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Editorial
Salut Guignol
Bienvenue
à l'extrême droite
L'ultime péripétie de l'affaire Papon aura
eu un mérite, celui de permettre à tous les bons apôtres
du
"devoir de mémoire" d'ôter leurs fausses
barbes et au Conseil fédéral de faire la démonstration
de sa
capacité de gérer les crises.
Nous avons déjà exposé ici même
le peu de sympathie que nous inspirait le personnage de M. Papon,
haut commis qui, comme Fouché, "réussissent
à faire leur trou sous les régimes qui se succèdent,
à
force de souplesse et d'opportunisme, jusqu'au moment
où ils sont rattrapés par leur passé…"
La fuite lamentable de l'ancien préfet n'a pas
amélioré son image mais les circonstances de son arrestation,
puis de son expulsion, sont remarquables à plus
d'un titre.
Jusqu'au jour de son départ pour la Suisse, M.
Papon était libre de ses mouvements. Il était néanmoins
étroitement surveillé par une police qui
professe aujourd'hui qu'elle n'avait aucun motif juridique de
l'empêcher de s'enfuir avant que la Cour de cassation
ne déclare son pourvoi irrecevable.
En réalité, la police française se
doutait bien - et probablement même espérait - que M. Papon
ne se
présenterait pas spontanément à
la prison, condition nécessaire, selon le doit français,
pour que la cour
entre en matière sur son pourvoi.
Arrêté à Gstaad par la police bernoise,
un soir à dix heures et demie (sur ordre de quel juge ? sur quels
griefs ? dans le cadre de quelle enquête, diligentée
par qui ?) il est extradé le lendemain en France au
mépris de toutes les règles du droit.
Une interdiction d'entrée décrétée
le 14 octobre ne pouvait déployer aucun effet à l'égard
d'un étranger se
trouvant déjà sur le territoire suisse.
Une décision d'expulsion devait laisser à l'intéressé
le choix du pays
de destination. Une décision d'extradition ne
pouvait être prise que par un Tribunal, selon une procédure
qui eût été d'autant plus délicate
que les conditions (double incrimination) n'en étaient pas réunies.
Bref,
comme l'ont proclamé les commentateurs le lendemain
avec des accents de triomphe et des plumes
jubilatoires, la raison d'Etat a triomphé du droit.
A vrai dire, on s'en doutait déjà depuis quelque temps, et pas uniquement dans ce dossier.
La condamnation de M. Papon à dix ans de réclusion
criminelle était elle-même juridiquement très
étrange, puisque les chefs d'accusation retenus
ne furent "que" la complicité de séquestration et
d'arrestation, délits de droit commun prescriptibles
par dix ans. A cette époque déjà, selon toute
vraisemblance, la raison d'Etat avait triomphé
du droit.
Tout semble indiquer que les procès intentés
en Suisse aux "révisionnistes" ou aux libraires coupables de
diffusion d'ouvrages "révisionnistes" ou de tout
autre livre déplaisant pour la communauté israélite
marquent également le triomphe de la raison d'Etat
(de la Justice, de la Mémoire, etc.) sur le droit.
Faut-il s'en réjouir ?
Ce n'est pas certain. Sans doute, les lenteurs de la procédure,
les garanties constitutionnelles souvent
excessives accordées aux prévenus dans
certains Etats américains ont-elles conduit à l'impossibilité
légale
de condamner des criminels avérés. Sans
doute peut-on trouver scandaleux qu'un ancien président du
conseil italien soit acquitté, malgré la
multiplicité et l'abondance des témoignages démontrant
sa complicité
avec des organisations mafieuses. Certes la série
des "Justiciers" a la faveur du public avec un Charles
Bronson qui se substitue à une justice défaillante
et incapable de frapper les coupables.
Mais la justice de la rue n'est pas une bonne justice.
Et lorsqu'on se prétend le gouvernement d'un "Etat
fondé sur le droit", il est assez lamentable de
perdre les pédales au point de bafouer en une seule soirée
tous les principes juridiques qui font la différence
entre un pays civilisé et une république bananière.
