Lausanne 32e année      «ne pas subir»       Mai  2002 No 315



Sommaire :
 

Editorial
Notre commentaire sur l'acceptation du «régime du délai» en matière d'avortement.

Bloc-notes
Un mois de mai bien rempli : de l'affaire Scherrer au match d'ouverture de la coupe du monde, en passant par l'élection présidentielle en France, le rachat du groupe Corbaz par Edipresse et les retombées de la crise à la BCV...

En direct de Sirius
Max nous narre une histoire de dormeur, s'intéresse à l'équipement des policiers, est interrompu par une dame et se demande au juste qui est simplement gentil

Les peuples ne parlent pas !...
Michel de Preux démontre que les peuples peuvent pleurer, rire, approuver ou protester, mais qu'il ne faut pas attendre de lui un mode d'expression plus évolué

«Balles perdues»
Notes de lecture : Slobodan Despot nous livre un recueil de réflexions roboratives

Pour l'article 261 ter
Claude Paschoud s'inquiète de la liberté prise par les journaux européens de critiquer la politique d'Israël : assistons-nous à un réveil de la bête immonde ?

Et le bon sens  ?
Rédigée avant la votation du 2 juin sur l'avortement, la réflexion de Michel de Preux n'a rien perdu de sa pertinence



 

Editorial

Nos féministes pavoisaient le 2 juin au soir : elles avaient gagné haut la main leur «guerre de trente ans» contre une idée obscurantiste du respect de la vie, contre les ennemis de la liberté de la femme, contre l’intégrisme idéologique et religieux. Il y avait de quoi exploser de joie, il est vrai.

Le «bon sens» revu et corrigé par les forces de progrès a prévalu. Mais qu’on se rassure : les femmes enceintes en situation de détresse ne seront pas obligées d’avorter au cours des douze premières semaines de la gestation. On va leur venir en aide. Outre qu’on va remettre sur le tapis l’«incontournable» assurance maternité, on va réclamer pour elles la création de centres de consultation – voilà qui va plaire au PDC – susceptibles de les conseiller utilement. A croire que Mesdames Annemarie Rey, présidente de l’Association pour la décriminalisation de l’avortement, et Christiane Brunner, présidente du PSS, entre autres, n’ont jamais entendu parler des organismes de consultation et d’aide déjà existants, ou alors qu’elles éprouvent tout de même «quelque part au niveau du vécu» une pointe de remords. Dans un pays où la moindre question donne lieu à la création de commissions et de sous-commissions, moyen commode de diluer les responsabilités, on peut se donner bonne conscience à peu de frais – quoique… - en proposant l’institution d’une énième structure sociale.

Quoi qu’il en soit, depuis le 2 juin, plus personne n’est en mesure de dire à quel moment un embryon ou un fœtus  – pardon, un magma de cellules non vivantes qui se multiplient, allez savoir comment – devient un être humain à part entière. Avant, on avait une limite claire : la conception. Maintenant, on a un délai : douze semaines après la non-conception. Mais comme il est tout de même difficile de fixer avec exactitude le moment de la non-conception d’un être non vivant, on va se heurter rapidement à une nouvelle revendication féministe de «bon sens» : la prolongation du délai. Il est en effet fort injuste qu’une femme puisse se faire avorter librement le dernier jour probable de la douzième semaine et devienne punissable le premier jour probable de la treizième semaine. Un jour, quelle différence cela fait-il ?On voit où conduit ce genre de logique. On nous rétorquera que nous peignons le diable sur la muraille, que, dans les faits, les avortements se pratiqueront et se pratiquent déjà bien avant la fin du délai. C’est probable, en effet. Mais alors, pourquoi fixer le délai à douze semaines et non à dix ou à huit ? Pourquoi ne s’est on pas arrêté aux quatorze semaines envisagées au départ ? On nage en plein arbitraire, ce qui est un comble pour une loi «libéralisatrice».

Mais cessons de récriminer et regardons vers l’avenir plein de promesses et chargé de progrès qui s’annonce. Au soir de la votation, un commentateur faisait remarquer en substance que, la question de l’avortement étant réglée, le prochain débat – d’ailleurs déjà largement entamé – allait être celui de l’euthanasie. Rien n’est plus vrai. Alors garons-nous, car il va se trouver d’ici pas longtemps des centaines de milliers de nobles cœur pour se soucier d’abréger les souffrances d’un tas de gens pour qui la vie ne saurait être qu’un trop lourd fardeau. On va commencer par endormir les malades incurables à l’agonie. Cela se fait déjà, donc il faut adapter la loi aux mœurs. Ensuite, on «délivrera» les malades incurables qui ne sont pas encore à l’article de la mort, mais pas loin. Après quoi, on s’attachera à «libérer» les vieillards gâteux, puis les malades mentaux, puis les handicapés profonds. Si tout va bien, un jour viendra où il suffira aux familles d’invoquer une «situation de détresse» causée par quelque malheureux qui s’accroche à sa vie invivable pour obtenir l’envoi ad patres du gêneur.

