Lausanne 34e année      «ne pas subir»     Novembre  2004 No 339

 

 

 

Sommaire :

 

Hommage à Jean-François Leuba

Claude Paschoud rend hommage à un grand magistrat.

 

En direct de Sirius

Max soupçonne Ben Laden d’être un agent électoral du président américain ; il s’étonne d’une autre «coïncidence» en Afrique ; il nous entretient de ses dernières lectures.

 

Point de vue du bout du Lac

Xavier Savigny est furieux contre la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Genève. Il explique pourquoi.

 

Une fausse hégémonie

Il existe un accord de fait entre le catholicisme de «Vatican II» et le fondamentalisme protestant aux Etats-Unis.

 

Meurtres éthiques

Dans le débat sur les cellules souches embryonnaires, Mariette rappelle des vérités toutes simples…

 

A quoi servent les radicaux ?

Le parti radical n’est plus un parti du centre, c’est un parti du vide. Ceux de ses membres qui pensent seraient bien inspirés de rejoindre un vrai parti politique.

 

Votations fédérales

Réforme de la répartition des tâches : un petit non !

Nouveau régime financier : un petit oui !

 

Réabonnements

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Jean-François Leuba

 

C’est à la fin des années soixante que j’ai fait la connaissance de Jean-François Leuba, lors d’un «Grütli», assemblée annuelle des Vieux-Zofingiens vaudois à laquelle les Actifs sont invités, et c’est au sein de la Société vaudoise des officiers que je l’ai pratiqué, car nous faisions partie, avec quelques autres, d’une commission chargée d’étudier l’objection de conscience et le service civil.

 

C’est lors des travaux de cette commission que j’avais pu apprécier la pensée originale, le discours clair et la plume acérée de Jean-François Leuba. Les travaux de notre commission avaient pris fin par la rédaction d’un «rapport» que le comité et l’assemblée générale avaient couvert de louanges avant de le glisser dans un profond tiroir.

 

Abonné au Pamphlet dès le premier numéro, Jean-François Leuba nous avait conviés, Mariette et moi, à partager la joie de son second mariage, célébré si j’ai bonne mémoire en 1978, alors même qu’un article d’un de nos collaborateurs dans le numéro 61, de janvier 1977, l’avait mis dans une noire colère. Il s’agissait à l’époque d’une affaire de loi sur l’aménagement du territoire… La hache de guerre avait été enterrée dès le numéro du mois suivant !

 

Lorsque nous avons lancé le référendum contre le port obligatoire de la ceinture de sécurité, en avril 1980, avec mon regretté ami Jean-Jacques Reut, Jean-François Leuba nous a immédiatement rejoints, avec 72 autres conseillers d’Etat, députés et syndics, pour constituer le comité référendaire vaudois provisoire.

 

En mars 1983, Jean-François Leuba n’avait pas aimé mon article «La main dans le sac» et me l’avait fait savoir. Ces quelques divergences ne l’ont pas empêché de m’appeler en juillet 1988 à diriger le service juridique de l’office cantonal de contrôle des habitants et de police des étranger. La polémique qui a suivi l’annonce de cette désignation, les attaques haineuses dont je fus la cible et les critiques qui furent adressées à Jean-François Leuba à cette occasion, y compris dans les rangs de la droite et du centre, auraient largement suffi à n’importe quel magistrat radical pour justifier un prudent repli et une volte-face tactique.

 

Jean-François Leuba n’a pas cédé. Il appartenait à cette race d’hommes d’Etat – espèce qui semble avoir pratiquement disparu – dont le souci était moins la réélection, le nombre de suffrages à ne pas perdre ou à gagner, l’avis du journaliste de service que la vérité, la justice et le bien commun.

 

Nos routes ne se sont plus guère croisées depuis la fin de son dernier mandat de conseiller d’Etat qu’à l’occasion des «Grütli» zofingiens : il a présidé la Constituante à laquelle je n’ai pas prêté grande attention et d’autres assemblées illustres où son intelligence pénétrante, sa vive sensibilité, son esprit d’analyse et de synthèse ont frappé ses auditeurs et permis de clarifier les débats.

