Lausanne 28e année      «ne pas subir»      Mars 1998 No 273

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La Chouette en péril
Faut-il brûler les scientologues
1998, année Sissi
 

La Chouette en péril

Comme nos lecteurs attentifs l’auront peut-être remarqué, nous lisons - régulièrement - et citons -
épisodiquement -, outre nos quotidiens et notre vaudoise Nation, trois journaux d’opinion français dits
"d’extrême droite" : Rivarol , qui paraît chaque semaine, Le Libre Journal de la France Courtoise , qui
est un décadaire et Le Cri de la Chouette qui se fait entendre cinq ou six fois l’an. Quoique différents par
leur format, leur épaisseur, leur ton et leurs priorités, ces trois journaux ont en commun le
non-conformisme le plus rafraîchissant et des difficultés financières permanentes, au point que Roger
Minne, rédacteur responsable de la Chouette, annonce dans son numéro 28 de mars-avril 1998, que son
volatile devra cesser de hululer si ses lecteurs habituels ne se montrent pas plus disciplinés dans le
paiement de leur abonnement et si de nouveaux soutiens ne sont pas trouvés rapidement. En clair, Roger
Minne y va de sa poche, ce qui ne peut évidemment pas durer. Or, il serait dommage que le Cri de la
Chouette disparaisse : sur six pages A4, il nous propose principalement des "échomentaires" comparables
à nos "bricoles", des fureurs, des ferveurs et des humeurs, sous forme de textes brefs et en général
percutants. Il n’y a pas de "pavés" dans le Cri de la Chouette, pas de doctes commentaires, pas de textes
doctrinaires, ce qui ne veut pas dire qu’on y sous-estime la gravité des problèmes, même si on essaie d’en
rire et d’en faire rire. Seule petite ombre au tableau : un brin de narcissisme. Mais, comme dirait l’autre,
quand le Titanic est en train de couler, on ne chipote pas sur les éraflures de la chaloupe de sauvetage.

Donc, si après avoir payé vos impôts, vos primes d’assurance-maladie et les autres lourdes charges qui
grèvent votre budget vous disposez encore, miraculeusement, de 100 FF., si en outre ce qui se dit dans la
presse amie de France vous intéresse, nous ne saurions assez vous inciter à offrir votre soutien au Cri de
la Chouette qui complète avec bonheur le paysage médiatique non conformiste.

Mariette Paschoud



Faut-il brûler
les scientologues?

Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’Eglise de scientologie n’a pas bonne presse à Lausanne. On se souvient qu’en février dernier, la Municipalité avait interdit le placardage d’affiches sur lesquelles figuraient ces seuls mots (outre l’indication du nom de la secte) : "Sachez penser par vous-même".

Dans sa séance du 5 mars, elle a frappé plus fort : se fondant sur un article du règlement de police qui permet de retirer l’autorisation de manifestation publique en cas de non respect des mesures d’ordre, la ville de Lausanne a interdit aux scientologues toute utilisation du domaine public lausannois : lors des marchés au centre ville, où l’Eglise tenait des stands, "de nombreuses personnes se sont plaintes à la police du harcèlement et du démarchage agressif des adeptes de la secte, qui n’hésitaient pas à barrer le chemin aux gens, et à insister en dépassant largement les limites de leur stand" comme nous l’explique 24 Heures du lendemain.

A la question de savoir si cette décision est l’aboutissement d’une volonté politique de museler les scientologues, Mme Silvia Zamora, directrice du dicastère des travaux, explique : "On doit arrêter de dire qu’on ne peut rien faire contre cette église et utiliser tous les moyens à disposition". De son côté, M. Bernard Métraux, directeur de police "entend bien mettre un frein aux agissements de cette secte avec laquelle la ville est d’ailleurs en conflit depuis cinq ans pour une question d’imposition". Ses services "encouragent en outre les citoyens qui s’estiment agressés à porter plainte auprès d’un juge".

Au moins, maintenant, c’est clair ! La Municipalité de Lausanne va utiliser tous les moyens à disposition pour nous empêcher de penser par nous-mêmes.

Je ne connais pas grand chose à la pensée de Ron Hubbard, fondateur de ce mouvement, sauf que celui-ci est parvenu à se faire reconnaître le statut d’"Eglise" aux Etats-Unis et qu’il propose à ses adeptes des cours assez onéreux supposés leur permettre de se sentir mieux dans leur peau.

Le peu que j’en ai appris me donne l’impression d’une philosophie assez simpliste alliée à une utilisation optimale des méthodes de marketing "à l’américaine" : on vous vend une méthode pour accéder à la plénitude mentale comme on vous vendrait des semaines de vacances en multipropriété.

Toute chapelle a ses adeptes, ses apôtres, ses fanatiques même. Chaque Eglise a ses saints et ses martyres. Il est dans la nature d’un mouvement de pensée des susciter des prosélytes et de les envoyer prêcher la bonne parole.

