Lausanne 31e année      «ne pas subir»       Septembre  2001 No 307


Sommaire :

Editorial
Bricoles
Manichéisme
Le temps des mépris (suite)
En direct de Sirius
Une tuerie de plus
Qui sont les racistes ?


Editorial
 
Le week-end dernier, les Valaisans se sont prononcés en faveur de l’augmentation des allocations familiales. But de l’opération : favoriser l’accroissement de la natalité.
 
Ce n’est pas nous qui nous opposerons à ce qu’on prenne des mesures en faveur de la famille et bravo au Valais d’être premier de classe en matière d’allocations familiales. Mais une telle mesure est-elle vraiment propre à faire grimper sensiblement le taux des naissances ? Deux cent soixante francs par mois et par enfant – 344 francs à partir du troisième enfant – suffiront-ils à rendre aux Valaisans en âge de procréer le goût des familles nombreuses ? Une famille nombreuse implique un logement spacieux, donc coûteux. Une famille nombreuse implique une mère ou un père à la maison : à quoi bon faire des enfants si c’est pour les confier à des mamans de jour ou à des crèches, ce qui, d’ailleurs, ne va pas sans frais non plus ? Or, un père ou une mère – ou les deux tour à tour, pourquoi pas ?- à la maison implique un seul salaire, ce qui n’est pas grave pour les hauts revenus, mais peut créer des situations financières précaires, en dépit des allocations, chez les gagne-petit.
 
Nous avons entendu un travailleur social dire un jour qu’il fallait compter six mille francs par mois pour faire vivre décemment une famille de quatre personnes et cette évaluation est confirmée par notre expérience personnelle. Prenons maintenant le cas d’un chauffeur de taxi qui gagne bon an mal an trois mille francs par mois en travaillant cinquante-trois heures par semaine. Imaginons que ce chauffeur ait cinq enfants en bas âge. Il touchera chaque mois 4552 francs pour faire vivre sept personnes. Pourra-t-il s’offrir un grand appartement et une épouse au foyer ? Evidemment non, même s’il paie peu d’impôts, jouit d’un logement subventionné et bénéficie des subsides de l’assurance maladie. Il faudra soit que sa femme travaille, avec tous les inconvénients que cela entraîne pour les enfants, soit qu’il recoure aux services sociaux, ce qui n’est pas non plus une solution satisfaisante. Prenons maintenant le cas d’un privilégié qui gagne douze mille francs par mois et qui a lui aussi cinq enfants. Il touchera chaque mois 13 552 francs, alors qu’il pourrait faire vivre sa famille avec son seul salaire. Est-ce normal ?
 
Bien entendu, il s’agit là de cas extrêmes et la plupart des familles se situent à mi-chemin. Mais ils illustrent bien le caractère inéquitable d’une mesure qui se veut égalitaire. Pour promouvoir une authentique politique de la famille, il faut donner beaucoup à ceux qui sont dans le besoin et diminuer les prestations au fur et à mesure que le revenu augmente, quitte à ne rien donner aux gens qui gagnent ou possèdent beaucoup d’argent. Dans l’état actuel des choses, aucun chauffeur de taxi n’envisagera d’avoir une famille nombreuse, et aucun couple privilégié ne se sentira incité à engendrer beaucoup d’enfants par des allocations qui lui paraîtront, somme toute, dérisoires, surtout si Madame exerce une profession «épanouissante», contrairement à la femme du chauffeur contrainte, elle, de s’«épanouir» comme femme de ménage ou caissière dans une grande surface. Quand aux couples qui disposent de revenus moyens et qui pourraient avoir beaucoup d’enfants au prix d’un certain nombre de sacrifices – suppression
des voyages, des sorties, des spectacles, de la voiture, par exemple -, il n’est nullement certain qu’ils soient disposés à s’immoler sur l’autel du financement futur de l’AVS qui semble bien, hélas, constituer la préoccupation majeure des partisans d’un accroissement de la natalité, lesquels  sont aussi, notons-le en passant, partisans de la «solution des délais» dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle va à fin contraire.
 
La gauche valaisanne et l’aile gauche du PDC valaisan ont obtenu gain de cause. La justice sociale n’y a pas gagné, la natalité non plus. Mais la démocratie égalitaire est sauve et les grandes consciences sont en paix. N’est-ce pas l’essentiel ?
 
