Lausanne 31e année           «ne pas subir»          Mai  2001 No 304


Sommaire :

Editorial
Bricoles (I)
Méthodes
L’ONU racontée aux cancres
Question
Les académiciens ont une épée ! …
En direct de Sirius
Mes majors
Bricoles (II)



 

Editorial
 
La neutralité de la Suisse est, on le sait, jugée obsolète par tous ceux qui rêvent de voir notre pays jouer un rôle – nécessairement déterminant, on est modeste ou on ne l’est pas - dans les affaires du monde, Conseil fédéral en tête. Oh ! bien sûr, une grande partie de nos compatriotes étant encore très attachés à cette vieillerie folklorique, personne ou presque ne parle d’y renoncer. Il s’agit plutôt, nous dit-on, de l’«adapter», de l’«harmoniser avec les nécessités du monde d’aujourd’hui». Or, la neutralité est par essence une valeur absolue. Dès l’instant où on lui accole un adjectif - «souple», «moderne», par exemple -, elle cesse d’exister. La neutralité n’est pas un concept manipulable et quand nos conseillers fédéraux nous disent, la main sur le cœur qu’il n’est pas question de l’abandonner, tout en adoptant ou en préconisant pour la Suisse des comportements qui la violent de toute évidence, ils nous prouvent que nous sommes gouvernés non seulement par des nigauds, mais aussi par des menteurs.
 
Or, la manie qu’a, depuis de nombreuses années, le Conseil fédéral, en particulier le Département des
affaires étrangères sous la houlette des aimables nullités successives qui en assument la charge, de
condamner, dénoncer, voire même sommer tous azimuts est non seulement stupide, mais elle peut être
nuisible et pas seulement pour notre pays. Nous en avons eu un exemple récemment encore.
 
Le ministre de la coopération internationale de l’Autorité palestinienne Nabil Schaath a pris voici peu son bâton de pèlerin et entrepris une tournée des Etats européens. But de l’opération : obtenir la protection de ces Etats contre Israël et les convaincre de l’urgence d’organiser à Genève une conférence internationale sur le respect des règles humanitaires. Le 21 mai, M. Schaath était l’hôte de notre «ministre» des affaires étrangères, Joseph Deiss, qui se déclarait favorable à une telle conférence et faisait état de travaux préparatoires, tout en reconnaissant – sans doute avec regret - que la Suisse n’avait pas le pouvoir de convoquer la conférence. Et de souligner fort sagement que cette dernière devait être une contribution au processus de paix et non un obstacle supplémentaire.
 
Or, il est évident qu’une conférence internationale exclusivement destinée, comme le souhaite
manifestement le ministre palestinien, à stigmatiser les seules violations des règles humanitaires commises par Israël, à l’exclusion de celles dont se rendent coupables les Palestiniens, ne saurait contribuer au processus de paix, bien au contraire.
 
De là à croire que Joseph Deiss, fort d’une vieille tradition de neutralité assortie de bons offices avait
compris la chose et que pour lui la conférence internationale envisagée devait porter sur le respect des
règles humanitaires par les deux parties, il n’y avait qu’un pas que nous aurions volontiers franchi… si Joseph Deiss lui-même ne nous en avait empêchés en condamnant haut et fort en présence de son hôte la violation des Conventions de Genève par Israël.
 
A quoi pense donc Joseph Deiss ? S’imagine-t-il que le monde a besoin de ses avis ? Il n’est que
l’insignifiant diplomate en chef d’un tout petit pays économiquement très fort mais dépourvu d’influence politique, si ce n’est en tant qu’Etat neutre, apte à rendre des services de toutes sortes dans des circonstances de toutes sortes, à condition de ne pas prendre parti.
 
Israël ne veut pas de cette conférence internationale. D’une manière générale, Israël ne supporte pas qu’on se mêle de ses affaires, sous réserve des appuis qu’on peut lui apporter. Tout le monde le sait et Joseph Deiss le sait certainement aussi. Il ne devait donc pas ignorer qu’en condamnant d’entrée de cause ce pays il privait la Suisse de toute chance de contribuer à l’amener à une table de négociations à Genève. Certes, les chances n’étaient pas grandes, car Israël a mille et une raisons de refuser cette conférence. Mais c’est une question de principe : la Suisse ne peut pas à la fois offrir ses services et désigner du doigt le coupable, quels que soient les états d’âme de ses dirigeants.
 
