Sommaire :
Editorial
Il faut
abroger la LAMal !
Le vrai crime d’Hani Ramadan
La campagne
médiatique contre le directeur du Centre islamique de Genève surprend par sa
virulence. Ses accusateurs s’affublent de fausses barbes, et invoquent les
droits de l’homme, la Constitution genevoise ou le devoir de réserve des
fonctionnaires. En réalité, le crime de M. Ramadan est ailleurs…
Logique de guerre
Max
s’étonne que les attentats «terroristes» contre des intérêts français,
australiens ou russes frappent des Etats plutôt tièdes à soutenir la politique
belliciste de M. Bush.
Le Valais islamique ?
Commentaire
de Michel de Preux sur une rencontre interconfessionnelle, à Sierre, le 4
octobre dernier
Grandes manœuvres
Qui va
remplacer Mme Dreifuss au Conseil fédéral ? On s’agite dans les
états-majors…
_______________________________________________________________________________________________________________________
La
dernière hausse (pas loin de 10% en moyenne) des primes d’assurance maladie a
déclenché une rogne noire dans la population. Tout le monde s’excite : les
politiques, les professionnels de la santé, les assureurs et, bien sûr, le bon
peuple. Chacun y va de sa solution. Il y a ceux qui proposent la création d’une
caisse unique, ceux qui souhaitent que les cotisations se prélèvent en fonction
du revenu, ceux qui préconisent les deux en même temps, ceux qui veulent
la suppression de l’obligation de
s’assurer assortie de la création d’une caisse unique, ceux qui réclament une
caisse unique à l’échelon de la Confédération, ceux qui la voient régionale et
ceux qui ne la tolèrent que cantonale. Il est évident que la question de
l’assurance maladie préoccupe actuellement les Suisses bien plus que la proche
guerre en Irak, le conflit du Moyen-Orient ou les actes terroristes.
Dans
cette affaire d’assurance maladie, tout le monde est d’accord sur un
point : le système en vigueur ne fonctionne pas et ne fonctionnera jamais,
il faut donc le corriger. Mais personne ne nous explique pourquoi le
système ne fonctionne pas et ne fonctionnera jamais, personne ne paraît visité
par l’idée qu’un système qui ne fonctionne pas et ne fonctionnera jamais ne
doit pas être corrigé, mais supprimé et remplacé par une autre.
Alors qu’on devrait une fois pour toutes remettre les compteurs à zéro, on
s’engage une fois de plus, dans la voie du replâtrage. Alors qu’on devrait
abroger la LAMal, on va la réviser.
Les
propos qui suivent ne sont pas d’un spécialiste, mais d’un individu qui essaie
de faire marcher son bon sens. Il y a donc risque d’erreur, mais tant pis. Par
ailleurs, nous ne prenons en considération que l’assurance de base qui est la
même pour tous. Les assurances complémentaires sont un autre chapitre.
A
notre avis, si le système ne fonctionne pas et ne fonctionnera jamais, c’est
parce qu’il est fondé sur une imposture : celle qui consiste à prétendre
qu’une assurance rendue obligatoire par une loi, par l’Etat donc et sous
surveillance de l’Etat, se concilie avec la libre concurrence des caisses
maladie. Nous assistons à une double prise d’otages : de la part des
caisses maladies face aux assurés qui n’ont pas le droit de ne pas cotiser; de
la part des assurés face aux
caisses maladies les moins onéreuses qui n’ont pas le droit de refuser les nouveaux assurés en quête des primes les moins chères, même si leur
situation financière ne leur permet pas, dans l’immédiat, de faire face aux
coûts qu’engendre le «tourisme de l’assurance maladie». Dans la mesure où la
«concurrence» joue entre des
caisses qui, offrant toutes le même «produit», ne peuvent s’affronter que sur
le montant des primes, il est fatal qu’une caisse qui offre une cotisation
(relativement) basse soit envahie par des dizaines de milliers - 40 000, par
exemple, pour la CPT en 2002 – de nouveaux assurés, pendant que les caisses
chères souffrent d’hémorragie. Ces dossiers, il faut les traiter, aussi bien à
l’entrée qu’à la sortie, ce qui coûte en frais administratifs. De plus, tout se
passe comme si les caisses point trop gourmandes n’étaient pas en mesure
d’assurer à terme les frais occasionnés par un si grand nombre d’assurés
supplémentaires, de sorte que, l’année suivante, la caisse la moins chère doit
augmenter drastiquement ses primes. A la CPT qui, vous l’aurez deviné, est
notre caisse maladie, un assuré lausannois de cinquante- six ans subit pour
2003 une hausse de 20% s’il est au bénéfice d’une franchise de fr. 230.- et de
33% s’il a choisi la franchise maximale de fr. 1500.-. On est loin des 10% de
la moyenne fédérale.
