Lausanne 29e année «ne pas subir» Décembre 1999 No 290

 
 
 

Phénomène

 

C'est une bien étrange histoire que nous raconte Mme Anne Cunéo, dans sa chronique "Vu du pont" dans "24 Heures" du 22 novembre. Cédons-lui la plume :

A l'âge de deux ou trois ans, un petit Juif de Riga nommé Benjamin Wilkomirski est pris dans la
machine à tuer nazie, il survit à Majdanek, puis à Auschwitz, et finit par aboutir sur les rives du lac de
Zurich où il pass une fin d'enfance et une vie paisibles. Il devient musicien. A 50 ans passés, il sent
soudain le besoin de raconter son odyssée.

Le livre (Bruchstücke, 1995, en français Fragments, 1997) est terible, les détails horrifiants, d'autant
plus horrifiants qu'Auschwitz vu à travers l'innocent regard d'un bambin à la mémoire exceptionnelle
est encore plus insoutenable. Le récit, écrit à la première personne, est donné comme authentiquement
vécu par l'écrivain, et non comme un roman.

Les yeux embués de la prestigieuse agence littéraire Liepman, ou ceux des très respectables éditions
Suhrkamp à Francfort, n'y voient que du feu. Le livre paraît, est traduit dans une douzaine de langues,
on en tire trois films, une pièce de théâtre. L'auteur fait des tournées de conférences pour expliquer que
le livre ouvre la porte à une thérapie de recherche de la personnalité pour victimes de l'Holocauste ou
leur descendants. Bref, M. Wilkomirski amasse une petite fortune.

Il a fallu l'intervention de Daniel Ganzfried, historien, chercheur, spécialiste du XXe siècle, pour
percer cette carapace de succès. Daniel Ganzfried a lu Fragments, en a été dûment ému, mais il n'a pu
chasser un doute. Pourquoi un homme qui s'était tu pendant cinquante ans déballait-il soudain son sac
? Il est allé voir Wilkomirski, longuement. La rencontre n'a pas dissipé sa perplexité. Il a voulu faire
une vérification. D'étrange découverte en curieuse constatation, au bout de ses recherches (qui
vaudraient à elles seules un roman), il a été en mesure de prouver qu'il n'y avait jamais eu de Benjamin
Wilkomirski, que le petit garçon était né à Bienne, avait passé sa petite enfance dans des familles de
placement avant d'être, vers six ans, adopté par une riche famille zuricoise. Depuis 1995, le mensonge
est très soigneusement entretenu. Wilkomriski étant allé jusqu'à mettre en scène une rencontre avec une
ex-fillette d'Auschwitz qui l'a "reconnu" mais qui s'est révélée être un faux aussi retentissant que lui.

Nous assistons là à un phénomène : se feindre victime de l'Holocauste à fins d'enrichissement
personnel, alors qu'on n'a pu connaître Auschwitz que comme touriste. L'arnaque est planétaire, ou
presque, mais l'indignation est surtout alémanique, car c'est entre Zurich et la Thurgovie qu'est née la
prétendue autobiographie.

L'agence Liepman et les éditions Suhrkamp sont surtout coupables de légèreté. Mais Benjamin
Wilkomirski, de son vrai nom Bruno Doessekker, et ceux qu'il a entraînés avec lui, sont accusés d'être
des faussaires. Plainte a été déposée contre eux la semaine dernière.

Polar à suivre.

Mme Anne Cunéo, à mon avis, est bien imprudente. Elle a conclu son papier par "polar à suivre", mais je serais bien surpris qu'elle nous en livre la suite. Les sourcilleux gardiens de la Mémoire auront dû lui expliquer, dans l'intervalle, les dégâts immenses que pourrait provoquer une lecture critique de milliers de "témoignages" réputés incontestables, parce qu'il est interdit par la loi de les contester.

Je me demande même pourquoi on pourrait s'attaquer à M. Wilkomirski alias Doessekker alors que de
nombreux autres célèbres faux témoins, comme par exemple M. Elie Wiesel ou M. Franck, auteur de la
célébrissime supercherie littéraire présentée comme l'authentique journal de sa fille Anne, ont pu s'enrichir impunément et continuent d'être célébrés dans le monde entier.

Même M. Pierre Vidal-Naquet, grand poufendeur de révisionnisme devant Jéhovah, a reconnu que sur le point particulier du "Journal d'Anne Franck", le professeur Faurisson avait eu raison et il proclame
partout que Wiesel est un fou qui raconte n'importe quoi.

Je crois que seul le patronyme typique de M. Daniel Ganzfried pourra le sauver de l'accusation de
révisionnisme. Mais, dans le fond, qu'a-t-il fait d'autre que les autres chercheurs estampillés de cette
étiquette infâmante : soumettre un témoignage à la critique, évaluer son degré de vraisemblance, contrôler les faits allégués…

M. Wilkomirski a des milliers de frères. Et comme le dit si bien Mme Cunéo : "Nous assistons là à un
phénomène : se feindre victime de l'Holocauste à fins d'enrichissement personnel".

A mon avis, le phénomène prend de l'ampleur, ces derniers temps.

Claude PASCHOUD