Lausanne 31e année           «ne pas subir»          Juin-Juillet  2001 No 305






Sommaire :
Editorial

Occupation d'églises
On n’arrête pas le progrès !
Bientôt le goulag ?
Les académiciens ont une épée ! … (suite)
En direct de Sirius
Le match Fattebert contre Chiffelle
Fédéralisme

 
Editorial

Il s’est donc trouvé 51% des votants- soit, avec un taux de participation de 41,5%, environ 21 % du corps électoral - pour approuver le 10 juin la double révision de la loi militaire. Il ne faut pas s’y tromper :il s’agit pour les champions de la coopération internationale d’une victoire beaucoup plus éclatante qu’il n’y paraît, car si on ajoute aux 21% d’avis favorables 58,5% d’abstentions, on constate que 79,5% des citoyens ne se sont pas opposés à cette double révision. Les journalistes et politiciens qui pavoisent et, du coup, nous voient déjà à l’ONU n’ont donc probablement pas tort de se réjouir : il est indubitable que les mentalités sont en train de changer, que l’« esprit d’ouverture» progresse, de même que, et c’est le plus grave, l’indifférence de nombreux Suisses à l’égard de questions pourtant essentielles.

Nos «soldats de la paix» seront donc désormais armés jusqu’aux dents, et pas seulement de pistolets d’ordonnance ou de fusils d’assaut. On peut supposer qu’il ne seront pas tous formés au maniement des armes destinées à les protéger, qu’il faudra donc leur donner une instruction – aux frais des contribuables, bien entendu – ou alors que certains d’entre eux, déjà instruits grâce à leur fonction dans l’armée, auront pour unique mission d’entretenir et de manipuler ces armes pendant que les autres accomplissent leur «mission humanitaire». De toute façon, il faudra bien que les armes soient prêtes à l’emploi en permanence, ce qui implique que, pour une partie au moins de nos militaires, le «maintien de la paix» consistera uniquement à se tenir prêts à tuer.

Mais qui sont-ils ces soldats ? On nous dit que ce sont tous des volontaires. Fort bien. Mais où se recrutent-ils, ces volontaires prêts à consacrer six mois de leur vie à des opérations de maintien de la paix, pour le salaire il est vrai assez coquet de six mille francs par mois – ce que ne gagne pas un officier instructeur en début de carrière ?

Nous tenons de source généralement bien informée que ce sont principalement des jeunes gens qui n’ont rien de mieux à faire : qu’ils soient chômeurs, dépourvus de formation professionnelle ou simplement peu soucieux d’entrer dans la vie active, ils trouvent dans leur engagement volontaire une occasion de gagner confortablement leur vie pendant quelque temps tout en se donnant l’illusion de servir une noble cause, de mener une vie aventureuse.

Les opérations de maintien de la paix impliquant, nous semble-t-il, la participation à la reconstruction des pays dévastés par la guerre, ils nous paraît que les «soldats de la paix» - sous réserve des préposés à leur protection– devraient tous être dotés d’une formation professionnelle - ingénieur ou maçon, qu’importe -propre à assurer une intervention efficace, ce qui n’est pas le cas des jeunes gens, certainement fort respectables par ailleurs, qui s’en vont et s’en iront jouer à la guéguerre sous l’égide de l’OTAN, de l’ONU ou de l’OCDE dans les points chauds de la planète.

Que répondra le Conseil fédéral quand nos «partenaires» lui feront remarquer que c’est de spécialistes qu’on a besoin au Kosovo ou ailleurs et non d’aventuriers ?Répondra-t-il que lesdits spécialistes bien installés en Suisse se soucient peu de quitter leurs bureaux, leurs cabinets ou leurs chantiers pour aller maintenir la paix à l’étranger ?

Voilà une vérité qui n’améliorera pas l’image de marque de la Suisse pourtant si chère à Leurs Excellences de Berne.

Le Pamphlet


Occupation d'églises

Des étrangers occupent des églises, à Lausanne et à Fribourg, pour alerter l'opinion publique sur leur situation précaire. Ils sont, nous dit-on, menacés d'expulsion alors même qu'il résident en Suisse depuis plus de quatre ans (en 4 ans, on prend racine).

Ils réclament collectivement une «régularisation» de leur situation.

