Lausanne 32e année      «ne pas subir»       Octobre  2002 No 318

 

Sommaire :

Editorial
Il faut abroger la LAMal !

Le vrai crime d’Hani Ramadan
La campagne médiatique contre le directeur du Centre islamique de Genève surprend par sa virulence. Ses accusateurs s’affublent de fausses barbes, et invoquent les droits de l’homme, la Constitution genevoise ou le devoir de réserve des fonctionnaires. En réalité, le crime de M. Ramadan est ailleurs…

Logique de guerre
Max s’étonne que les attentats «terroristes» contre des intérêts français, australiens ou russes frappent des Etats plutôt tièdes à soutenir la politique belliciste de M. Bush.

Le Valais islamique ?
Commentaire de Michel de Preux sur une rencontre interconfessionnelle, à Sierre, le 4 octobre dernier

Grandes manœuvres
Qui va remplacer Mme Dreifuss au Conseil fédéral ? On s’agite dans les états-majors…

 

_______________________________________________________________________________________________________________________

Editorial

 

La dernière hausse (pas loin de 10% en moyenne) des primes d’assurance maladie a déclenché une rogne noire dans la population. Tout le monde s’excite : les politiques, les professionnels de la santé, les assureurs et, bien sûr, le bon peuple. Chacun y va de sa solution. Il y a ceux qui proposent la création d’une caisse unique, ceux qui souhaitent que les cotisations se prélèvent en fonction du revenu, ceux qui préconisent les deux en même temps, ceux qui veulent la  suppression de l’obligation de s’assurer assortie de la création d’une caisse unique, ceux qui réclament une caisse unique à l’échelon de la Confédération, ceux qui la voient régionale et ceux qui ne la tolèrent que cantonale. Il est évident que la question de l’assurance maladie préoccupe actuellement les Suisses bien plus que la proche guerre en Irak, le conflit du Moyen-Orient ou les actes terroristes.

 

Dans cette affaire d’assurance maladie, tout le monde est d’accord sur un point : le système en vigueur ne fonctionne pas et ne fonctionnera jamais, il faut donc le corriger. Mais personne ne nous explique pourquoi le système ne fonctionne pas et ne fonctionnera jamais, personne ne paraît visité par l’idée qu’un système qui ne fonctionne pas et ne fonctionnera jamais ne doit pas être corrigé, mais supprimé et remplacé par une autre. Alors qu’on devrait une fois pour toutes remettre les compteurs à zéro, on s’engage une fois de plus, dans la voie du replâtrage. Alors qu’on devrait abroger la LAMal, on va la réviser.

 

Les propos qui suivent ne sont pas d’un spécialiste, mais d’un individu qui essaie de faire marcher son bon sens. Il y a donc risque d’erreur, mais tant pis. Par ailleurs, nous ne prenons en considération que l’assurance de base qui est la même pour tous. Les assurances complémentaires sont un autre chapitre.

 

A notre avis, si le système ne fonctionne pas et ne fonctionnera jamais, c’est parce qu’il est fondé sur une imposture : celle qui consiste à prétendre qu’une assurance rendue obligatoire par une loi, par l’Etat donc et sous surveillance de l’Etat, se concilie avec la libre concurrence des caisses maladie. Nous assistons à une double prise d’otages : de la part des caisses maladies face aux assurés qui n’ont pas le droit de ne pas cotiser; de la part des  assurés face aux caisses maladies les moins onéreuses qui n’ont pas le droit de refuser les  nouveaux assurés en quête des  primes les moins chères, même si leur situation financière ne leur permet pas, dans l’immédiat, de faire face aux coûts qu’engendre le «tourisme de l’assurance maladie». Dans la mesure où la «concurrence» joue  entre des caisses qui, offrant toutes le même «produit», ne peuvent s’affronter que sur le montant des primes, il est fatal qu’une caisse qui offre une cotisation (relativement) basse soit envahie par des dizaines de milliers - 40 000, par exemple, pour la CPT en 2002 – de nouveaux assurés, pendant que les caisses chères souffrent d’hémorragie. Ces dossiers, il faut les traiter, aussi bien à l’entrée qu’à la sortie, ce qui coûte en frais administratifs. De plus, tout se passe comme si les caisses point trop gourmandes n’étaient pas en mesure d’assurer à terme les frais occasionnés par un si grand nombre d’assurés supplémentaires, de sorte que, l’année suivante, la caisse la moins chère doit augmenter drastiquement ses primes. A la CPT qui, vous l’aurez deviné, est notre caisse maladie, un assuré lausannois de cinquante- six ans subit pour 2003 une hausse de 20% s’il est au bénéfice d’une franchise de fr. 230.- et de 33% s’il a choisi la franchise maximale de fr. 1500.-. On est loin des 10% de la moyenne fédérale.