Ce qui crée la difficulté, avec les prêcheurs américains, c’est qu’on distingue mal, parfois, si c’est pour mieux diffuser leur message qu’ils réclament des contributions financières importantes de leurs membres ou si c’est au contraire essentiellement pour s’enrichir qu’ils diffusent un message à prétention philosophique.

De la réponse à cette question, qui n’est pas facile, dépend l’attitude des pouvoirs publics à l’égard des dirigeants de la secte : lorsqu’il s’agit d’utiliser de manière accrue le domaine public (stands au marché, distribution de papillons sur le trottoir) ou privé, (porte-à-porte, mailing etc.), on ne traite pas de la même façon le candidat au Conseil d’Etat qui cherche à attirer la bienveillante attention de l’électeur sur l’excellence de son programme, le louveteau de la Brigade de Sauvabelin qui vend, pour financer les activités de sa meute, des tranches d’un cake confectionné par sa maman et le marchand de tapis qui veut à toutes forces vous faire profiter d’un magnifique gabbeh iranien garanti noué à la main.

La presse en sa presque unanimité a décrété que les scientologues sont des êtres malfaisants, cupides et fourbes, que leur but unique est de s’enrichir impudemment en profitant de la naïveté des êtres les plus faibles et donc les plus vulnérables. A l’appui de cette thèse, on montera en épingle le cas d’un ancien adepte qui se répand en jérémiades sur ses économies englouties dans des cours de formation de valeur incertaine ou dont, dans tous les cas, il n’a pas su profiter. On tendra généreusement un micro à l’épouse négligée dont le mari, fraîchement initié, dépense son salaire en cours de dianétique au lieu de l’emmener en vacances dans les îles. On recueillera pieusement le "témoignage" du neveu horrifié dont les espérances successorales se sont évanouies à la lecture d’un testament gratifiant les scientologues…

La méfiance s’est ajourd’hui muée en une chasse ouverte aux sorcières. Les sympathisants sont montrés du doigt comme s’ils avaient tripotés des petits garçons. On les chasse de leur emploi en Allemagne, on leur interdit de briguer des charges publiques. Toute publication dont l’éditeur, l’illustrateur ou l’imprimeur même seraient soupçonnés de complaisance envers la scientologie sentirait immédiatement le soufre et sa diffusion serait interdite aux adolescents. Si un consultant scientologue offre ses services à une entreprise, on dira qu’il cherche à s’infiltrer. Si on découvre qu’un chef de service de cette entreprise est un scientologue, on criera que l’invasion a commencé.

Pourquoi tant de haine ? Pourquoi changent-ils de trottoir lorsqu’ils rencontrent un scientologue, ceux qui, la même semaine, défilent dans la rue sous des banderoles condamnant l’exclusion?

Il ne s’agit pas seulement de repousser les tentatives agressives et inopportunes d’un quelconque vendeur de quelque chose. Là, il suffirait de dire non, fermement. Il ne s’agit pas seulement de marginaliser une doctrine simpliste. Là, il suffirait d’exposer calmement ses faiblesses, ses lacunes, voire sa nocivité. Il s’agit, de toute évidence, d’autre chose. Il faut diaboliser la secte et la détruire, en attendant, sans doute, de pouvoir brûler vifs ses adeptes sur la place de la Riponne.

L’Eglise de scientologie profite des faibles, des humbles et leur prend leurs sous. Pardon à notre collaborateur Michel de Preux, pour une comparaison aussi blasphématoire, mais l’Eglise catholique n’a-t-elle pas fait pareil, pendant des siècles ? Les hauts dignitaires de la scientologie ont un train de vie luxueux. Toujours pardon à Michel de Preux, mais là aussi…

Finalement, juge-t-on une pensée politique, philosophique, théologique à cette aune-là ?

Une fois encore, j’ignore pratiquement tout de cette doctrine, mais je suis effrayé qu’à la fin du XXe siècle, une Municipalité ait osé interdire la pose d’une affiche proclamant "Sachez penser par vous-même" sans déclencher des réactions indignées dans tous les milieux, dans tout le pays.
 

Claude PASCHOUD



 

1998, année "Sissi"

(ou l’Histoire pour midinettes et bignols romantiques qui confondent Sissi Schneider et Romy de Wittelsbach, et aussi… pour quelques nécrophiles)

Vienne, Genève et quelques autres localités se préparent à célébrer en grande pompe le centième anniversaire de la mort de l’Impératrice Elisabeth d’Autriche. La mort de son fils Rodolphe et de son beau-frère Maximilien avaient accentué l’instabilité de son équilibre mental. Elle vivait dans la solitude et fuyait la cour de Vienne par de nombreux voyages à l’étranger.

