Lausanne 26e année          «ne pas subir»             Juin 1996 No 256

Sommaire :

Autodafé
Sur le fil de l'orthodoxie
Les larmes de Moscou ou la fête des mères
 



Autodafé

 
 

Autodafé (n.m.)
1. Cérémonie au cours de laquelle le pouvoir séculier faisait exécuter les jugements prononcés par l'Inquisition. - Supplice du feu.
2. Destruction par le feu. Faire un autodafé de ses papiers. - Portug. auto da fe "acte de foi", 1714

Le dictionnaire

Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans
considération de frontière.

Convention européenne des droits de l'homme, art. 10

 

La liberté de la presse est garantie.

Constitution fédérale article 55
 

 

 

Le dernier livre de Roger Garaudy Les Mythes fondateurs de la politique israélienne, dont tout le monde parle mais que presque personne n'a lu, continue de faire des vagues. La presse nous annonçait que le comité de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA) avait pris la décision d'engager une action en justice contre le livre (sic !) de M. Garaudy. L'article exposait que la plainte viserait aussi bien Roger Garaudy, domicilié en France, que le distributeur suisse du livre à Montreux et que cette plainte s'appuierait sur l'article 261bis du Code pénal, qui réprime "celui qui, publiquement, niera, minimisera grossièrement ou cherchera à justifier un génocide ou d'autres crimes contre l'humanité".

Tel que rédigé, l'article était évidemment incompréhensible. A supposer que le livre que Roger Garaudy nie, minimise grossièrement ou cherche à justifier un génocide ou d'autres crimes contre l'humanité, ce qui reste à établir, on ne voit pas que le libraire puisse être poursuivi pour le même délit, lui dont le métier et la vocation sont de vendre des livres dont il n'a pas ni à approuver ni à désapprouver le contenu.

On m'objectera que le libraire ne peut se disculper de vendre de la littérature pornographique "hard" au motif qu'il n'en est pas l'auteur.

L'objection est sans pertinence. Car l'article 197 alinéa 3 du code pénal prévoit expressément la punition de "celui qui aura fabriqué, importé, pris en dépôt, mis en circulation, promu, exposé, offert, montré, rendu accessible ou mis à la disposition....des écrits, enregistrements sonores ou visuels ayant comme contenu des actes d'ordre sexuel avec des enfants, des animaux, des excréments humains ou comprenant des actes de violence".

L'article 261bis du code pénal en revanche ne réprime que celui qui, publiquement, aura incité à la haine ou à la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse; celui qui, publiquement, aura propagé une idéologie visant à rabaisser ou à dénigrer de façon systématique les membres d'une race, d'une ethnie ou d'une religion; celui qui, dans
le même dessein, aura organisé ou encouragé des actions de propagande ou y aura pris part; celui qui aura publiquement, par la parole, l'écriture, l'image, le geste, par des voies de fait ou de toute autre manière, abaissé ou discriminé d'une façon qui porte atteinte à la dignité humaine une personne ou un groupe de personnes en raison de leur race, de leur appartenance ethnique ou de leur religion ou qui, pour la
même raison, niera, minimisera grossièrement ou cherchera à justifier un génocide ou d'autres crimes contre l'humanité.

La condamnation du libraire ne pourrait s'appuyer que sur l'inculpation de propagation d'une idéologie visant à rabaisser ou à dénigrer de façon systématique les membres d'une race, d'une ethnie ou d'une religion. Encore faudrait-il que le plaignant ou le Ministère public rende vraisemblable que le livre de Garaudy véhicule une telle idéologie.

Il suffit de savoir lire pour se rendre compte immédiatement que le dessein de l'auteur est tout autre. S'il s'en prend, avec quelque virulence, à l'Etat d'Israël, ce n'est nullement à raison de la race de ses habitants, de leur ethnie ou de leur religion mais en considération de sa politique hégémonique. Les Israéliens, d'ailleurs n'appartiennent pas tous à la même race, à la même ethnie ou à la même religion.