 

Il faut choisir.

 

Première solution : on travaille sur la libre concurrence des caisses maladies et on respecte les règles du jeu, à savoir la possibilité pour les caisses de jouer non seulement sur les prix, mais aussi sur la diversification des offres, sur des «contrats à la carte», sur des primes calculées en fonction de prestations variables, bref sur la loi de l’offre et de la demande. Une telle solution implique la suppression de l’assurance maladie obligatoire. Elle table sur le fait que le Suisse moyen – les tout riches et les tout pauvres ne sont pas concernés – est conscient de la nécessité de souscrire une assurance maladie conforme à ses possibilités et à ses besoins. Elle table sur le sens des responsabilités du Suisse moyen. Bien entendu, il y aura toujours des inconscients qui parient sur une santé de fer à perpétuité et qui se trouveront dans la dèche en cas de gros pépin, mais il n’y a pas de raison de supposer qu’ils seront beaucoup plus nombreux que ceux qui, aujourd’hui déjà, s’abstiennent de payer une cotisation obligatoire jugée excessive et ne sont donc pas couverts par l’assurance maladie.

 

Seconde solution : on travaille sur la socialisation et l’étatisation de l’assurance maladie de base. Cette dernière est non seulement obligatoire, mais prélevée sur les salaires – en fonction du revenu selon toute probabilité - comme c’est le cas pour les cotisations AVS. Cela implique la création d’un système centralisé, forcément «fonctionnarisé», avec tous les gaspillages que cela entraîne, tant il est vrai que des  fonctionnaires  parfaitement intègres éprouvent un vif plaisir à jongler avec des fonds publics comme s’il s’agissait de fonds privés, cela en toute bonne conscience, puisqu’ils n’en tirent pas un enrichissement personnel. Cette solution table sur l’irresponsabilité congénitale du Suisse moyen – les tout riches et les tout pauvres ne sont pas concernés – jugé incapable de voir où se situe son intérêt. Elle implique aussi que les assurés resteront des otages, puisqu’il leur sera impossible d’exercer une influence sur le montant de leur cotisation, pas plus que, vraisemblablement, sur le choix de leur médecin. Les coûts de la santé s’en trouveront-ils réduits ? Rien n’est moins sûr.

 

Notre sympathie va à la première solution. Mais nous savons bien qu’elle n’a aucune chance de l’emporter, d’une part parce qu’elle n’est pas dans l’air du temps, d’autre part parce qu’elle constituerait un pas en arrière, ce que ne sauraient tolérer les amis du peuple.

 

Le pamphlet

 

 

 

Le vrai crime d’Hani Ramadan

 

M. Hani Ramadan est le directeur du «Centre islamique de Genève», officine fondée par son père, le Dr Saïd Ramadan (1926-1995), secrétaire particulier et gendre de l’imam Hassan al Banna, fondateur en Egypte, en 1928, du mouvement fondamentaliste des «Frères musulmans»1.

 

M. Hani Ramadan est aussi citoyen suisse et professeur de français au Cycle d’orientation de la Golette à Meyrin.

 

Il a publié dans le quotidien «Le Monde» du 10 septembre, un article intitulé «La charia incomprise» dans lequel il approuve, d’une certaine manière, le verdict de mort par lapidation prononcé par un tribunal islamique du Nigéria à l’encontre d’une femme adultère. Il suggère aussi que l’épidémie du sida n’a pu se développer qu’à raison de la turpitude des mœurs occidentales2.

 

Ces propos ont suscité un véritable tollé : un peu à Paris, mais principalement chez nos cousins du bout du Lac, et la controverse est en passe de devenir une véritable affaire politique.

 

Analysé le 12 septembre par un sieur Albert Lévy, «chercheur au CNRS» dans une lettre au Monde, et dans le Courrier de Genève par une dame Sarah Scholl le 21 septembre, le texte de Hani Ramadan a été considéré comme inadmissible. Le rédacteur en chef du Courrier, considérant que le directeur du CIG s’était «exclu lui-même des règles du dialogue dans une société démocratique»3 lui a même refusé un droit de réponse en ces termes : «J’ai le regret de vous annoncer que notre journal ne vous accordera plus de tribune, quel que soit le sujet abordé»4.

 

Depuis lors, le Conseil d’Etat unanime a suspendu l’intéressé de ses fonctions d’enseignant, l’ancien procureur Bernard Bertossa est chargé d’une enquête administrative qui pourrait déboucher sur une éventuelle révocation, et la Commission fédérale contre le racisme condamne les déclarations de M. Ramadan.