Après
le bel exemple donné par l'extradition illégale
de M. Papon, le Conseil fédéral sera assez mal placé
pour aller donner à l'Etat du Colorado des leçons
d'éthique juridique et exiger l'élargissement d'un
dangereux satyre dont le jeune âge n'excuse pas
la folie libidineuse.
Mais l'affaire Papon est plus plaisante encore qu'on ne
l'a dit. Car le Conseil fédéral n'a pas compris, dans
l'affolement et la précipitation, et dans son
souci de complaire à notre grande voisine, qu'il prenait
exactement la seule décision qu'il ne fallait
pas prendre !
J'aurais aimé voir la tête de Chirac et celle
de Jospin, tenus au courant jour après jour de la cavale de
Papon, sachant exactement où il était,
ayant même donné l'ordre de favoriser sa fuite, confiants
qu'ils
étaient dans le respect sourcilleux des Suisses
pour le droit, sachant qu'une demande d'extradition
présentée par la France, selon la procédure
habituelle, mettrait des mois à être traitée, et qu'elle
devrait
être logiquement rejetée, puisque la Suisse
n'a pas ratifié certain traité sur la répression des
crimes contre
l'humanité, postulant dès lors que le vieillard
serait mort avant que la procédure n'aboutisse… j'aurais
aimé voir la tête de Chirac et celle de
Jospin, disais-je, lorsqu'on leur a fait savoir que les Helvètes,
ces
grands nigauds, leur avaient restitué l'encombrant
colis qu'ils espéraient ne plus revoir vivant.
Pour M. le Président de la République, les
ennuis recommencent : assiégé d'un côté par
les défenseurs de
la Mémoire qui exigent leur livre de chair avariée
et de l'autre par les "amis" gaullistes de Papon, ces
derniers d'autant plus soucieux d'obtenir la grâce
du vieil homme que son silence sur leurs turpitudes
passées est à ce prix, M. Chirac est placé
devant un choix cornélien.
Une grâce présidentielle serait scandaleuse.
Un refus de grâce dangereux, car Papon pourrait parler. Une
bonne solution aurait été la fuite dans
un pays respectueux du droit. Hélas…
Moi, je suis prêt à parier que Papon mourra
bientôt dans sa cellule, terrassé par… un suicide au sac
poubelle ? une pendaison avec ses bretelles ? non, plus
simple, une crise cardiaque. Le gardien de Fresne
qui aura "découvert" le corps sera promu gardien-chef
un mois plus tard et une fois de plus, la raison
d'Etat aura triomphé du droit.
Le Pamphlet
La soirée de dimanche à la Télévision
suisse romande avait un caractère surréaliste. C'était
un peu comme
une représentation du théâtre Guignol,
du temps de mon enfance, lorsque le public juvénile hurlait à
Gnafron que le gendarme s'apprêtait, derrière
lui, à lui donner un coup de bâton et que Gnafon faisait
mine de ne rien comprendre.
- Que dites-vous ? les enfants, disait Gnafon, touné vers la salle.
- Le gendarme est derrière toi, criaient les enfants, au comble de l'excitation.
- Quoi ?
Ce dimanche, j'ignore à vrai dire si la brochette
de politiciens, de journalistes et de ces fameux
"observateurs" de la vie politique ne comprenaient vraiment
rien ou s'ils faisaient seulement mine de ne
rien comprendre, mais j'étais crispé dans
mon fauteuil, et je devais faire effort pour ne pas leur crier la
solution, évidente, lumineuse, tellement simple…
Bien évidemment, on commentait le résultat
des élections fédérales et la consternation se lisait
sur tous les
visages : formidable avancée de l'UDC, c'est à
dire de l'"extrême-droite" comme le répétaient les
ténors
des partis les plus à gauche.
Les factions du centre furent plus prudente, ou plus habiles
: certes, c'est un véritable problème que
l'UDC soit le parti le plus important de Suisse, mais
n'oublions pas que tous ses électeurs ne sont pas des
racistes, qu'il y a au sein de l'UDC plusieurs courants,
que M. Ogi n'est pas M. Blocher, et que
finalement, il y a peu de risques que la formule magique
en soit bouleversée en décembre prochain.