Tous aux abris !
 

Le Pamphlet



Bloc-notes
 

Piège

La radio suisse romande, lors d'un «forum», a interrogé par téléphone M. Jurg Scherrer, président du parti suisse de la liberté et conseiller municipal en charge de la police à Bienne. Le journaliste lui a demandé s'il partageait l'avis, exprimé en son temps par Jean-Marie Le Pen, que les chambres à gaz homicides, lors du dernier conflit mondial, étaient «un point de détail de l'histoire». M. Scherrer aurait alors répondu : «Oui, absolument».

Scandale, évidemment. Dans un premier temps, l'intéressé, qui s'explique, émet l'avis que le journaliste qui lui a tendu ce piège est un «salaud» mais le parleur de la RSR menace de porter plainte. Le terme est donc retiré.

Il est clair qu'un journaliste qui interroge en français et par téléphone, en direct, un politicien de langue allemande, en 2002, se doit de poser des questions à la fois pertinentes, d'un intérêt actuel, et qui situe opportunément l'interviewé dans la perpective de ses fonctions de président d'un parti suisse ou de directeur de police dans une cité touchée par Expo 02. De ce point de vue, la seule bonne question à poser à M. Scherrer était donc sa perception de l'importance relative des chambres à gaz homicides dans l'histoire du siècle, ou dans celle de la guerre mondiale.

Le journaliste a donc posé cette question, et il a obtenu la réponse attendue et espérée. Il n'est donc pas un salaud. (29 avril)
 

Score présidentiel

Le général pakistanais Pervez Musharraf a été réelu pour 5 ans à la tête de l'Etat par 97 % des voix. Un score qui n'est pas sans rappeler les résultats des dictateurs soviétiques. (2 mai)
 

Score présidentiel (bis)

Avec 82 % seulement au second tour, M. Chirac a ratissé légèrement moins large, tout en réussissant néanmoins une belle progression entre les deux tours. Tous ceux qui proclamaient préférer un escroc à un facho n'avaient plus de choix : au deuxième tour, il ne restait en lice qu'un seul escroc. (6 mai)
 

Pas de censure postale

Choquée par le contenu rédactionnel d'une brochure éditée par l'association contre les fabriques d'animaux, et craignant de déplaire à certains gros clients éleveurs, la Poste avait refusé d'acheminer le périodique VgT-Nachrichten, en novembre 1999, en poste de Saint-Gall, et avait bloqué 500'000 exemplaires de l'édition française à Lausanne.

Le Tribunal fédéral vient de débouter la Poste, en observant que même dans un domaine ouvert à la concurrence, la Poste, qui jouit encore dans la distribution des journaux et périodiques d'une position dominante qui confine au monopole de fait, n'est pas totalement libre de refuser ses prestations.

Bien que la Poste ne nous ait jamais menacé, jusqu'à aujourd'hui, de boycotter la distribution de notre périodique, nous nous réjouissons de cet arrêt.(8 mai)
 

Concentration

Le groupe Edipresse rachète le groupe Corbaz. La Presse Riviera Chablais et la Presse Nord vaudois (le Journal d'Yverdon) rejoignent ainsi 24 heures, la Tribune de Genève, le Matin, Femina, TV Guide, Télé Top Matin, Bilan et la moitié du Temps dans l'escarcelle de Pierre Lamunière.

A force de fusions, rachats et concentrations, il ne restera bientôt que trois groupes de presse en Suisse romande : Edipresse, Ringier et le Pamphlet.

La commission de la concurrence devrait, à notre avis, accepter la fusion des deux premiers qui disent déjà les mêmes choses de la même manière au même moment. (8 mai)
 

Promesses

Les adversaires du projet dit «triangulaire», (collaboration entre les Universités lémaniques) accepté en votation le 10 juin dernier, s'étaient étonnés qu'on ferme l'Ecole de pharmacie, à Lausanne, dotée de locaux modernes, et qu'on envoie à Genève tous les étudiants dans des locaux inadaptés. On nous avait garanti solennellement, les yeux dans les yeux, que nos craintes étaient ridicules : «Genève est en mesure d'accueillir l'école romande dans des locaux existants et à des conditions équivalentes à celles que l'école connaît actuellement» avait affirmé le député radical (vaudois) Dominique Fasel.