Il
faut choisir.
Première
solution : on travaille sur la libre concurrence des caisses maladies et
on respecte les règles du jeu, à savoir la possibilité pour les caisses de
jouer non seulement sur les prix, mais aussi sur la diversification des offres,
sur des «contrats à la carte», sur des primes calculées en fonction de
prestations variables, bref sur la loi de l’offre et de la demande. Une telle
solution implique la suppression de l’assurance maladie obligatoire. Elle table
sur le fait que le Suisse moyen – les tout riches et les tout pauvres ne sont
pas concernés – est conscient de la nécessité de souscrire une assurance
maladie conforme à ses possibilités et à ses besoins. Elle table sur le sens
des responsabilités du Suisse moyen. Bien entendu, il y aura toujours des
inconscients qui parient sur une santé de fer à perpétuité et qui se trouveront
dans la dèche en cas de gros pépin, mais il n’y a pas de raison de supposer
qu’ils seront beaucoup plus nombreux que ceux qui, aujourd’hui déjà,
s’abstiennent de payer une cotisation obligatoire jugée excessive et ne sont
donc pas couverts par l’assurance maladie.
Seconde
solution : on travaille sur la socialisation et l’étatisation de
l’assurance maladie de base. Cette dernière est non seulement obligatoire, mais
prélevée sur les salaires – en fonction du revenu selon toute probabilité -
comme c’est le cas pour les cotisations AVS. Cela implique la création d’un
système centralisé, forcément «fonctionnarisé», avec tous les gaspillages que
cela entraîne, tant il est vrai que des
fonctionnaires parfaitement
intègres éprouvent un vif plaisir à jongler avec des fonds publics comme s’il
s’agissait de fonds privés, cela en toute bonne conscience, puisqu’ils n’en
tirent pas un enrichissement personnel. Cette solution table sur l’irresponsabilité
congénitale du Suisse moyen – les tout riches et les tout pauvres ne sont pas concernés
– jugé incapable de voir où se situe son intérêt. Elle implique aussi que les
assurés resteront des otages, puisqu’il leur sera impossible d’exercer une
influence sur le montant de leur cotisation, pas plus que, vraisemblablement,
sur le choix de leur médecin. Les coûts de la santé s’en trouveront-ils
réduits ? Rien n’est moins sûr.
Notre
sympathie va à la première solution. Mais nous savons bien qu’elle n’a aucune
chance de l’emporter, d’une part parce qu’elle n’est pas dans l’air du temps,
d’autre part parce qu’elle constituerait un pas en arrière, ce que ne sauraient
tolérer les amis du peuple.
Le
pamphlet
M. Hani Ramadan est le directeur du «Centre
islamique de Genève», officine fondée par son père, le Dr Saïd Ramadan
(1926-1995), secrétaire particulier et gendre de l’imam Hassan al Banna,
fondateur en Egypte, en 1928, du mouvement fondamentaliste des «Frères
musulmans»1.
M. Hani Ramadan est aussi citoyen suisse et
professeur de français au Cycle d’orientation de la Golette à Meyrin.
Il a publié dans le quotidien «Le Monde»
du 10 septembre, un article intitulé «La charia incomprise» dans lequel
il approuve, d’une certaine manière, le verdict de mort par lapidation prononcé
par un tribunal islamique du Nigéria à l’encontre d’une femme adultère. Il
suggère aussi que l’épidémie du sida n’a pu se développer qu’à raison de la
turpitude des mœurs occidentales2.
Ces propos ont suscité un véritable
tollé : un peu à Paris, mais principalement chez nos cousins du bout du
Lac, et la controverse est en passe de devenir une véritable affaire politique.
Analysé le 12 septembre par un sieur Albert
Lévy, «chercheur au CNRS» dans une lettre au Monde, et dans le Courrier
de Genève par une dame Sarah Scholl le 21 septembre, le texte de Hani Ramadan a
été considéré comme inadmissible. Le rédacteur en chef du Courrier,
considérant que le directeur du CIG s’était «exclu lui-même des règles du
dialogue dans une société démocratique»3 lui a même refusé un
droit de réponse en ces termes : «J’ai le regret de vous annoncer que
notre journal ne vous accordera plus de tribune, quel que soit le sujet abordé»4.
Depuis lors, le Conseil d’Etat unanime a suspendu
l’intéressé de ses fonctions d’enseignant, l’ancien procureur Bernard Bertossa
est chargé d’une enquête administrative qui pourrait déboucher sur une
éventuelle révocation, et la Commission fédérale contre le racisme condamne
les déclarations de M. Ramadan.