Une telle revendication n'est pas acceptable.De façon générale, d'ailleurs, toute solution globale identique destinée à régler des situations individuelles diverses est une sottise.

Il existe aujourd'hui, en Suisse, plusieurs catégories d'étrangers qui vivent sur notre territoire depuis plus de quatre ans sans bénéficier d'un statut juridique stable. Ces diverses catégories ne doivent être ni confondues ni traitées de la même manière.

Je distingue notamment :

1.les requérants d'asile déboutés par une décision définitive et exécutoire,

2.les personnes dont l'admission provisoire a été levée par une décision du Conseil féféral suite à la «normalisation» de la situation politique dans leur pays de provenance,

3.les personnes étrangères qui ont bénéficié d'une autorisation de séjour suite à leur mariage avec un(e) citoyen(ne) suisse et à qui, suite à divorce ou à veuvage, l'autorité refuse le renouvellement,

4.les personnes qui ont travaillé de nombreuses années «au gris» (sans autorisation de séjour, mais en cotisant aux assurances sociales, aux impôts etc.) ou «au noir» (sans être ni contribuable, ni assuré).

Il est exclu – et l'autorité a raison d'être ferme sur ce point – de «régulariser» toutes ces catégories de personnes de façon globale. Le dossier de chaque individu, de chaque famille, doit être étudié individuellement.

Les requérants d'asile

La majorité écrasante des requérants d'asile sont des migrants qui fuient une région en guerre ou sans perspectives économiques pour eux et qui viennent en Suisse dans l'espoir d'y trouver paix et travail. Ils ne peuvent bénéficier de notre loi actuelle sur l'asile, qui réserve ce statut à des personnes qui «sont exposés à de sérieux préjudices de la part de l'autorité étatique à raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité ou de leur appartenance à un groupe social déterminé ou de leurs opinions politiques».
Cependant, et nous l'écrivons ici depuis plusieurs années, il ne fallait pas attendre quatre ans ou plus pour leur notifier une décision de rejet définitif. Il ne fallait pas les laisser prendre racine. Il fallait les renvoyer plus tôt, ce qui aurait été plus simple si l'on n'avait pas imaginé d'introduire un droit subjectif à l'accueil , comme on nous prépare aujourd'hui un droit subjectif à la naturalisation, avec voies et délais de recours.

Pour cette catégorie d'étrangers, et notamment pous ceux qu'on a laissés s'établir longtemps, je suggère une aide financière au retour proportionnelle au temps passé en Suisse dans l'attente d'une décision, et une admission provisoire pour les cas de détresse grave.

Les admis provisoires dont le statut est levé

Lorsque le Conseil fédéral considère que la situation politique, ou la guerre civile, s'est stabilisée, dans un pays déterminé où régnaient des tensions graves, il le décrète sur la foi de rapports lénifiants transmis par un ambassadeur ou un consul qui réside souvent dans un autre Etat et dont les sources d'informations sont sujettes à caution.
Pour cette catégorie, je propose que les avis du Haut commissariat aux réfugiés soient pris en compte plus sérieusement, dont les sources d'informations sont généralement plus sûres, et qu'on s'abstienne de lever l'admission provisoire si l'exécution du renvoi n'est toujours pas possible, licite ou raisonnablement exigible.

Les étrangers qui ont divorcé…

et pour lesquels le motif initial d'admission n'existe plus (vivre avec leur conjoint) devraient être traités différemment selon qu'ils ont vécu en Suisse un temps relativement long (actuellement : 5 ans) et qu'ils ne sont pour rien dans la désunion conjugale, ce dont on ne tient pas compte aujourd'hui. On renvoie même les veuves,. juste après les obsèques, si l'union conjugale n'a pas duré au moins 5 ans !

Les vrais clandestins

A notre avis, le fait d'avoir travaillé en Suisse pendant plusieurs années sans permis de séjour, le sachant et le voulant, ne confère aucun droit à celui qui s'est obstiné dans cette situation illégale.
Il ne saurait donc être question de les «régulariser» tout à coup, ce qui serait entre autres raisons choquant et injuste eu égard à la situation de celui qu'on a attrapé lors de son premier séjour illégal et qui s'est retrouvé avec une forte amende et une interdiction d'entrée de 3 ans.

