Lausanne 27e année       «ne pas subir»          Mars 1997 No 263



Sommaire :

Arnold dans la caverne d'Ali Baba
L’avenir radieux !
Futurisme et réalités
Bricoles
Clonage



 
 

Arnold dans la caverne d'Ali Baba

Jusqu'au 10 mai 1971, un kilo d'or fin détenu par la Banque nationale était comptabilisé à l'actif de la banque pour Fr. 4'869,80. A cette date, il fut estimé à Fr. 4595,74.

Depuis 1977, notre stock, qui correspond à un peu plus de 2590 tonnes, n'a pas varié et vaut exactement, au bilan, Fr. 11'903'906'919,85.

La valeur de nos réserves de métal précieux, héritée du temps où le dollar américain était défini par la trente-cinquième partie d'une once (=31,104 grammes) d'or fin, est aujourd'hui largement sous-évaluée, tout le monde le sait bien. L'or est une "marchandise" qui s'achète et se vend sur le marché libre un prix qui fluctue selon la loi de l'offre et de la demande. Aujourd'hui, le kilo d'or est vendu 16400 francs. Il a valu naguère bien plus cher. Il vaudra peut-être demain bien moins.

Depuis plusieurs années, certains milieux réclament que le stock d'or soit réévalué au bilan de la BNS, ce qui permettrait de dégager un bénéfice comptable, ledit bénéfice n'étant encore que théorique aussi longtemps qu'une masse d'or correspondante n'aura pas été vendue.

Il y a à peine huit mois, quelques Genevois avaient même proposé que cette opération serve à financer les nouvelles voies de transversales alpines, à quoi le Conseil fédéral avait rétorqué qu'il n'était pas question de réévaluer l'or de la Banque nationale, avec des arguments convaincants fondés sur la nécessité d'une réserve importante en cas de crise grave, sur les risques d'inflation et sur les dangers, pour la stabilité des cours, de lancer sur le marché de grosses quantités de métal jaune.

Il y a moins d'un mois, M. Kaspar Villiger répondait à M. Peter Tschopp, professeur d'économie partisan d'une nouvelle estimation du stock d'or, qu'il n'était pas question de "dilapider le patrimoine national".
Les mauvais élèves genevois avaient repris en maugréant leur place près du radiateur.

Et voici que soudain, ô miracle, les cancres du bout du Lac font figure de génies de l'économie. La presse ébahie n'en revient pas de la simplicité avec laquelle on peut extraire 14 milliards d'un chapeau vide.
Toutes les entreprises peuvent d'ailleurs faire pareil, qui possèdent à leur bilan des immeubles cossus entièrement amortis et portés, pour mémoire, à 1 franc : il suffit de réactiver cette réserve latente pour faire surgir un bénéfice. Il suffit ensuite de vendre l'immeuble pour matérialiser le bénéfice, après quoi on pourra placer ce capital et en tirer profit.

Pour la BNS, ce sera un peu plus compliqué. D'abord, la Banque nationale est une société anonyme dont la Confédération ne possède aucune action. Ensuite, l'article 39 alinéa 7 de la Constitution exige que les billets de banque soient couverts par de l'or et des avoirs à court terme. L'article 19 alinéa 2 de la loi sur la Banque nationale prescrit que la couverture-or doit s'élever à 40 % au moins des billets en circulation.

Depuis 1954, cependant, la BNS n'est plus tenue d'assurer la convertibilité de ses billets avec de l'or.
L'idée de M. Arnold Koller est de réestimer la valeur de notre stock d'or de 28 à 60 % de sa valeur vénale, ce qui lui ferait gagner 14 milliards…

Enfin, c'eût été 14 milliards si on avait vendu le tiers de notre stock en une fois, le 5 mars, au moment où M. Koller prononçait son discours, et si on avait pu vendre cet or à 17000 francs le kilo. A l'heure où j'écris ces lignes, la valeur du kilo d'or a déjà chuté de 600 francs et la Fondation a déjà perdu 500 millions avant qu'on ait vendu le premier lingot !

Lorsque c'était M. Blocher qui disait que le Conseil fédéral avait perdu la tête, les belles âmes hochaient doctement la leur en ricanant que le bouillant tribun zuricois n'avait décidément rien compris à l'économie. Mais voici qu'un ancien président de la Banque nationale s'exprime, en termes plus mesurés, sur le même ton : la Fondation aux 14 milliards, c'est du bricolage bâclé et ça ne tiendra pas la route devant le peuple.
Et voici nos loustics de la Grande presse alignée tout désappointés, qui étaient convaincus que Koller était à lui seul notre Keynes, notre Walras et notre Friedman.

Pas de chance, ce n'était que Simplet.
 

Claude PASCHOUD



L’avenir radieux !