Peut-être est-ce un hasard si les censeurs à
l’origine du lynchage médiatique mené conjointement à Paris et à Genève, si la
présidente du département de l’instruction publique de Genève et si deux des
trois présidents de la Commission fédérale contre le racisme portent des
patronymes typiquement israélites. On ne peut s’empêcher, néanmoins, de
distinguer quelque analogie avec une autre affaire, qui eut notre rédactrice en
chef pour victime il y a 16 ans, parce qu’elle avait tenu, elle aussi en dehors
de ses fonctions professorales, des propos que certains lobbies influents ne
permettent pas publiquement.
On est frappé, lorsqu’on lit les commentaires
sur cette affaire, d’observer le chemin emprunté par la pensée d’un auteur
intelligent lorsque ses émotions le poussent à adopter une position que sa
raison condamne : la démocratie héritée du siècle des Lumières garantit la
liberté d’expression. Or, faisant usage de cette liberté à laquelle je suis
si attaché pour moi-même et pour ceux qui pensent comme moi, pour ceux qui
expriment ce que j’ai envie d’entendre, voici que M. Ramadan en use pour dire
des chose déplaisantes, pour exprimer des thèses auxquelles je n’adhère
pas, pour écrire, en un mot, des horreurs !
Logiquement, je devrais admettre que la vertu
principale du droit à la libre expression consiste à pouvoir exprimer des
opinions hétérodoxes, minoritaires, peu courantes, dérangeantes même. La
liberté d’expression n’a aucune valeur si elle ne permet d’exprimer que ce que
tout le monde pense. Je devrais donc admettre que M. Ramadan a le droit de
prétendre que la charia punissant de mort par lapidation la femme adultère est
une purification et que le fléau du sida est une punition divine, même si je ne
partage pas ces avis, même si ces thèses me révoltent.
Les contradicteurs de M. Ramadan sentent le
piège. Ils sont conscients qu’ils ne peuvent, au risque de fouler aux pieds les
conquêtes les plus précieuses de la «démocratie» dont ils font si grand cas,
dénier à autrui le droit d’exprimer son opinion. Ils commencent donc tous par
rappeler leur attachement indéfectible à la liberté de pensée, d’opinion,
d’expression…. Mais !
Alors là, suivez bien la démarche.
Première option :
M. Ramadan utilise les notions de démocratie et de droits humains pour mieux
les nier. Or, on ne peut justifier le meurtre par le particularisme culturel et
religieux. Ergo, sa pensée s’exclut de cette façon du cadre du débat
démocratique et de la confrontation pacifique des opinions.
Cette approche est celle, notamment, de M. Manuel
Grandjean, rédacteur du Courrier5, et de plusieurs autres
Saint-Just, pour qui «pas de liberté pour les ennemis de la liberté» !
Outre qu’on ne saurait qualifier de «meurtre»,
sans autre précaution oratoire, une sentence de mort prononcée par un tribunal
régulier, la dialectique des Grandjean et consorts se transforme en nœud
coulant autour de leur propre gorge. Considérant qu’en propageant une opinion
contraire aux droits de l’homme, on s’exclut soi-même du débat qui nous est dès
lors interdit, on pratique une censure qu’on prohibe solennellement par
ailleurs, au nom précisément de la doctrine des droits de l’homme qui sous-tend
notre pensée.
Une autre version, plus courante, de cette
dictature simpliste de la pensée unique consiste à proclamer que telle doctrine
n’est pas une opinion, c’est un crime. En faisant adopter des
lois définissant certaines opinions comme des délits, en traquant et en
poursuivant en justice les opinions qui me déplaisent, en requérant du
procureur de lourdes peines, assorties de dommages-intérêts ruineux, je ne lèse
en rien le droit à la liberté de pensée, de recherche, et d’opinion, je
contribue à réprimer des crimes.
La deuxième option n’est pas si
grossière. Constatant que M. Ramadan n’a violé aucune disposition légale, qu’il
a émis une opinion certes choquante mais licite, qu’il n’a pas incité ses
compatriotes à lapider les Genevoises adultères, ni à couper la main droite des
dirigeants d’Expo.02, que ses propos n’étaient ni racistes ni n’incitaient à la
haine raciale, il faut trouver un autre grief : parce que M. Ramadan
enseigne l’islam, il est un imam et l’article de la Constitution genevoise lui
est opposable, qui interdit à un prêtre d’enseigner, sauf à l’Université.