Malheureusement, ces derniers, Joseph Deiss en tête, ont tendance à écouter davantage la voix de leur bon petit cœur que celle de leur intelligence, au point qu’on en vient parfois à mettre en doute l’existence de cette dernière. Le bon petit cœur de M. Deiss ayant penché en faveur des Palestiniens, notre «ministre» peut désormais interrompre définitivement des travaux préparatoires dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils étaient prématurés.
 
Et tant pis pour la Palestine !
 

Le Pamphlet



Bricoles

De minimis non curat praetor

 
Notre ministre des affaires étrangères n'avait semble-t-il rien de plus important à faire que de s'émouvoir des photographies de Mme Thomas Borer Fielding, épouse de notre ambassadeur à Berlin, de prendre l'affaire très au sérieux, de réclamer des rapports et des excuses.
 
Et pourtant, Mme Shawne Fielding aura sans doute fait plus, pour l'établissement de bonnes relations entre la presse allemande et notre ambassade, que l'émotion de M. Deiss ou le laïus de M. Leuenberger le 11 mai.
 
On ne pardonne pas à M. Thomas Borer d'avoir été brillant comme chef de la task force aux Etats-Unis, lors des délicates négociations que l'on sait, et on ne lui pardonne pas non plus d'avoir une femme belle. Ah ! s'il avait épousé Ruth Dreifuss, personne ne l'envierait et l'inauguration de notre ambassade à Berlin se serait déroulée dans la plus parfaite indifférence.
 

Appeler un chat «un chat»

 
(…) Pour une personne extérieure, qui ne côtoie pas fréquemment des personnes handicapées, il peut
sembler banal, voire normal, de les nommer des handicapés. Pourtant non, ce n'est pas normal ! Ce
générique ne devrait plus leur être attribué à l'heure où l'on travaille sur l'égalité des chances pour donner à chacun, quelles que soient ses particularités, le statut de citoyen.(…)
 
Les travailleurs de la Fondation Ecolave Lucens,
Courrier de «24 Heures» du 6.4.01 page 56
 

Surprise

 
Le parti libéral a fait savoir depuis de nombreuses années qu'il limitait à 12 ans la durée du mandat de ses
représentants au Conseil d'Etat. C'est d'ailleurs cette limite qui avait incité M. Jean-François Leuba, le plus
brillant magistrat que le canton de Vaud a connu depuis fort longtemps, à quitter le gouvernement en 1990.
Parvenu au bout de ses trois législatures, M. Claude Ruey annonce qu'il ne briguera pas un nouveau mandat l'an prochain.
Pour «24 Heures» du 25 avril, c'est une surprise.
 

Violence scolaire

 
Un professeur de travaux manuels sexagénaire est tabassé par deux frères kosovars, adolescents de 13 et 16 ans. Le plus jeune avait appelé son aîné par Natel Ces intéressants jeunes gens sont en Suisse depuis leur naissance. Rien à voir donc avec des requérants d'asile, rassure M. Gérard Dyens, chef du service des écoles primaires et secondaires de Lausanne, dans «24 Heures» du 1er mai.
 
M. Dyens voulait sans doute nous prouver que l'équation : requérant d'asile = voyou est fausse. On le savait. Mais ne nous incite-t-il pas à supposer que l'équation : kosovar = violent est vraie, même après 16 et 13 ans d'une tentative d'intégration ?
 

Gay Pride

 
Il y a deux sortes d'homosexuels : ceux qui proclament qu'ils ne sont pas différents, et ceux qui revendiquent leur droit à la différence. Ce sont souvent les mêmes.



 
 
Méthodes
 
Comme nous le signalions dans notre précédent numéro, la dernière livraison de la Revue militaire suisse
contient plusieurs articles destinés à convaincre ses lecteurs d’approuver le 10 juin la double modification de la loi militaire. Je ne vois évidemment aucun inconvénient à ce que des officiers expriment des avis différents des miens. Je déplore néanmoins que la RMS n’ait pas jugé bon de publier au moins une opinion qui diverge de la doctrine officielle, ne serait-ce pour se mettre par là à l’abri du soupçon de partialité, ce qui est important pour un journal qui, contrairement au nôtre, n’a pas pour vocation de prendre parti dans des controverses essentiellement politiques en dépit, en l’occurrence, d’apparences militaires.
 
Ce qui me dérange, c’est la manière.
 