 

J’écrivais ici même en février 1977 :  «Nous avons beaucoup d’estime et d’amitié pour M. Jean-François Leuba et il le sait». Ces vingt-sept dernières années, l’amitié pour le camarade officier et pour le frère de couleurs ne s’est pas démentie et l’estime pour le magistrat, pour le «patron» a crû.

 

Il était un des derniers grands hommes du canton et sa disparition brutale laisse un grand vide.

 

Claude Paschoud

 

 

En direct de Sirius

 

Le « Message » (coïncidences)

 

Qui dira ce qui serait sorti des présidentielles états-uniennes si, jaillissant de sa boîte à surprises, M. Ben Laden n’avait proféré les menaces que l’on sait ? Quarante-huit heures avant la conclusion de la campagne, l’épouvantable Homme des grottes (afghanes), sorti d’hibernation, faisait basculer à point nommé les derniers naïfs indécis dans le camp de l’immaculé cow-boy du Millénaire. Bible à la ceinture et mode d’emploi démocratique en bandoulière, chevauchant son Abrahms à la robe de sable, le Défenseur du Bien, l’envoyé du vrai Dieu, se voyait confirmer quatre années de roue libre. C’est à se demander si l’ancien élève de la CIA, qui émarge aux mêmes pétrolières que le président US, ne serait pas du nombre de ses agents électoraux…

 

«Moi, j’ai dit bizarre, comme c’est bizarre.»

 

Un chien de leur chienne ? (encore les coïncidences)

 

Sitôt le bail renouvelé au Roy Rodgers de Washington, la Côte d’Ivoire s’agite. M. Laurent Gbagbo fait «collatéraliser» par son aviation quelques malheureux soldats français, séquestre ou terrifie par des «éléments incontrôlés» (incontrôlés… par qui et avec quel argent ?) quelques civils du même pays et, à titre de représailles, voit partir en chaleur et lumière ses deux Sukkoïs, soit la totalité de son armée de l’air.

 

A Abidjan, la France n’a plus la cote. Mais toute relation avec un secrétaire d’Etat à la défense ayant ouvertement voué aux gémonies certains champions de la Vieille Europe ne serait que pure coïncidence.

 

« Vous y croyez, vous, aux coïncidences ?

– …

       Ben… comme moi ! »

 

Mea pas culpa

 

«Why do they hate us so much ?»1

(George W. Bush, à propos du reste du monde, dans un exceptionnel moment de perspicacité).

«Ce fut admirable de découvrir l’Amérique, mais il l’eût été plus encore de passer à côté.»

         (Mark Twain)

 

         A ceux qui trouvent que Max est un ingrat quand il estime ne pas devoir son salut aux dignes successeurs de George Washington, Max admet que le fait d’avoir vécu et étudié aux USA le prédispose sans doute à une relation mitigée avec ce pays et suggère donc la lecture du premier numéro de la revue l’Empire2 qui livre une analyse presque complète et très documentée de cette partie du continent nord-américain sous ses aspects essentiels : politique, économique, militaire, sociologique, culturel et religieux, et même humoristique. Même M. Jean Ziegler y est, pour une fois, pertinent. Lecture à laquelle on pourra adjoindre le tout aussi instructif et fort spirituel pamphlet d’Antoine Chereau et Yann Le Poulichet : 50 bonnes raisons de… …détester les Américains3. Deux ouvrages qui cependant ignorent avec une exquise pudeur le « Lobby qui n’existe pas », mais qui vérifient amplement la constatation Wildienne que «les Etats-Unis d’Amérique forment un pays qui est passé directement de la barbarie à la décadence sans jamais avoir connu la civilisation».

 

Pas tout à fait d’accord…

 

…avec l’excellent Roger Minne, qui remarque, dans son 61e Cri de la Chouette4 qu’« en France, [les élus et les dirigeants] n’agissent plus (quand ils agissent) comme les représentants du peuple, désignés par le peuple, mais comme [ses] tuteurs. » C’est probablement valable pour bon nombre de «systèmes démocratiques» occidentaux. Mais si, dans leur vanité, nos locataires de fauteuils politiques s’imaginent nos tuteurs… ils s’appliquent à oublier la double exigence de probité et de protection prioritaire des intérêts du pupille qui incombe à la charge. A en juger par les spécimens actuellement en cours, et pas mal de leurs prédécesseurs du défunt XXe siècle, les peuples sous tutelle sont loin d’y trouver leur compte.

