Lausanne 30e année           «ne pas subir»          Mars  2000 No 293

 

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Du rôle des institutions
Le chaos entrenenu !
 

Du rôle des institutions
 
Récemment invitée à une émission de la télévision française, Mme Ségolène Royal, ministre de quelque chose dépendant de l'Education nationale, exposait que le rôle de l'école n'était plus, comme l'imaginaient encore les vieux, la simple transmission des connaissances, mais qu'elle avait désormais un rôle "d'intégration sociale", de "lutte contre l'exclusion", d'"éducation citoyenne" d'"aspiration à l'égalité" etc.

Sur l'instant, ce charabia politiquement correct ne m'a pas vraiment frappé : depuis bientôt vingt ans, en France comme en Suisse, les responsables socialistes de l'Education nous ont mithridatisés avec des discours, des études, des sondages, puis des réformes qui nous ont peu à peu, insidieusement, convaincus que l'école ne pouvait plus se contenter d'un rôle aussi limité. Aujourd'hui, la transmission du savoir, c'est l'affaire d'Internet. Toutes les connaissances humaines s'y trouvent à la disposition quasi gratuite de l'intéressé, il suffit de savoir manier l'outil. L'école a de plus nobles ambitions, celles de former les citoyens de demain aux principes républicains, aux droits de l'homme, à la solidarité et à la fraternité universelles, et bien entendu au devoir de mémoire.

Le lendemain, j'ai été frappé par une étrange analogie. Toutes les grandes institutions sont atteintes d'un mal mystérieux dont les symptômes sont semblables.

L'Eglise n'annonce plus l'Evangile

L'annonce de l'Evangile était encore, il y a un demi-siècle, le rôle prioritaire de l'Eglise chrétienne. Depuis lors, petit à petit, cette fonction est devenue presque accessoire dans l'ensemble des messages dont nous abreuvent les ministres. Le prêtre ou le pasteur qui ose parler du Christ, au catéchisme, est un vieux croûton ringard ou un antisémite qui ne craint pas de heurter la sensibilité de nos frères israélites. L'Eglise, la conférence des évêques, le conseil synodal et la presque totalité des clercs estiment essentiel de s'excuser pour les fautes de nos ancêtres, de dialoguer avec les non-chrétiens, non pas pour tenter de les convertir, mais pour trouver avec eux des points de convergence, d'organiser des prières en commun avec les juifs ou les musulmans, de se mobiliser en faveur des homosexuels ou de protester contre le renvoi des requérants d'asile déboutés. Pendant le catéchisme, on organise des débats sur le sida, le hachisch ou les relations sexuelles avant 15 ans, sur la situation politico-économique au Kosovo ou en Tchétchénie. Du Seigneur, il n'est presque plus question.

L'armée ne se prépare plus à faire la guerre.

Comme la Confédération n'a plus pour but d'assurer l'indépendance de la patrie contre l'étranger (il n'y a plus de "patrie" à l'article 2 de la nouvelle Constitution et les mots "contre l'étranger" marquaient une fâcheuse tendance xénophobe), l'armée n'a évidemment plus pour mission prioritaire de se préparer à la guerre. Aujourd'hui, elle "contribue à la prévention de la guerre et de ce fait au maintien de la paix". On peut donc en déduire que si, par malheur, l'armée avait à combattre, elle aurait déjà failli à sa mission prioritaire. La défense de la Suisse et de sa population ne vient qu'en deuxième. Quant à ses tâches spécifiques, "dans le cadre de sa mission" (sic), elles consistent notamment à contribuer aux mesures de maintien de la paix dans le contexte international.
On a vu ce que "la communauté internationale" est parvenue à réaliser en Irak ou dans les Balkans, en matière de maintien de la paix.

Les artistes ne tendent plus à exprimer un idéal de beauté et d'harmonie

Cette définition même de l'art, donnée par le dictionnaire Hachette de 1988, ferait aujourd'hui éclater de rire un artiste contemporain, pour qui la vocation prioritaire de l'art est de choquer, déranger, heurter, interpeller, bousculer, décoiffer.

Plus une œuvre est donc laide, agressive, disgracieuse, dissonante, absconse, et plus elle sera louée par la critique qui la jugera révolutionnaire, ambitieuse, contemporaine, sortant des sentiers battus, résolument tournée vers l'avenir, en un mot : géniale.