Le Pamphlet
 
 


Bricoles

AMABILITÉ

Une controverse met face à face M. Samuel Debrot, ancien vétérinaire cantonal et président de la société protectrice des animaux, et les responsables de la fauconnerie de Sainte-Croix et son responsable, M. Benoît Delbeauve, qualifié par ses détracteurs d'esclavagiste, de bourreau d'animaux et de bonimenteur.
 
Fidèle à sa vocation de courtoisie et d'élégance, le quotidien «24 heures» du 5 septembre titre en première page : «Vrai Debrot contre faucons».
 
 

GÉNOCIDE ARMÉNIEN

Au procès des douze Turcs accusés d'avoir nié le génocide arménien de 1915, non seulement le procureur bernois a réclamé lui-même l'acquittement, mais il a vertement critiqué l'article 261 bis du Code pénal, le qualifiant d'«œuf de coucou» pondu par Flavio Cotti et d'«avorton législatif». Au lieu de ne punir que la négation de la Shoah, il oblige les juges à interpréter l'histoire !
Or, ajouta-t-il, c'est une question à traiter entre historiens, mais pas dans les parlements, et encore moins dans les cours de justice.
 
Sans surprise, les accusés ont été acquittés.
 
 

HARCÈLEMENT

Une assistante de l'Université de Lausanne, âgée en 1997 de 23 ans, dépose plainte contre un professeur pour «harcèlement sexuel». Le conseil de discipline de l'UNIL blanchit le professeur. La dame insiste et dépose plainte pénale. Non-lieu. Recours de la dame rejeté.
 
C'est la dame qui doit dès lors comparaître pour dénonciation calomnieuse, délit qui se poursuit d'office.
 
«Si ce procès devait se terminer par une condamnation, ce serait une gifle envers toutes les femmes victimes de harcèlement sexuel sur leur lieu de travail» explique Mme Heidi Renner, de l'association Viol-Secours de Genève.
 
On comprend mal comment la condamnation d'une dame qui n'a pas été victime de harcèlement sexuel sur son lieu de travail, et qui n'a pas craint pourtant d'accuser faussement un professeur innocent, pourrait être ressentie comme une «gifle» par les femmes qui ont été, ou sont encore les victimes de ce genre de traitement.
 
Les déclarations de Mme Renner sont, de toute évidence, du harcèlement borné.
 
 

GAUCHE VERTUEUSE

La droite est pourrie, la gauche est vertueuse. C'est le message qu'essaie de faire passer M. le conseiller national Chifelle, fumeur occasionnel de cannabis et dénonciateur de son collègue Fattebert, lequel s'était vanté d'avoir engagé des Polonais sans autorisation de la police des étrangers dans son exploitation agricole.
 
Que pense M. Chifelle de l'attitude de M. Bernard Métraux, muncipal lausannois directeur de la police, qui incitait personnellement les passants, samedi matin 21 septembre sur la place de la Gare, à ne pas payer leur billet de bus, en leur distribuant un «ticket de resquille». L'obtention frauduleuse d'une prestation est punissable, sur plainte, de l'emprisonnement ou de l'amende en application de l'article 150 du Code pénal. En vertu de l'article 24, l'instigateur est punissable comme l'auteur.
 

BEN LADEN INTROUVABLE ?

A l’heure où nous rédigeons ces lignes, les taliban affirment qu’Oussama ben Laden est introuvable et, apparemment, personne ne les croit. C’est peut-être vrai, pourtant. Après tout, si le personnage est aussi diaboliquement intelligent qu’on le dit, il a dû se préparer une retraite sûre, car rien ne lui prouvait que l’Afghanistan ne finirait pas par le livrer.
 
A notre avis, il se trouve dans le seul pays où personne ne songerait à le chercher, le seul pays, de surcroît, qui ne risque pas d’être bombardé pour l’avoir abrité : aux Etats-Unis.
 