Je lis, en page 7, sous la plume du lieutenant-colonel EMG Sylvain Curtenaz ce qui suit : «La neutralité,
jusqu’à preuve du contraire, est un principe politique dont le statut nous a été accordé par les puissances signataires du Congrès de Vienne, plus parce qu’elles ne savaient que faire de l’espace helvétique que par sollicitude pour les Suisses ! (…)» Il est certain qu’aucune des grandes décisions prises par le Congrès de Vienne ne l’a été par sollicitude pour quelque peuple que ce soit. Il s’agissait de restaurer autant que possible l’ordre ancien pour le plus grand profit des signataires du traité. Mais cette restauration devait s’accompagner d’un équilibre des forces qui permette à l’Europe de connaître une période de paix. Or, la Suisse, qui comportait désormais le canton du Valais et ses cols, était d’une importance stratégique majeure, ainsi que l’avaient démontré les opérations militaires qui s’étaient déroulées sur son territoire au cours des guerres napoléoniennes. Chacune des puissances signataires du Congrès de Vienne aurait su que faire de la Suisse si elle se l’était annexée, mais aucune ne pouvait la revendiquer sans entrer en conflit avec les autres. Il était donc de l’intérêt des puissances alliées de neutraliser la Suisse et de la charger de défendre sa neutralité. Je veux bien essayer de croire que l’auteur de l’article est de bonne foi et n’a pas jugé nécessaire de préciser sa pensée. Mais cette façon de présenter les choses est ambiguë et pourrait donner au  lecteur non averti l’impression que la Suisse était juste un territoire sans intérêt dont on ne savait que faire.
 
Le Colonel EMG Hans-Peter Brunner, lui, refait carrément l’histoire. Il procède par a priori, il affirme des
choses invérifiables et nous propose une démonstration fournie par une guerre qui n’a pas eu lieu, mais qui, si elle s’était déroulée, aurait prouvé – peut-être – que notre politique de sécurité ou ce qu’il en reste est totalement dépassée. Il propose des scénarios, des «réflexions peut-être spéculatives mais réalistes».
Réalistes ? C’est lui qui le dit, sans souci de cohérence. L’exemple le plus frappant de son parti pris se trouve en pages 9-10 :
 
«(…) En admettant que l’Autriche entre bientôt dans l’OTAN (des signes précurseurs laissent entrevoir cette adhésion sous peu), nous serions entièrement encerclés par l’UE et l’OTAN. Dans de telles conditions, la défense du territoire serait insensée et illusoire. De deux choses l’une, ou bien nous ne sommes entourés que par des amis, ou bien cet entourage devient l’ennemi. Celui-ci, sans un coup de feu, «affamerait» le pays qui dépend des matières premières étrangères (…)». C’est oublier un peu vite que la Suisse a déjà connu cette situation d’encerclement pendant la deuxième guerre mondiale et qu’elle n’a pas jugé bon pour autant de se rallier aux puissances de l’Axe pour se protéger de la «famine».
 
Honnêtement, je ne sais pas où est la vérité. Je ne sais pas où se situe réellement l’intérêt de notre pays. Je ne sais pas si MM. Curtenaz et Brunner ont tort ou raison de défendre les points de vue qui sont les leurs.
 
Mais ce que je sais, c’est que les méthodes qu’ils utilisent sont toujours les armes de gens qui n’ont pas de vrais arguments. Quand on me demande de tenir pour acquis ce que précisément il faudrait démontrer, je me sens pris d’un insurmontable sentiment de méfiance.
 
Décidément, je ne suis pas encore mûr pour considérer que les vieilles recettes de ma grand-mère sont
mauvaises sous prétexte qu’elles ne sont pas compatibles avec la cuisine au micro-onde.
 

Michel Aubert


 
 
L’ONU racontée aux cancres
 
Quand un cancre ne comprend pas les explications qu’on lui donne, il y deux façon de les lui faire entrer dans le crâne. La première, vaine, consiste à les lui répéter à l’infini, la seconde, plus efficace, à les lui présenter sous une autre forme. C’est cette dernière que choisissent les bons pédagogues.
 
Nos politiciens n’étant pas des pédagogues mais des perroquets, ils s’accrochent à la première, au point que, en ce qui concerne l’adhésion de la Suisse à l’ONU, on a l’impression de relire mot pour mot les arguments avancés lors de la précédente campagne de votation.
 