On a la preuve aujourd'hui que tel ne sera pas le cas et que les malheureux étudiants et chercheurs en pharmacie seront peut-être parqués dans des «portakabin» ! (22 mai)
 

Crise à la BCV

L'indemnité offerte à M. Gilbert Duchoud a fait couler des flots d'encre. Le rapport Andersen montre que les vraies causes de la crise furent les engagements hasardeux en matière immobilière pris lors de la folle époque de la spéculation et jusqu'en 1990. M. Duchoud n'y serait pas pour grand-chose et il a joué le rôle de fusible. (23 mai). Mais le professeur Thomas von Ungern-Sternberg propose de ce rapport «une autre lecture» : en résumé, M. Duchoud était un arrogant incompétent, principal artisan des pertes du portefeuille «négoce». (31 mai).

Finalement, le peuple vaudois, les actionnaires et les clients de la banque ne sauront rien des causes de la crise. C'est irritant. Ne pourrait-on promulguer un article 261quater dans le code pénal imposant une «lecture» unique et obligatoire des rapports Andersen ?
 

Coupe du monde

Moi qui ai de très nombreux amis français très chers et qui ne saurais même pas placer le Sénégal sur une carte de l'Afrique, j'avoue néanmoins avoir bien ri de la défaite des «Bleus» en match d'ouverture de la coupe du monde. Les Français qui n'ont jamais douté être les inventeurs du football et les sportifs les plus forts du monde, dans toutes les disciplines, s'en étranglaient de stupeur. Ah ! la cuisse de Zidane, quelle salope ! (1er juin)

C.P.



En direct de Sirius
 

Le dormeur qui se voulait aussi grand que sa taille (Conte-express)

C’était en une époque de grande repentance, où l’Europe mortifiée, s’excusant du passé et même d’exister, prenait l’eau de toutes parts et gouvernait à vue. Alors régnait en France un ex-maire du palais du nom de Maître-Jacques, qui rêvait de passer à la postérité sous le surnom de « Grand ». Il était bien marri car existait déjà un «Grand Jacques»1 : ce bailly, fier rhéteur de Saint-Denis-la-Rouge, faucheur de Bolcheviques, qui s’était fait occire par la foudre du ciel en fin d’une grande guerre. Jouant d’apparentement avec le «Grand Charles», pur Gaulois par le cœur et roi de l’Elysée dans le siècle passé, le Grand Agenouillé tenait fort à ce titre que, par la taille déjà, il pensait mériter. Mais, comme chaque sept ans, l’heure du vote approchait qui devait décider du prochain à régner.
En son palais des Limbes, confiant en l’avenir, Maître-Jacques ronflait; sur ses yeux, des œillères; sur ses oreilles, un casque; dans sa main, une bière. Il se voyait déjà en place confirmer, suivi par son ministre, Lionel «le Rose», un faiseur d’utopies, bien étranges alliés...
Le Maître des destins ne le vit pas ainsi : le bon peuple françois, assommé par les tailles, par les corvées aussi, que l’incurie du Palais point ne justifiait, las de subir le joug des sans-lois, sans-patrie, et autres traîne-savates qui, toujours plus nombreux, déferlaient sur la France pour lui sucer les os, fatigué de donner sans jamais recevoir, le fit clairement savoir en cette occasion, et son choix se porta, en deuxième position, non point sur le Rosé, mais bien sur l’Occident. Et il choisit ainsi Jean-Marie, dit «le Pieux», pur chevalier breton. Ce valeureux héros méritait son surnom par son amour pour Jeanne, Salvatrice de la France, et l’outil qu’il plantait en plein cœur des vampires qui saignaient le pays ne le démentait pas.
Le Jacques tomba du lit. Il était menacé, non point par un mollusque, mais bien par un guerrier ! Pris d’une brusque suée, il hurla affolé :

«A moi les Bleus, les Roses, les De-toutes-couleurs, le peuple m’abandonne ! Et je n’y puis plus rien».