 

EXCLUSION

Il faut être très prudent dans ce qu’on dit à propos des attentats de New York et de Washington, et surtout ne pas s’exprimer en public. Un politicien d’Olten en a fait récemment l’expérience. Probablement un peu éméché – ce qui n’est pas une excuse, bien entendu –, il aurait proféré à ce sujet dans trois bars des propos iconoclastes et d’ailleurs absurdes. Il a été exclu de la section du PDC d’Olten pour propos antisémites. Il est  néanmoins resté candidat à l’élection communale du 16 septembre, car il n’était pas possible de le retirer des listes. L’histoire ne nous dit pas s’il a été élu.
 

SURPRISE

Le Conseil national a refusé, le 20 septembre, à une large majorité de lever l’immunité parlementaire de Christoph Blocher, mettant ainsi ce dernier à l’abri des poursuites judiciaires dont il faisait l’objet dans son canton pour violation de l’art. 261bis. Le conseiller national UDC s’était permis, à l’époque de l’affaire des fonds en déshérence, de critiquer les organisations juives qui s’en étaient prises à la Suisse.
 
Les partisans de la levée de l’immunité ont plaidé que Christoph Blocher avait «évoqué l’image du juif cupide par une habile rhétorique». En somme, ils ont interprété un texte dans le sens qui leur convenait, ce qui relève de la pure malhonnêteté intellectuelle.
 
Divine surprise ! Le bon sens a prévalu.
 

LÉGION D’HONNEUR

Bertrand Piccard deviendra chevalier de la légion d’honneur le 3 octobre. Jacques Chirac a décidé de lui octroyer cette distinction pour son voyage en ballon et pour «ce qu’il représente aux yeux des Français».
 
Nous sommes dans l’ignorance de ce que représente Bertrand Piccard aux yeux des Français, car nos amis français ne nous ont jamais parlé de lui, ce qui tend à montrer qu’ils n’en pensent pas grand-chose. Pour le reste, on voudrait bien savoir si Bonaparte, qui institua l’Ordre de la légion d’honneur en 1802 pour récompenser des services militaires et civils, aurait considéré un voyage en ballon comme un signalé service.
 

ASILE PLUS FACILE

C’est sous ce titre que notre quotidien habituel nous annonçait le 19 septembre que la Suisse envisage d’accorder l’asile aussi aux victimes de persécutions non étatiques, c’est-à-dire aux victimes du terrorisme ou des conflits ethniques, par exemple, qui ne bénéficient pas chez eux de la protection de l’Etat.
 
A priori, l’idée paraît bonne. Les persécutés méritent protection que la persécution soit étatique ou non.
 
Nous sommes un peu plus sceptiques quand Ruth Metzler déclare que cette mesure n’aura pas d’effet majeur sur le nombre de requérants ni au niveau financier, au motif qu’aujourd’hui déjà ces réfugiés sont admis à titre provisoire et qu’il s’agit simplement de leur attribuer un statut juridique avec un droit de séjour permanent ; quand nous apprenons en outre qu’il n’est pas questionde définir le persécuteur dans la loi. Ne risque-t-on pas dès lors de voir arriver de nombreux faux persécutés attirés par la possibilité de bénéficier chez nous d’un droit de séjour permanent sans grande difficulté ?
 
Faut-il voir dans cette mesure un réponse aux occupations d’églises par les sans-papiers et leur amis ? Nous sommes tentés de le croire et cela ne nous plaît pas beaucoup, car cela revient à céder à des pressions.
 

ONU

A quelque chose malheur est bon : les tragiques événements du 11 septembre ont apporté de l’eau au moulin des partisans de l’adhésion de la Suisse à l’ONU. Il paraît que les sanctions économiques imposées par l’ONU sont nécessaires et que nous devons y participer si nous ne voulons pas être les complices passifs du terrorisme.
 
Compris les réfractaires ? Il ne vous reste plus qu’à décider si vous voulez être de gentils onusiens ou d’odieux terroristes !



 
 
 
Manichéisme
 
Dans toutes les guerres, dans toutes les croisades, il y a toujours le Bien d’un côté et le Mal de l’autre. L’ennui, c’est que les deux camps revendiquent le Bien et placent le Mal du côté de l’adversaire. Au cours des croisades, les chrétiens massacrèrent joyeusement les musulmans pour la plus grande gloire du Christ, pendant que les musulmans taillaient en pièces les «chiens d’infidèles» pour la plus grande gloire d’Allah. Durant les guerres de religion, papistes et anti-papistes s’étripèrent mutuellement au nom de la «vraie foi», qui était, bien entendu, catholique pour les uns et protestante pour les autres. Et ne parlons pas des guerres récentes et de celle qu’on nous annonce, qui toutes sont colorées, de part et d’autre, de motifs nobles : défense de la démocratie, protection de minorités opprimées, lutte contre une idéologie pernicieuse, mise au pas d’un tyran sanguinaire, vengeance de victimes innocentes, combat contre le terrorisme, guerre sainte.
 
