Lausanne 36e année      «ne pas subir»      Septembre  2006 No 357

 

 

Sommaire :

 

Editorial

A-t-on bien lu le discours de Ratisbonne ? Les réactions violentes suscitées par cette allocution dans certains Etats musulmans démontrent ce que certains s’obstinent à nier

 

Eglise et politique

«Tout débat politique au sein d’une communauté chrétienne ne peut être que vain et source de désaccord» démontre Gérald Berruex

 

Pacifisme

Mme Micheline Calmy-Rey s’agite infatigablement sur la scène internationale, dans l’indifférence générale.

 

En direct de Sirius

Max rend hommage à Jean Raspail et se demande si les bien pensants sont si peu sûrs d’eux qu’ils doivent s’attaquer aux morts…

 

Désinformation, noble profession

Tour d’horizon des jubilations journalistiques sur plusieurs sujets d’actualité.

 

L’hypocrisie du dialogue

Michel de Preux attire notre attention sur l’ambiguïté du mot «dialogue» qui recouvre aujourd’hui bien des discussions stériles, même sur des objets dont il ne convient pas de discuter

 

On n’a rien résolu !

Claude Paschoud explique pourquoi l’adoption de la nouvelle loi sur les étrangers, et surtout les modifications de la loi sur l’asile ne vont rien résoudre.

 

 

 

Editorial

 

«Dans le septième entretien (dialexis – controverse) édité par le professeur Khoury, l’empereur [byzantin Manuel II Paléologue] aborde le thème du djihad, de la guerre sainte. Assurément, l’empereur savait que dans la sourate 2,256 on peut lire : «Nulle contrainte en religion !». C’est l’une des sourates de la période initiale, disent les spécialistes, lorsque Mahomet lui-même n’avait encore aucun pouvoir et était menacé. Mais, naturellement l’empereur connaissait aussi les dispositions, développées par la suite et fixées dans le Coran, à propos de la guerre sainte. Sans s’arrêter sur les détails, tels que la différence de traitement entre ceux qui possèdent le «Livre» et les «incrédules», l’empereur, avec une rudesse assez surprenante qui nous étonne, s’adresse à son interlocuteur simplement avec la question centrale sur la relation entre religion et violence en général, en disant : «Montre-moi donc ce que Mahomet a apporté de nouveau, et tu y trouveras seulement des choses mauvaises et inhumaines, comme son mandat de diffuser par l’épée la foi qu’il prêchait». L’empereur, après s’être prononcé de manière si peu amène, explique ensuite minutieusement les raisons pour lesquelles la diffusion de la foi à travers la violence est une chose déraisonnable. (…)»

 

         On nous pardonnera cette longue citation du discours tenu à Ratisbonne par le pape Benoît XVI le 12 septembre dans le cadre de son voyage en Allemagne. Mais comme les paroles du chef de l’Eglise catholique ont failli déclencher une djihad, il importait de montrer, en replaçant le propos litigieux dans son contexte, que le brûlot n’en est pas un, qu’il n’y a pas de quoi fouetter un chat, que la seule personne à qui on devrait réclamer des excuses est un empereur byzantin décédé en 1425, que le fait de réprouver la guerre sainte comme moyen d’«évangélisation» relève du simple bon sens et que ce n’est pas la faute des chrétiens si Mahomet prétend le contraire et le dit dans le Coran.

        

Les musulmans ne supportent pas qu’on taxe leur religion de violence. Mais la violence même de la réaction des pays musulmans au discours de Benoît XVI vient démontrer que l’islam est effectivement une religion violente. Et l’arrogance avec laquelle les disciple du prophète ont réclamé des excuses au souverain pontife illustre le fait que toutes les mains tendues par les chrétiens, tous les dialogues interreligieux, toutes les manifestations de tolérance et de compréhension, ressentis comme des preuves de faiblesse, ne servent qu’à conforter les musulmans dans leur volonté de domination. Ils devraient faire attention, toutefois : cette attitude pourrait se retourner contre eux, car la peur de l’islam, de plus en plus répandue en Occident chez les gens dont on n’entend pas la voix, mais qui sont le plus grand nombre, pourrait déboucher un jour sur une réaction. Les croisades et les guerres de religions l’ont montré : les chrétiens sont capables eux aussi des pires violences.