 

Un simple « détail »

 

Pierre de Villelibre5 m’assure avoir entendu le premier ministre turc préciser, lors de sa récente tournée de séduction publique en France, sans doute pour qu’on ne minimisât point, en Europe, l’importance de la réalité turque, que s’il y avait soixante-dix millions de ressortissants turcs, le monde comptait deux cent quatre-vingt millions de turcophones, tous pays confondus. Curieusement, dans la classe politique française, personne ne s’en est ému… Une comparaison avec l’actuelle population de l’UE aurait pourtant été instructive.

 

 

Max l’Impertinent

 

 

1 « Pourquoi nous détestent-ils tant ? ».

2 Abonnements : FIAC, 84 Bd de Sébastopol, F 75003 Paris (tél. : 01 42 74 28 00). Distribution en Suisse : Naville S.A.

3 …dont sont extraites les citations de Mark Twain et d’Oscar Wilde – Big Bang Communication, Boao éditions, octobre 2004, France, n° éditeur : 7045, ISBN : en cours

4 Le Cri de la chouette, abonnements et courrier : Club de la Chouette, BP 444, F 75327 Paris Cedex 07.

5 Pseudo !

 

 

 

Point de vue du bout du Lac

 

 

UNIGE : le coût de la bêtise

 

A l’heure où, une fois de plus, les fonctionnaires manifestent pour revendiquer des dépenses supplémentaires de toutes sortes, il nous semble intéressant de vous faire part d’un cas particulier qui pourrait avoir valeur d’exemple.

 

Il y a une année et demie, la future Madame Savigny, Alexandra (prénom fictif évidemment), qui se sclérosait alors comme assistante de gestion dans une banque de la place, décidait de se recycler dans une voie toute différente et qui répondait mieux à ce qu’elle attendait d’une activité professionnelle motivante : l’enseignement. N’ayant aucun moyen de faire valoir des équivalences pour les diplômes universitaires obtenus en Espagne où elle avait passé une bonne partie de sa jeunesse, elle décidait, à l’aube de la trentaine, d’entreprendre quatre années d’études au sein de la faculté des sciences de l’éducation de l’université de Genève. Le cursus de cette faculté se compose d’une année de tronc commun et de trois années de spécialisation, soit en Licence Mention Enseignement (LME), soit en Licence Mention Recherche et Intervention (LMRI), soit enfin en Licence Mention Formation pour Adultes (LMFA). Or, la filière LME que désirait suivre Alexandra ne peut être entreprise qu’après avoir présenté un dossier complet et passé un entretien, tout cela quasiment à la fin de la première année, les deux autres filières ne faisant pas l’objet de conditions d’admission en dehors de la réussite des examens de fin de première année.

 

Motivée et pleine de bonne volonté, Alexandra quitte donc son employeur, renonce aux revenus confortables que lui assurait ce dernier, fait une demande de bourse qu’elle obtient et se lance dans l’aventure universitaire en octobre 2003. On se serre un peu la ceinture et on se on se rassasie au sein de l’Alma Mater. Assidue et studieuse, la jeune femme enchaîne sans relâche cours, remplacements dans des classes spécialisées, stages et étude à la maison. Elle monte le dossier d’admission en LME et se prépare à l’entretien avec quelques amies qui étaient passées par là. Le jour fatidique arrive et l’entretien, destiné semble-t-il à évaluer les motivations et capacités des candidats, se passe comme dans un rêve. Des vingt minutes qui sont consacrées à la discussion, les dix dernières se passent sur le ton de la conversation amicale. Les deux «experts», pédagogues et enseignants, semblent satisfaits des réponses qu’ils ont reçues et complimentent même Alexandra sur la qualité de son dossier. Puis viennent les examens de fin d’année. La jeune femme réussit toutes les épreuves, et la plupart des matières avec d’excellentes notes. Confiante, elle passe l’été à se reposer de cette année difficile et se prépare à reprendre les cours, lorsque tombe la décision de la faculté : Alexandra n’est pas acceptée en LME. Contrairement ce qui lui avait paru, l’entretien s’est mal passé, ses interlocuteurs ne l’ont pas trouvée à leur goût…on ne sait pas trop pourquoi. Mais ce qui est sûr, c’est qu’elle ne peut continuer la formation pour laquelle elle a tout laissé tomber. Elle peut consulter son évaluation et faire recours contre la décision, ce qu’elle fait. L’évaluation de l’entretien montre que les experts on estimé qu’elle n’était pas assez extravertie dans sa manière de communiquer et qu’elle manquait d’expérience dans l’enseignement. Car, je vous le donne Emile et pour pasticher le regretté Coluche : « Maintenant, pour apprendre à enseigner en Suisse, il faut avoir enseigné ! Encore un nouveau pas en avant de la connerie. Mais dites-moi, dites-moi, jusqu’où s’arrêteront-ils ?» En somme, la faculté des sciences de l’éducation estime qu’en vingt minutes, il est possible de se faire un avis définitif sur les capacités d’une personne à transmettre son savoir à des enfants. Si ce genre d’expertise était appliqué aux enseignants, il y a des chance pour que, d’une part, on soit rapidement en manque de personnel dans les établissements scolaires et que, d’autre part, on ne puisse plus circuler dans les rues de Genève en raison des manifestations. Soyons sérieux. Les critères sur lesquels sont évalués les candidats relèvent pour certains de la plus pure subjectivité et n’ont donc pas lieu d’être.