Une guerre n’est donc jamais un conflit entre le Bien et le Mal, mais le choc de deux ou plusieurs conceptions du Bien et du Mal, qui dissimulent d’ailleurs le plus souvent des intérêts politiques, économiques et territoriaux. Il n’y a pas de guerres justes. Il n’y a pas de guerres morales.
 
Les USA qui, du fait de leur puissance, sont forcément toujours du côté du Bien, ont déclaré la guerre au Mal. En fait, les dirigeants américains souhaitent frapper un grand coup afin de montrer qu’ils sont toujours les plus forts. On peut les comprendre. Mais on ne saurait les approuver d’en faire prétendument une question de morale et cela d’autant moins que cette manière de présenter les choses constitue un chantage à l’égard des autres pays, qui se trouvent contraints d’opter pour le Bien s’ils ne veulent pas être accusés de soutenir le Mal, lequel, d’ailleurs, est assez difficile à cerner, puisqu’il s’incarne à ce que
nous dit le Bien dans un seul individu dont il faut se saisir à tout prix, mais aussi dans toutes les formes de terrorisme - y compris le terrorisme étatique ? - et dans tous les Etats qui soutiennent ce dernier. Voilà qui ouvre un large champ d’action et d’innombrables possibilités d’intervention. En fait, les USA devraient s’attaquer à la terre entière : à l’Afghanistan, bien sûr, aux terroristes palestiniens, aux pays musulmans favorables à la cause palestinienne, aux guérillas qui sévissent dans les pays d’Afrique et d’Amérique du Sud, à l’ETA basque, aux Tigres tamouls, aux irréductibles d’Irlande du Nord, sans compter les
pays dont les gouvernements feraient preuve de tiédeur face au grand nettoyage et qui seraient dès lors suspects de soutien aux terroristes.
 
J’ai peine à croire que les USA, en dépit des propos martiaux du Président Bush, soient décidés à mettre la planète à feu et à sang pendant des années pour venger l’affront qui leur a été fait et les victimes des attentats. J’ai plutôt l’impression qu’ils veulent profiter de la vive sympathie que leur a value la catastrophe pour se donner les moyens d’intervenir sans trop encourir la critique en un ou deux points chauds auxquels ils attachent une importance particulière et qui se cachent derrière l’écran de
fumée afghan.
 
Les médias ont beaucoup parlé ces derniers temps de l’attaque surprise de Pearl Harbor par les Japonais qui fournit au Président Roosevelt l’occasion de déclarer la guerre au Japon et de se faire déclarer la guerre par l’Allemagne – cible prioritaire de l’intervention américaine - en décembre 1941. L’attaque surprise du 11 septembre fournit au Président Bush l’occasion de déclarer la guerre au Mal provisoirement symbolisé par le terrorisme islamiste de Ben Laden, mais dont il n’est pas exclu qu’il
ait aussi un autre visage.
 
Les mauvaises langues prétendent que l’attaque de Pearl Harbor ne fut pas une surprise pour le Président Roosevelt. On veut espérer que les attentats du 11 septembre en furent vraiment une pour le Président Bush. Autrement, ce serait trop moche !
 

Mariette Paschoud



 
 
Le temps des mépris (suite)
 
On ne cesse donc de parler de morale, et c’est précisément quand on en parle que celle-ci disparaît ! Surprenant, non ? Chaque camp veut, en fait, maîtriser la morale de son choix. C’est dans ce désir que réside la mystification de tous les imposteurs politico-religieux. Car la morale se sert, elle ne se domine pas. Et je vais en donner ici deux exemples :
 
