour les classes moyennes. D’autre part, il n’est prévu aucune possibilité de réduire sa facture, donc aucune incitation à la responsabilité personnelle et par conséquent aucune raison de se priver d’être hypocondriaque.

5.     La caisse unique sera conduite par les différents intervenants du système de santé, collectivités publiques, représentants du corps médical et représentants des assurés, ce qui permettra à chacun de défendre ses intérêts. La sagesse populaire dit très justement qu’il vaut mieux un mauvais général que deux bons. A plus forte raison, trois pouvoirs aux intérêts divergents ne peuvent gérer la nouvelle caisse unique efficacement.

 

Ces arguments nous semblent suffisants pour rejeter l’initiative sans aucune hésitation.

 

Mais quelle solution peut être apportée dans ce cas ? Car s’il est facile de démonter, en l’occurrence, le projet de la gauche, quelle autre option proposer ?

 

Tout d’abord, il faut bien constater qu’en matière de caisse maladie, les assurés sont irrationnels. Si tel n’était pas le cas, la caisse unique serait déjà une réalité produite par les flux d’assurés changeant d’assureur à la fin de l’année pour se précipiter chez le prestataire le meilleur marché. Ce dernier, n’ayant pas le droit de les refuser, se trouverait submergé de demandes, engagerait du personnel pour les traiter, gérerait pendant un an les nouveaux assurés, verrait son niveau moyen de risque augmenter et les primes pour l’année suivante grimper dans les même proportions. A ce moment, un autre assureur se trouverait dans la position de proposer des primes moins chères et l’opération recommencerait. Chaque année, dans ce cas de figure, les caisses les plus chères se retrouveraient sans assurés et cesseraient leurs activités jusqu’au moment où les prix seraient lissés et où il ne resterait plus qu’un ou deux intervenants dans le marché, qui pratiqueraient des prix identiques.

 

Dans la pratique, les assurés ne changent que très peu d’assurance et sont en grande majorité satisfaits de leur situation. On peut se dire que, dans ces conditions, il n’est pas urgent de mettre en route de grands chamboulements, que la situation n’est pas aussi mauvaise que l’on veut bien le dire et que l’on peut laisser à notre gouvernement le loisir de mener à bien les réglages fins qu’il met en place. S’il faut vraiment un changement, il serait plus judicieux de revenir à une plus grande liberté, que chacun choisisse en fonction de ses besoins s’il veut ou non s’assurer, quels risques il veut couvrir et quelle part de frais il veut assumer. Mais ce serait méconnaître le mouvement actuel qui tend plus vers l’infantilisation des masses bêlantes que vers la responsabilisation des individus dans leurs rapports à la collectivité.

 

Xavier Savigny

 

 

Bricoles

 

Démocratie directe

 

«En chauds partisans de la démocratie directe (…)» : c’est ainsi que je m’exprimais  – et on me l’a reproché – dans mon dernier éditorial, alors que j’ai cessé depuis longtemps de considérer la démocratie comme le moins mauvais des systèmes politiques et que, quelques lignes plus loin, j’affirmais que la démocratie n’existe pas. Cette tournure était apparemment trop elliptique. Il fallait comprendre que, puisque nous vivons en «démocratie» sans espoir d’en sortir, mieux vaut utiliser les possibilités qui nous sont offertes d’exercer un contrôle sur nos autorités et de faire entendre notre voix. (mp)

 

Signe des temps

 

Le temple lausannois de Saint-Luc sera transformé en maison de quartier. Dame ! les églises se vident.

 

Les rénovations coûteront 4,5 millions de francs. Voilà qui ravira le contribuable que la perspective de financer le local d’injections et ses dégâts collatéraux, ainsi que de revitaliser les Docks et leurs musiques actuelles à coups de centaines de milliers de francs plonge dans l’euphorie.

 

Espérons que les rénovateurs épargneront le taureau ! (mp)

 

Victime ?