Il battit le rappel de toutes incantations : «République», «Morale», j’en passe et des meilleures, cria «Démocratie !», pleura, larmoya tant qu’une insane alliance lui sauva le morceau et qu’il fut reconduit.
Il perdit tout espoir d’obtenir son surnom, car ce fieffé poltron, ce pleutre, ce couard, refusa le duel que lui proposait l’Autre :
Il entra dans l’Histoire, par la petite porte, section des matamores, sous le titre pas volé de :
Jacques le « Sans-Breloques »

Une statistique qu’on ne connaîtra jamais :

Le nombre des journées perdues sous l’ultime septennat en raison de grèves et manifestations diverses, «spontanées» ou autres, et surtout leur coût pour l’économie française…

Hallucinations

      Je suis daltonien. Mes amis m’assurent que les drapeaux tricolores que je vois s’agiter depuis le 21 avril, place de la République ne sont pas black-blanc-beur.

La riposte

Les policiers de proximité vont être équipés du «Flash-ball», sorte de projecteur pyrotechnique à deux coups, point très éloigné de nos antiques pistolets à patates, censé expédier une sphère en caoutchouc mi-dur de la taille approximative d’une boule de billard dans le buffet du délinquant. Les policiers pourront faire usage de ce lance-missiles pour leur propre défense, à partir d’une distance de sécurité de cinq mètres (il ne faut pas risquer de blesser l’agresseur). La portée utile indiquée est de trente-cinq mètres. Entre cinq mètres et l’épicentre du «dialogue de proximité», les mêmes policiers pourront, paraît-il, recourir à leur matraque2.
Emus, les dealers des «nezos blessisens» vont certainement, dans un esprit d’apaisement général et démocratique et de saine sportivité républicaine, régler le sélecteur de leurs Kalachnikovs sur «coup-par-coup».
A titre de comparaison, débattant à Johannesburg du choix d’un semi-automatique en version 9 ou 13 coups, l’instructeur de Max lui avait répondu : «Prends le 9 coups, de toute façon, si après les deux premières balles tu n’as pas étendu au moins un agresseur, que Dieu te vienne en aide !»

Moments d’anthologie…

Max est interrompu dans une discussion polie où il s’étonne de l’actuelle liberté d’expression à géométrie variable, par une très jeune femme. La blonde apparition quelque peu frénétique et l’œil bleu vipérin, et qui, cependant, se targue d’idées libérales et de tolérance, lui intime le silence : «Max, ça suffit ! Je connais tes idées...» (La suite de la rafale, à l’avenant.)
Quod erat demonstrandum. Un ange bâillonné traverse l’assistance médusée. Le moment de stupeur passé, les conversations enchaînent sur l’air du temps et la qualité des petits fours, et Max, qui n’a pas souvenir d’avoir jamais échangé des idées avec la jeune dame, se remémore, amusé, certaine conférence sur le pacifisme, donnée à Neuchâtel en fin des années soixante-dix par le général Ghislain de Bénouville et l’historien Henri Guillemin; au moment de l’entracte, il lui fut donné d’observer deux non-violents se battant à même le sol, comme des chiffonniers… sur des points de détail sans doute ?
Il est des moments privilégiés où, par la vertu des simples, l’on savoure à peu de frais cette définition de l’humour anglais plaçant le paroxysme du plaisir du gentleman quand ce dernier est le seul à sourire de la situation qui lui est servie.

Les Gentils, les Justes et les simples (étiquettes, étiquettes)

Il y a des Gentils justes et des simples un peu justes; des Justes Gentils tout simples, des tout juste gentils, mais aussi, juste de simples gentils; des simples pas gentils et des Gentils pas simples. Des simples un peu gentils mais qui n’ont jamais juste… et moi, dans cette histoire où je me perds un peu, ce que j’aimerais savoir c’est qui sont ceux qu’ont faux ?

Laverdure

Merveilleux Raymond Queneau, inventeur du perroquet énarque :
« Tu causes, tu causes, Laverdure, c’est tout c’que tu sais faire ! »3

Max l’Impertinent
 

1 Jacques Doriot (1898-1945), ancien député communiste de St Denis, fondateur du PPF, lieutenant à la LVF où il sert quinze mois durant sur le front de l’Est, abattu le 22.2.1945 par deux avions non identifiés sur la route de Mainau à Mengen.
2 Après avoir rengainé leur « arrache-cœur » ?
3 « Zazie dans l’Métro ».



Les peuples ne parlent pas !...
 