 

Peut-être est-ce un hasard si les censeurs à l’origine du lynchage médiatique mené conjointement à Paris et à Genève, si la présidente du département de l’instruction publique de Genève et si deux des trois présidents de la Commission fédérale contre le racisme portent des patronymes typiquement israélites. On ne peut s’empêcher, néanmoins, de distinguer quelque analogie avec une autre affaire, qui eut notre rédactrice en chef pour victime il y a 16 ans, parce qu’elle avait tenu, elle aussi en dehors de ses fonctions professorales, des propos que certains lobbies influents ne permettent pas publiquement.

 

On est frappé, lorsqu’on lit les commentaires sur cette affaire, d’observer le chemin emprunté par la pensée d’un auteur intelligent lorsque ses émotions le poussent à adopter une position que sa raison condamne : la démocratie héritée du siècle des Lumières garantit la liberté d’expression. Or, faisant usage de cette liberté à laquelle je suis si attaché pour moi-même et pour ceux qui pensent comme moi, pour ceux qui expriment ce que j’ai envie d’entendre, voici que M. Ramadan en use pour dire des chose déplaisantes, pour exprimer des thèses auxquelles je n’adhère pas, pour écrire, en un mot, des horreurs !

 

Logiquement, je devrais admettre que la vertu principale du droit à la libre expression consiste à pouvoir exprimer des opinions hétérodoxes, minoritaires, peu courantes, dérangeantes même. La liberté d’expression n’a aucune valeur si elle ne permet d’exprimer que ce que tout le monde pense. Je devrais donc admettre que M. Ramadan a le droit de prétendre que la charia punissant de mort par lapidation la femme adultère est une purification et que le fléau du sida est une punition divine, même si je ne partage pas ces avis, même si ces thèses me révoltent.

 

Les contradicteurs de M. Ramadan sentent le piège. Ils sont conscients qu’ils ne peuvent, au risque de fouler aux pieds les conquêtes les plus précieuses de la «démocratie» dont ils font si grand cas, dénier à autrui le droit d’exprimer son opinion. Ils commencent donc tous par rappeler leur attachement indéfectible à la liberté de pensée, d’opinion, d’expression…. Mais !

 

Alors là, suivez bien la démarche.

 

Première option : M. Ramadan utilise les notions de démocratie et de droits humains pour mieux les nier. Or, on ne peut justifier le meurtre par le particularisme culturel et religieux. Ergo, sa pensée s’exclut de cette façon du cadre du débat démocratique et de la confrontation pacifique des opinions.

 

Cette approche est celle, notamment, de M. Manuel Grandjean, rédacteur du Courrier5, et de plusieurs autres Saint-Just, pour qui «pas de liberté pour les ennemis de la liberté» ! 

 

Outre qu’on ne saurait qualifier de «meurtre», sans autre précaution oratoire, une sentence de mort prononcée par un tribunal régulier, la dialectique des Grandjean et consorts se transforme en nœud coulant autour de leur propre gorge. Considérant qu’en propageant une opinion contraire aux droits de l’homme, on s’exclut soi-même du débat qui nous est dès lors interdit, on pratique une censure qu’on prohibe solennellement par ailleurs, au nom précisément de la doctrine des droits de l’homme qui sous-tend notre pensée.

 

Une autre version, plus courante, de cette dictature simpliste de la pensée unique consiste à proclamer que telle doctrine n’est pas une opinion, c’est un crime. En faisant adopter des lois définissant certaines opinions comme des délits, en traquant et en poursuivant en justice les opinions qui me déplaisent, en requérant du procureur de lourdes peines, assorties de dommages-intérêts ruineux, je ne lèse en rien le droit à la liberté de pensée, de recherche, et d’opinion, je contribue à réprimer des crimes.

 

La deuxième option n’est pas si grossière. Constatant que M. Ramadan n’a violé aucune disposition légale, qu’il a émis une opinion certes choquante mais licite, qu’il n’a pas incité ses compatriotes à lapider les Genevoises adultères, ni à couper la main droite des dirigeants d’Expo.02, que ses propos n’étaient ni racistes ni n’incitaient à la haine raciale, il faut trouver un autre grief : parce que M. Ramadan enseigne l’islam, il est un imam et l’article de la Constitution genevoise lui est opposable, qui interdit à un prêtre d’enseigner, sauf à l’Université.