Cette femme, dont la cours de la vie pourrait s’inscrire dans quelque opérette de Strauss ou de Lehar, repose dans la crypte impériale du XVIIe siècle sous l’église des Capucins à Vienne. Une centaine de membres de la famille des Habsbourg y ont leur ultime demeure. Depuis le début des années quarante, y manquent notamment les cendres du Roi de Rome, le fils du Corse Buonaparte, remis aux Invalides de Paris par… Adolf Hitler !

Des voyagistes, des petits malins, proposent déjà des pèlerinages spéciaux à Vienne.

Il va donc y avoir un siècle que la sexagénaire impératrice d’Autriche, épouse de François-Joseph, fut assassinée à Genève par Luigi Luccheni, un prétendu anarchiste de 25 ans. Nous sommes le 10 septembre 1898.

Le meurtrier veut-il indirectement atteindre celui que les patriotes italiens appellent "Cicco Peppe il forcaiuolo"? Le réactionnaire à la potence, né en 1830, féru d’absolutisme dans un trop long règne anachronique, s’est toujours montré insensible aux aspirations unitaires de l’Italie. Il mourra à 86 ans, deux ans avant que son empire ne s’écroule lamentablement (1918).

Non ! Luigi Luccheni, l’esclave d’une vie normale, a décidé de frapper n’importe quelle tête couronnée, la première qui se présente.

Le 10 novembre de la même année, toujours à Genève, il est condamné à la réclusion à perpétuité. Douze ans plus tard, le 18 octobre 1910, à la prison de l’Evêché, près de Saint-Pierre, prison aujourd’hui démolie, on le trouve pendu ; il s’est suicidé, dit la thèse officielle. Il a été "suicidé" sous la pression du vieil empereur à rouflaquettes, prétendent d’autres.

Des médecins coupent la tête de Luccheni pour la conserver dans un bocal de formol. Pendant septante-six ans (jusqu’en janvier 1986), Genève a le triste privilège de conserver cette tête sur le rayon d’une armoire de son Institut de médecine légale. Puis Genève répond favorablement à une demande, formulée par voie diplomatique, de la République autrichienne. La tête tant convoitée de Luigi Luccheni dans son formol fait le voyage de Genève à Vienne dans quelque valise diplomatique et elle est enfin déposée à l’Institut d’anatomie de Vienne. Le Musée criminel autrichien a également tenté de s’approprier cette relique.

Loin de moi l’idée de vouloir excuser le crime de Luccheni. On peut cependant chercher à l’expliquer en toute objectivité.

Luigi Luccheni, fils naturel dune fille de ferme, mal aimé, passe d’un hospice pour enfants abandonnés à l’autre. A l’âge de 9 ans, il est confié à un couple de miséreux analphabètes. A 25 ans, n’ayant jamais connu la chaleur d’une vraie famille, n’ayant jamais rencontré que solitude, mépris, critiques, marginalisation et incompréhension, il traîne par Genève.

Malheureux, aigri, il hait non seulement les bien nantis, ceux qui sont nés dans la soie, mais la Société entière qu’il a toujours trouvée injuste. A la lecture de sa condamnation, il quittera la salle du Tribunal en criant : "Vive l’anarchie ! Mort à la Société !"

Ce bâtard, ce "paumé" devenu assassin, n’a-t-il pas droit à une part de notre commisération ? Le cadeau macabre de Genève à Vienne en 1986 n’est-il pas un acte indigne d’une méchante stupidité ? Dans les lois de tous les pays civilisés ne condamne-t-on pas l’atteinte au repos des morts, quels qu’ils soient ? Du respect des morts, dans ce cas, qu’a-t-on fait ?

Dans le passé, pourquoi a-t-on permis l’indécente conservation de la tête de Luccheni dans un bocal de formol ? Pour peu, on l’aurait présentée dans les foires foraines. On ne l’a pas fait, mais on a dû y songer. Les "Dépêches de Dijon" de 1970 ont signalé ce genre d’attraction très prisée dans une foire de Semur-en-Auxois : " (…) Le clou de la visite est une étonnante tête d’assassin. Pas un portrait, pas une photo, mais une vraie tête conservée dans un bocal. C’est celle d’un condamné qui fut guillotiné en France, voici plusieurs années".

Revenons à Genève et à Luccheni. En 1986, qui a donné l’autorisation de répondre favorablement aux désirs tribaux, morbides, barbares de quelques nostalgiques du défunt empire austro-hongrois ?
Pour le "pèlerinage" viennois de cet automne, la visite de l’Institut d’anatomie est-elle comprise dans le coût du forfait ?

Que l’on donne enfin une digne sépulture à ce visage tragique d’un être torturé par la vie, le hasard et la stupidité humaine, et qui ne connut jamais le sourire d’une mère, d’une amante, d’une épouse !
 

Giuseppe PATANÈ