Le partenariat a remplacé la famille

Associée au travail et à la patrie dans une devise "de sinistre mémoire", la famille n'est plus une institution à la mode. On trouve plus commode de cohabiter sans s'engager, de se débarrasser des enfants à naître lorsqu'ils ont le mauvais goût de s'annoncer au mauvais moment, quitte à réclamer plus tard avec arrogance un droit à la procréation assistée et aux manipulations génétiques.

Un jeune couple moderne ne construit plus une cellule sociale, mais les partenaires font ensemble un bout de route, jusqu'à ce qu'ils se lassent l'un de l'autre. On liquide alors, tant bien que mal, cette sorte de société simple, on répartit les enfants mineurs avec le mobilier : tu prends Isabelle et le salon. Je garde Alain et la salle à manger. Tu gardes l'appartement, mais je reprends la garantie locative. Je garde l'auto et tu paies la fin des mensualités pour la Hi-fi.

* * *
Ces modifications du rôle des principales institutions sont-elles inéluctables ? Simplement souhaitables ? Sont-elle réellement voulues par la majorité de la population ou sont-elles subies comme une évolution, certes regrettable, mais sans recours possible, un peu comme la mode qui impose aux jeunes filles de porter des cothurnes d'acteurs tragiques que tout le monde, (y compris d'ailleurs celles qui les portent) trouvent laides, mais qu'elles se sentent néanmoins obligées d'exhiber parce que c'est la mode.

Et si l'on revenait à une armée qui a pour mission principale de se battre dans le but unique de défendre, en Suisse exclusivement, le territoire et les habitants de la patrie, à une Eglise qui annonce la bonne nouvelle et à une école qui transmet aux enfants les connaissances de base, qui leur apprend à lire, à écrire, à compter ?

Tout le reste ne nous serait-il pas offert en surplus ?
 

Claude Paschoud



Le chaos entretenu !
 

Si l’homme se définit par son esprit et sa nature raisonnable, il est évident que le monde moderne et principalement actuel se définit, lui, par le contraire de l’humanisme avec, comme suprême astuce, celle qui consiste à masquer son propre cynisme par l’humanitarisme, qui est à l’humanisme ce que le slogan manipulateur est à la sagesse éprouvée et exemplaire.

Dans cette tourmente, tout le monde est pris. Aucun n’est spectateur. On est acteur ou victime, à des degrés divers de responsabilité. Ceux qui nous parlent de valeurs, d’éthique, de discipline, de liberté d’entreprendre, d’initiative indépendante, de responsabilité professionnelle ou civique, ou conjugale, se moquent de vous et du monde, et Jean-Paul II est le premier à le faire avec la complicité au moins tacite du clergé, y compris du clergé traditionaliste.

Pendant qu’au Parlement européen de Strasbourg les députés concoctent paisiblement, dans le silence général de toutes les autorités religieuses, chrétiennes ou non, des recommandations aux Etats membres visant à assimiler peu à peu le partenariat homosexuel à l’état matrimonial, avec droit d’adoption, et incite à la création d’un nouveau délit, l’homophobie, le Cardinal-Secrétaire d’Etat du Vatican, Mgr Sodano, appelle les catholiques d’Autriche à la vigilance sur la "la morale chrétienne " après l’accession au gouvernement du parti de la liberté de Jörg Haider.

Si donc la morale chrétienne est destinée à servir la lutte contre toute forme de respect des patries, avant même qu’un gouvernement se réclamant d’un tel souci ait fait quoi que ce soit de répréhensible moralement, et que cette même morale doit au contraire s’effacer et se taire devant les valeurs purement démocratique découlant de celles des Droits de l’homme, et si les plus hautes instances du Vatican soutiennent cette inversion de sens, il serait bien surprenant que dans le monde séculier et profane, à quelques exceptions près, toutes qualifiées d’extrêmes naturellement, on ne pratique un égal cynisme.
 