 

La troisième option procède de la même intention : puisqu’on ne saurait le faire taire, au moins chassons-le de l’école et privons-le de son gagne-pain. A l’appui de cette infamie, la thèse découverte par Mme Martine Brunschwig-Graf selon laquelle M. Ramadan aurait violé son devoir de fidélité ou de réserve. Sa pensée ou ses propos seraient incompatibles avec sa fonction d’enseignant.

 

Mais, comme l’observe M. Serge Bimpage dans la Tribune de Genève6, M. Ramadan ne s’est pas exprimé dans le cadre de ses fonctions de professeur, mais clairement comme directeur du Centre islamique des Eaux-Vives. Il a confié sa prose au Monde, journal étranger et chantre de la liberté d’opinion par excellence. Les fonctions politiques ou administratives qu’il exerce au sein de l’Etat ne sont pas de premier plan, l’impact de son article n’est donc pas considérable.

 

En résumé, et comme pour Mariette Paschoud à l’époque, il ne sera heureusement pas possible d’obtenir par des voies juridiques le renvoi de l’«extrémiste» de son poste d’enseignant et le Conseil d’Etat genevois, s’il persiste dans sa décision de suspension, est condamné à continuer de verser son traitement à M. Ramadan, aux frais du contribuable, en plus du salaire de son remplaçant. Ce sera peu cher payé pour le maintien de la paix confessionnelle.

 

Dans le torrent d’imbécillités que nous a valu l’affaire Ramadan, on a vu flotter quelques frêles esquifs dans lesquels un rameur courageux tentait de ramer à contre-courant. Décernons un prix à l’avocat Charles Poncet, et des accessits aux journalistes Christophe Gallaz7, Serge Bimpage8 Dominique von Burg9 et Jean-Noël Cuénod10.

 

Bonnet d’âne, en revanche, au Courrier ainsi qu’à la Commission fédérale contre le racisme, dont le communiqué, daté du 21 octobre11, est un modèle de bêtise lénifiante et de langue de bois.

 

Finalement, pourquoi tant de bruit ?

 

M. Ramadan est un fondamentaliste, il interprète littéralement la loi transmise par le Coran et les hadiths. D’autres Musulmans le sont aussi, ainsi que des docteurs d’autres confessions, juive, catholique, protestante, sectaires, qui ne soulèvent pas de telles passions. Ce n’est donc pas là la cause du vacarme.

 

M. Ramadan est un professeur qui viole son devoir de fidélité à l’Etat en exprimant publiquement des opinions contraires à l’idéal démocratique ou à la religion des droits de l’homme. D’autres fonctionnaires de l’Etat ont pu impunément prêcher la désobéissance civique, la grève illicite, le refus de servir et la consommation de drogues douces. On n’a pas évoqué à leur sujet le devoir de réserve. Ce ne peut être non plus le motif du scandale.

 

M. Ramadan est un extrémiste puisqu’il justifie un châtiment atroce pour deux catégories de personnes particulièrement nombreuses ces dernières années et qu’il serait politiquement incorrect de critiquer : les femmes adultères et les malades atteints du sida. Mais la lapidation des premières, au Nigeria, ou la mort programmée des autres, dans le monde entier, ne nous est insupportable que parce que les victimes sont sympathiques à ceux qui suivent la mode. S’il s’agissait de lapider les pédophiles sur la Riponne, ou de faire tomber une épidémie sur les néo-nazis, on trouverait peu de défenseurs des droits de l’homme pour protester contre un traitement aussi inhumain. Ce n’est pas, là non plus, la raison du tollé.

 

Le crime le plus abject de M. Ramadan, celui qui est à l’origine des avertissements qu’on lui a adressés naguère, de sa suspension provisoire, de son éventuel renvoi, c’est d’avoir vertement critiqué la politique actuelle d’Israël, «qui exerce au grand jour un terrorisme d’Etat inqualifiable».

 

On peut tout pardonner à un fonctionnaire d’Etat : de prêcher une religion cruelle et dangereuse, d’appeler de ses vœux l’anéantissement de l’Irak, de soutenir les objecteurs de conscience, de cacher chez lui des étrangers en situation irrégulière, et même de se délecter chaque soir d’images pornographiques puisées sur Internet s’il ne s’agit pas de sites pédophiles. Ce qui ne lui sera pas pardonné, jamais, c’est la résistance aux dogmes de la nouvelle religion : «Les Juifs ont toujours raison. Quoi qu’il fasse, Israël est dans son bon droit. Ceux qui oseraient mettre en doute les deux propositions précédentes sont des antisémites et des criminels, qui doivent être exclus de la communauté sociale, soit par l’incarcération (art. 261bis) soit par le bannissement civil (interdictions professionnelles) et donc par la ruine et la mort».