«Nous n'avons pas à démontrer que l'avènement
de la démocratie universelle n'importe pas à
l'action de l'Eglise dans le monde.»
Saint Pie X : Notre charge apostolique,
Lettre sur le Sillon du 25 août 1910


A échéances régulières, les classes politiques donnent leurs rendez-vous aux peuples pour les faire parler. Mais les peuples sont comme les infants d'Espagne ou de Portugal, au sens étymologique : les peuples ne sont pas faits pour parler; Dieu ne leur en a pas donné la faculté, celle-ci étant réservée aux grands et aux princes, qui, au reste, ne parlent point en son nom mais au leur, uniquement. Ainsi le veut la nature des choses, contre laquelle nul ne pourra jamais rien. Lorsque les peuples parlent, et ils peuvent naturellement le faire, c'est à la manière des chœurs dans la tragédie antique, c'est pour dire des choses communes (elles aussi sont nécessaires à la vie), pour pleurer ou pour rire, pour approuver ou protester. Le lieu naturel de la parole des peuples est la rue, non le bulletin de vote. Son mode naturel d'expression : l'acclamation ou la colère. Au-delà, nous quittons le bon sens et entrons carrément dans la folie collective, dans une forme plus ou moins grave, plus ou moins contrôlée ou contrôlable de délire, de fascisme, de communisme idéologique et athée, de … totalitarisme.

Donner dans ce sens la parole au peuple, c'est en quelque sorte demander à un taureau de faire un discours, d'adopter des principes et de tirer des conclusions, bref, de tenir un raisonnement! Aucun peuple n'a jamais pu faire ces choses en aucun temps et dans aucun pays, et si la démocratie a été, avant la Révolution française, un régime viable, au même titre que le gouvernement aristocratique ou monarchique, c'est parce qu'alors le corps des citoyens partageant la souveraineté avait toujours été soigneusement distingué du peuple, lequel, naturellement, n'avait aucune part au pouvoir politique. Tous les historiens sérieux des institutions démocratiques du passé, en Europe ou ailleurs, dans l'époque moderne ou dans l'antiquité païenne, vous confirmeront le fait, même en Suisse… C'est pourquoi, je mesure la dégénérescence de nos élites universitaires et politiques en constatant que Bruno Gollnisch, le chef de campagne de Monsieur Jean-Marie Le Pen, tient aujourd'hui le langage d'un jacobin assoiffé du sang du roi Louis XVI au XVIIIème siècle, et que ce langage passe pour conservateur, droitier et sécuritaire, de quoi faire se retourner dans leurs tombes les comtes de Maistre et de Bonald, Monsieur de Haller ou Montalembert.

Non ! Les peuples ne parlent pas, et j'en administre la preuve aussitôt, me basant sur le premier tour de l'élection présidentielle en France : la droite nationale jubile ( «c'est le plus beau jour de ma vie» s'écrie un jeune frontiste, qui m'a ému, sans que je le suive, même si je le comprends !). Nous sommes et restons sur un registre purement affectif, totalement irrationnel, au FN comme ailleurs, comme au parti socialiste. La pauvre Madame Aubry en eut des sanglots dans la voix. Je croyais qu'elle en était incapable ! Elle aussi m'a ému, sans lui trouver pourtant l'ombre d'une excuse ni le premier mot d'un pardon. Les partis politiques sont au fond des sectes séculières, des entités parasitaires qui se nourrissent de la substance des peuples, dont elles s'arrachent les lambeaux. Chacune de ces sectes croit ou prétend sans oser le dire détenir seule une légitimité démocratique autoproclamée qui, de fait, leur échappe à tous et à toutes. Chacune promet ce qu'elle sait ne pouvoir tenir et donc ment effrontément à celui de qui elle réclame les suffrages; chacune n'a qu'une hantise : que le peuple conserve la parole au-delà du temps réglementaire et convenu. D'où la nécessité de la propagande, phénomène consubstantiel à la démocratie de masse moderne et besoin vital de tous les partis, toutes tendances confondues.

