Lausanne 31e année      «ne pas subir»       Décembre  2001 No 310


Sommaire :

Editorial
Profiteur
En direct de Sirius
Obstination
Fusées réactionnaires
Les infortunes de Cosette
Bricoles


Editorial
 

Le 12 décembre, le Conseil des Etats s’est prononcé, par 32 voix contre 8, en faveur de la dépénalisation de la consommation du cannabis. Ce n’est pas pour nous surprendre, car l’idée était dans l’air depuis plusieurs années déjà. Le débat au Conseil des Etats a vu s’affronter les «réactionnaires» qui attirent l’attention sur les risques de banalisation de la consommation du cannabis et rappellent les effets nocifs de cette drogue sur le cerveau - effets déjà dénoncés par Jean-Philippe Chenaux dans son livre La Drogue en liberté1 en 1996 -, et les «progressistes» qui plaident que la répression de la consommation n’a ni permis de réduire la consommation ni contribué au démantèlement des réseaux de trafiquants. Ces braves gens ne sont pas visités par l’idée que si la répression n’a pas permis de réduire la consommation de cannabis elle a peut-être empêché son augmentation. Mais nous sommes là dans le domaine de l’hypothèse.

L’argument massue des partisans de la dépénalisation, par la voix de la radicale bernoise Christine Beerli, se résume à ceci : il est prouvé que l’usage du cannabis n’est pas plus dommageable que celui des cigarettes ou de l’alcool. Et de citer des chiffres : 2500 morts dus à l’alcool chaque année, 8700 victimes du tabac et 181 morts «seulement» dues à la drogue, dont aucune ne provient du cannabis. Nous sommes priés de prendre ces chiffres pour argent comptant. On ne nous fait même pas l’honneur de nous dire d’où ils sortent, si les 2500 morts dus à l’alcool et les 181 décès imputables à la drogue - et dont le faible nombre s’explique non pas par l’innocuité des poisons absorbés, mais uniquement par le fait que la toxicomanie reste, grâce au ciel, un phénomène relativement circonscrit - concernent uniquement les cirrhoses du foie et les surdoses ou aussi les victimes d’accidents de la circulation provoqués par des gens pris de boisson ou des drogués, les conjoints et les enfants battus par les mêmes. Quant aux 8700 victimes du tabac, sans doute s’agit-il des fumeurs qui sont morts d’un cancer du poumon ou d’une maladie cardio-vasculaire, alors que quantité de non-fumeurs meurent eux aussi d’un cancer du poumon ou d’une maladie cardio-vasculaire.

Il n’est pas question ici de prétendre que la cigarette est excellente pour la santé ni que l’alcool est sans danger. Il est question de dénoncer un amalgame trompeur entre trois produits qui sont sans doute tous trois dangereux, mais à des degrés et des conditions divers. La cigarette ne nuit qu’à celui qui la consomme, si l’on fait abstraction des fameux fumeurs passifs, qui ne craignent pas d’ailleurs de faire respirer à leurs contemporains piétons ou cyclistes les gaz d’échappement de leur véhicule. Qu’il ait fumé une ou cinquante cigarettes, le fumeur, à condition de n’avoir pas consommé d’alcool, est toujours capable de prendre le volant, même s’il n’est pas pour autant à l’abri d’un accident. La fumée n’engendre pas non plus de comportements agressifs. L’alcool n’est dangereux qu’en cas d’abus. Un verre de Bordeaux en mangeant ne suffit pas à mettre le consommateur dans un état tel qu’il batte sa femme ou soit inapte à conduire. En revanche, une seule cigarette de cannabis a déjà des effets désastreux sur le cerveau et entraîne une baisse sensible et durable des performances2, notamment en matière de conduite automobile, évidemment.

On nous ment donc. Pourquoi ? Il n’y a aucune raison de supposer que la majorité du Conseil des Etats appelle de ses vœux une augmentation – inéluctable3 - de la consommation du cannabis qui, soit dit en passant, conduit souvent à la consommation de drogues dures. Alors, pourquoi tient-on à dépénaliser la consommation du cannabis au point de recourir à la malhonnêteté intellectuelle ? Le procureur tessinois radical Dick Marty nous apporte la réponse dans 24 Heures du 13 décembre. Résumons : la répression de ce que Mme Ruth Dreifuss appelle la «fumette» n’a pas permis de démanteler les réseaux de trafiquants dont on ne peut venir à bout qu’en les infiltrant par le haut.