 

         Quant aux musulmans «modérés» qui s’efforcent de démontrer, dans nos pays, que l’islam «moderne» est pacifique, ou bien ils se trompent ou bien ils nous trompent. Dans le premier cas, ils ne sont pas de bons musulmans et ils auront affaire un jour à leurs «frères» musulmans orthodoxes; dans le second, ils sont eux-mêmes des musulmans orthodoxes, donc adeptes d’une religion qui prône la violence.

 

         En tenant son discours de Ratisbonne, le pape Benoît XVI n’a pas détruit d’un coup toute l’œuvre de son prédécesseur comme l’ont prétendu certains. Il nous a permis, peut-être sans le vouloir, de constater une nouvelle fois – souvenez-vous des caricatures de Mahomet – que les chrétiens, les juifs et les adeptes d’autres religions n’ont à attendre de  l’islam aucune tolérance. C’est un service qu’il nous a rendu.

 

 

Le Pamphlet

 

 

Eglise et politique

 

Les Eglises, tant catholique que protestante, se sont abondamment engagées dans le débat politique (asile et étrangers) sur lequel le peuple a eu à se prononcer le 24 septembre.

 

Lorsque l’on appartient à un parti politique, c’est parce qu’on trouve dans ce rassemblement de citoyens des idées, des projets ou des idéaux que l’on souhaite partager, faire connaître ou, mieux encore, réaliser. On peut certes s’opposer démocratiquement en assemblée de parti sur certains points de détails ; c’est ce qui assure le dynamisme d’une vie politique saine et ce qui génère des débats fructueux. On doit toutefois rester uni sur les principes fondamentaux qui sont la base du parti. Peut-on être socialiste si on ne charge pas  l’Etat de gommer les inégalités entre les citoyens ? Peut-on être libéral si on ne met pas ses espoirs dans l’économie de marché ? peut-on être UDC si on n’insiste pas prioritairement sur la sauvegarde de l’indépendance de son pays ? Et si le parti auquel on appartient montre subitement d’importantes dérives par rapport à sa charte fondamentale, il est honnête de s’en distancier et de présenter sa démission.

 

Et l’Eglise dans tout cela ? Quelle est sa charte fondamentale ? Ne serait-ce pas le salut des hommes par la grâce de Dieu qui a donné son fils unique afin que quiconque croit en lui ait la vie éternelle (Jean 3/16) ? Certes, comme dans un parti politique, plusieurs débats restent ouverts. On n’a pas fini de débattre de la rédemption par la grâce ou par les œuvres, on n’a pas fini de cerner le problème du sens de la Sainte Cène ou de l’Eucharistie. De nombreux autres thèmes font l’objet de «querelles» entre les diverses tendances du christianisme, mais tous ont un objectif commun : tendre à définir le fond et la forme de pratiques et de pensées religieuses qui, en dépit d’un œcuménisme progressant, resteront longtemps encore des pierres d’achoppement entre les différentes Eglises chrétiennes. Tous ces débats enrichissent les Eglises dans la mesure où ils activent la pensée du croyant dans sa  recherche d’une vérité spirituelle. En revanche, tout  débat de caractère politique au sein d’une communauté chrétienne ne peut être que vain et source de désaccords. Parmi ceux qui croient à la résurrection du Christ, il peut y avoir de nombreuses options politiques et les diverses interprétations que chacun est en droit de faire sur les sujets soumis à une votation populaire comme celle du 24 septembre ne devraient en aucun cas être ni dictées, ni même influencées par l’instance religieuse à laquelle on a adhéré pour renforcer sa foi, pour approfondir ses connaissances théologiques ou pour rendre, ensemble, un culte au Dieu qui nous unit dans la foi. A moins que les Eglises, protestante et catholique aient, d’un commun accord, l’ambition de réhabiliter l’Inquisition !

 

Les églises se vident peu à peu. Croit-on les remplir avec des slogans politiques ? 