 

Ce système de numerus clausus est inadmissible sous cette forme. Que l’on dise aux étudiants que seuls les cent meilleurs résultats aux examens seront admis en LME, soit. Il s’agit alors de critères objectifs, et celui qui ne fait pas des résultats satisfaisants sait que les autres étaient, sinon meilleurs, du moins mieux préparés. Que l’on n’admette les étudiants en LME que sur dossier comme cela se voit beaucoup pour les grandes écoles françaises, soit, mais sur la base de critères objectivement quantifiables et  ce avant le début de la première année.

 

Car l’autre aspect, financier celui-là, et qui nous concerne tous, nous les contribuables qui finançons l’université, c’est le coût engendré par ce système grotesque. Alexandra vient de recevoir la décision de la commission qui a jugé de la recevabilité de son recours. Elle a gagné, un mois après que les cours ont recommencé, elle a été créditée de deux points supplémentaires sur son évaluation (sortis d’un chapeau) et peut donc continuer ses études. Elle n’y retournera pas, elle a retrouvé du travail et l’injustice dont elle a été victime a définitivement anéanti l’envie d’entrer dans ce système arbitraire. Coût de son année d’études, bourse comprise : environ trente mille franc. C’est beaucoup, non ?

 

Car dans ce cas l’étudiante est la victime. Mais on peut extrapoler ce problème à toutes celles et ceux qui en entrant à l’université commencent par une année de droit, puis s’essaient à un peu de médecine et finissent en lettres, prolongeant autant que possible la durée de leurs études et se complaisant dans ce statut. Toutes ces années inutiles de tourisme estudiantin coûtent à la communauté des sommes importantes. Alors que faire pour encourager tous ces jeunes en formation à ne pas traîner en chemin ? Facturons les études à prix coûtant pour les années qui dépassent un forfait, dix semestres par exemple. Je suis persuadé que les choix de départ seraient mieux réfléchis et que les étudiants auraient à cœur de terminer rapidement leur cursus.

 

Vous pensez comme moi qu’avant de revendiquer dans la rue, il y a des économies à faire ?

 

Xavier Savigny

 

 

 

 

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Réd.

 

 

 

Une fausse hégémonie

 

 