Le vote Le Pen est illusoire et, dans l'immédiat, fait déjà le jeu de son adversaire, Jacques Chirac, assuré de sa réélection et qui voit de surcroît confirmée par son interprétation tendancieuse de la volonté populaire manipulée sa prédilection pour une variante nouvelle de cohabitation avec la gauche ! Quand les peuples votent, sachez-le cela ne sert absolument à rien, et c'est bien pour cela qu'on les laisse voter ! On nous disait, dans cette élection, que seul compterait le second tour. Erreur ! Le second tour s'est joué au premier tour, et le second tour de cette élection se jouera lors des prochaines législatives! Mais à leur propos, le pronostic est d'ores et déjà dépourvu de tout intérêt réel: la gauche exercera ses chantages attendus et connus contre la «droite modérée» pour isoler le FN et le MNR, dévalorisant encore (si c'est possible) le crédit du langage politique, en appelant à la lutte «contre le racisme, l'antisémitisme, la xénophobie», thèmes dont chacun sait depuis fort longtemps qu'ils ne sont pas le fond de commerce ni du FN ni du MNR mais bel et bien de la gauche elle-même, de Chirac, Sarres, Chevènement et Robert Hue! Le combat d'idées n'a plus de sens quand Mmes Boutin ou Lepage appellent à voter contre les leurs, qui sont aussi celles du FN et du MNR, pour cette seule et unique raison. Les petits staliniens déguisés en trotskystes (ce fut toujours du pareil au même) s'accrochent désespérément, et de mauvaise foi en plus, à l'épouvantail du régime de Vichy, omettant (volontairement) qu'il fut une création de la gauche, alors majoritaire à la Chambre des députés, et que les communistes commencèrent par y collaborer très activement… Donnez la parole aux chiens, vous n'aurez pas meilleure logique ! Quant aux petites femelles centristes ou vertes (Bayrou, Madeline, Sarcosette ou Mamelle) vous voyez vous-même ce qu'en fit le peuple : il les vomit !

On n'a jamais rien tiré d'un vote populaire; on n'a jamais résolu aucune grave question de société par un vote populaire. Et l'on ne choisit pas davantage les chefs d'Etat par la voie de ce genre de suffrage, mais plutôt les dictateurs…Tout ce que les peuples peuvent faire lorsque par artifice on les maintient dans la possibilité de voter, c'est de se choisir des intendants très provisoires, qu'ils rééliront ou balanceront dans le fossé selon les circonstances, et cela à perpétuité, à satiété, jusqu'au dégoût, jusqu'à ce que finalement, lassés d'un jeu sans espérance, acculés à la misère et à la honte d'une déchéance irrémissible, ils ne reviennent à la voie religieuse de l'obéissance et se confient à celui qui ne leur demandera aucun suffrage mais s'engagera de lui-même à les protéger en n'usant que de ses propres forces, et dans la mesure des ses moyens providentiels.

Mais combien de morts violentes, combien de sang versé, combien de destructions d'usines et d'ateliers, combien de sauvagerie, d'inculture et d'analphabétisme programmés dans des écoles invivables, combien de cruautés fiscales et de monstrueux contre-sens juridictionnels (arrêt Perruche) faudra-t-il encore tolérer pour obtenir cette lassitude populaire et son désintérêt salutaire pour ses prétendus droits à la parole ? On ne pourra parler de retour à la civilisation que lorsque ces questions affleureront dans la presse malgré elle, lorsque la presse sera contrainte d'en parler, et d'en parler journellement. Ce temps n'est pas encore venu. Nous sommes donc toujours maintenus dans la chute aux enfers de l'histoire par ce qui en constitue le pavement : les droits démocratiques.

Pauvre Europe ! Pauvre France !

Michel de Preux


«Balles perdues»
 

Slobodan Despot, né en 1967, dirige le domaine étranger aux éditions l’Age d’Homme1 qui ont publié récemment Balles perdues, recueil de divers écrits de ce non-conformiste impénitent. Principalement consacré aux événements qui ont marqué l’ex-Yougoslavie et en particulier le Kosovo ces dernières années, le livre de Slobodan Despot, patriote serbe, dénonce, exemples à l’appui,  le pilonnage médiatique qui a accompagné dès le début les ingérences des Occidentaux dans les affaires yougoslaves, les mensonges, les fausses nouvelles, les falsifications de l’histoire destinés à convaincre l’opinion publique occidentale qu’il était juste et bon de faire la guerre aux méchants Serbes, populations civiles comprises.

Mais l’auteur ne se contente pas de faire œuvre de révisionniste dans ce domaine particulier. Il montre aussi – ce que nos lecteurs savent depuis longtemps – que la manipulation des esprits est une entreprise de grande envergure, il exprime la conviction que «la mauvaise littérature, la distorsion de l’histoire, la manipulation pédagogique et publicitaire sont les symptômes d’un déclin», déclin qu’il refuse de subir.

Même Harry Potter est condamné : «Emblème anglo-saxon, il exprime les traditions, l’imaginaire, la morale de nos maîtres.» Comme nos lecteurs le savent, je ne partage pas l’aversion de Slobodan Despot pour Harry Potter, bien que je déplore comme lui l’absence d’esprit critique de la majorité de nos contemporains.