Cette infiltration par le haut n’ayant pas été tentée ou ayant échoué, il serait injuste - et là, nous sommes d’accord - de ne poursuivre que le menu fretin, pendant que les gros bonnets continuent paisiblement leur trafic.

En fait, ce qui fait défaut à nos autorités, c’est la volonté politique qui conduirait à mettre en œuvre tous les moyens de lutte contre les trafiquants – par exemple, expulsion immédiate, en cas de flagrant délit, des immigrés de provenances diverses qui sévissent sur le marché de la drogue au vu et su de tout le monde, ainsi que nous le prouve chaque jour la lecture de la presse, et, pour les Suisses, aggravation drastique des peines encourues. Ce n’est pas une mince affaire, il est vrai, en ces temps de lutte contre le racisme et la xénophobie; en ces temps de «rédemption» des délinquants. Il est évidemment beaucoup plus facile et beaucoup moins fatigant de rendre licite ce qui ne l’était pas. Et tant pis pour les dégâts.

Le Pamphlet

1 Collection Ecologie humaine, François-Xavier Guibert, Paris 1996, pp. 39 sqq.
2 Ibid., pp. 34 sqq.
3 Ibid., chapitre 4.



 

Profiteur

Ed Fagan, avocat américain, est passé maître dans l’art de faire du fric en exploitant les malheurs d’autrui. Il s’était déjà signalé à notre attention à l’époque des fonds en déshérence, en se faisant le champion, contre espèces sonnantes et trébuchantes, de «victimes de l’Holocauste» prétendument dépouillées de leurs biens par les vilains banquiers suisses. Le filon étant épuisé, Ed Fagan se cherche d’autres clients qui l’aideront à traire une nouvelle fois la vache à lait que constituent les banques suisses. Il pense pouvoir en trouver en Afrique du Sud parmi les victimes de l’apartheid. Il a donc fait paraître dans la presse sud-africaine, par l’intermédiaire d’une société basée à Herisau (Appenzell Rhodes-Extérieures) et répondant au doux nom fleurant bon le suisse allemand de Gloria International Multiconsulting, des annonces visant à recruter des victimes qui souhaiteraient s’associer à une plainte collective contre les banques suisses «qui ont financé l’apartheid en Afrique du Sud». Cette plainte pourrait être déposée à New York d’ici deux à trois mois, et rapporter, en cas de succès, des dommages et intérêts de l’ordre de cinquante à cent milliards de dollars.

 Mais pourquoi les banques suisses ? Parce qu’elles ont investi dans l’économie sud-africaine à l’époque de l’apartheid, ce qui leur est abondamment reproché par les grandes consciences, car tout le monde sait que les banques suisses sont des organismes philanthropiques qui ne sauraient investir que dans les bonnes œuvres et sans espoir d’en tirer profit. Ayant oublié cette vocation première et agi, horresco referens, comme le font toutes les autres banques, elles sont carrément accusées d’avoir financé l’apartheid. En d’autres termes, loin d’avoir contribué à la prospérité – qui n’est plus qu’un souvenir – de l’Afrique du Sud de l’époque, prospérité dont profitaient aussi, qu’on le veuille ou non, les «coloured» du pays, elles ont  veillé personnellement à ce que les discriminations perdurent, ce fut même leur but unique, elles en ont tiré un intense et pervers plaisir raciste. Dans ces conditions, évidemment, le moins qu’elles puissent faire est de dédommager leurs victimes.

 Ce qui est surprenant, c’est que, ces victimes, il soit nécessaire de les recruter à coup d’annonces, comme si elles étaient somme toute assez rares et pas toujours conscientes de leur statut de victimes. Pourtant, tout le monde sait que l’ensemble des populations de couleur d’Afrique du Sud ont gémi sous le joug raciste des Blancs et que les victimes se comptent donc par dizaines de millions. De quoi faire une superbe plainte collective.