Deux faits marquent l’actualité mondiale depuis quelques décennies : la politique extérieure des Etats-Unis d’Amérique du Nord, que Raymond Aron nommait «La République Impériale», et le conflit israélo-arabe du Moyen-Orient. Ces deux faits prévalent tellement sur tous les autres qu’en Europe même, la politique intérieure des Etats en subit les effets. C’est pour appuyer le candidat George W. Bush à sa propre réélection que la prestigieuse monarchie britannique déployait récemment tous ses fastes lors d’une visite d’Etat du président en exercice des Etats-Unis à Londres. C’est pour se concilier une faible mais puissante minorité juive en France que le ministre des affaires étrangères de Jacques Chirac, Michel Barnier, s’est rendu à Tel-Aviv, une fois résorbée la fausse polémique, suscitée dans l’Etat juif, d’une recrudescence de l’antisémitisme en France. L’Allemagne n’est toujours pas déchargée de son passé national-socialiste et ses repentances officielles peuvent durer encore. En rejetant massivement son passé franquiste, l’Espagne juan-carliste redécouvre la terreur, qui est de moins en moins basque, de plus en plus musulmane. L’Italie est une cible privilégiée pour les prises d’otages en Irak et, chez nous, Madame Calmy-Rey s’imagine jouer un rôle utile à la paix mondiale en gagnant quelques mérites auprès des quelques figurants de la scène internationale, comme si la Suisse avait la taille de l’Inde ou de la Chine ! Le ridicule ne tue plus.

 

Les Etats-Unis d’Amérique cachent-ils leur faiblesse par des déploiements de puissance sur des Etats faibles et indéfendables, comme certains l’ont prétendu, ou au contraire ne révèlent-ils au monde que leur cynisme en attaquant leurs partenaires de la veille, hier l’Irak, demain l’Iran ? Il est difficile de trancher, car leur silence et leur attentisme  à propos de la Corée du Nord n’autorise aucun jugement définitif tranché…

 

A moins de se situer à un tout autre niveau, étranger aux préoccupations habituelles du monde diplomatique, militaire et politique. Quand l’Europe liquide allègrement ses racines chrétiennes, auxquelles elle substitue une religion nouvelle, sans divinité ni transcendance, et qui n’a, au fond, que l’homme pour centre, l’Amérique de G. Bush ou de John Kerry a la même religion nouvelle, mais elle montre sa différence sur ce terrain. Les Américains n’ont pas honte de leurs racines chrétiennes. L’évangéliste Bush en parle, comme naguère Clinton, sans retenue, et le catholique Kerry a toutes les réserves à ce sujet d’un authentique libéral. Mais ne nous y trompons pas ! Tous deux ont la même ferveur démocratique et pratiquent exactement le même culte de la mission providentielle qu’ils prêtent à leur pays. Entre eux, ce  n’est pas un choix de société, ni de sacristie, mais de club (en Europe, on dirait : de salon). On reste dans le même palais, la Maison Blanche, lequel est en réalité un temple : «Une mission divine a été assignée à la République des Etats-Unis. Cette mission est de préparer le monde, par l’exemple et par l’influence morale, au règne universel de la liberté et des droits de l’homme…Ô Amérique, tu portes dans ta main les espérances de la race humaine !», s’exclamait en 1901 l’archevêque de Saint-Paul, Mgr Ireland. Le Pape Léon XIII eut beau réfuter et condamner l’américanisme par une lettre au Cardinal Gibbons, Testem benevolentiae, du 22 janvier 1899, rien n’y fit, et, depuis Vatican II, l’accord est plus que parfait entre «catholiques» et fondamentalistes protestants. L’évangélisation du monde passe par sa démocratisation et celle-ci possède à la Maison Blanche son nouveau Vatican. Il n’y a, sur le sujet, aucune divergence entre George W. Bush et John Kerry. Ne nous faisons aucune illusion.

 

Mais on voit les résultats de cette politique moralisatrice dissimulant un affairisme sans frein. Son fruit naturel : le chaos. La prochaine guerre d’Iran promet une extension de celui-ci, donc une déstabilisation accrue au Moyen-Orient. Le conflit israélo-arabe n’a aucune raison de cesser. Une fausse religion ne peut que favoriser des politiques à courte vue, car il n’y a pas plus obtus que des sectaires, dont l’aveuglement sur la religion musulmane persistera parce qu’il est sans remède, étant jugé sans péché. Qui discerne dans toutes ces impasses les fruits naturels d’un christianisme déviant ? Pratiquement personne.

 

Parallèlement, les pays d’Europe, dont l’unité religieuse ferait la force parce que leur histoire l’a amplement démontré, y compris sur le plan strictement économique, tant prisé aujourd’hui, mais isolé, idolâtré, par conséquent trompeur autant que nuisible, fuient leurs sources religieuses de vie et s’en détachent avec une sorte de rage ou de furie française. Les Européens courent après le rêve américain, leur tombeau ! Les Européens sombrent dans la vanité et la vacuité. Moins naïfs que leurs funestes modèles d’outre-Atlantique, ils ne moralisent pas, ils travaillent fébrilement à leur propre mort. L’ascendant de l’Etat juif sur leur personnel politique et religieux n’a pas d’autre cause.