 

Gérald Berruex

 

 

Pacifisme

 

Micheline Calmy-Rey n’en finit pas de faire joujou avec notre politique étrangère. Non contente de s’agiter à tout propos et hors de propos, d’abreuver la terre entière de ses conseils et de ses interventions inopportunes, elle brandit son tout dernier hochet qui serait, selon 20minutes du 22 août, une candidature de la Suisse au Conseil de sécurité de l’ONU. Sans doute espère-t-elle ainsi devenir la muse de la poésie politique onusienne, le porte-drapeau du pacifisme international agissant, qui n’attendait qu’elle pour apporter enfin sur la terre la paix tant désirée.

 

Car Madame Calmy-Rey est une grande championne de la cause de la paix. Le même communiqué nous apprend qu’elle «milite aussi pour “un engagement militaire renforcé de la Suisse dans des opérations de maintien de la paix”». Maintenant que nos «soldats de la paix» sont armés, on pourrait peut-être les envoyer donner un petit coup de pouce au maintien de la paix en Irak ou en Afghanistan. Ils auraient ainsi la joie et l’honneur de risquer leur peau pour la plus grande gloire de Micheline Calmy-Rey, probable futur prix Nobel de la paix !

 

Mariette Paschoud

 

 

 

«Je suis contre la guerre mais pour le port du casque»

 

 

 

En direct de Sirius

 

Pointe sèche n° 6 : un vilain prétentieux

 

A court d’arguments, l’œil noir derrière ses lunettes en culs de bouteilles, et la barbe électrique, il m’avait asséné :

 

« Moi, Monsieur, j’ai été élu !

– C’est bien possible, Monsieur, mais pas par moi.

– Par quelqu’un de bien au-dessus de vous !

– Dommage qu’il n’ait pas cru devoir m’en faire part…»

 

Faute de dernier mot, il avait quitté la table en maugréant une foule de malédictions, inaudibles mais certaines, à mon intention.

 

Lettre ouverte à M. Raspail (pas celui du boulevard)

 

Cher Jean Raspail,

 

Il est  temps que je vous narre un petit incident parisien…, petit, mais significatif. Printemps 1974, je m’engouffre dans un taxi et lance : «75 boulevard Jean Raspail !». Temps d’hésitation du chauffeur qui, ayant quelques lettres de plus que moi – s’il n’y avait plus beaucoup d’anciens colonels russes, ils n’étaient cependant pas encore, à cette époque, à quatre-vingts pour cent «issus de l’immigration» à enclencher les compteurs – consentit quand même à me déposer boulevard Henri Raspail. L’année précédente, vous aviez publié votre prémonitoire Camp des Saints1 qui décrivait comment des gouvernements félons et des élites perverties livraient nos peuples aux invasions allogènes…, roman qui avait fait  (et fait plus que jamais) beaucoup parler de lui, mais que je ne découvrirais que trente ans plus tard. C’est dire si celui-ci avait néanmoins déjà trouvé sa place dans mon inconscient propre : je vous avais déjà dédié un boulevard ! Je veux croire aujourd’hui que cela aussi était prémonitoire. Quant à votre qualificatif si juste de «félons», il se superpose désormais à tout article de nos journaux relatant les «actions» de ceux qui nous gouvernent… Recevez ici l’assurance de ma très haute considération.

 

Vers un retour en force des nécrophages et autres goules

 

On se demande par quel prurit un ancien politicien français2 se permet de gribouiller une lettre ouverte (datée du 11.7.06) qui pourrait avoir été copiée d’un devoir de vacances de lycéen – lamentations, approximations et exagérations comprises – au président iranien Ahmadinedjad. Et de conclure par la menace voilée que quelqu’un pourrait aller cracher sur la tombe du chef d’Etat iranien… Quant à savoir si le sieur Léotard pourrait accéder jusqu’à la première marche du mausolée…

 

On se demande quelle mouche a piqué le maire de Paris de faire marteler sur la tombe d’Edouard Drumont l’inscription « Auteur de “La France juive” »3.