Au motif que le monde a changé – ce qu’on nous disait déjà naguère –, la commission des affaires extérieures du Conseil des Etats s’est prononcée le 17 mai en faveur de l’initiative populaire «pour la Suisse à l’ONU».
 
Selon notre quotidien habituel1, la commission estime que cinq bonnes raisons plaident en faveur de
l’adhésion :
 
- L’importance de l’ONU a énormément augmenté.
Question du cancre : par rapport à quoi ?
 
- L’ONU ne crée certes pas le paradis sur terre, mais elle a contribué à réduire quelques enfers.
Question du cancre : lesquels ?
 
- L’efficacité de l’ONU s’accroît sans cesse.
Question du cancre : pourriez-vous me donner un exemple ?
 
- La défense globale des droits de l’homme, de la santé et de l’environnement s’est musclée sous le
parapluie de l’ONU.
Question du cancre : où, quand, comment ?
 
- La neutralité helvétique ne sera pas touchée par l’adhésion (…).
 
Là, le cancre n’a pas de question, car on lui explique que le Conseil fédéral entend déposer une déclaration d’intention  - qui pourrait être soumise au peuple avant la votation, afin qu’il se prononce en toute connaissance de cause ! - en même temps que notre demande d’adhésion.
 
On nous avait déjà fait le coup de la déclaration la dernière fois et il avait été aisé de rappeler l’expérience de la Société des nations à laquelle la Suisse avait cru pouvoir adhérer tout en préservant sa neutralité, avec le succès que l’on sait. Il arrive forcément un moment, dans ces grandes organisations internationales qui se mêlent de tout sans jamais rien résoudre, où un pays véritablement neutre doit choisir entre se soumettre ou se démettre. Dans le cas de la SDN, la Confédération avait choisi de se démettre. Mais les temps ont changé : dans le cas de l’ONU, si tant est que nous y entrions, elle choisira à n’en pas douter de se soumettre, voire même de faire du zèle. Alors, cette fameuse déclaration d’intention…
 
Le jour même où elle se prononçait en faveur de l’adhésion à l’ONU, la commission des affaires extérieures du Conseil des Etats donnait aussi son accord à la participation de la Suisse à la Cour pénale internationale de justice, autre association de croque-mitaines, dont je ne parlerai pas ici, faute de place et de compétence. Mais l’argument avancé par le commissaire Jean-Claude Cornu, radical fribourgeois, en faveur de cette participation, me paraît illustrer à merveille la profondeur de la réflexion sur laquelle se fondent les prises de position de la commission :
 
«Il serait bon que nous soyons dans le premier train», aurait déclaré le digne homme.
 
Il y des lustres qu’en matière de relations internationales,  l’autorité fédérale souhaite, «prendre le train en
marche», que sa plus grande terreur est d’être «le wagon de queue».
 
Le cancre se demande si cette mentalité de chef de gare est vraiment propice à la défense des intérêts de notre pays.
 
M.P.
 
1 Comme je n’ai trouvé nulle part mention d’un rapport circonstancié de la commission, j’en suis réduite à me
contenter de ce que me dit Bernard-Olivier Schneider dans le Nouvelliste du 18 mai.



 
 
 
Question
 
Pour juger de la bonne ou mauvaise foi des partisans d’une présence armée des Suisses à l’étranger pour des causes étrangères, faites le rapprochement avec ceux et celles qui, dans les années soixante, militaient pour l’objection de conscience dans l’armée suisse au mépris de la défense nationale.
 
Ce sont les mêmes. Ils changent simplement leur fusil d’épaule et fondent l’amour du lointain sur le mépris du prochain. Comment considérer ces gens autrement qu’en ennemis du genre humain puisqu’ils se manifestent partout où il y a quelque chose à détruire et s’opposent à tout ce qui édifie ?
 
M. de P.



 
 

Les académiciens ont une épée ! …
 
                      «Ne pensez pas, mon fils, qu’humilité et modestie ne soient point faites pour
                           nous. Au contraire, elles nous appartiennent plus proprement qu’au reste des
                           hommes. Car après tout, ceux qui n’ont rien d’éminent, ne peuvent jamais être
                           modestes ni humbles; et ces qualités supposent nécessairement en celui qui les
                           possède quelqu’élévation, dont il pourrait tirer vanité.»
 