1. J’eus récemment le plaisir de lire un bel hommage à la mémoire de l’un des premiers héros de la Résistance, un homme de droite (elle était la première au rendez-vous), monarchiste, respectueux du Maréchal Pétain, fusillé au Mont Valérien le 29 août 1941, le Commandant Honoré d’Estienne d’Orves, par un intellectuel de gauche, ancien ministre de François Mitterrand, Max Gallo1. Les extraits de ses écrits publiés après sa mort par ses enfants en 1950, chez Plon, que cite Max Gallo, sont on ne peut
plus politiquement corrects… Il cache d’autres pensées qui le sont nettement moins, et qu’il a dû lire comme moi : elles vaudraient aujourd’hui à cet officier de «la Royale» une mise à pied et une solide condamnation pénale… Lisez plutôt : «Le racisme est une excellente plate-forme de départ. Ses arguments toucheront d’autant plus qu’on a eu des malheurs, qu’on tend tout naturellement à se replier sur soi-même.» - «Les Juifs sont trop (nombreux). Certaines corporations en sont bourrées !
Banques, médecine, courtiers… Un coup de balai nous fera du bien; il faut un petit pogrom de temps en temps. Ça ne leur fera pas grand mal, ils sont malins, ils reviendront !» … Qu’en pense l’ancien ministre et historien socialiste ?
 
2. Dans le camp adverse, un phare de la pensée antifasciste et antinazie, Jean-Paul Sartre, en 1941, n’a éprouvé aucun scrupule à occuper au lycée Condorcet le poste d’un professeur, Henri Dreyfuss, que sa race contraignit d’abandonner en vertu des lois antisémites du régime de Vichy. Cette acceptation de Jean-Paul Sartre valait donc de sa part reconnaissance, par l’un des maîtres de l’existentialisme athée, d’une persécution raciale. A l’époque, les «idées» du pape de l’existentialisme ne tuaient peut-être pas. Il est néanmoins fermement établi que certains actes de ce philosophe pouvaient y contribuer…
 
Et quand l’ambassadeur de Suisse à Singapour, Raymond Loretan, stigmatise le populisme des arguments de l’UDC blochérienne ou de l’ASIN, il pratique lui-même le populisme qu’il dénonce, car «la caricature de l’ennemi qui vous définit vous-même relève des procédés populistes» : «Populistes, démocrates ou républicains se servent tous du même peuple ‘civique’»2. Il n’y a pas jusqu’à la notion même d’extrémisme qui n’ait son origine du même bord, dans le parti nazi, lequel se situait alors au centre, entre les conservateurs d’une vieille droite prussienne, réactionnaires, et la gauche ou l’extrême gauche
communiste ! Toutes ces classifications n’ont en réalité aucun sens moral. Elles manifestent au contraire l’asservissement de la morale par les politiques.
 
En conséquence, le premier acte de moralité politique consistera à inverser cet ordre de sujétion chaque fois qu’il est possible de le faire, et dans la mesure qui convient. Mais d’une telle entreprise, les partis politiques sont absolument incapables.  Il faut pour cela l’ascendant d’un homme d’exception ou la renaissance d’une religion, pas moins.
 

Michel de Preux

 
1 «Saint Honoré», dans la revue «Immédiatement» no 17, rubrique «Le fil de l’épée», pages 38 & 39. Adresse : 32 bis rue Pérignon  F-75015
Paris.
2 «La modernité et ses contradictions» : article collectif publié par la revue Catholica no 72 – été 2001 – page 27.
 
 



 
En direct de Sirius
 
New York, capitale du «Monde libre» ? – Le tragique bûcher du World Trade Center ne peut qu’inspirer horreur, consternation et compassion, mais les cendres ne sont pas encore refroidies que, dans un bel élan unanime, l’inévitable M. Chirac en tête de peloton, l’Union Européenne et bientôt le monde entier s’empressent d’emboîter le pas aux intentions belliqueuses du Président Bush.
 
Que le président du pays le plus puissant du monde se trouve, par la force du terrorisme international, en état de légitime défense est un fait indiscutable; qu’il veuille rendre justice à ses morts, bien naturel. Qu’il entende rétablir la souveraineté de son pays au prix d’un engagement militaire aux conséquences, à l’heure actuelle, imprévisibles relève de la logique pure.