 En fait, ce qu’Ed Fagan ne nous dit pas, c’est qu’il ne travaille pas gratuitement, ce qui est normal, qu’il réclame des honoraires même quand il perd les procès qu’il intente, ce qui est normal aussi, que ces honoraires se chiffrent par millions, ce qui est moins normal et nécessite des clients extrêmement riches. Or, les victimes de l’apartheid extrêmement riches ne sont sans doute pas légion, d’où la nécessité de les recruter en leur faisant miroiter la possibilité de devenir plus riches encore, pour le plus grand profit d’Ed Fagan.

 J’espère que les banques suisses refuseront de se laisser plumer, même si un juge, d’ailleurs étranger - ô mânes des Waldstaetten ! - , les condamne à l’être. Elles pourront, je crois, compter sur l’appui de la population helvétique qui a très mal digéré l’affaire des fonds en déshérence.

 Je voudrais bien savoir, en outre, si les banques et entreprises américaines dans lesquelles Ed Fagan place sans doute l’argent qu’il se procure de si vilaine façon n’ont jamais investi en Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid. Il serait amusant que M. Fagan se fasse le complice d’organismes qui ont eux aussi «financé l’apartheid». Et si tel est le cas, peut-être un avocat suisse point trop gourmand pourrait-il convaincre quelques victimes de l’apartheid impécunieuses de s’associer pour déposer contre Ed Fagan une plainte collective et lui réclamer quelques millions de dommages et intérêts. Comme ça, juste pour rire.

Plaisanterie mise à part et compte tenu des sommes qui sont en jeu, il n’est pas exclu qu’une opération d’envergure soit en cours pour mettre à genoux les banques suisses et qu’Ed Fagan n’en soit qu’un rouage largement stipendié, un mercenaire de luxe, en somme. Et là, fini de rire : il faudra se battre.
 

Mariette Paschoud
 


En direct de Sirius
 

Lettre ouverte à mes amis authentiquement européens
 

A la suite de discussions passionnées récentes avec deux amis français, j’ai eu le sentiment d’une grande lassitude politique confinant au découragement. Pour ces écœurés, le seul moyen de marquer publiquement leur mécontentement consistait à s’abstenir de voter, faisant ainsi la partie belle à ceux qui, depuis des décennies, ne font qu’accaparer le pouvoir sans le moindre souci de défendre les intérêts de ceux qui directement, en ayant voté pour eux, ou indirectement, en s’étant abstenus, sont en droit de penser leur avoir conféré ce soin. Je me permets donc de vous rappeler que, vivant dans des démocraties qui ne craignent pas de vous vanter quotidiennement leurs «mérites», vos voix comptent et sont susceptibles, le cas échéant, de s’additionner… Aussi n’est-il sans doute pas inutile de vous rappeler également que l’ «amendement Wallon» qui instaura la troisième république française ne passa qu’à une voix de majorité et que vos adversaires, eux, ne manquent pas de promouvoir leurs aspirations désastreuses, aux résultats souvent irréversibles, par la solide et indéfectible discipline de vote d’une masse de manœuvre soigneusement sélectionnée, courtisée et entretenue. Cependant, les nationaux de souche demeurent encore, pour peu de temps sans doute, majoritaires. Dans la défense de vos valeurs, vos voix comptent donc doublement. Peut-être est-il encore temps de vous demander quel pays vous allez léguer à vos enfants ?
Courage ! Vous n’avez rien à perdre à exercer votre devoir de citoyens en manifestant publiquement par votre choix dans les urnes votre mécontentement. Si vous n’exercez pas ce droit, vous n’aurez pas le droit de vous plaindre quand vous vous réveillerez un matin dans une Europe «entchadorisée»… ou pire ! Rappelez-vous aussi que le monde a toujours été sauvé par des minorités agissantes…

Chers requérants d’asile

Tout entière au bonheur de tendre ses mamelles à ses «angéliques» protégés au nom de la sacro-sainte solidarité unilatérale, la vache à lait européenne ne se rend même pas compte qu’ils sont en train de les lui arracher à pleines dents.

Echelle de valeurs US

Les mégalopoles américaines sont de gigantesques ensembles urbains dominés en leur centre par des constructions phalliques tout entières dédiées au «bizness», culminant aux alentours de quatre cent mètres d’altitude, au milieu desquelles l’on peut, de cas en cas, apercevoir, nanifiée, une cathédrale... ou toute autre construction à caractère religieux.