Rédacteur en chef de La Liberté, M. Roger
de Diesbach s'est étonné de cette molesse. Comment, disait-il
(je le cite de mémoire) les démocrates
chrétiens et les radicaux peuvent-ils songer à gouverner
avec un
parti dont ils ont dénoncé les orientations
pendant toute la campagne ? Comment peuvent-ils trouver
fréquentables, ou même aimables aujourd'hui
des gens qui professent des idées qui leur semblaient hier
inacceptables ?
Pour quiconque croit encore que les femmes et les hommes
politiques construisent un programme en
fonction de leurs convictions et travaillent ensuite,
pendant la législature, en vue de faire triompher leurs
idées, l'attitude des radicaux et des démocrates
chrétiens serait effectivement incompréhensible. Si
l'adhésion de la Suisse à l'ONU, à
l'OTAN, à l'Union européenne, c'est le Bien, si l'ouverture
large des
frontières à toutes les marchandises et
à tous les malheureux du monde, c'est le Bien, si la présence
de
contingents suisses, armés ou non, dans tous les
secteurs de la planète où se produisent des troubles, c'est
le Bien, alors, la méfiance à l'égard
des institutions mondialistes d'inspiration et de direction américaine,
ce
doit être le Mal, une réflexion sereine
sur les migrations de populations extraeuropéennes, ce doit être
le
Mal, et une politique étrangère faite de
discrétion, de prudence et de modestie, c'est le Mal.
Or, on ne pactise pas avec le Mal lorsqu'on se bat pour
un idéal. Comment donc les radicaux, les
démocrates chrétiens et même les
socialistes peuvent-ils même envisager de participer à un
gouvernement
comprenant un représentant du Mal, de s'appuyer
sur un Parlement où siègeront une cinquantaine de
représentants du Grand Satan ?
C'est tellement simple que seuls les tout petits, au théâtre
Guignol, n'ont pas compris l'artifice. Guignol,
Gnafron et le Gendarme, le crocodile et la Mère
Michel sont des marionnettes mues par le même
personnage. Ses deux mains, apparemment indépendantes
l'une de l'autre et coiffée chacune d'un
personnage différent, sont commandées par
la même volonté.
Guignol-Steinegger, Gnafon-Durrer, le gendarme-Maurer
et la Mère Ursula nous jouent une farce
convenue. Oh ! certes, à chaque élection,
on fait mine de se déchirer dans le but de tirer un peu la
couverture à soi, pour avoir un peu plus chaud
pendant quatre ans, mais sur le fond, on est tous d'accord :
l'essentiel est de conserver le pouvoir. On se dispute
sur des points essentiels pour un doctrinaire mais
secondaires pour un politicien : l'asile, l'Europe, la
fiscalité, la politique de défense ou la couverture
sociale… Sur la vraie question, soit : conserver ensemble
le pouvoir, les privilèges et les prébendes, tout le
monde est d'accord. La répartition interne des
tranches du gâteau, on verra plus tard.
Les slogans des partis ne sont pas rédigés
par les penseurs, les théoriciens ni les philosophes des
différentes formations, ils ne reflètent
pas ce que pense le parti, ce qu'il vise, la vérité qu'il
voudrait faire
triompher. Les slogans sont l'œuvre des publicitaires,
ils reflètent ce qu'on suppose des préoccupations de
l'électorat. La sanction populaire pour le publicitaire,
ce n'est pas que le produit soit bon, c'est qu'il se
vende.
Et comme la diabolisation de M. Blocher s'est mal vendue,
on vendra demain un PDC un peu moins
accueillant à l'égard des Albanais, un
radicalisme un peu moins euromaniaque et un socialisme un peu
moins borné au chapitre LAMal. Quant à
MM. Ogi et Blocher, ils pourront continuer leur désopilant
numéro de duettistes, sur le modèle des
deux flics qui se relaient au commissariat pour interroger le
suspect, l'un jouant le "méchant" et l'autre le
"gentil".
Un fois tombé le rideau, et rentrés chez
eux les spectateurs, toute la troupe se retrouve au Café Lyrique
pour se partager la recette en vidant de grandes chopes
de bière.