 

A l’âge de quinze ans, un adolescent vole, dans une succursale de la Migros genevoise, une boîte de préservatifs dont il a besoin pour faire des bombes à eau. Quoi de plus innocent ? Malheureusement, il est pris sur le fait, le pauvre chéri, et doit donner son identité. Cinq ans plus tard, environ, le jeune homme postule à la Migros un emploi de magasinier qui lui est refusé, échec qu’il attribue à son «larcin de jeunesse», bien que l’entreprise nie toute existence d’un «liste noire».

 

20minutes du 2 février s’inquiète : «Les “fichiers”que les grands magasins conservent sur les voleurs à l’étalage pourraient défavoriser les candidatures d’embauche».

 

         Ben voyons ! Les grandes surfaces sont des institutions philanthropiques destinées à remettre les voleurs dans le droit chemin, surtout si, à l’âge de quinze ans, ils en étaient encore au stade des bombes à eau ! (mp)

 

Outrecuidance

 

         Au cours d’une récente visite en Turquie, le conseiller fédéral Pascal Couchepin, qui n’est pourtant responsable ni des affaires étrangères ni de la justice, s’est entretenu de la question arménienne avec le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan. Ce dernier a notamment demandé que soient interrompues les procédures engagées, au nom de notre bien-aimé article 261bis, contre un historien et un politicien turcs coupables d’avoir nié que le massacre des Arméniens ait été un génocide – avis d’ailleurs partagé par le gouvernement d’Ankara. Heureusement que la Suisse ne pratique pas l’enlèvement, car c’est toute la Turquie qu’il faudrait embastiller chez nous !

 

         Sans doute satisfait des travaux si sérieux et si impartiaux de notre commission Bergier, notre infatigable voyageur a proposé à Monsieur Erdogan la création d’une commission d’historiens internationale.

 

         «L’histoire doit être laissée aux historiens»1, aurait déclaré notre «ministre» de l’intérieur qui ne lit sans doute pas les journaux et ignore donc que Bruno Gollnisch a été condamné pour avoir exprimé la même idée.

 

Pour ce qui est de la cessation des poursuites en cours contre Yusuf Halacoglu et Dogu Perinçek,  Monsieur Couchepin a rappelé «la séparation des pouvoirs en Suisse et par conséquent l’indépendance de la justice».

 

Elle est belle l’indépendance de notre justice au service des chasseurs de sorcières !

 

Tant qu’à déparler, Monsieur Couchepin ne pourrait-il le faire à Berne ? Cela coûterait moins cher au contribuable. (mp)

 

Emission à la botte

 

Le 14 février, le député UDC Eric Bonjour, candidat au Grand Conseil, devait participer avec le conseiller d’Etat socialiste Pierre-Yves Maillard, candidat au Conseil d’Etat, à un débat sur la caisse maladie unique dans le cadre de l’émission Infrarouge. La veille, le député a été décommandé au motif que le règlement de la télévision recommande d’éviter d’inviter des candidats en période électorale, sauf pour des besoins d’information.

 

Qui nous dit que le candidat Bonjour n’aurait pas apporté des informations aussi intéressantes que celles du candidat Maillard que la télévision considère, nous dit on2, comme «l’étendard romand de la caisse unique» ?

 

Le prétexte de la mise à l’écart est cousu de fil blanc. Il s’agit en fait s’une scandaleuse discrimination qui ne s’explique qu’ainsi : il ne fallait pas courir le risque que l’étendard fût transformé en charpie. (mp)

        

1 Communiqué ats, 6 février.

2 20minutes, 14 février 2007

 

 

 

En direct de Sirius

 

Exécution électronique

 