                           Mémoires de Louis XIV
 
En achevant la lecture du dernier essai d’Eric Werner : «L’Après-démocratie»1, j’eus en en mémoire ce
jugement d’un auteur russe, jamais cité par le philosophe genevois, Igor Chafarevitch, extrait de son livre
magistral : «Le phénomène socialiste»2 : «… trois composantes au moins de l’idéal socialiste (l’abolition de la propriété privée, l’abolition de la famille et l’égalité) découlent d’un seul et même principe : l’étouffement de l’individualité.» Et quelques lignes plus haut, il précisait : «L’égalité socialiste est une identité des individualités. La hiérarchie contre laquelle lutte l’idéologie socialiste est fondée sur des qualités individuelles que sont les hiérarchies de la naissance, de la richesse, de la culture ou de l’autorité. Cela ne contredit nullement l’affirmation d’une hiérarchie de personnes intérieurement identiques, occupant simplement une position différente dans la machine sociale (c’est nous qui soulignons ces deux termes), exactement comme des détails identiques peuvent être disposés dans les diverses parties d’un mécanisme.»
 
Dans cette ligne, je ne pense pas que la menace totalitaire doive nécessairement être axée sur les expériences nazie (allemande) et communiste (russe), leur évidente similitude et parenté, malgré la meilleure littérature sur le sujet (que l’auteur connaît à la perfection), mais bien sur la démocratie moderne comme telle, et son idéologie indépassable (comme dirait Jean-Paul Sartre), consubstantielle à ce régime qui n’en est pas un au fond, mais une prison idéologique dont tous les dogmes officiels et imposés bon gré mal gré s’articulent tous autour du socialisme, avec ou sans étiquette. Toutefois, la réflexion d’Eric Werner dans cet essai, marquée par quelques auteurs fréquemment cités, Hannah Arendt3, Raymond Aron4, Clausewitz, le sociologue Max Weber, Montaigne, Camus ou les grands classiques grecs antiques – on le voit, cette réflexion a une généalogie impressionnante – saisit à travers ce qu’il nomme explicitement les origines nazie et communiste du totalitarisme moderne - et que nous qualifions personnellement de double paroxysme de la démocratie (comme le constatait déjà Gonzague de Reynold dans «La démocratie et la Suisse») -, le nazisme et le communisme, ou autre chose encore, le fascisme sans doute, mais certainement pas le salazarisme et encore moins le national-syndicalisme de don José Primo de Rivera5, l’affrontement entre la puissance monstrueuse de l’Etat en proie à tous les démons et l’homme nu, qui n’a pour sa défense que la fine pointe de sa pensée, celle précisément que l’Etat voudrait bien lui ôter subrepticement, comme un voleur honteux, avec toutes les apparences et les bonnes façons de l’honnête homme soucieux de bien social, de confort pour tous, d’égalité des chances, de lutte-contre-la-bête-immonde et autres fadaises pour crétins instruits. Ah ! que le bon peuple est
bon de croire à toutes ces choses, à ses dépens …
 
Car cette fine pointe de la pensée – Eric Werner empruntera à la fin de son essai à Ernst Jünger (dans «Les Falaises de marbre») et à Frédéric Nietzsche (dans «Le gai savoir») deux brillantes métaphores, celle de la parole comme «épée magique dont le rayonnement fait pâlir la puissance des tyrans» et le «Obscurcissons l’autre par notre lumière» - évoque le caractère redoutable des armes de l’esprit contre l’épais matérialisme de ce que Simone Weil nommait «le gros Animal», l’Etat moderne. Chez Eric Werner, la pensée n’a rien d’un délassement de dilettante ni d’un ronronnement de docteur en cage et bien nourri (Alain Duhamel, pour ne prendre qu’un seul exemple contemporain spécialement ridicule). Elle est une arme, mais une arme qu’il manie toujours avec une étrange discrétion. On le sent venir; on le voit venir, toujours sans éclat; le ton reste neutre (scientificité oblige !). Parfois, une saillie dans l’ironie, le sourire aux lèvres, un mépris pudique qui se glisse innocemment mais savamment aussi dans les interstices du propos courtois, des arguments serrés et des conclusions implacables.
 

                                                                                              (à suivre)

 

Michel de Preux
 
 

 
1 Editions de l’Age d’Homme, coll. Mobiles politiques, Lausanne 2000, 160 pages
2 Editions du Seuil, Paris 1977, trad. fr. de Jacques Michaut, page 298.
3 «Les origines du totalitarisme» et «Le système totalitaire», coll. Point des éditions du Seuil, Paris 1995.
4 «L’opium des intellectuels», éditions Calman-Lévy, Paris 1961.
5 «José-Antonio – la Phalange espagnole et le natioanl-syndicalisme» d’Arnaud Imatz, éd. Godefroy de
Bouillon, Paris 2000, 600 pages.