Peuples européens, profitez du terrorisme, le « sécuritarisme » sera terrible…

Insensiblement mais avec une régularité de métronome, «Big Brother» se met en place. Sous prétexte de lutter contre le «Mal Absolu», étiquette en général appliquée aux divers mouvements réputés fascistes ou fascisants, d’extrême-droite voire de «droite-extrême», mais très momentanément collée au concept assez vague et très pratique de « terrorisme international », un système de contrôle tous azimuts du citoyen lambda des démocraties européennes est en train de s’établir sournoisement et irréversiblement. Après l’encadrement juridique de la pensée individuelle sous couvert du principe fumeux d’une «conscience collective» soigneusement orientée qui a permis aux citoyens d’Europe de goûter aux charmes de nouvelles lois imposant une pensée unique et, de ce seul fait, admise comme seule correcte, nous voyons apparaître la surveillance électronique dans toute sa redoutable universalité et son ahurissante capacité d’erreur1: cyber-police, qui nous garantira des perspectives de pensée et d’expression équivalentes aux états d’âme du hamster moyen dans ses trois cent soixante centimètres carrés d’espace vital (avec eau, graines, et tambour de «jogging») et contrôlera notre courrier électronique pour notre plus grande santé civique mieux que jadis notre estimable concierge, Ma’ame Michu, quand elle présentait nos enveloppes à l’ampoule de 100 watts; argent-plastique à puce qui permettra à notre banquier – jadis prestataire de services, désormais prince tout puissant à l’endroit de notre économie de ménage – et à notre percepteur – dont la double fonction consiste à redistribuer notre patrimoine à des assistés plus ou moins nécessiteux et à vérifier aussi qu’on le rémunère bien2 – de surveiller étroitement notre mode de vie et de dépenses voire, le cas échéant, d’intervenir séparément ou en étroite collaboration pour nous rappeler à nos obligations et à la sacro-sainte et unilatérale solidarité financière; carte électronique de santé qui permettra de suivre la trace de nos moindres expectorations, et de déterminer si elles sont justifiées ou non, etc. La décennie à venir nous verra filmés, enregistrés, suivis, étalonnés, «ADN-isés», reniflés – peut-être ? – répertoriés, fichés, au profit d’un système qui nous laissera toute liberté de choix à condition que celui-ci corresponde en tous points à celui qu’il a déterminé pour notre plus grand bien. Le stade final consistera à nous implanter des puces grâce auxquelles nous deviendrons enfin téléguidables à merci. Encoconnés dans la douce musique médiatique, pareils aux ruminants des abattoirs industriels, nous serons menés, sous l’effet d’une logique implacable de la rampe du wagon à notre véritable terminus : la boîte de corned beef… Nous aurons ainsi parachevé la boucle de l’expansion économique : de consommateurs, nous serons devenus des consommés.
Sur cette intéressante perspective, Max vous souhaite quand même une bonne année 2002.

Max l’Impertinent

1 Selon le principe que l’erreur est humaine, mais que pour f… le b… il est nécessaire d’utiliser un ordinateur.
2 Mon ami le banquier privé Jean Dutrésor dixit.


Obstination

A l’heure où nous mettons sous presse, les Américains s’obstinent vainement – et pour cause - à chercher Ben Laden en Afghanistan, à coups de bombardements qui ne font plus de dégâts qu’au sein du camp du «Bien». Il serait peut-être temps pour eux de faire fonctionner leurs petites cellules grises.
 
 


Fusées réactionnaires

Les éditions Remi Perrin, 46 rue Saint-Anne à Paris, dans le 2ème arrondissement, publièrent en janvier 2000 un condensé de réflexions tirées de l’œuvre de Louis de Bonald (1754 – 1840), contemporain et ami de mon cher Charles-Louis de Haller. Pour ce dernier numéro du Pamphlet de l’année 2001, et pour le premier de l’an prochain, 2002, en voici quelques-unes, en deux temps, avec un commentaire approprié. Ce sera ma manière de souhaiter à tous les lecteurs et collaborateurs de ce périodique indépendant bon an et bon vent, joyeux Noël et espérances de vie dans le courage et malgré les peines incontournables.