Il est vrai, cependant, que ces personnes pourraient être mises, toutes, au bénéfice d'une amnistie pour les séjours non autorisés passés, dès lors qu'eux ou leur employeur déposeraient aujourd'hui une demande en vue d'obtenir une autorisation pour un séjour futur.

Conclusion

Les chances qu'ont les squatters des églises d'obtenirun règlement global de leurs diverses situations sont quasi nulles. Ni les braves organisations d'entraide, ni les Eglises ne devaient prendre la responsabilité de leur faire miroiter un espoir qui n'existe pas.
En outre, la forme de pression psychologique exercée, assimilable au chantage, indispose le citoyen et retarde le traitement des cas individuels.

Le soutien à ces pratiques est une mauvaise action.

Claude Paschoud


On n’arrête pas le progrès !

Nés en mai à huit jours d’intervalle d’une Française et d’une Américaine, un petit garçon et une petite fille sont néanmoins frère et sœur. Histoire à dormir debout ? Point du tout. Il s’agit simplement d’un «miracle de la science médicale». A défaut d’avoir été portés par la même femme, les deux enfants sont tous deux le produit d’un ovule fourni par la même Américaine et de la semence du même Français. Le petit garçon résulte de l’implantation d’un ovule fécondé dans l’utérus d’une Varoise de soixante-deux ans, institutrice célibataire à la retraite et sœur du donneur de sperme. La petite fille est le fruit d’une insémination artificielle. La Française n’est qu’une mère porteuse, l’Américaine une mère authentique qui a renoncé à sa petite fille sans états d’âme. Quant au père, «handicapé à la suite d’une tentative de suicide qui lui a laissé le visage meurtri», nous dit la presse, il vit désormais heureux entouré de ses deux enfants, de sa sœur et de sa vieille mère octogénaire.

Au-delà des problèmes juridique – frérot Robert et sœurette Jeannine ont-ils violé le code pénal français -, et éthiques – s’agit-il d’un «inceste social», ou d’une violation des droits de l’enfant – que pose cette affaire; au-delà du fait que la véritable mère des enfants fait à sa façon, selon toute probabilité, commerce de son corps et que le médecin américain qui a pratiqué sur Jeannine – vraisemblablement à prix d’or - la fécondation in vitro regrette uniquement d’avoir ignoré que Robert et Jeannine étaient frère et sœur et non mari et femme comme ils l’avaient prétendu, se pose une question qui relève des lois de la nature : est-il souhaitable qu’une femme ménopausée depuis plusieurs années mette au monde un enfant qu’elle n’était plus capable de concevoir ? Pourquoi la nature limite-t-elle à trente-cinq ans environ chez la femme la capacité de procréer ? Le simple bon sens, l’expérience aussi, montrent que c’est parce que la capacité de procréer s’assortit de la faculté d’élever des enfants dans les meilleures conditions possibles, ce qui implique d’énormes réserves de patience et d’énergie. Or, les réserves de patience et d’énergie s’amenuisent avec l’âge. Tous les grands-parents qui, pour des raisons diverses, ont été amenés à élever- et non à «gâtionner» comme le voudrait la logique - des petits-enfants vous diront que l’amour, si grand soit-il, ne suffit pas, qu’il y a un temps pour tout et qu’ils ont parfois l’impression d’être au-dessous de leur tâche, simplement parce qu’ils se fatiguent trop vite. En somme, l’ordre naturel, l’ordre divin pour les croyants, doit être respecté, parce qu’il n’est pas le fruit du hasard, mais au contraire d’une connaissance exacte – d’où qu’elle vienne – des besoins, des facultés et des limites de l’animal, humain en l’occurrence

On peut donc se poser la question des mobiles qui ont conduit à cette situation abracadabrante. En ce qui concerne la «donneuse» et le médecin américains, il y a lieu de supposer qu’il s’agit d’une affaire de gros sous. Pour ce qui est de Robert et de Jeannine, nous avons deux aveux : d’une part, célibataires tous deux, ils ont voulu «continuer la lignée»; d’autre part, ils ont cherché leur propre bonheur, à en croire Jeannine qui aurait déclaré : «Moi et Robert, nous sommes sains de corps et d’esprit. Nous n’aurions pas fait ces gosses si ce n’était pas un bonheur pour nous.»