 

On se perd en conjectures sur ce qui a mené M. Philip Roth à exhumer le colonel Charles Lindbergh et Henry Ford (premier du nom) pour figurer dans son Complot contre l’Amérique4 au titre de conspirateurs ou de collaborateurs d’un Hitler laissé libre d’agir par des Etats-Unis débarrassés de Roosevelt et non interventionnistes, et donc victorieux à l’Est. Il est vrai que tous deux avaient été décorés par le Chancelier du Reich de la Grand-Croix de l’Ordre de l’Aigle allemand… comme, du reste, bon nombre de diplomates étrangers.

 

On s’étonne de cette frénésie française de débaptiser les rues honorant la mémoire du docteur Alexis Carrel, eugéniste, il est vrai, et ami personnel de Lindbergh.

 

On ne s’étonne plus en sachant qu’en Espagne, les statues à la mémoire du général Franco disparaissent subrepticement les unes après les autres…

 

On se demande toutefois d’où vient, en pays chrétiens, cette mode soudaine de s’attaquer aux morts…

 

Guantanamo n’est qu’une rechute

 

Tout se passe comme si le monde vertueux découvrait l’ignominie du traitement spécial des détenus de Guantanamo et autres prisons secrètes états-uniennes comme une première en matière de non-droit de la guerre. Ça n’est hélas pas le cas. Déjà en mars 1945, le général Dwight E. Eisenhower, commandant suprême des armées alliées, avait ordonné que les militaires allemands capturés soient traités en tant que Disarmed Enemy Forces (DEF – forces ennemies désarmées) et non comme prisonniers de guerre. Ce nouveau statut privait ainsi les captifs de la protection de la convention internationale de Genève. Des ordres particuliers furent émis par les Etats-uniens, dont celui stipulant l’interdiction «de fournir aux “forces ennemies désarmées” un toit ou toute autre forme de confort» n’est qu’un exemple parmi une multitude d’autres contraires au droit des gens. Cette «stratégie» eut pour effet la mort d’environ un million de prisonniers de guerre allemands entre 1945 et 1946 dans les camps états-uniens et français, des suites de malnutrition et de maladie par exposition aux éléments naturels. Ce fait fut soigneusement occulté par les vainqueurs et le serait encore aujourd’hui n’eût été le livre du journaliste canadien James Bacque, Der geplante Tod5.

 

Max l’Impertinent

 

1 3e éd. chez Robert Laffont, ISBN 2-221-08840-9.

2 M. François Léotard, ex-ministre, ex-maire de Fréjus se fend d’une pleine page dans Tribune Juive (juillet-août 2006, p. 114), Le Figaro (5.9.06, p. 7) et Le Temps (!) (6.9.06, p. 6).

3 En deux tomes aux éditions Charlemagne, 1994, Beyrouth, Liban.

4 Ed. Gallimard, ISBN 2-07-077467-8.

5 Sous-titré Deutsche Kriegsgefangene in amerikanischen und französichen Lagern 1945-1946,  Frankfurt/M-Berlin, 1993.

 

 

Désinformation, noble profession

 

La corporation des journalistes, toujours très fière de sa noble mission, s’est particulièrement distinguée ces derniers temps où la réalité parfois tragique des simples citoyens lui a fourni de multiples motifs d’excitation.

En Autriche, lorsqu’une jeune fille a réussi à s’évader après avoir été retenue prisonnière pendant huit ans par un sadique, les gens de presse ne se sont plus tenus de joie et ont laissé libre cours au voyeurisme odieux et hystérique qui caractérise leur profession. C’est ainsi qu’on a pu voir – qu’on a voir – quinze mille fois le visage du ravisseur, des centaines de croquis détaillés de la cachette souterraine et de mauvaises photos d’une moitié du coude de la victime derrière trente policiers. Des hordes de psychologues ont eu l’occasion de s’épancher dans les journaux et d’y étaler leur science – laquelle ne diffère pas fondamentalement des conversations matinales entre Madame Michu et sa voisine de palier, car, à force de répétition, tout le monde est désormais capable de citer, au détour d’une phrase et avec un frisson de fierté, le fameux «syndrome de Stockholm». La victime de ce fameux syndrome, donc, a fini par accorder une interview que les chaînes de télévision du monde entier se sont arrachée à prix d’or, tandis que les commentateurs du monde entier répétaient inlassablement les mêmes phrases: cette jeune fille est jolie, impressionnante, elle montre une grande maîtrise d’elle-même… mais elle n’a pas tout raconté, elle a laissé des «zones d’ombre» et n’a révélé aucun des détails sordides que les intervieweurs voulaient entendre. Et le droit à l’information, alors ?