Salut Guignol !
Claude PASCHOUD
Bienvenue à l'extrême droite !
Cela devient un réflexe pavlovien : tous ceux qui
font de la politique ou s'y lancent, écrivent dans les
journaux les plus vulgaires et communs tiennent à
manifester leurs distances avec "l'extrême droite"
lorsqu'ils disent appartenir à la "droite", aussitôt
proclamée "classique", autrement dit "respectable". Mais
aucun de ces hommes ne nous dit de quel côté
ils cherchent cette "respectabilité". Oui, certes, j'en ai
trouvé un, l'actuel Comte de Paris, nouveau Duc
de France. Il déclara dans "Paris-Match" le 1er juillet
dernier : "Je connais des trotskystes, des communistes
et des socialistes. Je connais aussi des gens de
droite, mais pas de responsables d'extrême droite".
Etant à droite de l'extrême droite, mais responsable
d'aucun mouvement de ce type, le prince n'a donc pas
menti ! Mais comme intronisation dynastique, cette
déclaration liminaire, qui a sans doute dans son
esprit valeur implicite de discours du trône, situe la
correction obligée d'un notable en république.
L'orléanisme politique n'a jamais été autre chose
qu'un
couronnement de notables révolutionnaires sous
des oripeaux d'Ancien Régime. Un homme politique peut
avoir un passé d'extrême droite (Gérard
Longuet, Alain Madelin, Patrick Devedjan); nul ne lui en
demandera compte s'il consent à brûler aujourd'hui
ce qu'il adorait hier. S'il en a seulement honte et tient
à le dissimuler sans le désavouer, quel
que soit son âge, la haine le poursuit (Maurice Papon). S'il n'en
a
pas honte, il est tenu à clandestinité
comme ce pauvre milicien dont j'ai oublié le nom.
C'est donc une véritable guerre de religion que
cet ostracisme de "l'extrême droite" par les "démocrates"
et
les "républicains". La notion même d'extrémisme
en politique est uniformément située à droite. L'extrême
gauche existe, également dans la terminologie,
mais, contrairement à la tendance que l'on situe à son
opposé, elle ne souffre d'aucun discrédit
social, eût-elle des crimes de sang à son passif et quand
bien
même l'"extrême droite" actuelle ou passée
ne lui est absolument pas comparable sur ce terrain. L'extrême
gauche, comme le communisme marxiste, sont des fois tragiquement
confrontées à la réalité humaine et
les quelques dizaines de millions de morts, les systèmes
concentrationnaires, les génocides froidement
programmés et appliqués, l'échec
patent et universel n'y changent rien. Cette référence demeure
"respectable", reconnue, admise. Robert Hue comme le
Dr Forel en Suisse peuvent conserver le label
communiste, aucun démocrate, aucun "républicain"
ne leur en fera le moindre reproche. La norme de
respectabilité se situe donc clairement à
gauche, sans limite dans son propre camp. Par contre, à droite,
la
ligne de démarcation, le Rubicon sont toujours
présents à l'esprit, toujours signalés, à temps
et à contre
temps, et l'objectivité, tant de l'information
que de l'engagement politique, consiste, pour tous ces
parangons de conformisme et de respect humain, à
situer et à se situer soi-même par rapport à cette
limite. En deça : la raison, le cœur, la bienséance;
au-delà :
"le-ventre-mou-de-la-bête-immonde-encore-fécond"
en deça : l'homme avec toutes ses plus "légitimes"
différences, qui sont à la racine d'autant
de droits nouveaux; au-delà, l'innommable, le monstrueux,
l'abject. Depuis qu'on ne croit plus au diable en religion,
voilà qu'il ressuscite en politique ! Les procès en
sorcellerie se cherchent, et se trouvent.
Creusons un peu ce langage facile, qu'emprunte en Vallais
mon honorable cousin le Dr Pierre-Christian de
Roten dans sa campagne au sein du parti libéral,
où l'incontournable couplet ne manque évidemment
pas… chez ce neveu de deux admirateurs de Mussolini !