I

1. «On peut être modéré avec des opinions extrêmes. C’est ce qu’affectent de ne pas croire ceux qui sont violents avec des opinions faibles et mitoyennes.»

 Je n’ai cessé, dès les débuts de mon activité journalistique, de prendre la défense de toutes les opinions extrêmes : en monarchie (pour la monarchie absolue et de droit divin contre la monarchie dite constitutionnelle); pour le catholicisme intransigeant contre le laxisme conciliaire de Vatican II; pour la reconnaissance du sacrement de mariage des catholiques, contre leur divorce par l’Etat au mépris de ce sacrement; pour la peine de mort et contre la décriminalisation de l’avortement, etc., etc., et j’ai, tout naturellement, été traité jusque dans ma vie professionnelle d’extrémiste, bien que je sois en réalité fort modéré et nuancé, ce que mes adversaires et ennemis ne veulent pas voir ni croire. Les magistrats qui eurent à traiter de mon divorce étaient persuadés qu’avec de telles opinions, je devais avoir des mœurs conjugales proches du sadisme… et ils espérèrent à la faveur de cette procédure en trouver des traces qui me confondraient ! Ils furent grandement déçus, mais ne cessèrent pas d’être cruels…
Les procès que l’on fait actuellement au révisionniste Amaudruz dans le Canton de Vaud, à Robert Faurisson et à l’Association  Vérité & Justice  dans le Canton de Fribourg, prouvent à souhait que le vicomte de Bonald avait entièrement raison : affecter de croire que les hommes qui ont des opinions extrêmes sont des violents même si leurs idées sont vraies est un moyen de dissimuler astucieusement sa propre violence parce qu’en réalité on est soi-même incapable de combattre ces opinions autrement, c’est-à-dire par la raison, sur un terrain qui leur est approprié. Ces opinions dites extrêmes sont trop substantielles comparées à celles de ceux qui les combattent.

 2. «C’est moins par la rareté des maladies qu’on peut juger la force de tempérament des hommes et des Etats que par la promptitude et la vigueur du rétablissement.»

 La France ne s’est pas encore vraiment remise de sa débâcle de mai 1940, encore moins du séisme de sa révolution. Combien de défaites avait-elle subi sous la monarchie sans cesser de renaître aussitôt et même de grandir ?
La morale bourgeoise cache les fautes et les faiblesses des hommes, hypocritement (mais les siennes seulement…), et l’Etat bourgeois est à l’image de la classe émancipée qui l’a conçu à ses fins privées : il n’est qu’une puissance apparente masquant une faiblesse de constitution. Et c’est pourquoi cet Etat oscille en permanence entre la raideur des dictatures avec lesquelles il compose lâchement et le laxisme des démocraties dont il perd le contrôle aussi. Sa morale a besoin de canons parce que ses dogmes sociaux et religieux sont trop mous pour s’imposer au peuple par la force de leur vérité intrinsèque. L’Etat bourgeois est inguérissable non à cause de la faiblesse générale des hommes mais parce que l’esprit bourgeois émancipé depuis la Révolution française a érigé sa propre faiblesse en vertu publique et conféré à la force matérielle seule le rôle correcteur qui revient de droit à l’esprit, au-dessus de la force matérielle.
 On ne peut concilier liberté et discipline sans esprit dogmatique. Or l’esprit bourgeois hait tous les dogmes, et surtout les vrais ! La vertu de prudence présuppose le sens de la vérité, faute de quoi elle n’est que faiblesse et calcul intéressé, voire sordide. Le pragmatisme bourgeois relève de ce qu’il y a de plus trouble et de moins honnête dans la vie commerciale.

 3. «On avait assez considéré la religion comme un besoin de l’homme; les temps sont venus de la considérer comme une nécessité de la société.»