En d’autres termes, l’intérêt des enfants n’a pas été pris en compte une seule minute. Ni Robert ni Jeannine n’ont pensé à l’avenir de ces deux quasi-jumeaux «fabriqués». Ni l’un ni l’autre ne s’est avisé que les enfants risquaient de se retrouver orphelins avant d’avoir atteint l’âge adulte. Ni l’un ni l’autre ne s’est dit : «Il y a un risque que, quand ils auront vingt ans, au lieu de profiter de leur jeunesse, les enfants doivent passer leur temps à pousser le fauteuil roulant de papa, à administrer à maman/tante ses piqûres d’insuline et même, pour autant qu’elle jouisse d’une longévité exceptionnelle, à tenir compagnie à grand-maman dans son EMS.» Ils ne se sont pas demandé non plus si cette situation, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle est anormale, pourrait avoir un effet négatif sur le développement des deux gosses. Ils ont agi en égoïstes fieffés.

Mais l’ont-ils fait plus que les femmes qui se font avorter pour des raisons de commodité oules couples d’homosexuels qui revendiquent le droit à l’adoption, voire à la procréation in vitro ?

Autant je suis opposée à la destruction d’un être humain déjà conçu, autant je m’élève contre la fabrication d’êtres humains considérés comme des marchandises destinées à procurer à leurs acquéreurs du bonheur ou la continuité d’une lignée dont personne ne se soucie et qui de surcroît, en l’occurrence, paraît être une lignée de déséquilibrés.

La nature finit toujours par se venger : pauvres gosses !

 

Mariette Paschoud


Bientôt le goulag ?

Le code pénal suisse est en cours de révision. A cette occasion, les chambres fédérales ont décidé de «dépsychiatriser» l’internement. Entendez par là que ce dernier ne sera plus réservé aux seuls criminels malades mentaux, mais s’appliquera aussi aux auteurs de crimes sordides, qui resteront internés aussi longtemps qu’ils risquent de récidiver. L’internement viendra s’ajouter à la sanction proprement dite, soit à une peine privative de liberté, pour autant que le juge en décide ainsi lors du jugement.

Le but de cette mesure qui est, nous dit-on, sécuritaire est peut-être louable. Il n’en reste pas moins que l’internement sans limite dans le temps de gens sains d’esprit constitue une dérive totalitaire en ce qu’il ouvre la porte à l’arbitraire le plus total. Qu’est-ce qu’un crime sordide ? Comment un juge, à moins d’être devin, peut-il juger en toute certitude, au moment du procès, que tel criminel est susceptible de récidiver et tel autre non ?

Si l’on veut protéger la société, il faut condamner les criminels irrécupérables – mais qu’est-ce qu’un criminel irrécupérable ?- à la détention perpétuelle et ne les laisser sortir de prison que les pieds devant. Quant aux autres, il faut les rendre à la liberté une fois qu’ils ont purgé la totalité de leur peine. Il n’y a pas de raison de leur faire des cadeaux.

Un des crimes les plus honnis de notre époque est celui de révisionnisme. Compte tenu du zèle que mettent nos juges à obéir aux ordres de la Police de la Pensée, ne peut-on craindre que l’internement à vie ne guette aussi les mal-pensants ? L’indépendance d’esprit ne constitue-t-elle pas un crime particulièrement sordide ?

Une question pour terminer : ces auteurs de crimes sordides, où les internera-t-on ? Envisage-t-on d’ouvrir des camps de concentration ?

Sur cette réjouissante perspective, nous vous donnons rendez-vous fin août. Bon été à tous.

M.P.


Les académiciens ont une épée ! … (suite)

(Dans notre numéro 304, la première partie de cet article consacré à L’Après-démocratie d’Eric Werner a été intitulée par erreur «Les académiciens ont des épées». Notre ami Michel de Preux nous fait remarquer que « les académiciens n’ont qu’une épée chacun», que l’emploi du pluriel « suggère qu’ils en ont plusieurs, ce qui d’une part est inexact et de l’autre affaiblit la portée symbolique du mot épée, en banalisant la notion d’arme et en la privant de son rapport à l’esprit». Toutes nos excuses. Réd.)