Il est stupéfiant de voir à quel point les peuples ne changent pas, combien leurs réactions sont constantes, en dépit des circonstances infiniment variables du temps et des régimes. Jadis, l’avènement d’un prince entraînait toujours la liesse populaire. L’élection, en république, ne suscite un mouvement analogue d’enthousiasme collectif que dans la pratique du suffrage universel et à la condition que les élus aient une personnalité suffisamment affirmée pour que leur succès leur revienne en propre et non pas à leur parti. Depuis trop de longues années, le Vallais ne connaissait, au Conseil d'Etat, qu’un mode de désignation partisane où les candidats d’appareil dictaient leur loi, celle de leur clan, au choix populaire, s’aidant occasionnellement de plusieurs artifices - la représentation régionale, le scrutin de liste dans un système pourtant majoritaire, les zizanies procédurières touchant aux domiciles - et s'en vantaient ostensiblement.

Ces hommes du pouvoir bien plus que de pouvoir auraient-ils encore le plaisir de faire élire un mulet (en l’occurrence une mule) si ça leur chantait ? La réaction de l’électorat vallaisan fut relativement inattendue. Nous la croyons définitive. Elle marque la fin d’une époque et le début d’une fin... qui sera longue, rassurez-vous ! L’Etat-PDC, normalisation démocratique moderne de l’Etat conservateur d’avant-guerre, devait sa cohésion sociale à l’Eglise, dont la puissance sociale et morale restait ici considérable. C’est elle, ce sont ses divisions internes, sa crise profonde et interminable qui ont ouvert la brèche d’un éclatement politicien lui-même provoqué par un effritement, par le délitement social, dont le taux de chômage n’est qu’un indice extérieur, que du reste la classe politique ne maîtrise pas, ni ne s’apprête à le faire. L’Etat-PDC, au coeur de la modernité occidentale, était chez nous une survivance des sociétés traditionnelles, des rapports sociaux et civiques traditionnels. La convivialité répartissait les sièges politiques au Conseil d’Etat. La crise économique a balayé la convivialité. Le Vallais s’est aligné sur les grandes démocraties, qui sont le modèle standard, le modèle courant, le modèle uniforme.

Oh! ce n’est pas une révolution ! loin de là ! Tous nos élus minoritaires sont issus de pères notoirement démocrates-chrétiens, aussi bien Sierro que Bodenmann et sans même compter bien des députés au Grand conseil.

Il n’y a au fond qu’une seule lutte, en démocratie comme en tout autre régime politique : le peuple se cherche des chefs. Il leur conserve sa confiance et ne leur demande que fort peu de preuves de capacité en temps prospère, où sa tolérance morale va également fort loin. Viennent les vaches maigres et, avec elles, ses exigences se font plus pressantes. Bodenmann est une personnalité connue du monde politique suisse où il a confirmé la force de l’image qu’il s’est donnée de lui-même à Brigue, celle d’un fils prodigue avec attaché-case, c’est-à-dire éminemment respectable au sens le plus bourgeois du terme. Il est rentré dans l’arène régionale au bon moment. Le miracle était sans doute trop bien programmé pour ne pas se transformer en conclusion logique, d’autant que la promesse PDC d’une femme au gouvernement s’est très vite révélée une farce de dernière minute imaginée par des tacticiens ménopausés... Le triomphe du socialiste a la saveur lointaine des avènements de prince charmant : "Les gens attendent beaucoup de moi, c’est bien !", ose dire le nouveau prince.

Non ! ... bonhomme : c’est dangereux !

MdP



Futurisme et réalités
 

Communications

L’ordre informatique est un système de pensée qui condamne le gaspillage. On ne doit payer que ce qui est effectivement consommé.

La plupart des gens, quand ils rentrent chez eux, se vautrent devant la télé et n’ont pas envie d’interagir avec autre chose que le réfrigérateur ! Voilà ce que pense le président de Sony Electronic Publishing aux Etats-Unis.

Il se tient actuellement pour six mois, à l’ancien Hôtel de Police de Morges, un "Cyberforum" ouvert au public. Nous ne sommes donc pas oubliés par la mondialisation des communications.

Que se passera-t-il lorsque régneront les mass media, des centaines de chaînes et de banques de données ?

Que déduisent déjà les exploitants de l’audimat ? Que, comme aux temps anciens, le bon peuple veut des divertissements et qu’il convient de l’y encourager.

Les sociétés Bill Gates et Mc Caw ont décidé de lancer huit cent quarante satellites autour du monde, afin de permettre la réalisation du réseau mondial de communication sans fil. En 1994, le ministre japonais des communications avait déclaré aux industriels de son pays : "Il est temps de s’armer pour éviter la domination nord-américaine".