La troisième option procède de la même
intention : puisqu’on ne saurait le faire taire, au moins chassons-le de
l’école et privons-le de son gagne-pain. A l’appui de cette infamie, la thèse
découverte par Mme Martine Brunschwig-Graf selon laquelle M. Ramadan aurait violé
son devoir de fidélité ou de réserve. Sa pensée ou ses propos seraient incompatibles
avec sa fonction d’enseignant.
Mais, comme l’observe M. Serge Bimpage dans la
Tribune de Genève6, M. Ramadan ne s’est pas exprimé dans le cadre
de ses fonctions de professeur, mais clairement comme directeur du Centre
islamique des Eaux-Vives. Il a confié sa prose au Monde,
journal étranger et chantre de la liberté d’opinion par
excellence. Les fonctions politiques ou administratives qu’il exerce au sein de
l’Etat ne sont pas de premier plan, l’impact de son article n’est
donc pas considérable.
En résumé, et comme pour Mariette Paschoud à
l’époque, il ne sera heureusement pas possible d’obtenir par des voies
juridiques le renvoi de l’«extrémiste» de son poste d’enseignant et le Conseil
d’Etat genevois, s’il persiste dans sa décision de suspension, est condamné à
continuer de verser son traitement à M. Ramadan, aux frais du contribuable, en
plus du salaire de son remplaçant. Ce sera peu cher payé pour le maintien de la
paix confessionnelle.
Dans le torrent d’imbécillités que nous a valu l’affaire Ramadan, on a vu flotter quelques frêles esquifs dans lesquels un rameur courageux tentait de ramer à contre-courant. Décernons un prix à l’avocat Charles Poncet, et des accessits aux journalistes Christophe Gallaz7, Serge Bimpage8 Dominique von Burg9 et Jean-Noël Cuénod10.
Bonnet d’âne, en revanche, au Courrier
ainsi qu’à la Commission fédérale contre le racisme, dont le communiqué, daté
du 21 octobre11, est un modèle de bêtise lénifiante et de langue de
bois.
Finalement, pourquoi tant de bruit ?
M. Ramadan est un fondamentaliste, il
interprète littéralement la loi transmise par le Coran et les hadiths. D’autres
Musulmans le sont aussi, ainsi que des docteurs d’autres confessions, juive,
catholique, protestante, sectaires, qui ne soulèvent pas de telles passions. Ce
n’est donc pas là la cause du vacarme.
M. Ramadan est un professeur qui viole son devoir
de fidélité à l’Etat en exprimant publiquement des opinions contraires à l’idéal
démocratique ou à la religion des droits de l’homme. D’autres fonctionnaires de
l’Etat ont pu impunément prêcher la désobéissance civique, la grève illicite,
le refus de servir et la consommation de drogues douces. On n’a pas évoqué à
leur sujet le devoir de réserve. Ce ne peut être non plus le motif du scandale.
M. Ramadan est un extrémiste puisqu’il
justifie un châtiment atroce pour deux catégories de personnes particulièrement
nombreuses ces dernières années et qu’il serait politiquement incorrect
de critiquer : les femmes adultères et les malades atteints du sida. Mais
la lapidation des premières, au Nigeria, ou la mort programmée des autres, dans
le monde entier, ne nous est insupportable que parce que les victimes
sont sympathiques à ceux qui suivent la mode. S’il s’agissait de lapider les
pédophiles sur la Riponne, ou de faire tomber une épidémie sur les néo-nazis,
on trouverait peu de défenseurs des droits de l’homme pour protester contre un
traitement aussi inhumain. Ce n’est pas, là non plus, la raison du tollé.
Le crime le plus abject de M. Ramadan, celui
qui est à l’origine des avertissements qu’on lui a adressés naguère, de sa
suspension provisoire, de son éventuel renvoi, c’est d’avoir vertement critiqué
la politique actuelle d’Israël, «qui exerce au grand jour un terrorisme
d’Etat inqualifiable».
On peut tout pardonner à un fonctionnaire
d’Etat : de prêcher une religion cruelle et dangereuse, d’appeler de ses
vœux l’anéantissement de l’Irak, de soutenir les objecteurs de conscience, de
cacher chez lui des étrangers en situation irrégulière, et même de se délecter
chaque soir d’images pornographiques puisées sur Internet s’il ne s’agit pas de
sites pédophiles. Ce qui ne lui sera pas pardonné, jamais, c’est la résistance
aux dogmes de la nouvelle religion : «Les Juifs ont toujours raison.
Quoi qu’il fasse, Israël est dans son bon droit. Ceux qui oseraient mettre en
doute les deux propositions précédentes sont des antisémites et des criminels,
qui doivent être exclus de la communauté sociale, soit par l’incarcération
(art. 261bis) soit par le bannissement civil (interdictions
professionnelles) et donc par la ruine et la mort».
