Lausanne 30e année           «ne pas subir»          Septembre  2000 No 297


Dominus Jesus

J'ai été élevé dans la confession réformée et pourtant, j'ai été agréablement surpris par le document "Dominus Jesus" du cardinal Joseph Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, rapport unanimement salué, dans la presse, par un concert de lamentations, par des déclarations embarrassées ou pleurnichardes et par des protestations d'incompréhension.

Après des décennies de langue de bois, de bavardages insipides pompeusement baptisés "ścuménisme", voici enfin un langage clair. L'Eglise catholique affirme qu'elle seule peut prétendre au rang d'Eglise et qu'elle détient la vérité !

Ceux qui s'indignent d'une telle prétention sont ceux-là mêmes qui tentent de nous convaincre, depuis Vatican II, que le souverain bien, en matière théologique, est de s'attacher aux vertus du "dialogue", de gommer nos divergences, de privilégier ce que nous avons en commun sans évoquer ce qui nous sépare, un peu comme les petits enfants qui s'imaginent n'être pas vus dès qu'ils ferment les yeux.

Pendant un quart de siècle, c'est cette bouillie syncrétique qui a eu les faveurs de la presse "people", au point que les fidèles, aussi bien catholiques que protestants, furent marginalisés, soupçonnés d'intégrisme, voire d'extrémisme ou de dérive sectaire.

Apparemment comme en politique, celui qui professe une idée cohérente est suspect, à moins que sa doctrine se limite au rassemblement, à l'union, à la grande fraternité interreligieuse ou interethnique et à la lutte contre l'exclusion. Le plus grand dénominateur commun de cette pensée universelle est évidemment l'absence de pensée, dont l'état le plus achevé consiste à vouloir conférer aux animaux un statut quasi humain.

Or, qui ne voit que toute recherche de vérité, dans quelque domaine que ce soit, postule la précision méticuleuse des concepts, l'affirmation d'une chose et la négation de son contraire, puis la proclamation du Vrai et le combat contre l'erreur. Et qu'à moins d'admettre qu'il n'existe aucune vérité objective (ou à l'inverse, ce qui revient au même, que toute doctrine procède de vérités subjectives), celui qui croit en quelquechose est naturellement fondé à faire connaître autour de lui sa conviction pour l'édification de ceux qu'il aime.

Ce qui est donc surprenant, ce n'est pas que l'Eglise catholique romaine affirme qu'elle est, et elle seule, l'Eglise catholique, c'est à dire universelle. Ce qui est éminemment surprenant, c'est la surprise qu'une telle affirmation suscite aujourd'hui.

Quelle serait la qualité du "dialogue" ścuménique si les participants n'étaient préalablement en mesure de définir leurs propres positions, leurs convictions, voire leurs dogmes.

Oh ! le vilain mot ! Il évoque fâcheusement ce qui est permanent, ce sur quoi on ne transigera pas, le point dont la remise en question n'est pas envisagée. Or, aujourd'hui, la mode consiste à tout remettre en question, à ne plus croire en rien si cette foi nous éloigne de l'Autre, et à discuter de tout (sauf, évidemment, de la Shoah, puisque c'est le seul dogme protégé par l'article 261 bis du Code pénal et par la jurisprudence du Tribunal fédéral).

Les signes de l'accord priment sur le contenu de l'accord. Le dialogue ne visera donc pas à trouver réellement un terrain d'entente, mais à donner aux mots une extension et une compréhension suffisamment vagues pour qu'il soit possible de publier, en fin de séance, un communiqué faisant état de progrès, de convergence, voire d'un large consensus.

Dans un tel contexte, le rappel de l'Eglise catholique fait figure de pet dans un salon. "24 Heures" du 7 septembre nous apprend qu'il a provoqué la consternation en Suisse. Il nous rappelle pourtant, avec pertinence, que si des divergences fondamentales ne subsistaient pas, du point de vue théologique, entre les différentes confessions chrétiennes, les protestants pourraient réintégrer joyeusement le giron de l'Eglise ou les catholiques pourraient non moins joyeusement adopter la Réforme, ce qui mettrait fin, dans une hypothèse comme dans l'autre, au laborieux "dialogue".

Quant aux non chrétiens, l'Eglise a pour mission de les convertir ! Le pofesseur Alfred Donath, de la fédération des communautés israélites, ne s'y est pas trompé : "Je suis effaré par cette déclaration (…) Nous avions le sentiment que l'Eglise catholique avait renoncé à convertir les juifs; or cette déclaration nous fait craindre le pire (sic)…".

Décidément, la déclaration vaticane fait du bien.
 

Claude PASCHOUD