Dans ce numéro :
Un certain Alain-Valéry Poitry, lecteur nyonnais
de "24 Heures" commente dans la rubrique "Monsieur le Rédacteur"
de ce quotidien, la guerre des Balkans : "…Quant à l'Albanie, il
est pour le moins curieux que les médias occidentaux ne s'aperçoivent
pas de sa stratégie qui consiste à agrandir ses frontières
afin de créer une grande Albanie avec un nouveau risque de déstabilisation
pour les pays voisins (…) Si le nationalisme serbe est détestable,
on ne voit pas en quoi le nationalisme albanais serait meilleur…"
La réponse à cette question - probablement
faussement naïve - est la clé du problème balkanique.
Nous ne reviendrons pas sur la question de savoir à
qui appartient la province du Kosovo et Metohija que se disputent Serbes
et Albanais. Les uns et les autres ont de bonnes raisons de revendiquer
ces territoires.
Il est plus difficile de déterminer le rôle
joué, dans cette tragédie, par l'UCK.
Pour les uns, l'Armée de libération du
Kosovo est formée de patriotes soucieux de maintenir l'autonomie,
voire l'indépendance d'une province peuplée majoritairement
d'Albanais musulmans, injustement traités par les Serbes nationalistes
et fascisants.
Pour les autres, l'UCK est un mouvement terroriste ultra
minoritaire, qui terrorise même la population du Kosovo, qui tire
ses ressources du trafic de stupéfiants et qui s'est illustré
par des attentats et de nombreux massacres de civils serbes.
La presse suisse, dans son ensemble, tient pour la première
hypothèse. L'UCK recrute des combattants volontaires en Suisse même
et l'envoyé spécial de "24 Heures" a suivi l'équipée
de ces étranges recrues, de Lausanne à Durrës, près
de Tirana, sans cacher la sympathie que lui a inspirée la longue
marche "vers la guerre" de ces nouveaux héros
Dans sa "Petite histoire de la désinformation",
Vladimir Volkoff raconte la manière dont l'agence privée
de relations publiques Ruder Finn Global Public Affairs a, de son propre
aveu, mis au point la diabolisation des Serbes pour le compte des Croates
d'abord, (d'août 1991 à juin 1992), puis pour le compte des
Bosniaques (de mai à décembre 1992), et enfin, depuis octobre
1992, pour le compte des Kosovars. Le détail de cette habile opération
d'intoxication est relatée par notre excellent confrère le
Libre Journal de la France courtoise.
Le moyen le plus simple, et le plus efficace, pour diffuser
une fausse information consiste à donner une légende fausse
à une photo authentique ou de profiter de l'ignorance des lecteurs
pour tromper les gogos. Quelques exemples, cités par le Libre Journal
:
Une photo montre une "mère croate" pleurant sur
la tombe de son fils, laquelle porte le nom du défunt en cyrillique.
C'est donc un Serbe.
Une autre montre un "musulman supplicié" auquel
on a coupé trois doigts pour qu'il ne puisse pas faire le V de la
victoire. Le malheureux porte l'alliance à droite. C'est un orthodoxe.
Une photo de "miliciens serbes" particulièrement
patibulaires permet de distinguer leur insigne : le damier croate.
La presse publie les révélations sur les
atrocités serbes à Tuzla. Les Serbes n'ont jamais pris Tuzla.
Une photo montre une mère pleurant son fils tué
"par les Serbes" à Psusje, village croate, lequel n'a été
attaqué que par les musulmans qui ont assassiné 34 habitants.
La presse montre le pont de Vukovar, "splendeur du patrimoine
architectural, … réduit à l'état de caillou par l'artillerie
serbe". Il n'y a pas de pont à Vukovar. Le pont photographié
est celui de Mostar, détruit par l'artillerie …croate.
***
*
La presse prend ses lecteurs pour des crétins,
hélas à juste titre le plus souvent, et postule comme le
Dr Goebbels que plus un mensonge est gros, plus il a de chances d'être
cru.
Il est peu probable que les journalistes qui diffusent
ainsi de fausses nouvelles soient de simples incompétents de bonne
foi. La multiplication des fausses nouvelles, des fausses légendes,
la minimisation systématique des massacres de l'OTAN, pudiquement
baptisés "dégâts collatéraux" ou "bavures" font
supposer au contraire une volonté consciente d'intoxication de l'opinion
publique. Par qui ? dans quel but ?
Là encore, les avis divergent. De toutes façons,
quelque suspect que vous désignerez, supposé "tirer les ficelles"
de ce gigantesque complot, personne ne vous prendra au sérieux.
Dame ! La thèse du "complot" bolchlévique, ou juif, ou franc-maçon,
ou mondialiste, on nous l'a jouée tant de fois que personne n'y
croit plus. A part les vieux nostalgiques de l'extrême-droite, qui
voient partout des influences occultes et des marionnettistes faisant danser
des gogos inconscients, il n'y a plus guère, à l'autre bout
de l'échiquier politique, que les Verts qui dénoncent des
alliances secrètes de multi-nationales et des clubs transfrontaliers
de capitalistes exploiteurs.
La réalité est probablement plus simple.