Mais on ne peut être d’accord sur tout et l’essentiel est que les Balles perdues frappent fort.

Mariette Paschoud

1 CP 32 1000 Lausanne 9 ou 5, rue Férou, F- 75006 Paris



 

Pour l'article 261 ter

La manière dont l'Etat d'Israël et son armée se comportent dans les territoires occupés, depuis quelques mois, a notablement écorné le capital de sympathie dont disposait ce petit pays si semblable à la Suisse par sa taille et par sa volonté farouche d'indépendance.

Malgré ce préjugé favorable, en dépit du terrorisme intellectuel qui interdisait, jusqu'il y a peu, de critiquer ni l'Etat d'Israël ni une organisation juive – à moins d'être soi-même juif – sous peine d'être immédiatement dénoncé comme antisémite et donc nazi, la presse occidentale s'est hasardée à suggérer, timidement et avec toutes les précautions oratoires nécessaires, que les massacres d'enfants palestiniens, la torture systématique érigée en système, la destruction des maisons et des plantations d'oliviers dans les territoires, le sac de Ramallah et autres hauts faits de M. Ariel Sharon n'étaient peut-être pas le signe d'un haut degré de civilisation ni les prémices d'une paix prochaine au Proche-Orient.

D'autres ont même suggéré – horresco referens - que la manière dont les Israéliens traitaient les Palestiniens n'avait rien à envier au sort subi par les Juifs en Allemagne il y a soixante ans…

C'en était trop !

La communauté se devait de réagir. Dans une première phase1,elle pria Francine Brunschwig d'intervenir, ce qui fut fait promptement sous forme d'un éditorial de 24 heures dans lequel la rédactrice, tout en admettant que «les critiques à l'endroit du gouvernement israélien, la remise en question d'une politique, la dénonciation d'excès et d'éventuelles violations des droits de l'homme par l'armée ne constituent pas une manifestation d'antisémitisme» souligne néanmoins que la mauvaise foi, les simplifications historiques et les mensonges par omission [dont se rendent coupables les audacieux qui osent critiquer Israël] constituent un manichéisme qui porte en lui la menace de déboucher, insidieusement, sur la haine du juif et la remise en question de la légitimité d'Israël.

Dans une deuxième phase, la communauté suscita l'envoi de lettres de lecteurs félicitant Mme Braunschig de sa lucidité : l'infatigable Brigitte Sion, au nom de la coordination intercommunautaire contre l'antisémitisme et la diffamation et  Denyse Dreyfus2, puis Sarah Junod3, alors que M. Alfred Donath, président de la Fédération suisse des communautés israélites, lançait l'anathème, lors du congrès de Montreux, contre les médias et contre le Conseil fédéral, coupables selon lui de parti-pris propalestinien4.

Pendant ce temps, le Wahington Post choisit l'injure, comme le dit 24 heures5, en affirmant que les Européens envisagent «la seconde et dernière phase de la solution finale» et Shimon Perez parle d'antisémitisme contre l'Etat juif, tout comme Raphaël Draï, professeur agrégé de sciences politiques à l'Université d'Aix-Marseille III, alors que M. Théo Klein, ancien président du Conseil représentatif des institutions juives, cherche à calmer le jeu : pour lui, il n'y a pas d'antisémitisme européen.

Qui faut-il croire s'ils ne sont même pas d'accord entre eux ? Les goyim que nous sommes sont désarçonnés : est-il permis d'émettre des critiques à l'égard d'Israël ?

Jusqu'à présent, nous savions assez exactement ce qu'il est permis de dire, voire de penser, grâce à l'introduction de l'article 261bis dans le Code pénal et grâce surtout à la jurisprudence qui se crée relativement à cette disposition : au sujet des événements vieux d'un demi-siècle, toute remise en cause des idées reçues, toute recherche historique même, toute découverte scientifique est interdite si elle risque de déplaire à la communauté juive.

La science historique est devenue aujourd'hui en Occident ce qu'était la botanique en URSS entre 1938 et 1952, grâce à Lyssenko.

Mais ce que nous ignorions, c'est que l'interdiction décrétée par le lobby juif de porter un jugement sur les événements politiques qui le concernent est toujours en vigueur et s'étend aux faits d'actualité récente. Il faut d'urgence introduire un article 261ter CPS qui réprimera «toute manifestation critique à l''endroit du sionisme ou de l'Etat d'Israël, de son armée, de son gouvernement, de ses ministres, de ses actions militaires ou civiles».