 Or c’est au moment même où l’urgence de cette nécessité est apparue après un triomphe inouï de la barbarie et de la lâcheté humaine (celle des démocraties occidentales face au nazisme et au communisme) que les plus hautes instances de l’Eglise catholique déclarèrent, lors d’un Concile, que l’Etat moderne n’avait plus besoin de religion comme Etat, que la religion était un besoin de l’homme privé et de lui seul ! Résultat : les sectes pullulent, la religion voit son crédit social baisser de jour en jour et elle se politise de plus en plus. N’étant plus considérée par personne, ou presque, comme une nécessité sociale, la religion reste un besoin, mais un besoin comme un autre, c’est-à-dire contrôlé par l’Etat et sans contrôle interne propre. La religion est devenue un espace d’anarchie réglementé par l’Etat au détriment de l’autorité religieuse, dont tout critère de légitimité est officiellement aboli.
 On juge l’arbre à ses fruits…

 4. «L’extrême opposé d’un gouvernement violent n’est pas un gouvernement doux, mais un gouvernement juste.»

 Comment voulez-vous échapper à la violence des gouvernements quand la notion de justice et ses principes généraux sont socialement proscrits ? La douceur des mœurs est le fruit de la justice; leur sauvagerie est celui de la corruption de l’idée de justice. En Suisse, nous en avons eu une démonstration à Zoug il y a quelque temps…je crois !

 5. «Toute passion qui n’est pas celle de l’argent, des honneurs ou des plaisirs, s’appelle aujourd’hui fanatisme et exagération.»

 Ceux que Dieu a vomis, les tièdes, s’estiment simplement modérés, mais ils se gardent bien de dire en quoi ils le sont. En réalité, ils ne le sont ni pour l’argent, ni pour les honneurs, ni pour les plaisirs…

 6. «Les esprits vraiment philosophiques sont moins frappés de la diversité des croyances religieuses que de leur conformité sur les points fondamentaux de la religion et de la morale.»

 Ces esprits sont réellement supérieurs. Par eux se transmet le fil de la tradition que les esprits faibles négligent et combattent, et que les masses, mises à leur école, oublient. La tradition, comme l’universalisme, sont élitaires dans leur origine et ne deviennent des principes civilisateurs, donnant une forme aux mœurs des peuples, que par une lente et patiente pénétration dans les couches sociales inférieures, qui reçoivent passivement ce qu’on leur inculque, en bien comme en mal. Gaius écrivait : «Tout peuple régi par le droit écrit et par la coutume, suit en partie un droit qui lui est propre, en partie un droit qui est commun à l’ensemble du genre humain.»1 Or le droit commun à l’ensemble du genre humain est, en son essence, un droit non écrit dès lors qu’aucune autorité civile ne l’a édicté.
 Si les principes universels de droit devaient être adoptés par l’homme, ce serait le signe que la notion de justice ne serait pas universelle et qu’il faudrait au contraire créer une société universelle pour formuler ce droit. Et c’est bien ce que tentent de faire l’ONU et l’ensemble des organismes internationaux depuis 1948. Mais cet effort d’universalité dans le droit écrit, dès lors qu’il se coupe volontairement de la tradition des peuples et ne choisit son ancrage que dans l’idéologie de la philosophie dite «des Lumières», manifeste clairement qu’il est en rupture avec l’authentique tradition de l’humanité et le fruit de la seule société occidentale moderne.
 Il y a là une confusion terrible, génératrice de conflits majeurs dont nous percevons déjà l’émergence et la réalité dans nos rapports avec l’Islam.
 Une seule loi générale est vitale pour les individus comme pour les sociétés : il faut monter, porter le plus haut possible l’exigence d’exactitude des principes universels, ou sombrer dans la barbarie. Tout, dans les démocraties modernes et dans la communauté internationale qui en est issue, nous porte à descendre plutôt qu’à monter. De là à affirmer que la démocratie moderne de type occidental et produit de la philosophie dite «des Lumières» est un facteur de dégénérescence et de chute dans la barbarie, il y a un pas que, pour ma part, je franchis allègrement et sans aucune hésitation.

 7. «Les hommes ne haïssent pas, ne peuvent pas haïr le bien; mais ils en ont peur.

 Voilà pourquoi l’action des bons et celle des pervers sont si différentes ! Celle des premiers, si rude, et celle des seconds, si aisée. Le sage a un effort immense à faire, et d’abord sur lui-même, pour voir et aimer le bien dans le bien, et le faire aimer ensuite, tandis que le premier imposteur venu n’a que l’embarras du choix lorsqu’il s’agit de faire passer un vice pour une vertu et une erreur pour une vérité. Il lui suffit de suivre la pente de l’homme ordinaire, alors que son sage concurrent la remonte avec peine et n’agit durablement, y compris sur lui-même, que par un habitus âprement conquis et diffusé chez un petit nombre d’hommes.