Mais quel est cet étrange empressement que mettent les Européens à abdiquer la leur ? Le passeport européen est-il en voie accélérée d’américanisation ? Et qu’a donc la Suisse à crier à l’unisson des faucons ? Parce que M. Bush a asséné «Vous êtes avec nous ou contre nous», faut-il qu’un pays neutre et réputé souverain cède à une mise en demeure étrangère ?
 
Il convient d’éviter les décisions prises sous le coup de l’émotion qui amènent souvent à faire inconsciemment le jeu de l’adversaire. Au demeurant, a-t-on seulement identifié celui ou plutôt ceux à qui profite le crime ? Certes tout semble indiquer, en ce qui concerne l’action proprement dite, la responsabilité d’un individu hier encore inconnu du grand public et dont l’impressionnant C.V. n’a désormais de secret pour personne. Qu’en est-il de l’inaction ? Ou, plus précisément de l’abstention ? Les meilleurs services d’espionnage du monde, capables de faire passer en l’espace de dix jours un homme du
statut de prévenu à celui de coupable, ces as de l’écoute et du recoupement qui vous situaient un Escobar sur le globe à plus ou moins cinq mètres sur un simple coup de téléphone, et leurs «petits cousins», ces génies de la provocation et de l’infiltration, n’ont donc rien vu venir ? A défaut d’intelligence humaine, celle dite «artificielle» d’ordinateurs continuellement occupés aux analyses croisées et aux hypothèses fulgurantes était-elle hors-service ? Au siècle de l’information en temps réel, pas un soulèvement de sourcil aux étranges et récentes opérations en bourse, dont on nous confie qu’elles seraient le seul fait des
sociétés-écrans d’un seul et même homme, cet Ennemi mondial numéro un dont nous parlions tout à l’heure ? Au demeurant, étrange transparence subite d’«écrans» dont on déplore simultanément la complexité et l’opacité… Le Criminel est d’une telle invisibilité que le voici complaisamment illuminé par les feux de la rampe ! Lorsque l’émotion prime l’intellect, on n’en est plus à un sophisme près et l’on est prêt à donner tête baissée dans le panneau.

Et ça, c’est dangereux.
 

Citation inconvenante –

«Quand nous accomplirons notre coup d’Etat, nous dirons aux peuples : «Tout allait mal, tous vous avez souffert. Nous supprimerons les causes de vos souffrances, c’est-à-dire les nationalités, les frontières et les monnaies nationales. Bien entendu, vous êtes libres de nous condamner; mais votre jugement serait-il équitable, si vous le prononciez avant de nous donner le moyen de vous montrer ce que nous pouvons faire pour vous ?» Là-dessus, ils nous exalteront avec un sentiment de joie et d’espoir unanime. Le régime du vote, dont nous nous sommes servis comme instrument de domination et auquel nous avons accoutumé même les plus humbles membres de l’humanité en organisant des réunions et des accords préparés d’avance, nous rendra un dernier service et fonctionnera une dernière fois pour exprimer le désir unanime de l’humanité de nous mieux connaître avant de nous juger.»
 
Ce texte est extrait d’un document dont on affirme qu’il serait le produit d’une falsification mais qui a néanmoins été déposé le 10.8.1906, sous la cote no 3926.D.17., au British Museum, ce qui nous donne quand même une date certaine… et démontre, en 2001, une capacité de prédiction valant largement les nébulosités de Nostradamus.
 
La fabrique de lavettes – Les spécialistes anglais n’en sont toujours pas revenus : durant «Desert Storm» les pilotes de la R. A. F. revenaient de mission en larmes d’avoir «télé-bombardé» des objectifs au sol. De tels états d’âme étaient inconnus durant la réplique au «Blitz» de la même R. A. F., un demi siècle plus tôt. De nos jours, quand des gendarmes et des pompiers – dont c’est quand même un peu la fonction – vont récupérer des restes humains dans les débris d’un supersonique, on leur adjoint
une brigade de «psys». Le moindre événement un peu désastreux justifie l’engagement d’une escouade de consolateurs. Qu’une grue tombe accidentellement sur une école et l’on met les drapeaux en berne en organisant des obsèques nationales. La chute d’un arbre prend des proportions cataclysmiques. A force d’assister, on fragilise. Et l’on oublie de plus en plus qu’en général – comme les pompiers new-yorkais le 11 septembre dernier – les vrais héros serraient les dents…
 
Les livres que l’on aimerait voir un jour publier :
«Vieil homme, vous saviez de quoi vous parliez»1
par Gérard-Maurice Ben Sahloh.
 