Autrefois, quand la valeur intrinsèque d’un individu ne se montrait pas à la hauteur de celle qu’il se prêtait, il vous était loisible de le faire raccompagner aux grilles par vos gens de maison... Si le fâcheux avait de commun avec vous quelques quartiers de noblesse, vous pouviez lui laisser en sus un vieux gant en travers du visage... Mais des siècles égalitaires ayant passé depuis, l’encombrant personnage, ramené à la condition de simple peigne-cul ne se peut plus bastonner ni passer par la pointe de l’épée... L’apparition de l’intelligence électronique, en revanche, vous permet désormais une élimination radicale à moindres frais : il vous suffit, dans la rubrique «rechercher / […] / un mot ou une phrase dans le fichier», de faire entrer son nom, pour voir s’afficher toutes les occurrences présentes dans votre ordinesclave. Vous n’aurez plus ensuite qu’à commander : «sélectionnez tout»... et d’un clic de souris vous aurez éliminé dans la seconde et à jamais toute trace du personnage... tout en le renvoyant officier au poste qu’il n’aurait jamais dû quitter : à la queue du cheval.

 

Quand les mauvais rêves se matérialisent...

 

Les dernières nouvelles de la cybertechnique dans le domaine ludique laissent pantois : les rendus virtuels se perfectionnent au point qu’un jeu particulier de course automobile est, paraît-il, livré avec un petit ventilateur censé simuler le vent dans la figure du coureur. La version suivante comportera sans doute un petit pulvérisateur d’huile de vidange pour hâler le teint des fangios en fauteuil, assorti – pourquoi pas ? – d’un inhalateur de caoutchouc brûlé. En attendant l’inévitable projecteur de béton. Dans la foulée, toujours pour faire plus vrai, les concepteurs de jeux de rôles guerriers pourraient envisager le montage sur rotule servoguidée d’une arme automatique compacte de petit calibre susceptible de pénaliser les mauvais tireurs au «joystick». Ainsi reviendrons-nous par d’imperceptibles mais inexorables étapes à une réalité de retour de manivelle... Tout au plus pourrons-nous déplorer, lors de la mise en terre des restes compactés de champions du volant et des dépouilles hachées de rambos en pantoufles, que l’annulation de leur vie terrestre soit due à un réel, hélas, sans contenu.

 

Tournures révélatrices

 

Il est souvent utile de prêter attention aux conventions sonores qui fleurissent sur un rythme quasi annuel les discours hertziens des hommes publics... Voilà au moins un domaine dans lequel la France a su conserver sa primauté. Rappelez-vous, il y a quelques années, tous les Français «géraient» tout et son contraire avec un acharnement inversement proportionnel à la courbe des rendements... ce qui les conduisit l’année suivante à «être vigilants» à l’égard du terrorisme international, des papiers par terre, des fumeurs passifs, du réchauffement planétaire, de la petite voisine d’en face, des incivils et de tous ceux à qui l’on pouvait appliquer d’horribles qualificatifs en «-ciste»1. 2006 vit la consécration de la redondante formule «on va dire» introduisant ce que tout naturellement le bavard de service audio-visuel allait tâcher de vous dire.

 

La nouveauté pour 2007 s’annonce être l’emploi de l’adjectif «vrai»... accommodé à toutes les sauces, souvent ponctué d’un pléonasme ou sous-tendu de l’écœurant – mais si nécessaire – «honnêtement». «C’est une vraie vérité», assènent en chœur, avec véhémence, le juge aux ordres, l’avocat fielleux de la partie adverse et le politicien douteux ; «– une vraie reconstitution… donc une vraie preuve d’existence», précise superbement l’escroc international, droit dans vos yeux ; « – un vrai problème », hasarde le journaliste un peu perplexe...

 

Et les Français, dans la vraie chienlit dans laquelle on les a plantés, finissent par se demander s’ils n’auraient pas été menés en barque par de vrais salauds.