Si l'UCK est vraiment une organisation mafieuse chargée de maîtriser
le trafic de stupéfiants en Europe, rien ne pourrait être
plus efficace que de créer, ou d'encourager une situation de guerre
civile au Kosovo, de "noyauter" les contingents de réfugiés
répartis en Europe et de là, à partir de chaque pays
hôte, de réorganiser la distribution des drogues dures.
Une toute petite minorité des Albanais qui vivent
en Suisse est constituée de criminels. Mais la presque totalité
des gros trafiquants d'héroïne et de cocaïne sont des
Albanais. Et si un pour-cent seulement des 2500 Kosovars attendus en Suisse
est un trafiquant de drogue, cela fera tout de même 25 marchands
de mort supplémentaires, qui en recruteront bientôt 125 autres…
A part la destruction totale de la Serbie et la dissémination
des Albanais dans le monde, la guerre des Balkans n'a qu'une issue honorable
possible : la partition de la province en deux territoires distincts dont
les dimensions et les frontières resteraient à négocier,
comme il faudrait aussi négocier les indemnités "d'expropriation"
allouées, par chacun des deux gouvernements, aux ressortissants
dépossédés d'une terre acquise légitimement.
Mais encore faudrait-il impérativement que les
Etats-Unis ne soient pas chargés d'organiser les négociations.
Leur subtilité diplomatique ne dépasse guère celle
du cow-boy. Et si on se réfère à la manière
dont ils ont traité les Indiens pendant la conquête de l'Ouest,
ils sont assez mal placés pour donner des leçons aux autres
en matière de "purification ethnique" ou de génocide.
Claude PASCHOUD
Le recouvrement de la paix sociale par le respect de la justice n'est peut-être pas le but de la science politique, mais il doit en être la motivation première chez les hommes de science politique, car sans elle, cette science devient stérile, subvertie qu'elle est par l'orgueil et investie par l'égoïsme et l'arrivisme. Toutes les bonnes intentions n'y changeront rien. Nous assistons présentement à un foisonnement d'études qui nous expliquent de mille manières pourquoi les sociétés modernes se délitent. Bernard Renouvin, dans Les bourgeois du crépuscule ; Eric Werner dans L'avant-guerre civile en sont des exemples parmi d'autres et parmi les meilleurs. En dehors de la grande presse nationale ou régionale dite d'opinion (unique), quelques revues marginales (Catholica, Restauration, Immédiatement) se cherchent dans la préservation du dogme chrétien, de la tradition légitimiste ou dans celle du gaullisme résistancialiste à connotation monarchique, une audience de plus en plus large, pendant que le mouvement conduit par Bruno Mégret maintient le cap d'une conquête démocratique du pouvoir dans la République à un niveau technique adapté aux mœurs et aux nécessités immédiates de l'actualité.
Des uns aux autres, bien des incompréhensions font échec à l'unité du combat pour le court terme. Mais le mal essentiel n'est point dans ces malentendus. Il est dans la démission criminelle des élites bourgeoises, et cette démission prend une forme unique, comme la pensée du même nom : c'est l'abstraction haineuse ou la lucidité intellectuelle sans la foi religieuse. Qui aime peut se tromper mais n'ira jamais patauger très loin de la vérité. Seul celui qui sait peut égarer en profondeur et durablement par manque de sens religieux. Il faut être tolérant pour qui aime dans l'erreur, et impitoyable pour les savants sans charité.
Quand on nous dit que dans les sociétés actuelles, l'autorité étatique se comporte avec le corps indifférencié désormais des "citoyens", où le chaos est non seulement entretenu mais provoqué par des lois délirantes (sur l'antiracisme ou les unions fantaisistes), lois elles-mêmes légitimées comme œuvre de la liberté sans frein des opinions et de la presse (que l'auteur en question approuve et défend ! …), comme s'il s'agissait d'un adversaire, voire d'un ennemi - ce qui est tout à fait vrai - ou que la haine des peuples ou des nations réelles nourrit le savoir et la pratique sociale de la classe politicienne (et cléricale aussi, car le phénomène s'étend à l'Eglise catholique, littéralement investie par une hiérarchie dans l'ensemble tout aussi haineuse de la foi commune des plus humbles fidèles, haine très policée et très présentable sur nos petits écrans - voyez donc le télégénique Mgr Di Falco), on n'a rien dit ni rien fait pour le recouvrement progressif de la paix par le rétablissement de la justice dans les esprits et dans les cœurs de nos contemporains tant que l'on n'aura pas éclairé ou dégagé les voies personnalisées de l'Autorité sociale naturelle et légitime, séculière et religieuse, tant que l'on n'aura pas orienté le débat encore formellement ouvert au public dans nos démocraties sur ces personnalité-là, qui seules sont porteuses d'une histoire collective plus ou moins large et auxquelles les plus prestigieux intellectuels, un Vaclav Havel par exemple, ne pourront jamais que donner leur concours dans l'allégeance, à moins d'agir comme Napoléon Bonaparte, en identifiant sa carrière politique à une révolution pour fonder ensuite une dynastie nouvelle.