M. Ramadan refuse de se soumettre ? Qu’il
périsse !
Claude Paschoud
1 voir
le site Internet du Centre islamique de Genève à sa nouvelle adresse http://www.cige.org/
2. On
peut lire cet article reproduit intégralement dans le Courrier du 21
septembre et dans la Tribune de Genève du 25.09.02 ainsi que
sur les sites Internet de ces publications : www.lecourrier.ch et www.archipresse.ch
3. Manuel
Grandjean dans le Courrier du 27.9.02
4. Manuel
Grandjean dans le Courrier du 24.9.02
5. le
24.9.02
6. le
3.10.02
7. Le
Matin du 22 septembre 02
8. Tribune
de Genève du 3.10.02
9. Tribune
de Genève du 12.10.02
10. Tribune
de Genève du 25.10.02
11. publié
notamment par la Tribune de Genève du lendemain
Le
nom d’Alfred Naujocks ne vous dira sans doute rien. Pourtant, ce serait l’homme
qu’Heydrich aurait chargé d’organiser et de mener à bien l’attaque simulée de
la station de radio de Gleiwitz. Lourde responsabilité ! Cette provocation
– quelques soldats allemands et quelques vrais cadavres, le tout en uniforme
polonais -, l’ultime d’une longue série de casus belli, entraînait
l’invasion de la Pologne par la Wehrmacht, le 1er septembre 1939,
suivie quarante-huit heures plus tard, des déclarations de guerre anglaise et
française à l’Allemagne. Sans vouloir rechercher les causes profondes et les
véritables responsables de cet enchaînement dramatique1 qui devait
déboucher sur le conflit le plus meurtrier – et le plus navrant - de l’histoire de notre planète, force
nous est de constater que techniquement peu de choses suffisent à
déclencher l’irréparable ! Particulièrement si la mayonnaise des opinions
publiques a été bien montée. Dans une logique belliciste, trois étages sont à
respecter : la préparation psychologique des peuples à sacrifier et la
mise en place du dispositif d’attaque – qui sont souvent menées en simultanéité
-, et l’activation du détonateur : l’ultime provocation, l’habileté
suprême consistant à ce que l’adversaire, poussé dans ses derniers retranchements,
endosse la responsabilité de ce déclenchement. En période de crise
internationale aiguë, telle que celle que nous vivons actuellement sur l’axe
Etats-Unis – Moyen-Orient, il devient essentiel de faire primer l’objectif
(analyse critique) sur le subjectif (sentiments). L’analyste sera ainsi à même
de relever des étrangetés qui lui permettront souvent de découvrir une logique
bien différente de celle que lui auraient dictée ses sentiments (choc,
compassion, colère, haine…) et – qui sait ? – d’éviter le carnage. En tout
état de cause, ne jamais donner droit à l’argument d’autorité : «C’est
comme ça, puisqu’on vous le dit (- l’écrit – le montre à la télé) !»
Ainsi,
tout observateur quelque peu attentif n’aura pas manqué de remarquer deux
étranges attentats frappant à une semaine d’intervalle (6 et 13 octobre 2002)
directement les intérêts français (attaque ( ?) du pétrolier Limburg)
et indirectement l’Australie dans sa chair (explosions dans une discothèque
balinaise). Curieusement, deux pays dont les opinions publiques se montrent
encore peu disposées à suivre M. Bush junior dans ses exhortations à engager
sans plus tarder la «guerre du Bien» contre un Irak qui à aucun moment, à notre
connaissance, n’a menacé de près ou de loin l’un ou l’autre de ces pays. La
modération de la position française est claire de par les déclarations
renouvelées du Président de la République. Quant aux céréaliers australiens,
gros exportateurs de blé en Irak, ils avaient, il y a un mois, qualifié leur
premier ministre de «Rambo» quand ce dernier avait annoncé son intention
d’emboîter le pas au président US.
Quel
intérêt aurait un quelconque adversaire des Etats-Unis, dont la suprématie
économique et militaire n’est plus à démontrer, à provoquer des revirements
d’opinions publiques tendant à renforcer les alliances pro-américaines ?
Bizarres
donc, ces attentats qui frappent à point nommé deux pays rétifs aux actions
militaires. Bizarre, ce supertanker, cible potentielle par définition, dans une
zone à hauts risques, dont ni les dispositifs de sécurité, ni l’équipage ne
décèlent à temps une trajectoire menaçante. Bizarre, cet attentat si mesuré
qu’il ne déclenche pas de catastrophe écologique majeure. Bizarres, ces
premiers rapports mentionnant contradictoirement des tôles recourbées vers
l’intérieur ou l’extérieur. Bizarres, le corps de ce membre d’équipage repêché
en mer peu après l’incident et ces «kamikazes» dont on ne retrouve nulle trace.