 

Présidentielles : la France désorientée

 

Qui de Madame Royal ou de Monsieur Sarkozy l’emportera au deuxième tour est en fin de compte sans importance2. Quiconque, laissant de côté les habituelles promesses des candidats, s’intéressera à la composition des équipes ministérielles respectives et à la petite particularité commune de la plupart des ministrables, comprendra aisément qu’elles sont équivalentes. Et irréversible la tragédie de la République. En foi de quoi, l’élection consacrera une dernière fois la victoire de la «drauche» dans une France délocalisée, sabordée et verrouillée, en instance de soumission totale aux dictateurs globalisés de Bruxelles. L’«Hexagone» du prochain quinquennat sera une fois pour toutes asservi à une constitution européenne enfin adoptée contre le peuple par ses parlementaires. Les derniers indigènes feront figure d’ilotes dans une province européenne «polysexuelle» et pluriculturelle, fertile en arts premiers ; en voie accélérée de «turquisation»... où l’on emprisonnera beaucoup les hommes libres. Et l’on parlera roumain dans les beaux quartiers.

 

14.2.2006, ce matin, quelque part en Iran...

 

Onze «Gardiens de la Révolution» sont convertis en chaleur et lumière par l’explosion de leur véhicule... Aux nouvelles de vingt heures, une chaîne française de télévision à la pointe de l’information attribue avec une belle certitude l’attentat à Al Qaïda... tant il est vrai qu’on ne prête qu’aux riches. Et puisqu’il est question de riches, seuls quelques malintentionnés persisteront, en dépit de cette enquête-éclair, à y voir la main de Tel-Aviv dans le gant de Washington.

 

Max l’Impertinent

 

1 Non, pas en «-iste» («socialiste», tout court, est un bon qualificatif). Pas plus qu’en «-niste» (penser aux ébénistes, aux communistes, aux jospinistes et aux percussionnistes, qui sont de braves gens).

2 Dieu n’est plus Français et à court de miracles.

 

 

De l’art de couper les cheveux en quatre avant de les compter

 

Il ne se passe pas un jour sans que notre bonne humeur ne soit contrariée par la lecture des résultats de quelque sondage sur les opinions du public ou d’enquête sur ses habitudes.

C’est bien des résultats qu’il est question ici. Car ce ne sont pas les sondeurs eux-mêmes qui nous importunent: ceux qui font honnêtement leur travail et n’ont rien à nous vendre se montrent généralement d’une politesse tout à fait suffisante pour qu’on accepte de leur répondre, ou que l’on décline leur offre avec le même degré d’urbanité. Quoi de plus grisant, d’ailleurs, que de pouvoir enfin donner son avis – si tant est qu’on en ait un sur le sujet en question. Cette satisfaction s’efface, hélas, lorsque l’on découvre quotidiennement l’interminable litanie des platitudes et lieux communs scientifiquement établis par l’addition d’un nombre plus ou moins impressionnant d’opinions qui ne méritent que rarement ce titre. On frémit à l’idée du nombre de personnes qui perdent leur temps à des choses aussi vaines et inutiles.

Par exemple, le 5 février dernier, les médias citaient une étude VOX selon laquelle, «lors de votations populaires, les femmes défendent plus facilement l'environnement, le service public et les personnes défavorisées que les hommes.» A quoi cela sert-il de le savoir si l’on n’en tire pas les conséquences qui s’imposent?

Le jour suivant, on nous signale un «sondage sur internet auprès de quelque 20'000 personnes», qui confirme une «précédente étude» et révèle que «pour assainir l'AVS, les Suisses ne veulent ni travailler plus longtemps, ni augmenter les prélèvements obligatoires, ni raccourcir les rentes». Brillant résultat qui aidera les politiciens à ne prendre aucune décision.

Dans un registre encore plus passionnant, on mentionnera cette enquête DemoScope qui confirme «ce que tout le monde soupçonnait», à savoir que «les femmes ont plus souvent les pieds froids que les hommes». Suivent diverses statistiques comparatives sur la fréquence de pédifrigorification journalière des Alémaniques et des Romands, ainsi que sur les stratégies mises en œuvre pour combattre le mal. En lisant cela, on réalise que la connaissance humaine vient de faire un grand pas en avant.