 
En direct de Sirius
 
«J’appelai le cochon par son nom… Pourquoi pas ?1» - Un général de brigade en retraite fait couler
beaucoup d’encre, depuis quelques semaines, au motif qu’il a osé dire tout haut et surtout écrire2 ce que la
France – championne des droits de l’homme – taisait. Il a reconnu avoir pratiqué et fait pratiquer la torture et des exécutions sommaires, sur instructions du gouvernement, pendant les opérations de maintien de l’ordre en Algérie. Le général a dit la vérité, il doit être exécuté. Car toute vérité n’est pas bonne à dire, en particulier dans le pays du culte des euphémismes. Que l’on ait fait parler des séditieux, des traîtres ou des terroristes, passe encore… Mais qu’on les ait traités comme les boches traitaient les vaillants patriotes, fi l’horreur ! Hélas, il est temps d’admettre que toutes les armées du monde se ressemblent et que la guerre n’est pas une partie de plaisir, mais de souffrance. Adieu les images d’Epinal, on entre donc dans le vif du sujet. Etat de nécessité fait loi, le commandant Aussaresses a accepté de se charger d’un sale boulot – la recherche du renseignement contre-terroriste par tous les moyens… Y compris les plus agréablement efficaces et, aussi, les plus définitifs. A ce propos, l’auteur de ces lignes se rappelle un colloque contre la torture à Genève, sous le patronage d’Amnesty International et la direction du Professeur Gaston Garrone, il y a une trentaine d’années. A l’entracte, loisir avait été donné au public de rédiger des questions auxquelles il serait répondu à la reprise. Il rédigea la sienne et put en suivre le parcours jusqu’à la table des conférenciers et aux mains d’une jeune Chilienne qui déplia le papier, le lut et réprima mal un haut-le-corps. Le billet passa de main en main et fit toute la table, mais de réponse… point.
 
La question était ainsi libellée :
 
«Vous êtes responsable de la sécurité d’un gratte-ciel dans lequel une puissante charge explosive a été cachée et vous ne disposez pas du temps matériel pour le faire évacuer. En revanche, vous détenez le poseur de bombe. Jusqu’où pouvez-vous aller pour tenter de le faire parler et, ainsi, d’éviter un carnage ?»
 
Le général Aussaresses invoque un état de fait analogue pour justifier ses méthodes. Faut-il lui en tenir rigueur ?

 
Repentance – M. Alain Griotteray fait, dans son dernier livre3, le procès de la repentance. C’est bien, mais c’est trop tard. Entre-temps, comme les banques suisses, la France, sous l’action éclairée du Président Chirac, a déjà «donné».
 
Du nouveau dans le politiquement correct – A Nice, une jeune femme est poignardée à mort dans un jardin public, en présence de son neveu de trois ans. L’enfant, terrifié, parvient à faire la description des agresseurs aux enquêteurs. Nice-Matin rapporte : «Trois adolescents de type ‘méditerranéen’». Je traduis : des méditerranéens certes, mais qui ne sont pas portugais, espagnols, italiens, grecs, turcs, etc… bref, des méditerranéens… du Sud.
 
«Mitterrand et le Lobby juif» - M. Georges-Marc Benamou, un jeune protégé du défunt président, expose dans un livre récemment publié4 le refus absolu de ce dernier de céder à des pressions visant à ce que la France reconnaisse s’être mal conduite sous Vichy… On pourra reprocher bien des choses au président, mais pas d’avoir été naïf. En revanche, il est assez satisfaisant que ce grand manipulateur ait pu laisser se réchauffer un serpent dans son sein.
 
Un peu de culture, que diable – S’il pleut, cette fin de semaine, pourquoi ne pas aller jeter quelques
cacahuètes aux «hamsters» de «Loft Story» ?
 

Max l’Impertinent

 
1 Victor Hugo, «Manifeste du romantisme».
2 «Services spéciaux» par Paul Aussaresses, Perrin.
3 «Je ne demande pas pardon – la France n’est pas coupable», éditions du Rocher.
4 «Jeune homme, vous ne savez pas de quoi vous parlez», Plon.
 