Pour cet esprit [Eric Werner] deux fois averti (il en vaut donc quatre, peut-être même cinq, si je me faisais malicieusement totalitaire, provoquant les hantises de Robert Musil sur le danger des puissances de l’esprit : «Une vision spirituelle est à proprement parler plus effroyable qu’une victoire guerrière.»), la scène politique a, dans le monde actuel, disparu, elle s’est effondrée sous le poids conjugué des masses aveugles mais émancipées politiquement et socialement, et des tyrans avec ou sans tête, que l’on tue vainement, qui meurent inutilement, car il en revient d’autres, indéfiniment, lamentablement, des tyrans anonymes, sans visage ou, ce qui revient au même, à mille visages, comme en Suisse, par exemple (l’auteur ne l’écrit pas, mais le pense si fortement que les suintements de cette pensée de derrière valent une parole susurrée à l’oreille du lecteur). Dans ce décombre d’une société morte, et qui naturellement ne le sait pas – voilà pourquoi les imbéciles y font fortune, tels de malhonnêtes croque-morts dans un cimetière sans contrôle – deux protagonistes subsistent, incommensurables, incomparables, apparemment imperméables l’un à l’autre (mais c’est à voir) : l’un a tous les pouvoirs sur le corps, et toutes les armes qui y correspondent, et l’autre, toutes celles de l’esprit «qui dit non à un corps sans âme». Le choix de la stratégie est, dans ce cas, essentiel. David ne peut pas faire n’importe quoi contre Goliath. Il ne dispose que d’une fronde, et de son adresse. Il faut donc viser juste avec peu de moyens.

Mais cela doit suffire… à condition de ne pas succomber soi-même à la suffisance, un défaut fort étranger à l’auteur, dont l’humilité et la modestie sont sans doute moins ostentatoires que celles du Roi-Soleil… qui, pourtant ne mentait point !

Il y a, toutefois, une timidité que je ne partagerai jamais : le protestant suisse a une prudence spirituelle, mêlée d’audaces ponctuelles, dont l’équilibre tient à un fil. Il saisit les failles du fanatisme aussi justement que les apories du scepticisme. Mais il oublie qu’un catholique doit savoir (et proclamer) que, désormais, l’esprit a un corps social, que ce corps social a une tête visible perpétuée contre laquelle «les portes de l’enfer ne prévaudront pas». Eric Werner est un catholique dans l’âme et dans la vertu théologale d’espérance (ce qui le sépare résolument des imbéciles tous farouchement optimistes), mais il pâtit simultanément de tous les handicaps du protestant genevois, cultivé en plus, ce qui n’arrange rien. Michel de Preux est viscéralement et totalement protestataire dans l’âme, avec toutes les failles, toutes les faiblesses et toutes les limites du catholique de l’espèce la plus noire qui puisse être.

Nous sommes donc tous les deux sur une ligne de crête, avec une différence d’altitude qui ne doit rien à ma personne…
 

 

Michel de Preux


En direct de Sirius

Une belle exécution – «Pour en finir avec la France éternelle»1– Sous ce titre évocateur, «der ewige Konopnicki» publie un essai qui réussit à démanteler la «Gueuse» mieux que ne l’aurait fait un royaliste et qui constitue à l’occasion une déclaration d’intentions au plan mondial dont les lecteurs suisses pourront faire leur profit. S’il ne s’était borné qu’à établir la preuve du caractère nuisible, fort peu démocratique et éminemment répressif de la IIIème république et de ses héritières, rappelant au passage le progressisme social de l’Allemagne de Bismarck et du second empire, l’essai, bien documenté et d’une lecture aisée dans son style «près du peuple», serait magistral. Tout au plus regretterait-on l’absence des deux premières républiques au banc des accusés. Mais il faut déplorer l’amalgame fait entre la France du terroir et les souverainistes. Outre qu’il n’y a pas que du mauvais dans la première, les seconds ne sont pas nécessairement tous des nostalgiques exclusifs.

Sur la France en tant que pays souverain – dont M. K. considère qu’elle a vécu –, on peut se demander si, en prônant le grand abâtardissement culturel, il ne nous offre pas quelque manifestation intempestive du complexe du Juif Errant. En cette occasion, il tente d’égratigner au passage les quelques écrivains politiquement incorrects qui lui paraissent accessibles, laissant prudemment Céline de côté. Sa réaction sur Paul Morand me fait un peu penser à un scène vécue jadis au Creux de Genthod entre Roger Nordmann et le marquis d’Andrade2. Le premier, pensant brocarder l’œillet bistre qui ornait chaque matin la boutonnière du second, fut gentiment remis en place par un «je comprends que vous ne compreniez pas. Ne vous en excusez pas et rassurez-vous : cela n’a aucune importance»3.