Le premier à en donner l’illustration politique au nom de ces fameuses valeurs démocratiques est du reste le Président de la République d’Autriche en personne, Thomas Klestill qui, élu, réprouve publiquement un parti dont il recherchait l’appui en reconnaissant sa parfaite honorabilité démocratique lorsqu’il n’était encore qu’un candidat à la plus haute magistrature de son pays. N’a-t-il pas déclaré au quotidien "le Monde" le 11 février 1998 : "Il est faux d’assimiler Jörg Haider à l’extrême-droite. Un parti démocratiquement élu qui siège au Parlement a le droit de participer à la définition de la politique, dans l’opposition ou au gouvernement" ?

Un vrai démocrate moderne ne croit à rien, pas même à ses propres conviction affichées. Tout est, pour lui, affaire de circonstances et d’intérêt. La stratégie française de récusation de toute alliance régionale ou nationale avec des élus du Front national (ou du MNR de Bruno Mégret peut-être) n’obéit pas à un impératif moral mais à la nécessité de maintenir une pression qui a déjà fait ses preuves sur l’électorat afin de confirmer la marginalité de la droite nationale en France aussi longtemps que possible.

Le peuple autrichien n’est, fort heureusement, pas aussi suggestible. En Suisse, c’est la démocratie directe et traditionnelle qui gêne les démocrates idéologues dans la mesure où l’UDC (tendance zurichoise) peut trouver un appui confortable au sein du peuple suisse réel. Le surréalisme de l’antidémocratisme de notre classe politique et des journalistes n’atteint pourtant pas ces esprits faux qui sont tout disposés à mépriser le peuple réel, car seule l’image d’un électorat de pure fiction les intéresse. Ils prennent un plaisir évident à fabriquer ce peuple en le conformant à l’image qu’ils en veulent, notamment par l’enseignement public et les grands moyens d’information. Ils ne tiennent pas le moins du monde à affronter des difficultés réelles mais à créer des problèmes virtuels. Ce sont des enfants monstrueusement vieillis dont le cerveau fonctionne comme un ordinateur et dont le cœur n’a d’émotions que dans l'équivoque et le trouble. Mais n'est-ce pas la définition même de la perversion ?

Pendant que notre ambassadeur à Singapour, Raymond Loretan, jubile sur les mérites révolutionnaires du "cyberspace", larguant au passage – en particulier au fameux symposium de Davos où il côtoie sans gêne le spéculateur Georges Soros qui injecte dans le soutien au commerce de la drogue des dizaines de millions de dollars – comme autant de scories antédiluviennes, "les atavismes historiques et culturels", qu’il s’agirait de surmonter comme une maladie d’enfance, dans la réalité, cette fiction à la fois mécanique et techniquement onirique, fait un monde de robots dans lequel l’âge des assassins atteint des records de précocité et le nombre des suicides une courbe plus qu’inquiétante. Mais qui en a cure ? Certainement pas ceux à qui profite le chaos !
 

Le Garde des sceaux socialiste, Elisabeth Giguou, ne tient à rien tant, officiellement, qu’à l’indépendance de la justice et à une distance accrue entre le parquet et son propre ministère. Pour afficher ce credo, avec le soutien du parti socialiste, elle livre en pâture au grand public l’un de ses prédécesseurs au ministère de la justice, Roland Dumas, pour mieux étouffer, avec la complicité d’un magistrat tout aussi ambigu qu’elle, Eva Joly, le colossal scandale de la vente de frégates à Taïwan et l’affaire Thomson, dont on ne parle pas, dont l’instruction est écartée, sur ordre politique et gouvernemental… Et la libération des mœurs ne sert pas même à excuser l’ancien ministre, proche de François Mitterrand, de qui il faut désormais souiller la mémoire : la France officielle se comporte exactement comme la nomenclature soviétique. Les scandales n’y atteignent que les maîtres défunts, ou déchus (songeons à l’excellente renommée – il suffit de relire l’article du Grand Larousse encyclopédique qui lui est consacré… - de Nicolas Ceaucescu dans les années 60 en Occident). Et la droite française, la droite nationale, au lieu de dénoncer ces mauvaises mœurs, suit la gauche dans ces critiques stériles.
 

Nous savons désormais que la religion est mise au service de l’immoralité et de l’hétérodoxie, que la respectabilité politique dépend entièrement des intérêts privés de ceux qui l’invoquent et que la justice n’est qu’un mode d’exercice parfaitement fantaisiste du despotisme des maîtres de l’heure.