Pour parachever ce tableau désabusé d’une société qui crève d’envie de connaître des millions de choses sans intérêt, on remarquera que les élections, souvent, ne représentent guère mieux qu’une forme élargie de sondage d’opinion. Au Turkménistan, l’élection du nouveau président Gourbangouly Berdymoukhammedov par 89,23% des voix semble avoir suscité autant de passion chez les électeurs turkmènes que chez le lecteur romand moyen. Le seul détail intéressant aurait été de savoir si le nom du candidat était pré-imprimé sur les bulletins de vote ou si les électeurs ont dû le recopier à la main.

Pollux

 

 

Absence de repères

 

«Jésus-Christ par Pierre, Pierre par son successeur, nous régissent dans l’ordre du gouvernement spirituel. Tout pasteur dont l’autorité n’émane pas du Siège de Rome, est un étranger, un intrus. De même, dans l’ordre de la croyance, Jésus-Christ par Pierre, Pierre par son successeur, nous enseignent la doctrine divine, et nous apprennent à discerner la vérité de l’erreur. Tout Symbole de foi, tout jugement doctrinal, tout enseignement, contraire au symbole, aux jugements, aux enseignements du Siège de Rome, est de l’homme et non de Dieu, et doit être repoussé avec horreur et anathème.»

 

Dom Prosper Guéranger : L’Année liturgique, fête de la Chaire de saint Pierre à Rome, 18 janvier.

 

Dans son article Partenariat et liberté de conscience1, François-Xavier Putallaz pose en public un problème de conscience en des termes inacceptables. D’un côté, il admet que la loi suisse sur le partenariat enregistré n’oblige pas en conscience – ce qui est exact –, mais de l’autre, il admet aussi que ce nouveau contrat civil institue un véritable droit pour les personnes concernées. Ce que ce mauvais philosophe appelle «nuance» n’est en réalité qu’une violation d’un principe philosophique premier, celui de non-contradiction ! Car il est évident qu’une loi n’oblige en conscience que si elle confirme la loi naturelle, et que dans le cas contraire elle porte indûment le nom de loi et n’est en fait qu’une manifestation de puissance arbitraire, à combattre comme telle.

 

Mais Monsieur Putallaz est démocrate-chrétien ! Comme sa personne, sa «philosophie» ménage la chèvre et le chou. Ce que la loi naturelle objective et universelle interdit de qualifier comme un bien, et par voie de conséquence comme un droit subjectif de la personne humaine, la loi positive de l’Etat, quel qu’en soit le régime, ne peut, sous aucun prétexte, le reconnaître comme un bien juridiquement protégé par lui. C’est ce que le Docteur Angélique classait dans la deuxième catégorie des lois injustes, celles qui excèdent l’autorité du législateur2. De telles lois, nous dit-il, «n’ont de loi que le nom ; en réalité, elles sont de pures violences, car, citant cette fois Saint-Augustin, il n’y a pas de loi lorsque la justice est absente» : la justice et la raison, ajouterais-je en l’occurrence, car le droit au corps de l’autre ne peut exister comme un bien juridiquement protégé que dans le cadre exclusif d’un contrat de mariage lié nécessairement au sacrement institué par le Christ pour les chrétiens.

 

Modernistes, les démocrates-chrétiens éludent allégrement cette catégorie de lois injustes, pourtant formellement énoncée par les vrais philosophes. François-Xavier Putallaz applique à de telles lois le conseil, en effet nuancé, que recommande Saint Thomas d’Aquin, se fondant sur Matt. V 40/41, de ne pas faire valoir à leur encontre l’objection de conscience quand il y a risque de scandale ou de trouble. Mais cette nuance porte uniquement sur des droits propres incontestés de la personne ou de l’Etat, et non sur la perpétration d’un crime (l’avortement ou l’aide au suicide) ou l’injustice (les contrats de partenariat).