1 Par Guy Konopnicki, Grasset.

2 Hétérosexuel, camérier secret du Pape, coureur automobile émérite.

3 Cité de mémoire.

Souvenirs, souvenirs – Il y a bien un quart de siècle, les votants suisses devaient se prononcer sur la question de l’adhésion au «machin». Notre ministre des affaires étrangères de l’époque, M. Pierre Aubert : «En entrant à l’ONU, la suisse n’aliénera pas sa souveraineté»1. Le même, au lendemain du refus net : «Comment la Suisse va-t-elle se justifier de ce ‘non’ devant ses voisins ?». A part cela, pour la souveraineté…

1Cité de mémoire.
Insécurité et politique pénale - quelques faits probants :

-Pour le premier trimestre 2001, la criminalité en France progresse de près de 12% par rapport au même trimestre de l’année précédente. Stupéfaction des médias. Je me demande si les mises en examen toujours plus nombreuses des hommes politiques nationaux entrent dans cette statistique.

-Un hold-up a lieu, en fin d’après-midi, à Nice, devant une assistance nombreuse qui n’appelle pas la police. A l’explication avancée par la presse - «les spectateurs ont cru au tournage d’un film» -, on pourrait opposer l’idée plus inquiétante d’un fléchissement de la morale publique. Je m’explique : au vu des étranges agissements de la classe politique et de l’impunité dont celle-ci bénéficie en général, les truands traditionnels finissent par devenir plus sympathiques au peuple que ceux qu’il a élus.

-L’idée d’une suppression des parties civiles dans les procès pénaux français fait son chemin, aux motifs qu’elle peuvent, comme le procureur, intenter action, que leur présence en cour serait détrimentaire à l’accusé et que l’on pourrait régler le problème des dommages par un procès civil parallèle. Il faudrait rappeler aux juristes que s’il arrive encore, parfois, qu’un coupable soit condamné, on peut compter sur les doigts d’une main les victimes ayant bénéficié de tout ou partie des réparations accordées aux dépens d’individus qui, comme il est de rigueur, s’excusent beaucoup face à la cour, mais deviennent invariablement insolvables une fois les verdicts tombés. Alors, on pourrait quand même laisser aux parties civiles la maigre satisfaction d’être détrimentaires aux malfaiteurs…

Les dollars de Judas – A l’heure où nous mettons sous presse, tout porte à croire que M. Milosevic sera extradé en direction du Tribunal Pénal International, tant il est vrai que les Serbes ont besoin des dons des Américains et de leurs féaux afin de reconstruire leur pays ruiné par les mêmes après la guerre que l’on sait, et qu’en cet état de nécessité, le billet vert n’a pas d’odeur. M. Milosevic n’est pas sympathique, mais on est tenté de le plaindre, tout en se demandant qu’elle est la pire torture d’être livré par les siens ou d’avoir à regarder Mme Del Ponte.

Sur le double «oui» à une armée de moins en moins neutre – L’auteur a cru remarquer une forte tendance favorable dans le canton de Berne… et ne peut s’empêcher d’y voir le résultat du bel engagement de nombreux colonels garde-mites et ventripotents à la recherche de sinécures internationalisées, aux dépens d’une armée dont la vraie place se trouve dans nos frontières à préparer et à exercer la défense de notre territoire national, et d’un peuple appelé désormais à financer nos touristes «gris-vert» pour satisfaire aux fantaisies toujours plus nombreuses de l’OTAN et du Conseil fédéral et accroître le pantouflage des fonctionnaires du DAE et du DDPS au sein d’organisations internationales.

Roger Mabillard (un grand patron) Octobre 1980 : le commandant de la division de montagne 10 à ses futurs commandants d’unités de l’école centrale I A :

«Mangez peu et lisez beaucoup.»