De ce côté-ci du Vorarlberg, le cas le plus édifiant fut sans doute le viol d’une petite fille de cinq ans par deux garçons de onze et treize ans, à Rhäzuns dans les Grisons. Dans ses comptes rendus, l’Agence télégraphique suisse a imposé un silence absolu sur l’origine ethnique des deux violeurs, comme elle le fait chaque fois que des étrangers sont en cause. Le quotidien 24 heures, pour sa part, nous a parlé de «Pierre» et de «Robert» en précisant qu’il s’agissait de «prénoms d’emprunt», cet emprunt laissant ainsi croire à l’existence d’une importante communauté francophone dans cette région des Grisons. C’est finalement Le Matin, faire-valoir populiste du même groupe de presse, qui nous a appris que Pierre et Robert s’appelaient en réalité Ardip et Behar et qu’ils étaient tous deux kosovars. Une fois la mèche vendue, les éditorialistes du Temps ont dû délaisser de toute urgence leur vernis de professionnels sérieux pour nous expliquer que l’origine ethnique des violeurs n’avait aucun, mais alors aucun rapport avec leur acte.

La palme de l’éthique, enfin, pourrait revenir à des journalistes de télévision indiens qui, voyant un homme protester devant le commerce de son ancien employeur pour obtenir des arriérés de salaire, l’ont poussé à s'immoler par le feu en lui tendant des allumettes et de l’essence. Les journalistes ont ensuite tranquillement filmé la scène.

Ce sera tout pour aujourd’hui, vous pouvez rallumer votre télévision.

 

Pollux

 

 

L’hypocrisie du dialogue

 

«Il est impossible que tous dialoguent.»

 

Romano Amerio : Iota unum (Etude des variations de l’Eglise catholique au XXème  siècle), N.E.L., Paris 1987, p. 298.

 

         Dialoguer, c’est échanger, converser avec autrui. La note caractéristique du dialogue est la courtoisie, la sincérité, l’écoute, le respect d’autrui, mais aussi la qualité des exigences qui nourrissent le dialogue, en font la saveur, lui évitent la chute dans le bavardage, l’inconsistance. Aussi, pour conserver toutes ces qualités, le dialogue ne peut porter que sur des matières appropriées, sujettes à opinions divergentes, précisément. On peut s’entretenir d’écoles littéraires ou philosophiques, de pratiques professionnelles, on peut discuter des goûts artistiques ou culinaires, de tout ce qui relève de la subjectivité et qui, par nature, est abandonné à notre libre appréciation personnelle, dans le champ de la libre critique historique aussi, bien entendu1

 

         Mais tel n’est pas du tout le sens moderne, ou plutôt moderniste, du mot dialogue. Ce dernier porte au contraire  – et il le doit même, selon ses adeptes fanatiques – sur des matières en soi impropres à des échanges égalitaires entre personnes2. C’est ainsi que le droit en vigueur dans un Etat, pour autant qu’il soit moralement légitime, ne saurait devenir matière à libre entretien entre particuliers, qui sont tenus de le connaître, non d’en juger personnellement. Un voleur ne peut mettre le droit de propriété en discussion avec sa victime ! Toutes les opinions morales doivent cesser de s’exprimer devant des comportements mettant l’intégrité d’autrui en danger. Il en va de même pour les questions religieuses : le fait de la Révélation divine ne saurait être matière de dialogue entre les hommes autrement qu’à travers la critique de la connaissance qu’ils en ont. Celle-ci est-elle authentique ou non, juste ou fausse, garantie par la Révélation elle-même ou non ? La discussion sur ce sujet n’est possible qu’à condition de ne porter que sur la connaissance qu’en ont les hommes ; elle cesse d’être morale dès qu’elle prend en compte n’importe quelle révélation qualifiée de divine, sans égard à l’arbitraire ou à la pertinence éprouvée par la droite raison de cette qualification. La discussion est également immorale quand elle porte sur la légitimité de l’Eglise à être sa seule interprète divinement assistée. La démonstration de cette exclusive relève de l’enseignement, non de l’échange égalitaire.