 

L’objection de conscience constitue-t-elle un droit pour les officiers d’état civil dans le cas d’enregistrement du contrat de partenariat ? A coup sûr si l’on suit – et on le doit ! – la doctrine catholique et la vraie philosophie du droit ou de l’Etat, car l’homme peut disposer d’un bien propre par gain de paix, il ne peut en revanche coopérer de quelque manière que ce soit à un acte immoral, en l’occurrence à l’enregistrement d’un contrat mensonger et faux, puisque ce «contrat» dénature le mariage. Le faire, c’est accorder son concours à une violence d’Etat, ce que fit le Grand Conseil valaisan en validant cette fausse loi sur le plan cantonal ! La référence scripturaire du Docteur Angélique est claire sur ce point : dans le but d’éviter le scandale ou le trouble à l’ordre public, la transaction n’est licite que si elle porte sur un droit dont la personne ou l’Etat peuvent librement disposer. En aucun cas, cette transaction n’a lieu d’être quand elle conduit à cautionner un mal ou une injustice : «C’est approuver l’erreur que de ne pas y résister, c’est étouffer la vérité que de ne pas la défendre. (…) Quiconque cesse de s’opposer à un forfait manifeste peut en être regardé comme le complice secret.», disait le pape Léon XIII aux évêques d’Italie.

 

François-Xavier Putallaz le sent bien puisque la solution pratique qu’il préconise est, elle aussi contradictoire : il juge en effet «disproportionnée» l’objection de conscience individuelle de l’officier d’état civil d’une part et, d’autre part, il n’admet son droit de récusation personnel qu’à la condition de pourvoir à son propre remplacement, comme si le même problème de conscience ne se posait pas pour ce dernier !

 

C’est là livrer lâchement le droit, l’Etat et la pratique administrative aux caprices individuels.  Cette situation porte un nom : c’est l’anarchie ou, comme l’appelait un philosophe russe, Nicolas Berdiaef, «la chaos rebelle». Il ouvre la voie à l’Antéchrist.

 

Michel de Preux

 

1 Nouvelliste du Valais, édition du 19 janvier 2007, page 33.

2 Somme théologique, I-II, Qu. XCI, art. 4.

 

 

 

La paix du travail est-elle menacée ?

 

Réalisée dans le prolongement de trois soirées de conférences organisées par la section vaudoise de la Nouvelle Socété Helvétique en automne 2006, la dernière publication du Centre Patronal, collection Etudes et Enquêtes, groupe, sous le titre La paix du travail est-elle menacée, des contributions de plusieurs auteurs, parmi lesquels un syndicaliste, un chef d’entreprise français, un chocolatier proposé par un conseiller fédéral comme médiateur dans un grave conflit collectif.

 

L’article le plus remarquable est celui du directeur du Centre Patronal, M. Jean-François Cavin, intitulé : On ne badine pas avec la paix du travail. Après avoir distingué trois formes de paix du travail : la paix contractuelle, la paix institutionnelle et la paix politique, qui se complètent et se renforcent mutuellement, l’auteur rappelle que, loin de faire partie des droits de l’homme, la grève est la négation du droit. Une pique est lancée, en passant, au Conseil d’Etat du canton de Vaud qui a approuvé la réduction des prérogatives de l’Office cantonal de conciliation et d’arbitrage, dont l’intervention est aujourd’hui facultative en cas de conflit menaçant de dégénérer, alors qu’elle était encore – heureusement – obligatoire sous l’empire de l’ancienne loi.

 

M. Cavin critique à la fois l’idéologie romantique des marxistes pour qui la grève est le seul moyens de mobiliser les ardeurs ouvrières qui s’assoupissent dans le bien-être fallacieux d’une situation matérielle supérieure à la moyenne européenne, et à la fois l’attrait, chez certains idéologues ultra-libéraux, de l’économie financière au détriment de l’économie productive, la tentation du profit à court terme et de la hausse des cours du titre sur la pérennité de l’outil de production.