 

M. Ramadan refuse de se soumettre ? Qu’il périsse !

 

 

 

Claude Paschoud

 

 

1          voir le site Internet du Centre islamique de Genève à sa nouvelle adresse http://www.cige.org/

2.         On peut lire cet article reproduit intégralement dans le Courrier du 21 septembre et dans la Tribune de Genève du 25.09.02 ainsi que

sur les sites Internet de ces publications : www.lecourrier.ch et www.archipresse.ch

3.         Manuel Grandjean dans le Courrier du 27.9.02

4.         Manuel Grandjean dans le Courrier du 24.9.02

5.         le 24.9.02

6.         le 3.10.02

7.         Le Matin du 22 septembre 02

8.         Tribune de Genève du 3.10.02

9.         Tribune de Genève du 12.10.02

10.       Tribune de Genève du 25.10.02

11.       publié notamment par la Tribune de Genève du lendemain

 

 

 

 

Logique de guerre

 

 

Le nom d’Alfred Naujocks ne vous dira sans doute rien. Pourtant, ce serait l’homme qu’Heydrich aurait chargé d’organiser et de mener à bien l’attaque simulée de la station de radio de Gleiwitz. Lourde responsabilité ! Cette provocation – quelques soldats allemands et quelques vrais cadavres, le tout en uniforme polonais -, l’ultime d’une longue série de casus belli, entraînait l’invasion de la Pologne par la Wehrmacht, le 1er septembre 1939, suivie quarante-huit heures plus tard, des déclarations de guerre anglaise et française à l’Allemagne. Sans vouloir rechercher les causes profondes et les véritables responsables de cet enchaînement dramatique1 qui devait déboucher sur le conflit le plus meurtrier – et le plus navrant -  de l’histoire de notre planète, force nous est de constater que techniquement peu de choses suffisent à déclencher l’irréparable ! Particulièrement si la mayonnaise des opinions publiques a été bien montée. Dans une logique belliciste, trois étages sont à respecter : la préparation psychologique des peuples à sacrifier et la mise en place du dispositif d’attaque – qui sont souvent menées en simultanéité -, et l’activation du détonateur : l’ultime provocation, l’habileté suprême consistant à ce que l’adversaire, poussé dans ses derniers retranchements, endosse la responsabilité de ce déclenchement. En période de crise internationale aiguë, telle que celle que nous vivons actuellement sur l’axe Etats-Unis – Moyen-Orient, il devient essentiel de faire primer l’objectif (analyse critique) sur le subjectif (sentiments). L’analyste sera ainsi à même de relever des étrangetés qui lui permettront souvent de découvrir une logique bien différente de celle que lui auraient dictée ses sentiments (choc, compassion, colère, haine…) et – qui sait ? – d’éviter le carnage. En tout état de cause, ne jamais donner droit à l’argument d’autorité : «C’est comme ça, puisqu’on vous le dit (- l’écrit – le montre à la télé) !»

 

Ainsi, tout observateur quelque peu attentif n’aura pas manqué de remarquer deux étranges attentats frappant à une semaine d’intervalle (6 et 13 octobre 2002) directement les intérêts français (attaque ( ?) du pétrolier Limburg) et indirectement l’Australie dans sa chair (explosions dans une discothèque balinaise). Curieusement, deux pays dont les opinions publiques se montrent encore peu disposées à suivre M. Bush junior dans ses exhortations à engager sans plus tarder la «guerre du Bien» contre un Irak qui à aucun moment, à notre connaissance, n’a menacé de près ou de loin l’un ou l’autre de ces pays. La modération de la position française est claire de par les déclarations renouvelées du Président de la République. Quant aux céréaliers australiens, gros exportateurs de blé en Irak, ils avaient, il y a un mois, qualifié leur premier ministre de «Rambo» quand ce dernier avait annoncé son intention d’emboîter le pas au président US.

 

Quel intérêt aurait un quelconque adversaire des Etats-Unis, dont la suprématie économique et militaire n’est plus à démontrer, à provoquer des revirements d’opinions publiques tendant à renforcer les alliances pro-américaines ?