Dans son second livre sur le thème des confessions, l’auteur, un jeune journaliste de la cour d’un défunt président, démontre, au hasard de propos de table, que ce dernier connaissait les conséquences désastreuses d’options irréversibles comme :
 
-         L’abaissement de l’âge de la majorité civique;
-         le Référendum de dupes2 ;
-         l’aliénation du concept d’identité nationale;
-         le grand métissage;
-         l’abandon accéléré de la souveraineté nationale pour une vassalité supra-étatique;
-         l’ouverture des frontières;
-         l’abolition de la peine capitale;
-         la remise en circuit des criminels de droit commun;
-         l’ouverture de négociations sur l’abandon de la monnaie nationale
          pour une monnaie eurocratique;
-         l’art d’accommoder la raison d’Etat à toutes les sauces.
 
1 Collection «Langue de Vipère», Plomb. Ce livre compléterait avantageusement le «Jeune homme, vous ne savez pas de quoi vous parlez» de Georges-Marc Benamou, paru chez Plon.
2 «Maastricht» ou l’art de répondre «oui» à une trentaine de pages quand on ne sait pas lire.
 
Le néologisme de l’année (entendu de la romancière Denise Bombardier à la dernière «Apostrophe» de Bernard Pivot) :
                                         «A-plat-ventrisme»
 
 C’est d’actualité et ça parle de soi-même.
 
 Max l’Impertinent
 
 



Une tuerie de plus
 
«Le peuple américain s'est éveillé ce matin frappé de stupeur.
 
Lorsque ses bombardiers déversaient des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki et des tapis de bombes au Napalm sur le peuple vietnamien, les Américains ne se sont pas réveillés. C'était la guerre… c'était normal.
 
Lorsque l'armée américaine a attaqué l'Irak, et lorsque les valeureux stratèges de l'OTAN ont détruit les Balkans, l'Amérique dormait toujours. Ce n'était plus à proprement parler la guerre, mais des opérations de police internationale, justifiées par le fait que tout Etat, tout gouvernement, tout peuple qui refuse d'obéir aux ordres américains doit être mis au pas, voire puni.
 
Les victimes civiles, dans ce cas, comptent pour rien. Les milliers d'enfants irakiens morts de l'embargo américain, les centaines de femmes et d'enfants serbes éliminés par les frappes dites «chirurgicales» n'ont pas ému.
 
On n'a pas entendu non plus, à l'occasion de ces tueries, les chancelleries occidentales faire part de leur «profonde indignation», de leur «douloureuse stupeur» ni condamner les «actes terroristes inqualifiables» dont l'Amérique endossait la responsabilité.
 
Pendant les prochains jours, on entendra tous les bons apôtres lancer des anathèmes (justifiés) contre les terroristes inconnus qui n'ont pas craint d'assassiner des centaines, probablement des milliers d'Américains innocents.
 
Les milliers d'Irakiens, ou de Serbes, morts récemment sous les coups américains étaient-ils moins innocents ?
 
Convaincue qu'elle incarne à elle seule le Droit, la Démocratie, la Vertu et le Bien, l'Amérique est aujourd'hui stupéfaite. Le président Bush promet que les coupables seront châtiés. C'est une bien piètre consolation pour les familles des victimes. Et l'annonce d'une prochaine escalade de la violence imbécile et aveugle.
 
Et si les crétins qui dirigent les Etat-Unis d'Amérique, l'OTAN et l'ONU mettaient la tragédie du World Trade Center à profit pour faire leur autocritique et mettre un terme à leurs prétentions hégémoniques sur l'ensemble de la planète ?»
 
Ce sont les lignes que j'avais rédigées la nuit même du drame, et que j'avais intitulées avec provocation : «Frappes chirurgicales sur New York».
 
Je ne me doutais pas que M. Jacques Poget, rédacteur en chef de «24 heures», publierait le lendemain matin un éditorial dans lequel il rappellerait aussi «les camps palestiniens de Sabra et Chatila, les bébés irakiens affamés, les bombardés de Serbie, pour ne citer que quelques unes des populations civiles aussi innocentes, aussi impuissantes que les employés du Word Trade Center, qui comme eux hier ont payé depuis des décennies – avec la bénédiction des autres démocraties occidentales – le fait d'appartenir au mauvais camp, à un mauvais moment de l'histoire…».
 