Bizarre, l’intervention d’une équipe d’investigation US dans un incident ne
concernant à priori que le Yémen et la France. Bizarre, à Bali, l’emploi de
«C4», un explosif de la dernière génération pas précisément en vente libre.
Bizarre, là aussi, l’arrivée d’une équipe du FBI dont la juridiction devrait
normalement se limiter aux USA… Et pour faire bon poids, les médias nous
expliquent qu’il s’agit là d’opérations imputables à des organisations liées à
M. Ben Laden (on ne prête qu’aux riches) et que, par une étrange logique, il
faudrait en vouloir à M. Saddam Hussein au prétexte qu’il serait un tyran.
Et
comme, par malheur, ledit «tyran» se trouve plébiscité à 100% par un peuple
sans doute un peu las de l’embargo américain et des «attentions» régulières des
bombardiers de même provenance, on laisse planer un doute pesant sur la
validité des élections, tant il est vrai qu’il n’y a qu’en démocratie qu’on
peut s’offrir, sans prêter à sourire, les scores «abracadabrantesques» (en deux
tours successifs) de certains présidents !
Remarque :
Le texte précédent, achevé le 21 octobre, ne pouvait prendre en compte la prise
d’otages de Moscou par un commando tchétchène (24-26 octobre 2002), par de
multiples aspects bien distincte des événements mentionnés… Il serait néanmoins
intéressant de savoir quels seraient ceux qui auraient tout à gagner d’une
modification radicale et à point nommé de la position russe sur
la question irakienne au Conseil de sécurité de l’ONU.
Max
1 Les lecteurs intéressés trouveront des éléments de réponses dans les deux excellents ouvrages très documentés de Philippe Gautier : La germanophobie et Le racisme anti-allemand (Editions Déterna, Centre MBE 302, 69, bd Saint-Marcel, 75013 Paris – fax : 01 40 92 73 50).
«Il ne faut pas vingt années
accomplies pour voir changer les hommes d'opinion sur les choses les plus
sérieuses, comme sur celles qui leur ont paru les plus sûres et les plus
vraies.»
La Bruyère
A l'invitation d'une association régionale, eut
lieu à l'Hôtel de Ville de Sierre, vendredi 4 octobre 2002, une rencontre
interconfessionnelle en vue de favoriser nos échanges avec ce qu'il est convenu
d'appeler désormais "les minorités confessionnelles". Première
surprise : alors que les Serbes sont très présents dans le Canton, leur
religion ne le fut pas du tout ! Il ne me parut pas non plus y avoir beaucoup
de protestants dans la salle et, en tout cas, ils ne se sont guère manifestés !
Mais, il est vrai, un pasteur figurait parmi les hôtes intervenants. C'est d'ailleurs
lui qui ouvrit les débats.
Le premier intervenant, Jean-Georges Zuber, était assez
représentatif du type d'intellectuel qui, renonçant à chercher ses repères dans
sa propre civilisation, s'en va en quête d'un autre monde à la fois intérieur,
esthétique et religieux (il avoua avoir été tenté par l'Islam). D'autres l'ont
fait avant lui, dont l'orientaliste français Louis Massignon est l'un des plus
connus. Il n'en parla point. J'écoutai J.-G. Zuber sans jamais être convaincu.
La civilisation arabo-musulmane est réelle. Elle a des réalisations
prestigieuses. En connaissons-nous bien le prix en Occident ? Ce qui m'a frappé
dans l'exposé de son itinéraire, c'est qu'il impliquait l'orientation même de
son regard et de ses intérêts : un rejet tacite de l'Occident et de ses
valeurs, vraies et fausses confondues. Jean-Georges Zuber se sent bien en terre
d'Islam, un point c'est tout. Il parle d'ailleurs arabe. Lequel, il ne nous le
dit pas.
Le deuxième intervenant, l'abbé Michel
Salamolard, poliment et dans la meilleure ligne conciliaire et conciliatrice de
Vatican et Jean-Paul II, posa néanmoins clairement, comme on dit, les bonnes
questions : 1) celle de la réciprocité problématique du côté musulman
uniquement du respect et de la reconnaissance mutuelle en Europe jadis
chrétienne et en terre d'Islam de nos religions respectives; 2) la menace
persistante de la peine capitale pesant sur tout mahométan répudiant sa
religion et 3) le traitement par lapidation des femmes adultères, qui poserait,
paraît-il, un petit problème à la conscience occidentale. Force nous fut de
constater très vite que ce qui, à nos yeux, fait figure d'exigences humaines
incontournables, demeure parfaitement étranger à la morale des musulmans.
