Phénomène
C'est une bien étrange histoire que nous raconte Mme Anne Cunéo, dans sa chronique "Vu du pont" dans "24 Heures" du 22 novembre. Cédons-lui la plume :
A l'âge de deux ou trois ans, un petit Juif de Riga
nommé Benjamin Wilkomirski est pris dans la
machine à tuer nazie, il survit à Majdanek,
puis à Auschwitz, et finit par aboutir sur les rives du lac de
Zurich où il pass une fin d'enfance et une vie
paisibles. Il devient musicien. A 50 ans passés, il sent
soudain le besoin de raconter son odyssée.
Le livre (Bruchstücke, 1995, en français
Fragments, 1997) est terible, les détails horrifiants, d'autant
plus horrifiants qu'Auschwitz vu à travers l'innocent
regard d'un bambin à la mémoire exceptionnelle
est encore plus insoutenable. Le récit, écrit
à la première personne, est donné comme authentiquement
vécu par l'écrivain, et non comme un roman.
Les yeux embués de la prestigieuse agence littéraire
Liepman, ou ceux des très respectables éditions
Suhrkamp à Francfort, n'y voient que du feu. Le
livre paraît, est traduit dans une douzaine de langues,
on en tire trois films, une pièce de théâtre.
L'auteur fait des tournées de conférences pour expliquer
que
le livre ouvre la porte à une thérapie
de recherche de la personnalité pour victimes de l'Holocauste ou
leur descendants. Bref, M. Wilkomirski amasse une petite
fortune.
Il a fallu l'intervention de Daniel Ganzfried, historien,
chercheur, spécialiste du XXe siècle, pour
percer cette carapace de succès. Daniel Ganzfried
a lu Fragments, en a été dûment ému,
mais il n'a pu
chasser un doute. Pourquoi un homme qui s'était
tu pendant cinquante ans déballait-il soudain son sac
? Il est allé voir Wilkomirski, longuement. La
rencontre n'a pas dissipé sa perplexité. Il a voulu faire
une vérification. D'étrange découverte
en curieuse constatation, au bout de ses recherches (qui
vaudraient à elles seules un roman), il a été
en mesure de prouver qu'il n'y avait jamais eu de Benjamin
Wilkomirski, que le petit garçon était
né à Bienne, avait passé sa petite enfance dans des
familles de
placement avant d'être, vers six ans, adopté
par une riche famille zuricoise. Depuis 1995, le mensonge
est très soigneusement entretenu. Wilkomriski
étant allé jusqu'à mettre en scène une rencontre
avec une
ex-fillette d'Auschwitz qui l'a "reconnu" mais qui s'est
révélée être un faux aussi retentissant que
lui.
Nous assistons là à un phénomène
: se feindre victime de l'Holocauste à fins d'enrichissement
personnel, alors qu'on n'a pu connaître Auschwitz
que comme touriste. L'arnaque est planétaire, ou
presque, mais l'indignation est surtout alémanique,
car c'est entre Zurich et la Thurgovie qu'est née la
prétendue autobiographie.
L'agence Liepman et les éditions Suhrkamp sont
surtout coupables de légèreté. Mais Benjamin
Wilkomirski, de son vrai nom Bruno Doessekker, et ceux
qu'il a entraînés avec lui, sont accusés d'être
des faussaires. Plainte a été déposée
contre eux la semaine dernière.
Polar à suivre.
Mme Anne Cunéo, à mon avis, est bien imprudente. Elle a conclu son papier par "polar à suivre", mais je serais bien surpris qu'elle nous en livre la suite. Les sourcilleux gardiens de la Mémoire auront dû lui expliquer, dans l'intervalle, les dégâts immenses que pourrait provoquer une lecture critique de milliers de "témoignages" réputés incontestables, parce qu'il est interdit par la loi de les contester.
Je me demande même pourquoi on pourrait s'attaquer
à M. Wilkomirski alias Doessekker alors que de
nombreux autres célèbres faux témoins,
comme par exemple M. Elie Wiesel ou M. Franck, auteur de la
célébrissime supercherie littéraire
présentée comme l'authentique journal de sa fille Anne, ont
pu s'enrichir impunément et continuent d'être
célébrés dans le monde entier.
Même M. Pierre Vidal-Naquet, grand poufendeur
de révisionnisme devant Jéhovah, a reconnu que sur le
point particulier du "Journal d'Anne Franck", le professeur
Faurisson avait eu raison et il proclame
partout que Wiesel est un fou qui raconte n'importe
quoi.
Je crois que seul le patronyme typique de M. Daniel
Ganzfried pourra le sauver de l'accusation de
révisionnisme. Mais, dans le fond, qu'a-t-il
fait d'autre que les autres chercheurs estampillés de cette
étiquette infâmante : soumettre un témoignage
à la critique, évaluer son degré de vraisemblance,
contrôler les faits allégués…
M. Wilkomirski a des milliers de frères. Et
comme le dit si bien Mme Cunéo : "Nous assistons là à
un
phénomène : se feindre victime de l'Holocauste
à fins d'enrichissement personnel".
A mon avis, le phénomène prend de l'ampleur, ces derniers temps.
Claude PASCHOUD