Cette manière littéralement obsessionnelle de
dénoncer le diable n'est-elle pas une façon
assez hypocrite de se blanchir soi-même ou sa race aux dépens
d'un adversaire que l'on craint d'affronter en un combat
à la loyale ? Ne juge-t-on pas plus prudent de
discréditer des idées parce que l'on se
sait incapable de les réfuter ? C'est vis-à-vis de l'extrême
droite que
l'on déclare forfait, et non pas de l'extrême
gauche. Celle-ci est partie prenante au fameux "débat
démocratique", alors que celle-là ne saurait
par principe y figurer, car, voyez-vous, on a des principes,
paraît-il, chez les "démocrates", chez les
"républicains", même si, par ailleurs, on affirme le contraire,
comme notre honorable cousin, qui énonce le truisme
de tous les démocrates : "Il faut qu'une force du
centre droit raisonnable s'érige en barrière
face aux dogmatismes arriérés et aux populismes menaçants"
Le rejet des "dogmatismes arriérés" et
des "populismes menaçants" se fait, en réalité, au
nom d'un
dogmatisme innommé, d'autant plus féroce
et intransigeant qu'il est sciemment dissimulé : le dogmatisme
de la normalité démocratique et idéologique
moderne. La voilà donc l'affinité profonde du libéral
avec
l'occultisme des pouvoirs démocratiques, et toutes
les sectes qui, à l'arrière plan ou sur le devant de la
scène politique, soutiennent ces pouvoirs, des
francs-maçons aux socialistes, en passant par les libéraux
eux-mêmes, tous définis comme sectes par
la doctrine la plus officielle de l'Eglise dans ses encycliques
sociales !
Mais notre honorable cousin le Dr Pierre-Christian de
Roten, neveu de deux admirateurs de Mussolini,
n'a, en dehors de ses spécialités, qu'un
savoir fort superficiel : il n'y a pas de dogmes, nommés ou
innommés, en droit démocratique moderne,
et si l'on veut y limiter le droit de libre opinion et
d'expression, pour la promotion duquel s'est construit
ce système de gouvernement, on ne peut le faire
qu'au nom d'un dogmatisme arriéré ou pas,
dogmatisme qu'il faudra bien, un jour, avouer. Toutefois,
comment avouer que l'on pratique la ségrégation,
l'exclusion, la discrimination raciale, l'intolérance
ethnique, le rejet de l'autre et des minorités
politiques et confessionnelles quand on persiste à tenir un
discours public et politique assurant du contraire ?
Ce comportement porte un nom : c'est de la
schizophrénie : on dit ce que l'on ne fait pas
et l'on fait ce qu'on ne dit pas. On s'enlise dans le mensonge;
on mystifie et on se mystifie. On se perd soi-même
dans les filets de sa duplicité. Et l'on sait qu'à la
longue, les gens du peuple, qui sont simples et ne coupent
pas les cheveux en quatre, perdent confiance en
vous. Les peuples échappent aux "démocrates",
les républiques aux "républicains". Alors l'idée de
changer
le peuple caresse votre esprit : le mot "populisme" vient
heureusement flatter vos ambitions secrètes
d'endoctrinement populaire et de délation publique
et policière. Pour maintenir sans mérites le prestige de
vos idées creuses et bénéficier
d'un pouvoir social dont vous n'assumez aucune responsabilité
personnellement, pas même politique - a-t-on vu
un seul "démocrate" démissionner parce que des idées
qu'il jugeait essentielles auraient été
désavouées par un vote populaire ? - vous procédez
dorénavant,
sournoisement mais réellement, comme d'authentiques
inquisiteurs, mais des inquisiteurs d'une espèce un
peu dégénérée, si particulière
aux basses époques qu'elle porte à des frontières
nouvelles pour notre temps
le champ d'application du cynisme : vous prétendez
discipliner la pensée dans le peuple, mais vous
entreprenez ce travail de titan en récusant tout
dogmatisme, toute foi et donc toute bonne foi, toute notion
de service défini, précis, tout engagement
formel, repérable, comptable. Vous prétendez être responsables