Mes majors

 
Un brin de nostalgie saisit le citoyen-soldat qui a accompli toute sa carrière militaire et qui rend à la
Confédération le matériel qui lui avait été prêté. J'ignore si l'on peut réellement parler de «carrière militaire» lorsqu'on a accompli 1103 jours de service. Mais même si cette prestation n'égale pas, et de loin, la durée passée sous les drapeaux par nos pères mobilisés, elle est néanmoins égale à plus de trois ans de services divers, paiement de galons, cours et écoles.
 
Pendant ces mille jours, on a connu des milliers d'hommes : chefs, camarades, subordonnés dont certains ont laissé une trace dans notre mémoire : j'ai connu beaucoup d'officiers incompétents, quelques uns franchement méchants. Mais j'en ai rencontré beaucoup plus qui étaient de grands personnages.
 
J'ai eu notamment le privilège de rencontrer trois officiers revêtus du grade de major, à trois époques
différentes, qui ont marqué chacun mon esprit d'une empreinte profonde.
 

Roger Mabillard

 
Lors de mon école de recrues, en été 1965, c'était le major Roger Mabillard qui était l'instructeur de
compagnie. J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer sa forte personnalité dans plusieurs articles, notamment en
novembre1 et décembre 19852.
 
Le major Mabillard ressemblait à Napoléon par la taille, le regard perçant, le visage impénétrable. Les recrues que nous étions étaient terrorisées par son arrivée à la compagnie et plus encore par ses inspections. Il n'a pourtant jamais adressé de reproches à une recrue mais nous sentions confusément, par la crainte que nous percevions dans le regard de nos chefs, que c'était eux qui allaient prendre la sauce, tout à l'heure, si nous rations l'inspection et que cet échec, le leur, ne serait pas sans conséquences rapides pour nos heures de sommeil.
 

Jean Della Santa

 
Un an plus tard, à l'école d'aspirants, c'est le major Jean Della Santa qui était le chef de notre classe. Grand homme élégant, issu de la bonne société genevoise, curieux de littérature et d'histoire militaires, le major Della Santa nous enseigna sa conception du rôle de l'officier dans la cité, de sa tenue, de ses exigences morales, de son respect de l'honneur, de son horreur du mensonge et de l'injustice.
 
Une conception si élevée, si exigeante, à laquelle lui-même se conformait avec une telle aisance, qu'il réussit à nous convaincre que tous les officiers de l'armée suisse ressemblaient à ce modèle idéal.
 
Quelle déception, dès notre premier cours de répétition, lorsqu'il fallut bien constater que la plupart de nos
camarades premiers-lieutenants ou capitaines ressemblaient de très loin au modèle enseigné : un ramassis de braves types, un peu menteurs, un peu buveurs, et surtout paresseux…
 
 

Serge Pittet

 
Quelques années plus tard, c'est la rencontre avec le major Serge Pittet, commandant du bataillon de fusiliers de montagne 7.
 
A l'époque chef du service de l'urbanisme de la commune de Lutry, le major Pittet était réputé pour la qualité de ses allocutions, lors de la prise ou de la remise du drapeau. Chacun de ses discours était un morceau d'anthologie : une construction rigoureuse, un langage ciselé, des termes précis et vigoureux, un ton impérial.
 
La major Pittet était en outre doué d'un caractère trempé, d'un esprit de décision vif, d'une capacité d'analyse peu commune et surtout d'un rayonnement humain auquel je fus immédiatement sensible.
 
«La troupe est femme» disait Napoléon. Il arrive en effet que certains chefs exercent sur leurs subordonnés une sorte de facination qui les pousse à se surpasser dans l'effort pour faire plaisir à leur commandant. Serge Pittet était de ceux-là.
 
Je suis heureux d'avoir connu ces trois hommes, et je me réjouis qu'ils soient aujourd'hui tous trois bien vivants, et en bonne santé.
 
Merci, mes Majors !
 

Claude Paschoud

 
1       «Dialogue de sourds» in Pamphlet No 149
2       «Un petit char pour deux recrues» in Pamphlet No 150
 
 
 


Bricoles (suite)

Education

 
«Pink Cross poursuit son action pour que l’homsexualité ne soit plus un sujet tabou à l’école. Ces
prochains jours, elle va proposer un éventailde cours et d’ateliers payants à des centaines d’écoles
secondaires.», apprenait-on le 4 mai.
 