L'imam invité pour la circonstance, un Européen baptisé ayant apostasié sa foi,
vraisemblablement catholique, puisqu'il évoquait Saint-Maurice, et
naturellement non exécuté pour ce fait en Europe, n'a cependant éprouvé aucune
difficulté majeure, et même mineure, à défendre le droit le plus absolu et le
plus irrévocable des puissances … d'Allah et le caractère indéniablement
inamovible de toutes ces mœurs et traitements.
Un autre représentant de cette religion, la
plus dynamique peut-être actuellement dans le monde, Albanais résidant en
Valais, énonça, quant à lui, un principe que les seuls intégristes catholiques
affirment encore fièrement en Occident, avec les orthodoxes en Europe orientale
pour leurs propres Eglises : ce qui est de foi non seulement n'est pas
négociable mais ne saurait faire l'objet d'aucun échange ou de discussion avec
les non -adeptes de la foi en question. Toutefois, à la différence des seuls
catholiques, aucun d'eux n'admet les droits de la critique historique des
origines de sa foi, de la crédibilité de sa prétendue révélation divine ou de
sa sainteté originaire dans le cas des Eglises schismatiques d'Orient.
La salle était aux deux tiers musulmane, avec une représentation féminine nettement majoritaire. Qu'ai-je vu, au fond ? Un Islam sûr de lui, sûr de ses conquêtes futures, inébranlable dans l'expression de sa foi et de sa morale, s'autorisant même à traiter par le mépris ou la légèreté (l'imam alla jusqu'à comparer l'Arabie séoudite au Vatican pour justifier la non-réciprocité des reconnaissances de cultes, alors qu'une mosquée est en construction dans la capitale du catholicisme, à Rome !) les bonnes questions du prêtre catholique. Peut-on vraiment, dans ce cas, parler d'échanges interconfessionnels ? Je ne le pense pas personnellement.
Un constat s'impose. Je ne pus l'énoncer sur le
moment craignant des malentendus, des réactions excessives de l'un ou l'autre
bord, la vaine polémique aussi. D'un côté, une foi, fausse à coup sûr, mais
vécue, aimée et soucieuse de s'imposer intelligemment, avançant prudemment mais
sans faux-fuyants ( l'état de nos mœurs l'y autorise et les musulmans le savent
très bien…). Pour les musulmans, l'Occident est terre de conquête désormais, et
ils ne s'en cachent même plus ! L'abbé qui demanda quelques assurances fut à
peine écouté. Le christianisme, ses mystères, ses dogmes, son histoire ses
gloires et ses défaites n'intéressent visiblement pas plus les intervenants de
cette secte que notre islamophile sierrois. Les musulmans sont même si certains
de leur supériorité sur le plan religieux - et c'est vrai en un sens - que
l'iman a bien voulu aimablement nous rappeler que nous autres chrétiens ne
sommes que les sectaires du Christ quand eux-mêmes ne se désigneraient
correctement qu'en qualité de "parfaitement soumis à Dieu", le leur,
bien entendu, car, redisons-le, pour terminer, il n'existe pas trois religions
monothéistes, mais une seule, le catholicisme, de qui toutes les dissidences
chrétiennes dépendent et sans lequel elles ne seraient plus rien. Par contre,
l'Islam est une secte, celle de Mahomet. Quant au Judaïsme, non représenté lors
de cet échange à sens unique, il n'est pour l'heure qu'une survivance des
renégats du Christ chez les Juifs, de qui la conversion est promise à la fin
des temps, ainsi que nous le dit l'un des leurs, Saint Paul. Mais en tant qu'il
ignore et rejette la deuxième Personne de la Sainte Trinité, le judaïsme ne
connaît absolument pas Dieu.
On le voit : ce sont là des questions à
débattre ailleurs que dans une salle de conférence par des personnes qui n'y
sont pas préparées. C'est parce que sur ce point ma religion est faite qu'alors
j'ai songé à une vérité : le silence est d'or.
Michel de Preux
P.S. : Ouvrant le débat, le pasteur Nyfeler
cita un proverbe berbère évoquant la peur de l'autre par sa méconnaissance : de
très loin, il paraît comme un fauve; de moins loin comme un être humain, et de
près, comme un frère…
La Bible voit plus clair dès le début, et donne sa
conclusion au proverbe berbère : Caïn tue son frère Abel ! La parabole
évangélique du fils prodigue ou des deux fils est d'origine égyptienne. Dans
cette tradition païenne, le retour du fils prodigue entraîne aussi sa mort, son
meurtre. Les "sectateurs du Christ" ont, à la suite de leur maître,
de leur divin Maître, fait un peu progresser la morale de l'histoire.