Max l’Impertinent


Le match Fattebert contre Chiffelle
 
Depuis qu'un producteur de tabac fribourgeois, M. Amédée Martin, a été dénoncé en août 2000 pour avoir employé 17 ouvriers sans permis originaires d'Europe de l'Est, les agriculteurs des cantons de Vaud, de Fribourg et du Valais sont intervenus auprès de leurs gouvernements respectifs pour les prier d'intervenir à Berne en faveur d'un permis spécial de courte durée pour des travailleurs ressortissants de l'Est.

Or, au Téléjournal de vendredi 8 juin, le conseiller natinal UDC Jean Fattebert, agriculteur à Villars-Bramard, avouait qu'il avait employé, dans l'exploitation qu'il dirige avec son fils, quatre ouvriers clandestins polonais durant plusieurs années.

A l'occasion de cet aveu, la presse nous apprend que c'est quelque 500 clandestins qui sont attendus dans la Broye, pour la récolte du tabac entre le 10 juillet et le 15 août, comme chaque année.

Les conseillers nationaux vaudois Pierre Chiffelle, socialiste, et Josef Zisyadis, popiste, ont dénoncé leur collègue à la justice pénale.

L'affaire déchaîne des passions.

Je ne prétends pas résoudre, en deux coups de cuillère à pot, une question épineuse dont les implications sont multiples et diverses. Il me paraît néanmoins utile de rappeler quelques évidences :

Première évidence

Les membres d'une autorité doivent respecter la loi, plus strictement encore que le «simple citoyen». Le magistrat, le conseiller national ou le policier qui viole sciemment la loi crée un véritable trouble social, beaucoup plus grave que l'infraction elle-même.
Cette règle toute simple doit être observée même si la loi est mauvaise, inique ou scélérate. Et si la loi ne peut être respectée, le magistrat qui la viole doit abandonner ses fonctions officielles.

Quel crédit le citoyen peut-il accorder aux institutions, quel respect peut-il avoir à l'égard de ceux qui le gouvernent, si ceux-là mêmes qui font les lois les jugent inapplicables, les violent en s'en vantent ?

2e évidence

Les motivations de MM. Chiffelle et Zisyadis sont purement électoralistes et leurs gesticulations médiatiques ne les honorent pas.

L'article 23 al. 4 de la loi sur le séjour et l'établissement des étrangers réprime celui qui, intentionnellement, aura occupé des étrangers non autorisés à travailler en Suisse d'une amende pouvant aller jusqu'à 5000 francs par clandestin.

L'aveu de M. Fattebert étant public, et qui plus est largement diffusé, la dénonciation du délit par un particulier au juge informateur ou au Préfet était tout à fait inutile, l'autorité étant tenue d'ouvrir une instruction de sa propre initiative. Les rodomontades des Laurel et Hardy de la gauche militante ne permettront pas de savoir si, sans leur bruyante «dénonciation», l'autorité aurait diligenté une enquête spontanément ou si elle s'en serait abstenue, au mépris de son devoir.

3e évidence

Il n'est pas raisonnable de croire qu'il sera possible de maintenir en Suisse un secteur agricole ou hôtelier de qualité sans que le consommateur en paie le juste prix.

Le citadin, le cul bien calé dans son fauteuil, voudrait tout à la fois des produits de la terre de grande qualité, de la viande goûteuse, des vins au riche bouquet, au restaurant une assiette du jour à 14 francs et un service impeccable, des paysages agrestes bien entretenus, et des agriculteurs qui se contentent pour leurs produits des prix du marché mondial.

C'est à ce niveau qu'il faut faire porter le débat. Que voulons-nous ? Qu'est-ce que ça coûte ? Sommes-nous disposés à payer ?

4e évidence

Il serait facile à la Confédération de permettre l'octroi de permis (de courte durée) à des ressortissants de pays de l'Est, car la règle imposant la priorité aux citoyens de l'AELE et de l'Union européenne est contenu dans une ordonnance du Conseil fédéral, du 6 octobre 1986, et non dans la loi.

On peut se demander d'ailleurs si cette règle, dite «des deux cercles» est compatible avec les principes de non-discrimination dont la gauche se gargarise.

Mais Mme Ruth Metzler annonce que le Conseil fédéral est «inflexible» sur la question. Pas de Polonais tant qu'on n'aura pas asséché la main d'œuvre disponible au Portugal.