 

Michel de Preux

 

 

 

Meurtres éthiques

 

Jamais le mot «éthique» n’a été autant utilisé que dans le débat concernant l’utilisation des embryons surnuméraires à des fins de recherche, sur laquelle nous devrons nous prononcer le 28 novembre. Il est sur toutes les lèvres et sous toutes les plumes, dans des acceptions diverses, évidemment. Le pasteur Jean-Marie Thévoz, invité de 24 Heures du 11 novembre, ne fait pas exception à la règle : constatant que la Bible ne dit rien, cela va de soi, sur ce débat, il déclare solennellement qu’«Il faut donc recourir à une interprétation éthique des convictions chrétiennes pour risquer une réponse». Son interprétation éthique le conduit à considérer qu’il vaut mieux faire profiter la science d’embryons surnuméraires qui «ne deviendront jamais des enfants parce que leurs géniteurs n’ont plus de projet parental». Et d’ajouter : «On peut le regretter, mais à moins de mettre sur pied un programme étatique de mères porteuses ou d’autoriser le don d’embryons, ces embryons surnuméraires ne verront jamais le jour.» De toute façon, pour cet homme de Dieu, il ne saurait être question d’admettre que l’embryon est un être humain à part entière : «(…) l’être humain ne peut pas être réduit à sa biologie ou à son patrimoine génétique. L’être humain est d’abord un être de relation, ce que n’est pas un embryon sur lequel ne repose plus aucun espoir de grossesse.»

 

         Revenons sur quelques points de ce tissu de contorsions intellectuelles «éthiques».

 

         L’un des fameux «garde-fous» prévus pour éviter les abus est qu’aucun embryon surnuméraire ne pourra être utilisé par la science sans le consentement de ses géniteurs. Si ces derniers acceptent de livrer à la recherche un rejeton qui n’a pas fait l’objet d’un «projet parental», ne procéderont-ils pas à un «don d’embryon», au risque de choquer le pasteur Thévoz ?

 

         Le pasteur Thévoz ne voit pas d’alternative à la mort inéluctable et programmée des embryons surnuméraires – il a d’ailleurs bien des frères, hélas. Il rejette avec horreur l’idée d’un programme étatique de mères porteuses. Il a bien raison. Mais pourquoi n’envisage-t-il pas, comme moi, une modification de la législation qui permettrait de faire adopter ces embryons par des couples stériles ? Quelque «interprétation éthique des convictions chrétiennes» s’opposerait-elle à cette solution ?

 

La recherche est une belle chose et je veux bien admettre, à la rigueur, que la recherche suisse doit rester à la pointe du progrès pour des motifs économiques. Mais alors, il faut aller jusqu’au bout du raisonnement : la recherche suisse sur les cellules souches embryonnaires ne pourra rester à la pointe du progrès que si l’on supprime les «garde-fous» qui rendraient la législation suisse en la matière plus sévère que celle des autres pays. Il ne faut pas se leurrer : le texte sur lequel on nous demande de nous prononcer n’est que l’aboutissement provisoire d’une évolution qui part de l’autorisation de la procréation assistée, se poursuit par la production d’embryons surnuméraires – dont on nous avait dit, si ma mémoire est bonne, qu’elle n’aurait pas lieu – et aboutit à la question du sort de ces derniers. Si la loi passe, l’évolution se poursuivra inévitablement par la suppression progressive des «garde-fous», au nom de la compétitivité. Exemple : que se passera-t-il si la procréation assistée peut se faire un jour sans production d’embryons surnuméraires ? Renoncera-t-on à poursuivre les recherches faute de cellules souches embryonnaires ? Bien sûr que non ! On modifiera la loi pour que la production d’embryons destinés à la recherche devienne licite. Le «garde-fou» numéro un sera supprimé. Alors, mieux vaut enjoindre tout de suite aux chercheurs de se concentrer sur les cellules souches adultes – ça existe, même si beaucoup de gens l’ignorent – qui n’ont de loin pas dit tout ce qu’elles ont à dire et qui peuvent se prélever sans qu’il y ait mort d’homme.