Pourquoi pas des travaux pratiques gratuits ?
 

Qu'est ce qu'un directeur ?

 
Le gymnase Auguste-Piccard (ex-Cessrive) était pourvu d'un excellent directeur, à la fois humain, modeste et compétent. Il assumait excellemment son rôle et dirigeait son établissement. Il était donc logique qu'il fût détesté par la demi-douzaine de professeurs ultra-gauchistes qui prétendaient exercer le pouvoir à sa place.
 
Ceux-ci s'efforcèrent donc de créer du désordre pour pouvoir se plaindre que le directeur était incapable de
maintenir l'ordre au sein du corps enseignant.
 
Croit-on que les fauteurs de trouble ont été déplacés, voire licenciés ? Avec dame Francine Jeanprêtre à la tête du département de la formation, c'est certainement le directeur qui risque d'être remplacé, malgré l’appui massif du corps enseignant, des élèves et des témoignages de soutien, publiés par «24 Heures», d'anciens élèves, d’un ancien directeur du Conservatoire de musique et de plusieurs autres directeurs d'établissements.
 

Provocation à la haine raciale

 
Pour avoir vertement critiqué les massacres des moutons d'Aïd el Kebir, Mme Brigitte Bardot a été condamnée par la Cour d'appel de Paris à 30'000 francs d'amende et à 10'000 francs de dommages et intérêts en faveur du MRAP et de la Ligue des droits de l'homme. Son inlassable combat en faveur des animaux est assimilable, dans ce cas, à une «provocation à la haine raciale».
 

Torture

 
Qu'un vieux général français à moitié gâteux se vante d'avoir pratiqué la torture du temps de la guerre d'Algérie, et voilà toute la République en émoi. Quant aux tortures pratiquées par le FLN à cette même époque, il serait malséant de les évoquer.
 
Les tortures des prisonniers de guerre allemands, en 1945, par les forces françaises de libération ou par les
américains étaient justifiées, comme le furent celles pratiquées par les Khmers rouges, comme le sont les
massacres actuels des Blancs en Afrique du sud.
 
 

Loft story

 
Le quotidien de boulevard «Le Matin» critiquait vertement les organisateurs de l'émission programmée par M6 «Loft Story» d'avoir empêché les Suisses romands de voter par téléphone, comme l'ont pu 4 millions de Français.
 
Petite précision que «Le Matin» a négligée : les 4 millions de crétins qui ont manifesté par un vote leur
préférence pour Aziz ou pour Jean-Edouard l'ont fait sur une ligne téléphonique payante, à plus de 3 francs (français) la communication, ce qui a rapporté 13 millions de francs à la chaîne TV organisatrice.
 
Faut-il se plaindre d'être épargnés ?
 

Bon mot

 
Toujours à propos de Loft Story, le directeur de l’hebdomadaire français Les 4 Vérités1 intitulait sa chronique du 12 mai Loft Story : vomituri te salutant.
 
1 85, bd Saint-Michel, 75005 Paris
 

Signes distinctifs

 
La décision du gouvernement islamiste taliban d’imposer aux hindouistes d’Afghanistan le port d’un signe
distinctif a fait couler beaucoup d’encre dans la presse occidentale. Certains journalistes y ont décelé des
relents nazis, d’autres on préféré n’y voir qu’une manifestation d’obscurantisme sans comparaison avec le port de l’étoile jaune infligé aux juifs par le régime hitlérien...
 
Signes distinctifs (bis)
 
Un juge texan a contraint une vingtaine d’auteurs d’agressions sexuelles en liberté surveillée à placer devant chez eux une pancarte «Danger ! un auteur d’agressions sexuelles vit ici» et sur leur voiture un autocollant «Danger ! Auteur d’agressions sexuelles en voiture». Personne ne s’en est ému. Or, de deux choses l’une : ou bien on considère que ces gens ne sont plus dangereux et on les remet en liberté, même surveillée, ou bien on les juge dangereux et on les garde à l’ombre, définitivement s’il le faut. L’idée est sans doute que la population se chargera de les surveiller et qu’ils seront ainsi dissuadés de récidiver. Ce n’est pas bête, mais si la justice se mêle de coller des étiquettes à tous les repris de justice, voleurs, escrocs, assassins, que l’on rend à la liberté, il n’y aura plus de réinsertion possible pour aucun délinquant repenti. Et ça, ce n’est pas juste.