 8. «Aux hypocrites de religion ont succédé les hypocrites de politique; les uns voilaient les faiblesses du manteau de la dévotion, les autres justifient des forfaits avec de la politique.»

 Bonald donne lui-même l’issue à cette alternative d’emprisonnement : «La politique ne change pas les cœurs; ce miracle est réservé à la religion. L’une et l’autre peuvent faire des hypocrites : la religion seule fait des convertis.»
 Conclusion : une politique sans égard pour la religion n’en aura aucun non plus pour la morale. Cette politique est un mal irrémédiable.

Michel de Preux

1 Institutes, éd. des Belles-Lettres, Paris 1950, chiffre I, page 1, trad. fr. de Julien Reinach, Conseiller d’Etat.
 


Les infortunes de Cosette

La presse à sensation s'est emparée du cas, elle en a fait des gros titres et la télévision s'en est mêlée. On n'a pourtant connu de cette affaire qu'un seul son de cloche, celui qui reflétait la position de Mme Cosette Laurent et de sa famille.

Atteinte il y a douze ans d'un fibrome, Cosette charge son gynécologue de lui ôter l'utérus et de procéder à une petite intervention destinée à remonter sa vessie. Mais l'opération n'est pas couronnée du succès escompté. Suivent une vingtaine d'opérations, des douleurs insupportables et finalement l'ablation de la vessie, avec l'obligation de porter perpétuellement une poche de rétention qu'il faut vider quatre fois par jour.

Sur les causes de cette lamentable situation, les experts se contredisent. Pour les uns, c'est le gynécologue qui a commis une erreur médicale due à une mauvaise appréciation de la situation. Pour les autres, il n'y a pas de causalité adéquate entre l'opération initiale et les ennuis de santé actuels.

Cosette ouvre néanmoins action devant la Cour civile contre son gynécologue, et contre la compagnie d'assurance qui le couvre en responsabilité civile.

Or, selon les règles du droit, chaque partie doit prouver les faits qu'elle allègue pour en déduire son droit.

Dans le procès qui a opposé Cosette et son gynécologue, on ignore si les ennuis de la dame ont eu pour origine et cause une faute du médecin qu'elle n'a pas été en mesure de prouver ou si son état lamentable est la résultante d'une multitude de causes parmi lesquelles l'éventuelle erreur de son médecin de l'époque n'a joué aucun rôle déterminant. Ce doit être inévitablement l'une ou l'autre de ces deux solutions qui  lui a fait perdre son procès avec condamnation aux dépens.

On aurait pu en rester là, et méditer sur l'injustice qui frappe les uns de maladies et garde les autres en bonne santé, sur la foi insensée du public à l'égard de la science médicale qui devrait nous guérir et la stupéfaction du patient, voire sa colère, face à l'échec, sur la tentative dérisoire de désigner nommément un responsable à nos malheurs ou sur l'habitude récente de monnayer sa souffrance.

Mais l'histoire de Cosette Laurent n'est pas finie. Elle commence : articles du Matin et de 24 heures, émission de Temps présents. Grève de la faim, pétition populaire, intervention du syndic de Lausanne.

Mis sous pression, le gynécologue et son assurance renoncent à l'allocation des dépens. Cela veut dire qu'ils ont dépensé plus de 28'000 francs, en frais de justice, honoraires d'avocats, expertises, pour subir un procès qu'ils ont gagné et qu’ils renoncent au remboursement de ces dépens, pour ne pas déplaire à la presse.

Et finalement, une somme de 200'000 francs sera réunie sur un fonds de solidarité alimenté par des donateurs publics (?) et privés parmi lesquels une fondation médicale universitaire, «la Suisse» assurances et la commune de Chavornay.

Cosette Laurent a compris les leçons de Me Ed Fagan. Les établissements bancaires et les grandes compagnies d'assurances sont prêts à payer pour leur image médiatique, même si la justice leur donne raison. La pression médiatique est parvenue à faire cracher aux banquiers suisses terrorisés mille fois ce qu'ils devaient réellement à des ayants droit qui ne verront pas la couleur du pactole. Pourquoi Cosette Laurent et tous les malheureux de ce canton se gêneraient-ils ?