 

         De même, on ne met pas en discussion l’appartenance à une patrie, ni les liens privilégiés de ce rapport imposé par la nature et accepté par l’homme, sans par là même rompre avec la règle sociale élémentaire de la loyauté, ce que font aujourd’hui tous ceux qui voudraient que le droit d’asile soit pratiquement assimilé au droit de la nationalité, privant ce dernier de tout sens ! La notion d’étranger, dont les titulaires ne peuvent que jouir de statuts précaires, est connexe à celle de patrie et ces deux notions sont absolument indissociables. Quand, au nom de l’égalité juridique formelle et abstraite, on refuse cette discrimination première sous le prétexte que l’échange est toujours fécond, toujours positif, en tous domaines (mais à condition qu’il soit imposé…), utiliser dans ces cas le terme de dialogue est une véritable imposture qui s’opère par la subversion pure et simple du sens d’un mot. Ce mot est alors le masque de la violence et de la ruse, du triomphe de la malhonnêteté dans les rapports humains et politiques en particulier. Tel est aussi le fameux dialogue interreligieux, puisque Dieu y est
méprisé a priori dans sa révélation faite aux hommes, y compris dans les règles qu’Il a lui-même établies quant à l’interprétation de cette révélation. Or, dans la mesure où des hommes prennent au sérieux la Révélation divine, ils sont aussitôt qualifiés de fondamentalistes, d’intégristes, c’est-à-dire de fanatiques impropres au dialogue œcuménique. Ils sont discrédités sans qu’il soit nécessaire d’invoquer d’autre motif que leur respect de la parole divine, avec laquelle effectivement ils ne transigent pas. Mais ces hommes n’ont-ils pas raison si Dieu est Dieu et s’est effectivement révélé aux hommes dans les conditions qu’ils confessent ?

 

         Aujourd’hui, l’apologie des dialogues désordonnés, par la presse notamment, dissimule un acquiescement très répandu à la violence révolutionnaire, dont ce type de «dialogue» fait partie intégrante. Est-il alors bien surprenant qu’en Suisse même nous comptions plus d’une dizaine de milliers d’internements dans des hôpitaux psychiatriques par an, si l’on se réfère aux statistiques de l’Observatoire suisse de la santé pour les années 2000 à 2002 ? Un tiers de ces internements sont volontaires, un cinquième sont effectués de force… Il se dit que les psychiatres ne parviennent pas à soigner ces patients, dont l’état empire en milieu hopspitalier… Combien différente était la situation des «blessés de la vie» dans les Evangiles ! Ils venaient d’eux-mêmes au Christ, qui ne leur demandait qu’une chose : croire en Lui. Ils s’en trouvaient guéris tout soudain…

 

Michel de Preux

 

1 Jusqu’où est allée l’intention des nazis à l’égard des juifs, par exemple, ou la colonisation fut-elle bénéfique aux peuples qui la subirent ?

2 Inversement, sur certains sur certains sujets politiquement sensibles, le dialogue, quoique licite en soi, est légalement proscrit. La libre opinion y devient un délit… Mystification démontrée !

 

 

On n’a rien résolu !

 

Je suppose, en écrivant cet article le 21 septembre, que la nouvelle loi sur les étrangers et les modifications proposées de la loi sur l’asile auront été acceptées par le peuple au moment où le Pamphlet sera distribué.

 

Comme je l’ai exposé aux lecteurs qui nous ont fait l’amitié de participer à notre dîner d’anniversaire, le 2 septembre dernier à Pully, la nouvelle loi sur les étrangers a au moins un mérite, c’est de regrouper dans un même texte les normes qui, jusqu’alors, figuraient dans la loi et dans l’ordonnance du Conseil fédéral limitant le nombre des étrangers.