Dernier assaut : l’économie. Elle est censée promouvoir l’esprit d’initiative, d’invention, la libre entreprise. En fait, elle conditionne le public et l’oriente sciemment vers la grande distribution de type collectiviste aux dépens du commerce familial et traditionnel. C’est pour ce motif avoué qu’un commerçant sierrois courageux vient de rompre tout rapport avec son fournisseur multinational qui ne tient aucun compte de ses intérêts réels. Pendant ce temps, on nous distrait avec les bienfaits des appellations d’origine (AOC) par une cascade de dispositions administratives que l’Europe de Bruxelles se fera un plaisir de rendre plus complexes encore et mieux conflictuelles, si nous en voulions bien ! Le peuple suisse a décidément encore trop de raison. Il sait que la protection réelle du bien et mieux être économique réside 1) dans la moralité des producteurs de biens et de services ; 2) dans la qualité de leurs prestations et leur capacité de créer des associations professionnelles jouissant d’un crédit public fondé; 3) dans la fermeté d’une protection politique qui ne se concilie absolument pas avec la mise en quarantaine de la souveraineté des Etats, y compris leur souveraineté monétaire.
 

Le peuple suisse a du bon sens, comme le peuple autrichien. Le peuple français en a encore assez pour manifester une certaine résistance à la mondialisation technocratique et nihiliste, mais il commence à payer très gravement et très généralement le prix de deux siècles d’idéologie révolutionnaire dans les institutions, dans l’Université, dans l’enseignement secondaire public et privé également, dans les mœurs enfin. Cette idéologie gangrène aussi tous les partis de droite nationale européens mais c’est peut-être en France que le virus des Droits de l’homme et de la philosophie des Lumières agit avec le plus de force, y compris au sein des formations de la droite nationale.
 

Nous ne pouvons formuler qu’une seule prévision : tant que le chaos nourrira sans trop de dommages apparents clercs modernistes ou moins modernistes, politiciens avides, intellectuels conditionnés et irresponsables et amuseurs publics salariés par les services de la télévision d’Etat ou des affaires, la chute des sociétés occidentales se prolongera sans difficultés majeures ni obstacles décisifs.
Notre vieille Europe ne manque que d’une seule espèce d’hommes : les héros et les saints.
 
Michel de PREUX
 
 
P.S. : En écrivant cet article, je tombe sur cette pensée du jour de mon éphéméride : "Ce qui distingue l’homme de l’animal, c’est la raison ; confiné dans le présent, il se reporte vers le passé et songe à l’avenir ; de là sa prudence, ses soucis, ses appréhensions fréquentes." (Schopenhauer). Toute la logistique moderne des pouvoirs, tant civils que religieux, consiste à faire oublier aux peuples leur passé, y compris à travers ce qu’ils appellent "le devoir de mémoire", conçu par eux uniquement dans le but de culpabiliser les nations chrétiennes d’Occident, à ne songer à l’avenir que sous la forme d’utopies à réaliser par le conditionnement éducatif et publicitaire et à ne vivre le présent que par le consumérisme physique et intellectuel. Autrement dit, toute cette logistique ne sert qu’à une seule fin réelle : réduire l’homme et l’usage de sa nature raisonnable au service exclusif de ce qui ne le distingue pas de l’animal…
Son passé, n’est plus inscrit dans une continuité historique à assumer de manière critique mais un procès révisionniste permanent à conduire contre toutes ses croyances de la manière la plus implacable, sur un banc d’accusé en tous points semblable à celui des victimes du système soviétique… Son présent n’a plus aucun espace de réelle liberté noble ou spirituelle afin de tuer toute spontanéité dans l’émergence et le développement de la pensée, et son avenir ne saurait être le sien à aucun titre, puisqu’on le lui planifie sans tenir compte de sa volonté personnelle, fût-elle légitime, car elle ne compte plus. La prudence, devenue inutile, fera place de manière générale au clientélisme parasitaire et amoral ; les soucis de l’homme n’auront qu’un seul objet licite : la survie matérielle ou le succès à n’importe quel prix, et la mémoire ne sera que la culture de la haine contre soi-même et les siens.
Que tout cela est radieux !
 
M.P.