 

L’auteur voit néanmoins des raisons d’espérer dans les réalisations passées du partenariat social, qui ont démontré leur valeur au travers des décennies, et dans la gestion commune des biens considérables de la prévoyance professionnelle.

 

C.P.

 

 

Summum jus…

 

«Summum jus, summa injuria», disaient les Anciens, qui entendaient par là qu’une application excessivement rigoureuse et pointilleuse de la justice équivalait à une grande injustice.

 

Le quotidien 24 heures a consacré sa Une, lundi 12 février, à Me Barillon, avocat genevois très médiatisé, lequel dénonce, dans un dossier pénal dont il s’occupe, le faiblesse du dossier et la durée excessive de la détention préventive subie par son client.

 

Notre excellent confrère Philippe Barraud critique vertement cette intervention, dans la page Société de son site www.commentaires.com : «Il est toujours désagréable de voir un avocat plaider avant le procès par presse interposée. Ces tentatives de pression sur les juges sont détestables (…) De manière peu surprenante, car c’est toujours ainsi que cela se passe, Me Barillon embouche la double tactique habituelle dans ce genre de manœuvre d’intimidation : la critique de l’instruction et la souffrance du prévenu en préventive.»

 

Sans doute les juristes vaudois, habitués à une certaine retenue face à la presse, ressentent-ils avec agacement les interviews tonitruantes des confrères genevois souvent destinées à pallier l’insuffisance de leur dossier ou leur propre incompétence juridique.

 

Il n’empêche !

 

Il n’empêche qu’il n’est pas normal, dans un Etat civilisé, qu’un homme soit maintenu en détention pendant plus d’une année, alors qu’il est – peut-être – innocent des crimes dont on l’accuse.

 

Car soit l’instruction a permis de réunir suffisamment de preuves et d’éléments à charge, parmi lesquels par exemple les aveux du prévenu, et alors il n’y a pas de raison de différer le procès, au risque que les faits soient prescrits le jour de l’audience ; soit le dossier est faible, voire vide, et le prévenu doit être remis en liberté, dans l’attente d’éléments plus probants.

 

Les lenteurs de fonctionnement de la justice et de l’administration sont si graves que le justiciable ou l’administré est incité à faire appel à une sorte de «justice privée» ou à se passer d’une autorisation à laquelle il a droit, mais qui se fait attendre d’une manière inexplicable.

 

Une vieille dame propriétaire d’une villa avait commis l’imprudence de louer un petit studio indépendant à une personne qui ne lui paya jamais aucun loyer, et qui disparut même après trois mois d’occupation en laissant quelques effets sur place. Conseillée par d’éminents juristes, la dame mit deux ans et dépensa une fortune avant de pouvoir légalement récupérer son studio. Elle sait aujourd’hui qu’il eût été plus simple, plus économique, et sans doute moins dommageable pour elle (même si son locataire était réapparu), de faire ouvrir le studio, d’empiler les affaires personnelles du locataire dans une valise, de faire changer les serrures et de relouer tout de suite.

 

Une jeune Camerounaise, ingénieur diplômée, sollicite une autorisation pour suivre un cours postgrade à l’EPFL d’une durée d’une année. La demande est déposée le 23 octobre 2006, auprès du Service vaudois de la population (SPOP), dûment motivée, et parallèlement auprès de notre représentation consulaire à Yaoundé. Le cours commence le 8 janvier et il coûte environ 6'000 francs payables à l’inscription.

 

On fait comprendre à la requérante que si elle apporte la preuve du paiement, cela facilite la demande. Elle paie.

 

Le service de la population répond le 19 décembre qu’il transmet la requête à l’autorité fédérale pour raisons de compétences.  Le 12 janvier, l’Office fédéral des migrations (ODM) renvoie la demande à l’autorité cantonale, pour raisons de compétences.