 

Les dispositions de cette ordonnance, notamment la politique dite des deux cercles, acquièrent, après avoir été discutées au Parlement et approuvées par le corps électoral, une légitimité démocratique incontestable.

 

Je suis moins optimiste, en revanche, sur les bienfaits qu’on peut espérer des modifications de la loi sur l’asile.

 

Lors des débats sur cet objet, tous se sont accordés à proclamer la nécessité de maintenir la «tradition humanitaire de la Suisse», notamment en protégeant les «vrais réfugiés».

 

Un tel discours, dans un débat, a le mérite de mettre tout le monde d’accord à moindre frais, grâce aux vertus de la langue de bois. La prétendue «tradition humanitaire de la Suisse» est une invention récente à usage publicitaire en faveur du CICR et de ses œuvres. Il n’y a pas si longtemps que les populations les plus pauvres de Suisse centrale, notamment, partaient chercher fortune en Amérique du Sud, parce qu’il n’y avait pas assez de pain pour tous les autochtones sur le territoire national. Il n’était pas question alors d’accueillir des étrangers.

 

La situation économique de l’Europe, pendant la deuxième moitié du siècle dernier, a suscité des flux migratoires que ni l’Union européenne ni la Suisse n’ont été capables de maîtriser, faute d’une législation adéquate sur la question.

 

Le toilettage de la loi sur l’asile, dont les plus anciens lecteurs du Pamphlet se rappellent sans doute tout le mal que je pense, aussi bien de sa version du 5 octobre 1979 que de la modification du 26 juin 19981 n’améliorera pas la situation.

 

En 1999, les dépenses dans le domaine de l’asile se sont montées à 1,5 milliard de francs. Aujourd’hui, le budget de l’ODR oscille entre 900 millions et un milliard.

 

Pour le traitement de 20'000 cas, cela représente fr. 50'000.- par candidat.

 

En 2005, sur 12'695 cas traités, l’asile a été accordé à 1'497 reprises, soit le 11,8 %. Cela signifie en somme que le milliard dépensé par année est justifié par la protection de 1'500 «vrais» réfugiés. Une dépense de fr. 668'000.- par tête.

 

Vu autrement, 982 millions sont dépensés chaque année pour traiter le cas de personnes qui ne sont pas des réfugiés au sens de la loi.

 

C’est évidemment absurde, surtout que ces «faux réfugiés» sont des étrangers parfaitement honorables, dont le seul tort, aux yeux de notre législation, est de n’être pas, dans leur Etat d’origine ou dans le pays de leur dernière résidence, exposés à de sérieux préjudices en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social déterminé ou de leurs opinions politiques.

 

Ils sont arrivés en Suisse pour fuir non pas une persécution étatique mais tout simplement l’insécurité et la misère. Ils sont interrogés dans un centre d’accueil, puis dans les locaux de l’autorité cantonale, où on s’efforce de leur faire tenir un discours imprécis, de trouver dans leurs deux récits la plus petite contradiction pour décréter que leur discours manque de vraisemblance, qu’ils sont donc des menteurs, ce qui dispense l’Office des migrations  d’étudier plus avant la réalité des persécutions dont ils se prétendent les victimes.

 

On leur offre néanmoins un droit de recours, qui sera peut-être traité plusieurs années plus tard, au moment où le requérant s’est réintégré dans le tissu social, qu’il a une profession, un emploi, qu’il paie ses créanciers, bailleur, assureur etc.,  qu’il s’acquitte de ses impôts et que ses enfants sont scolarisés.

 

Huit virgule huit fois sur dix, l’autorité de recours confirme la décision négative de l’autorité intimée. L’étranger doit partir.

 

Alors, soit il respecte cette décision et profite d’un viatique offert par la Confédération au titre d’aide au retour, soit il disparaît et devient donc un clandestin, sans papier.

 

Le Conseil fédéral estime à env. 100'000 le nombre des sans papiers qui vivent en Suisse actuellement, une partie d’entre eux  sans assurances sociales, ni assurance maladie ou accident.