Cette lucidité lui valut, comme il fallait s'y attendre, les éloges des lecteurs intelligents et la stupeur indignée des autres. Le courrier de «24 heures»1 accueillait, entre autres réactions, les imprécations de M. Ronald Lévy et de M. Roger Cohen-Dumani, pour qui Sabra et Chatila, c'était la faute aux factions libanaises chrétiennes, les bébés irakiens, c'était la faute à Saddam Hussein et les civils innocents de Serbie, c'était la faute à Milosevic.
 
Selon ce même raisonnement, lorsque les Etats-Unis auront détruit l'Afghanistan et pourquoi pas, tous les pays musulmans dans la foulée, ce sera la faute des taliban qui n'auront pas livré M. Ben Laden lorsqu'on leur avait pourtant ordonné de le faire.
 
Le lendemain du drame, j'avais espéré que l'horreur de cette attaque inciterait les Américains et leurs alliés à s'interroger sur les raisons qui poussent des millions de gens, dans le monde entier, à haïr les Etat-Unis, au point de s'être réjoui publiquement de la tuerie.
 
Vain espoir ! L'arrogance de M. Bush jr qui ordonne au gouvernement d'un Etat souverain de lui livrer un suspect, sa prétention à «conduire le monde à la victoire» et les rodomontades bellicistes de son administration démontrent aux populations humiliées par l'impérialisme yankee depuis des lustres que l'establishment US n'a toujours rien compris.
 

Claude Paschoud

 
 
1 «24 heures» des 15-16-17 septembre, pages 36 et 51



 
Qui sont les racistes ?
 
C'est la question que n'auraient jamais dû se poser les participants à la Conférence mondiale contre le racisme, qui s'est déroulée à Durban au début du mois.
 
Car si tout le monde, ou presque, est d'accord pour déclarer que le racisme doit être éradiqué, les difficultés commencent lorsqu'il faut désigner à la vindicte universelle les Etats qui le pratiquent habituellement. Les ministres des affaires étrangères des pays nordiques (Danemark, Finlande, Islande, Norvège et Suède) ont été particulièrement sévères à l'égard d'Israël. Le Finlandais Erkki Tuomiojas a même osé comparer certaines méthodes israéliennes à la politique dont les juifs étaient victimes
dans les années 30 de la part des nazis, avant d'affirmer que «la ligne politique suivie par Israël était d'écraser, d'humilier, de supprimer et d'appauvrir les Palestiniens».
 
Dans la nuit de samedi à dimanche, le forum des organisations non gouvernementales s'est achevée dans la zizanie, après une déclaration finale accusant Israël de se livrer à un «génocide» du peuple palestinien.
 
Jusqu'au 7 septembre, les 6000 délégués représentant 153 pays se sont penchés sur la question cruciale de savoir si le sionisme doit être assimilé au racisme. Finalement, il paraît que non.
 
Mais sur les 32 chefs d'Etats invités, il n'en est venu que 17 et douze d'entre eux représentaient des nations africaines. Ceux qui se sont fait excuser ont dû comprendre que la présence à Durban de M. Yasser Arafat et du général Ariel Sharon risquait de les obliger à prendre parti dans une controverse stérile.
 
Car sauf à vouloir nier l'évidence, aucune nation ne pratique plus ouvertement le racisme que l'Etat d'Israël. Aucune autre ne proclame avec autant d'arrogance qu'elle est le «peuple élu» et n'oserait se doter d'une législation aussi discriminatoire à l'endroit même de ses propres concitoyens non juifs.
 
Le racisme des fils de David a été, au cours des siècles, le ciment de ce peuple et la raison de sa survie. Il reste le moteur de l'Etat et justifie les subventions de la diaspora américaine. Qui pourrait lui en faire grief ?
 
Mais il faut alors s'abstenir de participer à des conférences mondiales dont l'objectif est de condamner le racisme, si l'on a l'intention de se plaindre uniquement du racisme des autres.
 
 
 
C.P.
 
 

1  «24 heures» des 15-16-17 septembre, pages 36 et 52