Insuffisant
Le bon
tiers
Chinoiseries
Les tribunaux suisses font du zèle. Avant même
que la justice française ait rendu son jugement dans
l’affaire Roger Garaudy poursuivi pour contestation de
crimes contre l’humanité, un libraire genevois a été
condamné le 23 février à 1000 fr.
d’amende pour avoir vendu l’ouvrage de Garaudy "Les mythes
fondateurs de la politique israélienne". On se
souvient qu’Aldo Ferraglia avait pris, le 8 décembre, quatre
mois de prison avec sursis pour avoir diffusé
le même ouvrage.
A notre avis, ce n’est pas suffisant : puisque la justice
de notre bon pays est à la pointe du progrès en
matière de répression des idées
fausses, pourquoi s’arrête-t-on en si bon chemin ? Pourquoi ne
poursuit-on pas aussi les acheteurs de l’ouvrage de Garaudy
qui sont susceptibles de diffuser son contenu
en prêtant leur exemplaire à leurs amis
? Quand se décidera-t-on à fouiller toutes les bibliothèques
publiques et privées de Suisse afin de traîner
devant les tribunaux les détenteurs d’ouvrages mis à l’index
par les responsables de notre santé intellectuelle
?
Après tout, la lutte contre le crime organisé peut attendre.
Mariette Paschoud
On sait aujourd’hui que M. Kind s’est vu infliger une amende de Fr. 500.- à titre de peine disciplinaire et qu’il a été prié de prendre une retraite anticipée. Il a en revanche refusé de présenter des excuses en réaffirmant que ses propos étaient le reflet de la réalité.
Cette affaire est grave.
Et les représentants de la presse, d’habitude si avide de traquer la vérité, ont fait montre d’une étonnante absence de curiosité.
Car enfin, de deux choses l’une.
Soit M. Volker Kind n’a fondé son affirmation sur
aucune donnée statistique quelconque, son propos n’était
que le fruit d’un délire passager, d’une volonté assez puérile
de choquer, d’un goût douteux pour la polémique et on aurait
pu s’attendre, après le tollé médiatique, à
un vigoureux démenti assorti des excuses de l’orateur et du directeur
de l’OFIAMT, son supérieur hiérarchique. On nous aurait exposé
que les propos de M. Kind avaient été "mal interprétés",
ou que dans un souci – maladroit – de raccourci, ses paroles avaient "dépassé
sa pensée". On aurait affirmé bien haut et bien fort que
tous les chômeurs bénéficiant de prestations fédérales
sont tous de véritables demandeurs d'emploi, qui tous sont las de
percevoir des indemnités et que leur plus cher désir à
tous est de reprendre au plus tôt la saine existence du travailleur,
abandonnant sans regret dès cinq heures du matin les délices
délétères du foyer conjugal pour l’enrichissante et
roborative existence en plein air du manœuvre dans le gros œuvre en génie
civil.
A l’appui de cette thèse rassurante, on aurait
cité doctement les articles 8 alinéa 1 lettre f et 15 de
la loi fédérale sur l’assurance-chômage obligatoire
et l’indemnité en cas d’insolvabilité (LACI), qui précisent
que le droit à l’indemnité suppose que l’assuré est
apte au placement. Est apte au placement le chômeur qui est disposé
à accepter un travail convenable et est en mesure et en droit de
le faire.
On voit immédiatement que les alcooliques et les drogués n’étant par définition pas "en mesure" d’accepter un travail convenable, ils ne sont donc pas aptes au placement, ne touchent aucune indemnité de chômage et ne comptent pas dans la statistique. Il en va de même des paresseux qui prient chaque matin le Ciel de ne leur trouver aucun emploi. Ils ne sont pas "disposés à accepter un travail convenable" et ne peuvent donc influer les statistiques du chômage pour une raison identique.
Voilà comme l’affaire aurait pu être conclue rapidement si M. Volker Kind n’avait fondé ses propos inquiétants sur aucune donnée statistique quelconque et s’il s’en était excusé. Il aurait été puni d’une peine disciplinaire de cinq cents francs, mais il n’aurait pas pris une retraite anticipée.
La seconde hypothèse consiste à supposer
que M. Volker Kind, docteur en économie, directeur suppléant
de l’Office fédéral des arts et métiers et du travail,
soit l’organisme directement responsable de tous les dossiers de chômage
à l’échelon de la Confédération, a fondé
son discours sur des données statistiques fiables, que les proportions
qu’il a avancées sont observables dans la réalité
des faits, que les offices régionaux ou cantonaux de chômage
violent la loi en accordant des indemnités à des individus
que leur dépendance à l’alcool ou aux stupéfiants
ou leur paresse congénitale rend inaptes au placement.