Lors de réunions au plus haut niveau à New York et à Tokyo, on a évoqué le sujet des maîtres du monde, et on a conclu que ceux qui sauront maîtriser la chaîne des 0 (zéros) et des I (uns) seront les dirigeants de la planète. La suite en a été la constitution d’alliances à grande échelle, qui ont bénéficié de l’accord officiel d’Al Gore, vice-président des Etats-Unis. Voici en substance le projet grandiose de ce dernier : il faut relier toutes les salles de classes des USA à une grande infrastructure nationale de l’information. Car les autoroutes de l’information sont le seul moyen de revitaliser l’économie américaine, de favoriser la compétitivité des entreprises, d’offrir de bons emplois et de permettre un niveau de croissance soutenu.

Il faudra tout relier à tout sur un réseau à grande vitesse !

Dans un discours magistral, Al Gore annonçait : "Les nouvelles façons de communiquer vont dans l’ordre visant à nous informer, mais également à nous divertir. Je crois qu’elles serviront à nous éduquer, à encourager notre démocratie et à créer des multitudes d’emplois dans le domaine du "bit"."
Mais le Japon, qui dispose d’un conseil des télécommunications et de son opérateur NTT, reste, actuellement encore, le leader dans ce domaine, et annonce déjà, sans le moindre complexe apparent, le programme le plus ambitieux du marché mondial.

Et l’Europe ? Elle reste empêtrée dans ses mutations post-étatiques et ses difficultés d’adaptation à un monde voué à une compétition impitoyable. La France devrait investir des centaines de milliards de francs sur une quinzaine d’années pour relever le défi dans ce secteur, comme le souhaiterait le président Chirac. Hélas ! En dépit de toutes les rodomontades post-gaullistes - passéistes et rétrogrades, si l’on en croit les opposants au régime - fort éloignées des réalités, quand une économie est précarisée au point qu’il faut sans cesse appeler la Bundesbank à la rescousse pour essayer de maintenir le PIB national, il y a peu de place pour un projet futuriste de grande ampleur dans le domaine des communications, a fortiori pour un projet à l’échelle mondiale. Pour le moment, la grande réussite reste la fusée Ariane que de nombreux pays utilisent pour lancer leurs satellites. Mais on peut être assuré que ce succès toujours rémunérateur pour la France ne durera pas dix ans encore. D’autres pays, en Asie du sud-est, ne tarderont pas à tester leurs propres propulseurs.

Plus personne en Europe et surtout en France ne doute que la suppression du service militaire obligatoire et l’abandon du marché automobile aux constructeurs japonais ne soient en réalité des mesures devant permettre au gouvernement français de réaliser des économies et d’amasser des réserves. La France, encore concurrentielle avec le projet "Ariane" (Matra) ne dispose pas des sommes énormes nécessaires au lancement de la course contre les géants déjà engagés dans la voie des communications du futur. Le discours actuel, fort contesté - mais que ne conteste-t-on pas dans l’Hexagone ? -, ressemble fort, il est vrai, à la promesse de jadis concernant la fameuse ligne Maginot, imprenable, qui mettait la France à l’abri de toute invasion. On connaît la suite.

La France à la dérive

Que voyons-nous dans dans une Europe que l’on ne cesse d’idéaliser, en France tout particulièrement ? l’impossibilité d’appliquer les "accords de Schengen", le problème posé aux importateurs de produits agricoles, les barrages routiers qui se multiplient, les acquis sociaux qui sont remis en cause, les grèves qui foisonnent, les problèmes énormes dus à une immigration incontrôlée depuis deux générations.

On ne voit pas du tout dans de telles conditions comment un pays pourrait disposer d’un capital national superflu susceptible de favoriser la conversion de la monnaie nationale en Euro(dollars). Quant à l’avenir de la jeunesse de la nation, il tend à se limiter au choix entre une carrière de SDF ou une carrière de gendarme. Belle perspective, dont j’ai pu constater qu’elle était déjà en voie de réalisation dans les départements de l’est de la France.

De l’importance relative des Etats

Vous me trouverez sans doute bien critique à l’égard de nos voisins. Mai si les citoyens suisses veulent rester tranquillement à l’écart des affaires d’autrui, ce qui relève trop souvent de l’indifférence et de l’ignorance, ils ne méconnaissent pas tous les événements qui se passent hors de nos frontières. Nous ne vivons ni en autarcie, ni en vase clos. Et, manifestement, l’observation peut fournir des enseignements politico-économiques en ce moment. La première constatation est que chaque pays, en l’occurrence la France et la Suisse, ont des formes de gouvernement et d’administration totalement différentes, qui se répercutent sur les conceptions de l’Etat et la mentalité des citoyens.