 

Le 26 janvier, le SPOP écrit qu’il est d’accord, sous réserve d’approbation fédérale.  Le 5 février, l’ODM écrit qu’il pense refuser la requête, car la sortie de Suisse, à la fin du cours, n’est pas suffisamment assurée ! On accorde à la requérante un délai au 5 mars pour présenter ses observation.

 

Le cours a commencé depuis deux mois.

 

Ces minables tergiversations ne sont-elle pas une incitation, pour la requérante, à entrer illégalement en Suisse pour y suivre son cours et à annoncer en décembre prochain (l’administration n’ayant pas encore pris de décision définitive) qu’elle retire sa requête ?

 

Un article dans un grand quotidien n’aurait-il pas pour vertu de faire accélérer le traitement d’un dossier si simple… et si urgent ?

 

Il faut sans doute le déplorer, mais la presse est actuellement le seul pouvoir susceptible de faire bouger un dossier que des magistrats ou des fonctionnaires surchargés ou paresseux ont laissé se couvrir de poussière. C’est malheureusement si vrai qu’il a suffi d’un appel téléphonique à l’Office AI par le rédacteur en chef du mensuel Bon à savoir pour qu’un assuré obtienne miraculeusement un rendez-vous deux jours plus tard, alors même que son dossier était gelé pour mille et une mauvaises raisons depuis des mois.

 

Dans le cas du déséquilibré du Grand-Pont, ce sont les pressions populaires et médiatiques qui ont convaincu le justice d’appointer un procès public, alors même que l’irresponsabilité totale du prévenu devait l’exclure absolument.

 

Jacques Barillon nous irrite lorsqu’il plaide ses dossiers dans la presse. Mais la presse est, hélas, le dernier recours du justiciable ou de l’administré confronté à une machinerie judiciaire ou administrative qui l’écrase, ou qui ne l’entend pas.

 

Ne tirons pas sur le pompier !

 

 

Claude Paschoud

 

 

Comment va le chat Whispers ?

 

Lorsqu’on lui prédit sa prochaine disparition au profit d’Internet, la presse écrite proteste de sa spécificité :  c’est sur Internet que le public trouvera, il est vrai, la masse d’informations quantitativement la plus importante, au point même d’en être littéralement submergé.

 

Mais la presse écrite a le mérite, dit-elle elle-même, de contrôler les informations qu’elle diffuse et surtout de sélectionner et de hiérarchiser ces informations.

 

Dans la réalité, cette prétention est largement usurpée. Il n’est que de compter les pages de nos bons quotidiens consacrées à la vie privée des vedettes de l’industrie du spectacle ou des présentateurs de la télévision pour se convaincre que cette soi-disant hiérarchie de l’information consiste essentiellement à flatter, dans le public, ses instincts de voyeurisme les plus médiocres, ou d’exciter sa sensiblerie la plus imbécile.

 

Combien d’articles 24 heures et Le Matin ont-ils consacrés, depuis le malheureux coup de fusil d’un aide-surveillant de la faune, le 31 décembre dernier, aux bulletins de santé du chat Whispers ?

 

La propriétaire du malheureux félin a déjà consacré des milliers de francs en hospitalisation, soins vétérinaires, prothèse métallique, système de fixation des maxillaires, sonde pour l’alimentation, etc., prouvant par cet acharnement qu’elle a totalement perdu le sens de la mesure, et même de la décence. La solution la plus raisonnable, et la moins cruelle, eût été à l’évidence l’euthanasie du minet directement après l’accident.

 

Que Mme Cynthia Michel, maîtresse du chat, accorde plus d’importance à la guérison de Whispers qu’au sort des milliers d’enfants irakiens qui meurent à cause de l’intervention américaine, on peut le comprendre.  Mais que nos quotidiens, qui se prétendent des références en matière de hiérarchie des informations, nous assomment aujourd’hui encore de ces insignifiances, ainsi que de la prochaine séparation de Mme Claire Chazal ou des états d’âme du rappeur Stress, on a plus de peine à l’admettre.

 

C.P.