 

Bizarres donc, ces attentats qui frappent à point nommé deux pays rétifs aux actions militaires. Bizarre, ce supertanker, cible potentielle par définition, dans une zone à hauts risques, dont ni les dispositifs de sécurité, ni l’équipage ne décèlent à temps une trajectoire menaçante. Bizarre, cet attentat si mesuré qu’il ne déclenche pas de catastrophe écologique majeure. Bizarres, ces premiers rapports mentionnant contradictoirement des tôles recourbées vers l’intérieur ou l’extérieur. Bizarres, le corps de ce membre d’équipage repêché en mer peu après l’incident et ces «kamikazes» dont on ne retrouve nulle trace. Bizarre, l’intervention d’une équipe d’investigation US dans un incident ne concernant à priori que le Yémen et la France. Bizarre, à Bali, l’emploi de «C4», un explosif de la dernière génération pas précisément en vente libre. Bizarre, là aussi, l’arrivée d’une équipe du FBI dont la juridiction devrait normalement se limiter aux USA… Et pour faire bon poids, les médias nous expliquent qu’il s’agit là d’opérations imputables à des organisations liées à M. Ben Laden (on ne prête qu’aux riches) et que, par une étrange logique, il faudrait en vouloir à M. Saddam Hussein au prétexte qu’il serait un tyran.

 

Et comme, par malheur, ledit «tyran» se trouve plébiscité à 100% par un peuple sans doute un peu las de l’embargo américain et des «attentions» régulières des bombardiers de même provenance, on laisse planer un doute pesant sur la validité des élections, tant il est vrai qu’il n’y a qu’en démocratie qu’on peut s’offrir, sans prêter à sourire, les scores «abracadabrantesques» (en deux tours successifs) de certains présidents !

 

Bizarre, bizarre… Moi j’ai dit bizarre ?… Comme c’est bizarre !»

 

Remarque : Le texte précédent, achevé le 21 octobre, ne pouvait prendre en compte la prise d’otages de Moscou par un commando tchétchène (24-26 octobre 2002), par de multiples aspects bien distincte des événements mentionnés… Il serait néanmoins intéressant de savoir quels seraient ceux qui auraient tout à gagner d’une modification radicale et à point nommé de la position russe sur la question irakienne au Conseil de sécurité de l’ONU.

 

Max

 

1 Les lecteurs intéressés trouveront des éléments de réponses dans les deux excellents ouvrages très documentés de Philippe Gautier : La germanophobie et Le racisme anti-allemand (Editions Déterna, Centre MBE 302, 69, bd Saint-Marcel, 75013 Paris – fax : 01 40 92 73 50).

 

 

 

 

Le Valais islamique ?

 

«Il ne faut pas vingt années accomplies pour voir changer les hommes d'opinion sur les choses les plus sérieuses, comme sur celles qui leur ont paru les plus sûres et les plus vraies.»

La Bruyère

 

A l'invitation d'une association régionale, eut lieu à l'Hôtel de Ville de Sierre, vendredi 4 octobre 2002, une rencontre interconfessionnelle en vue de favoriser nos échanges avec ce qu'il est convenu d'appeler désormais "les minorités confessionnelles". Première surprise : alors que les Serbes sont très présents dans le Canton, leur religion ne le fut pas du tout ! Il ne me parut pas non plus y avoir beaucoup de protestants dans la salle et, en tout cas, ils ne se sont guère manifestés ! Mais, il est vrai, un pasteur figurait parmi les hôtes intervenants. C'est d'ailleurs lui qui ouvrit les débats.

 

Le premier intervenant, Jean-Georges Zuber, était assez représentatif du type d'intellectuel qui, renonçant à chercher ses repères dans sa propre civilisation, s'en va en quête d'un autre monde à la fois intérieur, esthétique et religieux (il avoua avoir été tenté par l'Islam). D'autres l'ont fait avant lui, dont l'orientaliste français Louis Massignon est l'un des plus connus. Il n'en parla point. J'écoutai J.-G. Zuber sans jamais être convaincu. La civilisation arabo-musulmane est réelle. Elle a des réalisations prestigieuses. En connaissons-nous bien le prix en Occident ? Ce qui m'a frappé dans l'exposé de son itinéraire, c'est qu'il impliquait l'orientation même de son regard et de ses intérêts : un rejet tacite de l'Occident et de ses valeurs, vraies et fausses confondues. Jean-Georges Zuber se sent bien en terre d'Islam, un point c'est tout. Il parle d'ailleurs arabe. Lequel, il ne nous le dit pas.

 

Le deuxième intervenant, l'abbé Michel Salamolard, poliment et dans la meilleure ligne conciliaire et conciliatrice de Vatican et Jean-Paul II, posa néanmoins clairement, comme on dit, les bonnes questions : 1) celle de la réciprocité problématique du côté musulman uniquement du respect et de la reconnaissance mutuelle en Europe jadis chrétienne et en terre d'Islam de nos religions respectives; 2) la menace persistante de la peine capitale pesant sur tout mahométan répudiant sa religion et 3) le traitement par lapidation des femmes adultères, qui poserait, paraît-il, un petit problème à la conscience occidentale. Force nous fut de constater très vite que ce qui, à nos yeux, fait figure d'exigences humaines incontournables, demeure parfaitement étranger à la morale des musulmans. L'imam invité pour la circonstance, un Européen baptisé ayant apostasié sa foi, vraisemblablement catholique, puisqu'il évoquait Saint-Maurice, et naturellement non exécuté pour ce fait en Europe, n'a cependant éprouvé aucune difficulté majeure, et même mineure, à défendre le droit le plus absolu et le plus irrévocable des puissances … d'Allah et le caractère indéniablement inamovible de toutes ces mœurs et traitements.