 

Avec la nouvelle loi, cette situation ne changera malheureusement pas.

 

Les bonnes âmes, qui placent la personne de l’étranger au centre de leurs préoccupations, voudraient que chaque requérant soit accueilli avec générosité et traité avec humanité.  Que les sans papiers soient tous régularisés. Que tous ceux qui travaillent reçoivent une autorisation de séjour….

 

Mais cette approche généreuse n’est pas la seule qu’il faille envisager. Il existe aussi, dans la pesée des intérêts, ceux de la communauté nationale dont il faut tenir compte.

 

Les préceptes évangéliques sur l’amour du prochain s’appliquent à des individus, non à des nations, dont le rôle a toujours été, est, et restera probablement toujours la défense de ses propres membres, de leur sécurité, de leur prospérité, de leur cohésion, et de la paix civile qu’il s’agit de préserver entre ses membres.

 

Les buts de la Confédération, tels qu’ils étaient sobrement énumérés dans la Constitution de 1874, soit : assurer l’indépendance de la patrie contre l’étranger, maintenir la tranquillité et l’ordre à l’intérieur, protéger la liberté et les droits des confédérés et accroître leur prospérité commune étaient plus modestes, et paraissent aujourd’hui le comble de l’égoïsme, surtout si on les compare avec le prétentieux préambule et l’énumération des buts généreux de l’art. 2 de notre nouvelle Constitution, à base de développement durable, de diversité culturelle, d’égalité des chances, et d’ordre international juste et pacifique – tartes à la crème à la mode, à la portée essentiellement gesticulatoire –, mais c’étaient des objectifs raisonnables, réalistes, atteignables.

 

Certes, il est cruel de renvoyer dans son pays d’origine un candidat à l’émigration qui espérait, en s’installant en Suisse, y trouver un travail, un système de sécurité sociale performant, un réseau de santé efficace, des perspectives de formation au-dessus de la moyenne pour ses enfants et ses petits-enfants.

 

Mais cette cruauté ne peut être évitée par l’Etat, qui a le devoir de faire exécuter ses décisions définitives et exécutoires, quelque mérite individuel que possède le malheureux étranger débouté.

 

Peut-être serait-il temps de remettre en question la révolution juridique qui s’est opérée, il y a une trentaine d’années, dans la conception du droit d’asile (précédemment : droit que s’arroge tout Etat souverain d’accorder l’asile au ressortissant d’un autre Etat ;  actuellement : droit subjectif d’un étranger se trouvant dans le cadre de la définition ci-dessus rappelée d’obtenir une autorisation de résidence en Suisse), et d’imaginer, avec les autres pays, membres de l’Union européenne, une politique d’aide aux pays du Tiers-monde qui inverse la tendance des actuels flux migratoires.

 

Les Etats de provenance des requérants sont, généralement, des pays possesseurs de grandes richesses naturelles et de fortes potentialités de développement. Des pays qui, bien gouvernés et politiquement stables, pourraient devenir dans quelques années des Eldorados dans lesquels les Européens se précipiteront pour améliorer leur situation matérielle…

 

Des pays dans lesquels seraient bienvenus, aujourd’hui et sous forme d’investissements, les 982 millions que la Confédération dépense chaque année pour le traitement des demandes déposées par les «faux réfugiés» !

 

L’adoption – probable – des nouvelles dispositions de la loi sur l’asile n’aura rien résolu. Un problème qui n’a pas de solution est généralement un problème mal posé. Il serait temps de repenser ses données.

 

Claude Paschoud

 

[1][1] Voir notamment : «La loi…la loi !» (n° 161, janvier 1987), «Conspirateur» (n° 164, mai 1987), «Mehmet Oezdemir : un cas ordinaire» (n° 210, décembre 1991) ou «Droit d’asile» (n° 279, novembre 1998)

 

 

 

35e anniversaire du Pamphlet : Claude Paschoud recommande 1 x Oui à la modification de la loi sur les étrangers, 1 x Non  à la modification de la loi sur l’asile et d’éviter le sorbet à l’ananas qui n’a aucun goût.