Les intellectuels ne sont que les domestiques des princes
dans l'Eglise ou dans l'Etat, et les peuples ont
parfaitement conscience du vide vertigineux laissé
par la chute des anciennes dynasties et le nivellement des aristocraties
du sang. Ils en sont à ce point conscients qu'ils ne les recherchent
même plus, sinon à travers la fine pointe spirituelle de leur
essence métaphysique : la religion et, pour les catholiques romains,
le pape de Rome. Celui-ci en impose encore à la jeunesse du monde
entier et à celle d'Europe tout spécialement. Dans des sociétés
sans père, civiles et politiques, sans père au sens civil
et politique, le pape reste, en Europe, l'ultime représentant d'une
instance d'autorité naturelle et transcendante, abolie partout ailleurs
par l'oppression omniprésente de l'idéologie démocratique
qui investit jusqu'à l'enseignement des jeunes enfants par une véritable
manipulation des cerveaux.. L'accord, perceptible, et qui surprend toujours
la presse et les adultes, entre le pape de Rome et la jeunesse sans père
de notre temps est pourtant fort compréhensible humainement. Cet
accord témoigne d'un manque et il atteste une réalité
de notre condition à tous qui dépasse tous les clivages sociaux,
toutes les orientations culturelles et idéologiques.
Seulement ce qui, authentiquement vécu par l'instinct et le sens premier de la vie véritable, reste à l'état d'ébauche et d'expérience exceptionnelle et discontinue, ne débouche sur aucune science libératrice et forte parce que l'œuvre des intellectuels persiste, toutes tendances confondues, à dissoudre en permanence et sans se lasser toute velléité d'allégeance dynastique ou religieuse, s'y oppose même au nom de la liberté d'opinion et de la presse (lieu privilégié et intouchable de l'émancipation des esprits et de l'idolâtrie de l'homme) de manière tantôt sournoise tantôt ouvertement fanatique. L'historiographie dynastique et aristocratique est cantonnée dans les gazettes de femmes de chambre ou de concierges, dans la chronique des faits divers ou dans les archives des bibliothèques et des thèses d'histoire, bref partout où le grand public est mis dans l'impossibilité d'en tirer aucun enseignement politique et social.
L'Europe n'entreverra le salut des sociétés que lorsque la classe des intellectuels aura suffisamment souffert de sa réduction en servitude idéologique par des maîtres aussi cyniques que grossiers pour que ses membres les plus courageux, se convertissant, reviennent à ne se considérer non plus comme des maîtres à penser mais uniquement comme des clercs à la disposition des seules élites du sang, c'est-à-dire de la race, et de l'esprit, c'est-à-dire de la religion.
Dans ses Mémoires, le prince Félix Youssoupoff relate un incident très révélateur sous sa banalité dans l'esprit du temps; la scène se déroule au Palais Alexandre à Tsarskoïe-Selo. L'Impératrice y avait convoqué le narrateur pour le conseiller sur son avenir au service de l'Empereur. Au cours de cet entretien, le jeune prince Youssoupoff fit la réflexion suivante : "En m'occupant de nos terres, de nos usines, du bien-être de nos paysans, je servirai mon pays, et, en servant mon pays, je servirai mon souverain." L'Impératrice lui fit aussitôt observer qu'il avait nommé la Russie avant le Tsar : - "Mais, le Tsar, c'est la Russie ! " s'écria-t-elle. A l'instant même, la porte s'ouvrit et Nicolas II entra dans la chambre. "Félix, dit la Souveraine à son mari, a des idées révolutionnaires." "L'Empereur, ajoute l'auteur de ces Mémoires, ouvrit des yeux étonnés, fixa sur moi son bon regard et demeura silencieux."
La Tsarine exprimait là le fondement universel et naturel de l'autorité, civile ou politique, séculière ou religieuse, donc un truisme, mais un truisme si bien étouffé par la science révolutionnaire des universités qu'on l'assimile volontiers et couramment à une conception despotique du pouvoir princier. C'est là l'effet le plus perfide de l'inflexion de la science politique par les révolutionnaires, dont le prince Youssoupoff était lui-même une victime inconsciente mais réelle. Le bon sens subit son ultime défaite lorsqu'il parvient à déformer même les esprits droits et simples. Alors tout est perdu dans l'ordre naturel des choses. C'est pourquoi les vieilles femmes pieuses qui vont dans les églises font plus de bien à la société politique et à l'économie que tous les savants et les bourgeois agnostiques et sans pratique cultuelle mais qui s'estiment avisés selon la prudence du monde.
A l'heure où j'écris ces lignes, le peuple serbe résiste héroïquement à l'agression de l'OTAN. Il le fait pour sauver l'une de ses provinces qui est le berceau de sa religion. Aucun intellectuel d'Occident n'a été capable de prévoir la vigueur de cette résistance, encore moins son motif. Sont-ils même en état de la comprendre ? Le monde ne sera politiquement sauvé que par des gens simples ayant renoué avec des chefs naturels épousant cette simplicité mais parfaitement capables de mettre à leur juste place ceux que la démocratie moderne, régime purement idéologique, a élevés indûment au rang de princes.
Michel de Preux