Ainsi, à la place de se demander bêtement : «Antisémites, les détracteurs d'Israël ?», les rédacteurs de 24 heures n'auront qu'à recopier les articles parus dans le journal Haaretz, sans commentaire, pour échapper à l'ignominieux soupçon.

Claude Paschoud
 

1 24 Heures des 4-5 mai page 2
2 24 Heures des 11-12 mai page 44
3 24 Heures du 16 mai page 56
4 24 Heures du 10 mai page 8
5 24 Heures du 29 mai pages 1 à 3
 



Et le bon sens  ?

A propos de la votation du 2 juin sur l'avortement.

Voici des semaines que je suis, dans la rubrique «Libre opinion» du NF, les avis ou professions de foi des uns et des autres sur le sujet. Le débat pourrait durer indéfiniment. Il ne mettrait jamais tout le monde d'accord   Et ce désaccord permanent est un signe : si le droit à la vie d'un être innocent en devenir dérivait de la puissance législative des hommes, peut-être arriverions-nous à nous entendre, au moins sur un compromis, car les minoritaires admettraient dans ce cas la victoire d'une opinion dominante. Mais comme de toute évidence, ce droit relève non d'une loi humaine mais divine, le fait de le considérer comme ne relevant que du bon vouloir des hommes détruit l'autorité même de ses défenseurs, qui n'ont pas, sur leurs opposants l'autorité morale propre et suffisante pour faire triompher leur cause. Cette autorité n'est qu'en Dieu... A fortiori, les partisans de l'avortement pendant un délai de grossesse élargi n'acquerront jamais aucune autorité, sinon celle du nombre, purement matérielle, sur leurs adversaires.

En réalité, au-delà de la question de l'avortement et de la protection de la vie humaine innocente dès le stade de sa conception, se pose celle, bien plus fondamentale, de la droiture de la conscience morale. Or, en démocratie moderne, cette question est ... proscrite !   Dès lors le débat est clos avant même que d'apparaître ! Chacun restera sur ses positions, et les divisions des citoyens ne feront qu'attester la gravité d'une crise du sens moral général.

Les lois morales fondamentales, en particulier celle qui touche à la protection de la vie des innocents, ne sont  j a m a i s  le résultat d'une délibération ou d'une convention entre les hommes, et c'est déjà une impiété que de l'admettre, quel que soit l'avis émis en l'occurrence. On peut donc affirmer très raisonnablement que, dans ce débat, tous trahissent d'une certaine manière la morale : les uns pour la nier matériellement, et les autres, les défenseurs par la voie démocratique du droit à la vie de l'enfant à naître, parce qu'ils diminuent l'autorité de la morale et la résorbent dans une autorité et un droit humain indu  et  inapproprié. C'est ce qui faisait dire à Cicéron (De legibus, livre Il, chap. IV), en substance, que ce défaut d'accord entre les hommes sur ce genre de lois prouve leur origine divine, dès lors qu'elles s'imposent à tous les hommes  indépendamment de leur volonté et non pas à ce titre.

La démocratie moderne est en réalité naturellement incapable de donner une juste réponse dans l'énoncé d'un droit à la vie des innocents. Et cette incapacité est d'une certaine manière conforme à la volonté divine elle-même. Il serait en effet surprenant et gravement dommageable pour la foi en Dieu que le monde et les sociétés humaines pussent trouver la justice en bannissant Dieu et son vrai culte de leur constitution et de leurs lois, c'est-à-dire en dévoyant les consciences. La démocratie moderne est donc radicalement inconciliable avec le respect des droits naturels et effectifs de la conscience morale libre. Les rapports que ce système, authentiquement révolutionnaire, entretient avec la conscience morale sont nécessairement des rapports d'oppression, celle-ci allant de l'hostilité ouverte pour les uns à la dénaturation du principe d'autorité chez les autres (en l'occurrence, les défenseurs du droit à la vie).

Rééduquez donc les consciences, et vous aurez une société juste. Mais n'espérez pas créer une société juste avec un droit qui lui-même ne l'est pas puisqu'il met sur pied d'égalité les hommes religieux et les impies, les gens de raison et les sophistes. Aucune société n'est même concevable entre ces deux types d'hommes. Le simple bon sens nous le dit. Chercher à défendre la vérité et la justice dans un tel système de droit, c'est, littéralement, demander l'impossible. Cette impossibilité même est, en soi, fort sage et très rationnelle.
 

M.d.P.