 

Un autre représentant de cette religion, la plus dynamique peut-être actuellement dans le monde, Albanais résidant en Valais, énonça, quant à lui, un principe que les seuls intégristes catholiques affirment encore fièrement en Occident, avec les orthodoxes en Europe orientale pour leurs propres Eglises : ce qui est de foi non seulement n'est pas négociable mais ne saurait faire l'objet d'aucun échange ou de discussion avec les non -adeptes de la foi en question. Toutefois, à la différence des seuls catholiques, aucun d'eux n'admet les droits de la critique historique des origines de sa foi, de la crédibilité de sa prétendue révélation divine ou de sa sainteté originaire dans le cas des Eglises schismatiques d'Orient.

 

La salle était aux deux tiers musulmane, avec une représentation féminine nettement majoritaire. Qu'ai-je vu, au fond ? Un Islam sûr de lui, sûr de ses conquêtes futures, inébranlable dans l'expression de sa foi et de sa morale, s'autorisant même à traiter par le mépris ou la légèreté (l'imam alla jusqu'à comparer l'Arabie séoudite au Vatican pour justifier la non-réciprocité des reconnaissances de cultes, alors qu'une mosquée est en construction dans la capitale du catholicisme, à Rome !) les bonnes questions du prêtre catholique. Peut-on vraiment, dans ce cas, parler d'échanges interconfessionnels ? Je ne le pense pas personnellement.

 

Un constat s'impose. Je ne pus l'énoncer sur le moment craignant des malentendus, des réactions excessives de l'un ou l'autre bord, la vaine polémique aussi. D'un côté, une foi, fausse à coup sûr, mais vécue, aimée et soucieuse de s'imposer intelligemment, avançant prudemment mais sans faux-fuyants ( l'état de nos mœurs l'y autorise et les musulmans le savent très bien…). Pour les musulmans, l'Occident est terre de conquête désormais, et ils ne s'en cachent même plus ! L'abbé qui demanda quelques assurances fut à peine écouté. Le christianisme, ses mystères, ses dogmes, son histoire ses gloires et ses défaites n'intéressent visiblement pas plus les intervenants de cette secte que notre islamophile sierrois. Les musulmans sont même si certains de leur supériorité sur le plan religieux - et c'est vrai en un sens - que l'iman a bien voulu aimablement nous rappeler que nous autres chrétiens ne sommes que les sectaires du Christ quand eux-mêmes ne se désigneraient correctement qu'en qualité de "parfaitement soumis à Dieu", le leur, bien entendu, car, redisons-le, pour terminer, il n'existe pas trois religions monothéistes, mais une seule, le catholicisme, de qui toutes les dissidences chrétiennes dépendent et sans lequel elles ne seraient plus rien. Par contre, l'Islam est une secte, celle de Mahomet. Quant au Judaïsme, non représenté lors de cet échange à sens unique, il n'est pour l'heure qu'une survivance des renégats du Christ chez les Juifs, de qui la conversion est promise à la fin des temps, ainsi que nous le dit l'un des leurs, Saint Paul. Mais en tant qu'il ignore et rejette la deuxième Personne de la Sainte Trinité, le judaïsme ne connaît absolument pas Dieu.

 

On le voit : ce sont là des questions à débattre ailleurs que dans une salle de conférence par des personnes qui n'y sont pas préparées. C'est parce que sur ce point ma religion est faite qu'alors j'ai songé à une vérité : le silence est d'or.

 

 

Michel de Preux

 

 

 

P.S. : Ouvrant le débat, le pasteur Nyfeler cita un proverbe berbère évoquant la peur de l'autre par sa méconnaissance : de très loin, il paraît comme un fauve; de moins loin comme un être humain, et de près, comme un frère…

 

La Bible voit plus clair dès le début, et donne sa conclusion au proverbe berbère : Caïn tue son frère Abel ! La parabole évangélique du fils prodigue ou des deux fils est d'origine égyptienne. Dans cette tradition païenne, le retour du fils prodigue entraîne aussi sa mort, son meurtre. Les "sectateurs du Christ" ont, à la suite de leur maître, de leur divin Maître, fait un peu progresser la morale de l'histoire.