La dernière instance de recours n'est plus le Tribunal fédéral, ni la Commission européenne des droits de l'homme, c'est la presse et c'est la rue. Vous vous estimez créancier d'une banque ou d'une assurance et la justice vous a débouté ? Entamez une grève de la faim, alertez le Matin, la TV, et faites signer des pétitions. Vous aurez votre fric !

Claude Paschoud
 


Bricoles

Un trou du c…

Parce qu'il était impatient de quitter Moscou, où son employeur Gerhard Schröder, chancelier allemand, avait fait escale au retour d'un voyage en Asie, M. Michael Steiner, son plus proche conseiller personnel, a injurié les trois soldats de la Bundeswehr commis au service dans l'Airbus officiel, leur reprochant de ne pas être capables de faire le plein de kérozène eux-mêmes, et leur ordonnant de servir au moins le caviar. Lorsqu'un soldat lui eut fait remarquer que le caviar pouvait attendre, le distingué haut fonctionnaire traita les trois soldats de «trous du c…» (Arschlöcher).

Les soldats se sont plaints et M. Steiner a dû démissionner. On ne dit pas s'il a fêté son départ au caviar.
 

Très lourd tribut

«L'Afghanistan est désormais à la portée du monde entier. Mais à quel prix ! Témoins essentiels de la situation sur le terrain, les médias ont payé un très lourd tribut (sic) à la guerre qui ravage ce pays longtemps coupé du monde. En moins de dix jours, depuis le 11 novembre dernier, au moins sept journalistes (resic) ont été tués sur les routes afghanes…»

Nicolas Verdan, 24 heures des 24-25 novembre, p. 3

Les victimes afghanes apprécieront.
 

Pilotes néophytes

«Pilotes néophytes», titrait 24 heures à la une de son édition des 1er et 2 décembre, pour qualifier le commandant de bord et son adjoint, victimes de la catastrophe aérienne ayant fait 24 victimes à Zurich le 24 novembre dernier. Le commandant, né en 1944, totalisait 19'373 heures de vol (mais seulement 286 heures sur Jumbolino).

De la même manière, un conducteur serait un néophyte, après 50 ans de permis de conduire et 2 millions de kilomètres parcourus, s'il venait de prendre possession de sa nouvelle voiture.

Autre naufrage

Hier, c'était la Banque vaudoise de crédit qui faisait naufrage, et qui était absorbée par la Banque cantonale vaudoise. Président d'une association de défense de ses actionnaires malchanceux, Me François Chaudet avait été le plus hargneux accusateur d'Hubert Reymond, dernier directeur-général de la banque.

Aujourd'hui, c'est la Société vinicole de Perroy qui licencie ses collaborateurs, abandonne les petits vignerons qui lui livraient leur récolte, et ferme ses portes. Mais qui est le président du conseil d'administration de la SVP, qui plaide piteusement que ce n'est pas sa faute, mais celle du «marché englouti par la surproduction» ? Me François Chaudet en personne.

Pas de petits actionnaires à plaindre. Les propriétaires étaient la BCV et les Retraites populaires, pour moitié chacun.
 

Afrique du Sud enfin libérée de l'apartheid

Depuis la fin du régime de l'apartheid, l'Afrique du Sud baigne dans un Eden permanent : «Les statistiques sont implacables, nous apprend 24 heures au lendemain de l'assassinat de Mme Marike De Klerk, ex-femme du dernier président blanc, un Sud-Africain a plus de risques d'être assassiné que de mourir dans un accident de la circulation».

Chaque année, on recense quelque 21'000 meurtres (pour 41 millions d'habitants) et autant de tentatives. En comparaison, il y a eu 162 cas d'homicide intentionnel en Suisse en l'an 2000.

Les crimes violents ont augmenté de 33,6 % entre 1994 et 2000. Il y a en Afrique du Sud 50'000 viols par an, dont 32'000 sur des enfants et même des bébés.

Il y a 42 % de chômeurs en Afrique du Sud.

Quelle chance ont les Sud-Africains d'être débarrassés du régime honteux qui leur assurait sécurité, plein emploi et croissance ! Merci M. Mandela.