Si tel est le cas, on comprend que ni M. Kind, l’orateur,
ni son chef M. Jean-Luc Nordmann, directeur de l’OFIAMT ni même M.
le chef du département de l’économie publique n’ait cru bon
de rectifier les propos ni de s’en excuser.
Mais si M. Volker Kind avait raison, pourquoi a-t-il été frappé d’une amende et pourquoi a-t-il pris une retraite anticipée ?
Si M. Kind avait raison, on comprend fort bien que ses propos aient déplu à une majorité de chômeurs. On pourrait même parler, in casu, d’une majorité qualifiée des deux tiers. D’ici à supposer que les syndicats qui ont manifesté le plus bruyamment leur "indignation" leur "douloureuse stupéfaction" et qui ont les premiers exigé excuses et démission avant même d’avoir mis en demeure l’intéressé de produire ses sources, que ces syndicats, dis-je, comptent majoritairement parmi leurs membres des paresseux, des alcooliques et des drogués bénéficiant d’allocations de chômage, il y a un pas que nous garderons bien de franchir.
Il n’empêche que M. Volker Kind pourrait bien avoir
été le premier révisionniste économique. Il
pourra meubler sa retraite à méditer sur les dangers d’avoir
eu raison trop tôt, d’avoir eu des dossiers trop bien faits dont
personne n’a voulu prendre connaissance, d’avoir énoncé des
vérités qui gênaient trop de monde, d’avoir mis en
péril des petites et des grosses rentes de situation, des avantages
pécuniaires indus, des combines fleurant désagréablement
le clientélisme électoral.
Claude PASCHOUD
Si l’on en croit les thuriféraires de M. Bertrand
Piccard, sa tentative de tour du monde en ballon sans escale a nécessité
une préparation financière, technique, psychologique de plusieurs
mois. Tout avait été minutieusement planifié, le matériel
avait été testé dans les meilleurs laboratoires, les
appareils de communication garantissaient un reportage palpitant en temps
réel, bref rien n’avait été laissé au hasard.
Un détail, pourtant, avait été oublié
: les demandes d’autorisation de survol. Le ballon avait déjà
pris son envol lorsqu’on s’est avisé que plusieurs Etats, dont la
Chine, n’avaient pas expressément accordé l’autorisation
de survol indispensable à la réussite du projet.
N’importe quel touriste Lambda qui se plaindrait d’avoir été refoulé à la frontière d’un pays quelconque parce qu’il s’y présentait sans passeport, sans visa, et sans avoir subi les vaccins réglementaires, provoquerait des éclats de rires homériques.
M. Bertrand Piccard, si l’on en croit son épouse, connaît bien la Chine.
C’est sans doute cette bonne connaissance de la Chine, et de l’âme chinoise, qui l’a incité à croire que les autorités de ce pays étaient à sa disposition, en période fériée de Nouvel-An, et qu’il suffisait de les placer devant le fait accompli pour obtenir en quelques heures une nouvelle planification d’urgence dans les 25 zones de navigation aérienne que compte l’Etat le plus peuplé du monde. Que les fonctionnaires du ministère de l’aviation civile et de l’Armée de l’Air allaient interrompre leurs vacances pour diffuser, dans toutes les Provinces, des interdictions de vol sur la route, encore hypothétique, du ballon Breitling Orbiter 2.
Soyons plus sérieux que les groupies du charmant psychiatre. La préparation juridico-diplomatique de son périple n’était pas plus solide que le sertissage de ses câbles d’amarrage, que l’étanchéité de ses hublots ou que la jauge de ses réservoirs. Et il ne faut pas connaître grand chose à la psychologie d’un Chinois et à sa fierté pour s’imaginer qu’on obtiendra de lui une faveur en le priant de l’accorder, comme le malheureux Kaspar Villiger l’a fait à Davos, "dans les plus brefs délais".
Espérons que cette tentative aura permis à l’équipe du Breitlinger Orbiter d’apprendre la politesse et la modestie. Et qu’au prochain périple, l’équipe soit dispensée de peser le béton à la tonne (pour le délestage) et d’arriver à pied par la Chine (pour les demandes de visas).
Claude PASCHOUD