 

         Je suis une femme simple. Je pense qu’il y une place pour chaque chose et que chaque chose devrait être à sa place. Il en va de même pour les enfants du Bon Dieu. La place d’un embryon est dans le ventre d’une femme et non dans un laboratoire.

 

         Cela fait sans doute de moi une fondamentaliste aussi redoutable qu’un terroriste islamiste. Au moins, on ne pourra pas me reprocher une «interprétation éthique des convictions chrétiennes», c’est-à-dire une impardonnable hypocrisie.

 

 

Mariette Paschoud

 

 

 

A quoi servent les radicaux ?

 

 

Dans le dernier numéro du Pamphlet, j’espérais la victoire de Martin Chevallaz dans la course au Conseil d’Etat vaudois, tout en avouant mon pessimisme.

 

Pessimisme, hélas, justifié. Alors que la droite et le centre bénéficiaient ensemble d’une occasion inespérée de regagner un siège au gouvernement, c’est la gauche qui l’a emporté, avec une avance si nette qu’elle ne peut s’expliquer que par l’abstention d’une partie de la droite et même par la trahison d’une large frange des radicaux. Pour ce qui est du PDC, on ne peut pas parler de trahison, car les démocrates chrétiens se proclament de gauche très franchement eux-mêmes.

 

Mais à quoi servent aujourd’hui les radicaux ?

 

Dans une des dernières livraisons de la Nation, M. Olivier Delacrétaz écrit1 : «Selon la doctrine démocratique, les partis sont des groupements d’opinion qui occupent le pouvoir dans le but de conduire une politique conforme à leur idéologie. Le parti radical suisse – il n’est pas le seul – fait l’inverse : il aimerait reconquérir le pouvoir et cherche à cette fin des opinions susceptibles d’être porteuses électoralement».

 

M. Delacrétaz fait un constat parfaitement vérifiable, mais cette inversion des fins et des moyens n’a-t-elle pas toujours été la particularité des radicaux ? Qu’y a-t-il donc de nouveau ?

 

Le parti radical n’a jamais eu de corps de doctrine autre que la conquête du pouvoir et l’occupation des sièges. Il y a encore quelques décennies, la qualité humaine des magistrats faisait passer à l’arrière-plan la vacuité de leur programme. On croyait alors qu’une bonne «Realpolitik», qui s’efforce de résoudre les problèmes à mesure qu’ils surgissent, vaut toutes les doctrines. Les philosophes, les penseurs, les essayistes qui tentaient de désigner des buts, de dégager des voies, d’explorer les terres nouvelles de la pensée politique, ces théoriciens n’étaient pas trop bien vus chez les radicaux. Pour penser, mieux valait rejoindre les rangs libéraux ou ceux de l’ultra-gauche.

 

A l’aube du XXIe siècle, on s’aperçoit brutalement que cette politique-là a conduit dans tous les domaines à des échecs : la politique de la santé est dans l’impasse, la politique de l’asile est un échec patent, l’approvisionnement en énergie n’est pas assuré à long terme, les pandémies se développent, les guerres sévissent, la sécurité du territoire coûte toujours aussi cher, mais n’est pas outillée pour combattre le terrorisme, seul ennemi visible aujourd’hui, les déficits publics s’accumulent, les entreprises licencient ou «délocalisent», donc le chômage s’accroît et la libre circulation des personnes au sein de l’Union européenne exerce une pression à la baisse sur le niveau des salaires.

 

Les classes moyennes voient leurs revenus réels diminuer par l’augmentation constante des charges auxquelles on ne peut échapper, comme l’assurance maladie et l’impôt.

 

Dans une situation aussi grave, il faudrait des hommes d’Etat courageux, qui n’aient pas peur de dire des vérités déplaisantes : «Mes chers compatriotes, vous avez vécu pendant cinquante ans victimes d’une illusion. On vous a fait croire que vous pouviez vous offrir le train de vie dont vous avez bénéficié. En réalité, vous avez dépensé une part du revenu national supérieure à celle que vous étiez capables de créer dans le même temps et vous vous êtes endettés sans le savoir. Aujourd’hui, il faut payer. Dès demain, il faut gagner moins, travailler plus et plus longtemps, il faut remettre en question les «acquis sociaux» et le temps perdu pendant les grèves sera déduit du salaire des grévistes».