La Suisse se trouve toujours rangée dans la catégorie des petites puissances, de par sa surface et le nombre de ses habitants. Mais sur le plan de ses activités, elle jouit de l’estime de l’étranger. Elle n’a jamais pratiqué de colonisation, mais fourni la première une aide internationale, elle a accepté de participer au règlement de nombreux conflits que de grandes nations n’avaient pas su gérer. Mais ces dernières sont toujours imbues de leur supériorité d’antan, alors qu’elles accusent un recul considérable sur l’échiquier mondial dans le domaine politico-économique, par exemple.

Conclusion

Les commis-voyageurs présidentiels français chargés de négocier des contrats n’ont pas la tâche facile : alors que l’Allemagne, le Japon, la Malaisie, Taïwan et même la Chine, par exemple, signent depuis des années les accords que commande leur intérêt, la République des Lettres arrive quand la fête est finie !

Triboulet (fou du roi)



Bricoles
 

PERTE

Lors de l'examen par les Chambres fédérales de la future loi sur la TVA, on a lu un peu partout que si telle ou telle proposition de taux réduit était acceptée, cela ferait perdre tant de millions au fisc fédéral.
C'est une bien curieuse manière d'aborder la question. Si le petit Toto, qui espérait que tante Adèle lui apporterait cinquante francs pour son anniversaire, ne trouve dans l'enveloppe qu'un billet à l'effigie d'Arthur Honegger, il n'a pas perdu trente francs.
La Confédération raisonne comme si on était en train de négocier les modifications d'une loi dûment votée et entrée en vigueur. Elle perd de vue que l'article l'article 8 des dispositions transitoires de la Constitution ne lui conférait qu'un droit provisoire de perception, en attendant la loi.
 
SPÉCIALISTE
 
Le Président de la République française à qui on expliquait récemment le fonctionnemet du réseau Intenet a déclaré : "C'est un bon réseau, mais il en faut d'autres", ce qui démontre, à choix :
a. que M. Chirac n'a pas écouté les explications,
b. qu'il a écouté mais qu'il n'a rien compris
c. que le mythe du pluralisme démocratique entraîne les hommes politiques à proférer des phrases-types redondantes sans réfléchir.
 
DÉPENSES ÉLECTORALES
 
Lorsqu'on lit le nombre de millions de dollars engloutis, aux Etats-Unis et ailleurs, pour les frais de "propagande électorale", on comprend pourquoi les habitants de Monaco, dernière monarchie absolue et héréditaire, n'ont pas besoin de payer d'impôts.


Clonage
 

Pourquoi le "clonage" de la brebis Dolly par des chercheurs écossais a-t-il suscité tant d'émotion, alors même que cette technique, fort connue en politique depuis longtemps, paraît si naturelle ?

Depuis l'avènement de la démocratie, soit depuis que les hommes sont convaincus que le système politique le plus judicieux consiste à confier le gouvernement de la nation aux représentants du "peuple", on vit se créer des factions qui ne diffèrent l'une de l'autre que par d'infimes divergences.

On peut aisément démontrer que le parti radical est le "clone" du parti libéral. Que les socialistes ont été "clonés" à partir des radicaux et que le communisme est un "clone" du socialisme.

A chaque clonage, évidemment, et bien que le patrimoine génétique de la faction d'origine soit strictement la même, on produit un monstre encore plus médiocre que son père (ou son frère, comme on voudra). Ce sont ces infimes différences qui font croire aux nouveaux clones qu'ils sont une race nouvelle, porteuse de tous les espoirs.

Illusion ! Tous les Dr Wilmut réunis, quelque savants qu'ils soient, ne parviendront jamais à obtenir un lion en clonant une brebis. Tout au plus parviendra-t-on, en clonant à l'infini des clones issus de clones, à produire à l'infini des groupuscules, staliniens, trotzkystes, maoïstes, ou autres petites coteries grotesques qui s'efforceront, pour donner l'illusion de l'originalité, d'éreinter publiquement le clone d'origine alors même qu'ils sont tous, et ils le savent bien, d'une même espèce, d'une même lignée, d'une même race.
"Cortigiani, vil razza dannata !" chantait Rigoletto. Les représentants des partis politiques, modernes courtisans dont la langue dégouline de cirage avant chaque élection, tiennent tous le même langage. Au lieu de gagner les faveurs du roi, on flatte la populace, supposée représenter le "souverain". Mais comme ce souverain est polycéphale, et que ses faveurs se mesurent au gramme près dans les urnes, il faut ratisser large, il faut viser bas.

Le clonage politique ne s'est pas limité à créer des légions de politiciens tous semblables. Il vise même à interdire les ultimes différences, les dernières nuances, et les traces infimes de la plus petite originalité sont devenues scandaleuses. Dolly est génétiquement et politiquement correcte.

C.P.