et vous ne cessez de donner les preuves de votre irresponsabilité
: en religion, en morale, en matières
économique et sociale, en affaires et même
en idéologie ! La vérité, c'est que vous ne savez
même plus
qui vous êtes…
Mais n'ayez crainte : je vais vous le dire ! Vous êtes
des aristocrates fatigués, des intellectuels sans
substance, des humanistes sans cœur, des ambitieux sans
courage et sans envergure. Vous méprisez le
peuple de qui vous réclamez les suffrages, car
seule la puissance exercée sur lui vous fascine et, pour
obéir à ce démon qui vous démange
si fort, vous êtes prêts à l'écraser de platitudes,
de lieux communs, de
généralités creuses, de vérités
vides et bon marché, de morale délavée, de faux principes
aussitôt démentis
dans les faits, de promesses fumeuses et de réserves
savantes inventées par des cuistres, escomptant
qu'avec ce bric-à-brac dont vous ne voudriez pas
pour vous-mêmes le bon peuple qui, de toute façon
n'entend rien à rien, prendra votre fausse monnaie
pour bon argent et vous redonnera le chèque en blanc
que vous en attendez, vous plaçant vous-mêmes,
d'autorité, en position d'élite, une "élite" qu'aucun
titre
ne vous donne pourtant, qu'une faction, oui, une faction
vous octroie, peut-être, mais parce que cette
faction sait qui vous a fait et sans laquelle vous ne
seriez que vous-mêmes, c'est-à-dire pas grand chose !
Non, Messieurs, les chefs nés des peuples, les
hommes d'élite véritable n'ont pas votre fadeur ni vos
facondes de bonimenteurs sans classe; les chefs nés
des peuples, les hommes d'élite véritable n'ont pas
vos frayeurs d'oies blanches devant le populisme ni devant
aucun extrémisme. Les chefs nés des peuples
et les hommes d'élite véritable affectionnent
les idées simples et ne se soucient pas de savoir si elles sont
primaires ou non, mais vraies et fécondes, utiles
et bienfaisantes. Les chefs nés des peuples et les hommes
d'élite véritable aiment le peuple sans
lui céder ni lui concéder ce que vous, qui ne l'aimez pas,
ne cessez
de lui abandonner lâchement, inconsidérément,
vilainement : la religion et l'idée de patrie, pour en faire
une pâture à votre convenance, où
il s'égare. Les chefs nés des peuples et les hommes d'élite
véritable
respectent la confiance que le peuple leur donne et en
font le nœud de leur engagement à son égard. Vous
ne demandez rien au peuple que ses suffrages. Vos engagements,
purement idéologiques et verbaux,
agitent les passions d'un moment mais finissent par lasser.
Ils sont d'ailleurs tellement usés par la mauvaise
foi et les calculs de couloir, tellement vides ou contradictoires
que le peuple finit par se détourner de vous,
lentement, très lentement, comme tout ce que fait
le peuple, mais sûrement. Et vous le savez, vous le
sentez. Le peuple vous échappe. Vous tentez de
le retenir par des fantoches, des gris-gris, des
épouvantails que vous affublez malhonnêtement
des beaux noms de raison, de mesure, d'équilibre, de
modération, de prudence ou de lucidité,
mais toutes vos valeurs ne sont que du vent car, en ce domaine,
vous n'avez décidément plus la hauteur
voulue, voyez-vous. Ces mots, dans vos bouches, sonnent faux.
Déjà le peuple ne les entend plus, lui
qui veut de la substance, du tangible, de la monnaie sonnante et
trébuchante, des promesses fermes et tenues, des
cautionnements besogneux comme lui, des services
laborieux comme sa notion élémentaire du
travail, et difficiles, comme est sa vie. Mais vous n'aimez que
le factice, le vain éclat, les débats truqués,
le chantage, l'argent…
Lorsque le peuple saura que c'est par vous qu'il peine
et souffre, que c'est par vous qu'il se perd dans les
flux indistincts des capitaux immondes et des migrations
abjectes, le peuple vous haïra.
Et moi, avant lui, devant lui, je vous méprise.
Michel de PREUX