 

Imaginez-vous un seul homme politique radical qui oserait proférer de telles énormités en espérant être (ré)élu ? Il préfère de beaucoup développer quelques idées apparemment généreuses : la Suisse, traditionnellement ouverte sur le monde et hospitalière, la défense des animaux de compagnie et la lutte impitoyable contre le racisme et l’exclusion… vagues concepts creux et sans implication directe pour lui-même, mais qui lui garantissent l’estime des crétins. Il sera élu.

 

Et une fois élu, quel sera son programme ? Ne déplaire à personne, en vue d’être réélu.

 

Le parti radical n’est plus un parti du centre, c’est un parti du vide. Pourquoi ses membres ne rejoindraient-ils pas la formation politique la plus proche de leur sensibilité – je ne dis pas de leur(s) idée(s) – où il y a encore des gens qui pensent : libéraux, UDC, socialistes ? On y verrait sans doute plus clair, puisque les radicaux ne servent à rien !

 

 

C.P.

 

1 La Nation no 1744 du 29 octobre 2004, page 1.

 

 

Votations fédérales

 

Réforme de la répartition des tâches

 

Un des objets de la votation fédérale du 28 novembre prochain a trait à la réforme de la péréquation financière et de la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons.

 

Le but est assurément louable et on se réjouit de constater que le désenchevêtrement des tâches qu’aujourd’hui encore la Confédération assume avec (ou contre) les cantons aurait pour conséquence un catalogue des missions dont la Confédération aurait la compétence exclusive (la liste de 7 tâches est d’ailleurs trop longue), de celles qui seraient assumées par les seuls cantons (la liste de 11 domaines est trop courte) et finalement des 17 domaines où la Confédération et les cantons devraient se partager la compétence. Parmi ces derniers, on trouve par exemple les prêts et bourses d’études, les transports en agglomérations, ou l’exécution des peines et des mesures, trois domaines dont on se demande bien pourquoi les cantons ne pourraient s’occuper à titre exclusif.

 

Malgré ces défauts, cet aspect de la réforme est positif, car il restitue clairement aux autorité cantonales des compétences et des moyens financiers qu’il leur appartient de gérer.

 

Mais les cantons auraient le devoir de coopérer entre eux et la Confédération pourrait au besoin les y contraindre, par exemple dans le domaine des universités cantonales (art. 48a al. 1 lettre b).

 

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Malgré d’indéniables qualités de l’ensemble, c’est ce dernier volet qui me heurte le plus. Ces tâches intercantonales, où les cantons seront tenus de conclure des conventions sous menace de subir la contrainte de la Confédération, sont des domaines de compétence qui, de fait, sont en train de passer en mains fédérales, sous le regard terne, notamment, des recteurs de nos universités pour qui la centralisation et l’uniformisation sont une tendance inéluctable…

 

Pour le service d’information du Centre patronal, qui admet que le principe de la force obligatoire d’une convention à l’égard de tout ou partie des cantons constitue une limitation importante de la souveraineté cantonale, (…) cette réforme garantit néanmoins une solidarité «raisonnable» entre les cantons et procure à chacun d’eux les moyens nécessaires pour faire face à leurs responsabilités.

 

Je ne partage pas cette confiance et cet optimisme. S’il faut saluer l’effort de «désenchevêtrement» des compétences cantonales et fédérales, il convient d’être méfiant à l’endroit de ces compétences partagées, avec obligation de collaboration.

 

Tout bien considéré : un petit non !

 

Nouveau régime financier

 

Il n’y a pas de «nouveau» régime financier. Simplement, la Confédération souhaite proroger le droit de percevoir une taxe à la valeur ajoutée (TVA) et un impôt fédéral direct, jusqu’en 2020.

 

Nous sommes d’avis que l’impôt fédéral direct aurait dû être supprimé depuis longtemps, et sa perte pour la Confédération compensée par un taux de TVA augmenté.

 

Néanmoins, la prolongation jusqu’à fin 2020 du système actuel est un moindre mal.

 

Tout bien considéré : un petit oui !

 

 

C.P.