5e évidence

Un salaire de 1'500 à 2'000 par mois, plus la nourriture et le logement, pour une courte période et pour un travailleur sans qualifications issu d'un pays où un professeur d'université gagne moins, ce n'est pas «indécent». Ce l'est si peu, d'ailleurs, que les candidats se pressent pour en bénéficier, malgré les risques de la clandestinité que personne n'ignore.

Les syndicats réclament un salaire de 3000 francs et des semaines de 45 heures. Et si, à ce prix, l'exploitation n'était plus viable ?

M. Chiffelle a la réponse : «alors, il faut qu'ils changent d'activité. On ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre. C'est une règle économique de base : quand un secteur n'est pas rentable, on arrête et on trouve autre chose qui rapporte».

6e évidence

Les conditions climatiques et les particularités du sol en Suisse sont telles que le secteur agricole ne peut pas être rentable si on prend comme étalon de mesure les prix de revient en Amérique.

De même, si la Poste est obligée de maintenir des centaines de petits offices ouverts du matin au soir pour 20 clients par jour, elle ne sera pas rentable. De même, les transports publics lausannois ne couvrent pas leurs frais. Va-t-on prier la Poste ou les TL de cesser leur activité déficitaire et de «trouver autre chose qui rapporte» ?

En d'autres termes, l'agriculture en Suisse est-elle une activité économique comme les autres, soumise aux lois du marché mondial, ou est-elle dans une certaine mesure un service public, dont il faut rétribuer les agents ?

Conclusion

Le scandale provoqué par le match Fattebert-Chiffelle dépasse de loin la médiocre personnalité de ses protagonistes et pose plusieurs problèmes de fond que cette affaire nous oblige à résoudre.
Nous ne pouvons plus nous cacher la tête dans le sable, en sachant de science certaine que l'agriculture et l'hôtellerie emploient des centaines de travailleurs «au noir», mais que c'est inévitable…

C.P.


Fédéralisme

«Utiliser l'argument fédéraliste pour laisser les cantons affaiblir l'enseignement des langues nationales n'est pas admissible. La compétence des cantons, en matière d'enseignement obligatoire, n'inclut pas celle de piétiner les mécanismes subtils qui entretiennent les relations des Suisses entre eux et qui font la solidité du pays»
C'est par ces lignes surréalistes que M. Denis Barrelet, correspondant parlementaire du quotidien «24 Heures» (1) commençait son commentaire, intitulé«Un devoir d'ingérence», sur l'initiative parlementaire déposée par le socialiste chaux-de-fonnier Didier Berberat, visant à l'inscription dans la Constitution d'un nouvel article disant que «les cantons veillent à ce que la deuxième langue enseignée, après la langue officielle du canton ou de la région concernée, soit une des langues officielles».

Il faut être «très insuffisamment doté d'esprit de finesse», comme le dit M. Barrelet lui-même au sujet du Zuricois Ernst Buschor, pour méconnaître que les mécanismes subtils qui entretiennent les relations des Suisses entre eux et qui font la solidité du pays sont fondés sur leur autonomie et leur droit d'organiser comme ils l'entendent leur enseignement obligatoire.

L'intitiative du Conseiller national Berberat part sûrement d'une bonne intention. Mais ce n'est certainement pas en imposant au canton de Zurich l'enseignement du français comme deuxième langue qu'on va améliorer les relations confédérales.

En outre, une telle initiative, si elle était acceptée, empêcherait un canton d'introduire, comme deuxième langue enseignée, le latin, comme c'était le cas à l'époque de mes études, ce qui m'a rendu service pour l'apprentissage postérieur de l'allemand et de l'anglais.

L'article de «24 Heures» était placé sous un titre en gros caractères : «L'anglais avant le français ? Berne se prépare à agir». Dans ce «Berne se prépare à agir», on sent des mouvements jubilatoires dans la plume de M. Barrelet, flic de la pensée, féal valet des pires centralisateurs, rêvant de mettre au pas, au besoin par la loi et la force les cantons rétifs à ses ukases.

Pour ne pas piétiner les mécanismes subtils qui entretiennent les relations des Suisses entre eux et qui font la solidité du pays, M. Barrelet appelle de ses vœux l'ingérence de la Berne fédérale et l'imposition d'une solution identique pour l'ensemble de la Confédération.

«Vingt-quatre heures» entretient à Berne le dernier disciple de Staline et de Tito.

C.P.

(1) «24 Heures» du 20 juin 2001, page 8