Qui donc voit dans l'autre un fauve ? Sur l'œil
de qui est une poutre plutôt qu'une paille ?
Le
départ de la conseillère fédérale Ruth Dreifuss – qui se déclare, soit dit en
passant, satisfaite de l’ensemble de son œuvre ! – nous permet d’assister
une fois de plus au spectacle de la
démocratie en marche. Nul ne se préoccupe de chercher le candidat
ou la candidate vraiment apte de par son intelligence, sa force de
caractère, sa formation, son expérience et sa compétence à assumer la lourde
charge de conseiller fédéral. Le successeur de Madame Dreifuss sera, sauf
«séisme» politique toujours possible, femme et socialiste.
Tout
le monde sait que les conditions scandaleuses dans lesquelles Ruth Dreifuss fut
parachutée, toute honte bue, au Conseil fédéral, au détriment d’un candidat
régulièrement élu, me sont restées sur l’estomac, d’autant qu’à aucun moment je
n’ai pu me consoler à la pensée que la valeur de la dame – sur le plan
politique s’entend – pouvait faire oublier cette ignoble magouille : il
faut avoir atteint à la sainteté d’une Christiane Brunner pour pardonner pareil
méfait.
C’est
donc d’un œil très critique que je suis, jour après jour, dans mon quotidien
habituel, les grandes manœuvres politiciennes qui précèdent la désignation par
le parti socialiste suisse du «ticket» qui sera soumis aux suffrages de
l’Assemblée fédérale en décembre. Les quatre candidates et l’unique candidat se
présentent aux autres partis, sont
soumis par la presse à des tests d’aptitude ou de popularité : la Genevoise Micheline Calmy-Rey
«drague les partis bourgeois», Ruth Lüthi talonne la précitée pour ce qui est
des «qualités de leadership», la Tessinoise Patrizia Pesenti, «candidate la
plus à droite du parti», est mal vue dans son canton, les positions de l’autre
Genevoise, Liliane Maury Pasquier la desservent parce que trop à gauche –
vilain défaut pour une socialiste ! – et le malheureux Neuchâtelois Jean
Studer, écrasé par cette brochette féminine, garde néanmoins l’espoir, vu que,
selon un sondage, la majorité de nos parlementaires n’excluent pas l’élection
d’un homme.
Lorsque
sont abordées certaines questions de fond comme l’adhésion à l’UE, la
répression de l’évasion fiscale dans le cadre des négociations des bilatérales
bis ou l’utilisation de l’or de la BNS, on constate que ces socialistes
divergent de vue, parfois profondément, au point qu’on a peine à croire que les
candidats appartiennent au même parti. En ce qui concerne ces trois sujets, si
l’on en croit la presse, Madame Calmy-Rey adopte des positions qui sont en
totale contradiction avec les options du parti socialiste, et bien faites pour
lui valoir les voix de la «droite». Mon pessimisme naturel m’incline à voir
dans ce phénomène une manœuvre électorale, ou alors à penser que la présidente
du Conseil d’Etat genevois s’est inscrite au parti socialiste non par
conviction, mais parce qu’il lui paraissait le meilleur tremplin pour sa
carrière politique. Procès d’intention ? Je l’espère.
Si
j’avais voix au chapitre, ce qu’à Dieu ne plaise, je voterais soit pour Ruth
Lüthi, soit pour Jean Studer.
L’élection
de Ruth Lüthi, en dépit de l’origine alémanique de cette dernière – mais la
«Genevoise» Ruth Dreifuss ne faisait pas mieux – permettrait, par l’instauration
d’une sorte de tradition, de créer un nouveau critère de choix, simple et pas
moins bon qu’un autre, en ce qui concerne les candidates au Conseil
fédéral : l’obligation de se prénommer Ruth. Cela défavoriserait sans
doute, dans un premier temps, les Romandes et les Tessinoises, mais s’il est
possible de créer une Genevoise en l’espace d’une semaine, comme ce fut le cas
pour Ruth Dreifuss en 1993, il doit l’être aussi de faire modifier un prénom en
vue d’une carrière politique.
En
ce qui concerne Jean Studer, je m’associerais volontiers à une cabale masculine
destinée, au-delà des étiquettes, à venger l’affront fait au Neuchâtelois
Francis Matthey qui dut, sur ordre de son parti, renoncer à son élection pour
nous permettre de bénéficier des talents de Madame Dreifuss.
Je
voudrais bien que, puisqu’aucun des candidats ne sort vraiment du lot, nos
parlementaires nous jouent cette élection sur l’air de «L’Assemblée fédérale
s’amuse».