 

Qui donc voit dans l'autre un fauve ? Sur l'œil de qui est une poutre plutôt qu'une paille ?

 

 

 

 

Grandes manœuvres

 

Le départ de la conseillère fédérale Ruth Dreifuss – qui se déclare, soit dit en passant, satisfaite de l’ensemble de son œuvre ! – nous permet d’assister une fois de plus au spectacle de la  démocratie en marche. Nul ne se préoccupe de chercher le candidat ou la candidate vraiment apte de par son intelligence, sa force de caractère, sa formation, son expérience et sa compétence à assumer la lourde charge de conseiller fédéral. Le successeur de Madame Dreifuss sera, sauf «séisme» politique toujours possible, femme et socialiste.

 

Tout le monde sait que les conditions scandaleuses dans lesquelles Ruth Dreifuss fut parachutée, toute honte bue, au Conseil fédéral, au détriment d’un candidat régulièrement élu, me sont restées sur l’estomac, d’autant qu’à aucun moment je n’ai pu me consoler à la pensée que la valeur de la dame – sur le plan politique s’entend – pouvait faire oublier cette ignoble magouille : il faut avoir atteint à la sainteté d’une Christiane Brunner pour pardonner pareil méfait.

 

C’est donc d’un œil très critique que je suis, jour après jour, dans mon quotidien habituel, les grandes manœuvres politiciennes qui précèdent la désignation par le parti socialiste suisse du «ticket» qui sera soumis aux suffrages de l’Assemblée fédérale en décembre. Les quatre candidates et l’unique candidat se présentent aux  autres partis, sont soumis par la presse à des tests d’aptitude ou de popularité :  la Genevoise Micheline Calmy-Rey «drague les partis bourgeois», Ruth Lüthi talonne la précitée pour ce qui est des «qualités de leadership», la Tessinoise Patrizia Pesenti, «candidate la plus à droite du parti», est mal vue dans son canton, les positions de l’autre Genevoise, Liliane Maury Pasquier la desservent parce que trop à gauche – vilain défaut pour une socialiste ! – et le malheureux Neuchâtelois Jean Studer, écrasé par cette brochette féminine, garde néanmoins l’espoir, vu que, selon un sondage, la majorité de nos parlementaires n’excluent pas l’élection d’un homme.

 

Lorsque sont abordées certaines questions de fond comme l’adhésion à l’UE, la répression de l’évasion fiscale dans le cadre des négociations des bilatérales bis ou l’utilisation de l’or de la BNS, on constate que ces socialistes divergent de vue, parfois profondément, au point qu’on a peine à croire que les candidats appartiennent au même parti. En ce qui concerne ces trois sujets, si l’on en croit la presse, Madame Calmy-Rey adopte des positions qui sont en totale contradiction avec les options du parti socialiste, et bien faites pour lui valoir les voix de la «droite». Mon pessimisme naturel m’incline à voir dans ce phénomène une manœuvre électorale, ou alors à penser que la présidente du Conseil d’Etat genevois s’est inscrite au parti socialiste non par conviction, mais parce qu’il lui paraissait le meilleur tremplin pour sa carrière politique. Procès d’intention ? Je l’espère.

 

Si j’avais voix au chapitre, ce qu’à Dieu ne plaise, je voterais soit pour Ruth Lüthi, soit pour Jean Studer.

 

L’élection de Ruth Lüthi, en dépit de l’origine alémanique de cette dernière – mais la «Genevoise» Ruth Dreifuss ne faisait pas mieux – permettrait, par l’instauration d’une sorte de tradition, de créer un nouveau critère de choix, simple et pas moins bon qu’un autre, en ce qui concerne les candidates au Conseil fédéral : l’obligation de se prénommer Ruth. Cela défavoriserait sans doute, dans un premier temps, les Romandes et les Tessinoises, mais s’il est possible de créer une Genevoise en l’espace d’une semaine, comme ce fut le cas pour Ruth Dreifuss en 1993, il doit l’être aussi de faire modifier un prénom en vue d’une carrière politique.

 

En ce qui concerne Jean Studer, je m’associerais volontiers à une cabale masculine destinée, au-delà des étiquettes, à venger l’affront fait au Neuchâtelois Francis Matthey qui dut, sur ordre de son parti, renoncer à son élection pour nous permettre de bénéficier des talents de Madame Dreifuss.

 

Je voudrais bien que, puisqu’aucun des candidats ne sort vraiment du lot, nos parlementaires nous jouent cette élection sur l’air de «L’Assemblée fédérale s’amuse».

 

Mariette Paschoud