Reste le grief de "révisionnisme" qui paraît s'appliquer à l'auteur, mais, au sens strict de la loi, nullement à l'éditeur, ni au diffuseur, ni au libraire. J'observe en outre que même Garaudy risquerait peu, au regard de la loi suisse, car s'il met effectivement en doute la réalité des chambres à gaz homicides dans les camps de concentration de la Pologne occupée, on ne pourra jamais supposer qu'il le fait, lui, "pour les mêmes raisons", comme le prescrit la loi, soit dans le but d'abaisser ou de discriminer un groupe de personnes en raison de leur race, de leur appartenance ethnique ou de leur religion, alors qu'un néo-nazi écrivant les mêmes choses serait présumé les proférer par antisémitisme.

* * *

 

Les intellectuels sont placés devant un dilemme. S'il est évidemment impensable de nier le crime, et qu'il est interdit de discuter son ampleur, peut-on néanmoins poursuivre des recherches sur l'arme du crime ?

Tout dépend du but poursuivi. M. Georges-André Chevallaz et M. Edmond Aubert ont chacun plaidé dans "24 Heures" contre l'interdiction du livre, s'attirant les foudres des gardiens de la Mémoire, parmi lesquels les inévitables Bernard Lavrie et Joseph Zittoun, qui bombardent sempiternellement les rédactions des mêmes lettres de lecteurs pour s'indigner de toute tentative de débat historique sur un objet qui ne
susciterait, selon eux, plus aucune controverse puisque "plus de dix mille études sérieuses sur la Shoah, dues aux meilleurs historiens, ont été publiées à ce jour".

Ceux qui ont lu le Garaudy s'étonnent de tant de bruit. Les juristes spécialisés sont prudents ; "Il est exclu d'utiliser le 261bis au moindre doute émis sur l'Holocauste. On risquerait alors d'interdire toutes les recherches et argumentations scientifiques. C'est impensable" dit M. Alexandre Guyat. L'éditorialiste de 24 Heures constate qu'en séquestrant un ouvrage, c'est la liberté d'opinion qu'on a mis à mal (...) En vertu
de quel privilège un Etat s'arroge-t-il le droit de penser à notre place ? s'écrie M. Luque. Nous avons la naïveté de penser que les lecteurs sont responsables et capables de discernement. Dans une démocratie digne de ce nom, c'est une question de respect envers le citoyen...

Mme Valérie Barth, quant à elle, n'a pas vu le piège : "En tant que juge d'instruction, je veux éviter le débat historique. Mon travail consiste à appliquer un article de loi qui a été voté par le peuple. Je n'ai pas à donner de jugement de valeur. Quand on juge un trafiquant de haschich, on n'entre pas dans la polémique sur les bienfaits et les méfaits de la drogue".

Outre que la comparaison manque singulièrement de pertinence, on se réjouit de la candeur de la justice vaudoise qui prétend simplement "appliquer un article de loi" mal rédigé et se référant expressément à des événements historiques tout en évitant le débat historique, en saisissant des livres et en inculpant le libraire !

Bonne chance !

 

Claude PASCHOUD



Sur le fil de l'orthodoxie
 
"Un ange dit à St-Jean : Le temps est proche. Que celui qui commet l'injustice la commette encore; que celui qui est souillé se souille encore; que celui qui est juste se justifie encore; que celui qui est saint se sanctifie encore. Je vais venir bientôt rendre à chacun selon ses oeuvres."

                                                                          Apocalypse, ch. XXII, v. 10 à 12.


Le numéro 111 (mai-juin 1996) de la revue "Fideliter" porte un titre triomphaliste : "ni schismatiques ni excommuniés : l'Aveu de Rome". Et l'éditorialiste (Monsieur l'abbé Benoît de Jorna) écrit : "Ce numéro de Fideliter manifeste clairement que la Fraternité Saint-Pie X n'est en rien coupée de l'Eglise". La lettre du Cardinal Cassidy, du 3 mai 1994 et commentée par Monsieur l'abbé Michel Beaumont (cf. infra & note ci-dessous) confirme cette analyse. Quant au droit, un entretien avec l'abbé Murray, auteur d'une thèse soutenue à l'Université grégorienne de Rome : "Le statut canonique des fidèles de feu l'archevêque Marcel Lefebvre et la Fraternité Saint-Pie X : sont-ils excommuniés en tant que schismatiques ?", entretien repris pour l'essentiel d'une revue américaine : "The Latin Mass", semblerait à première vue dissiper toute réserve sur un sujet oh ! combien délicat et complexe !

Donnons un premier bémol : l'aveu de Rome n'est, en réalité, que celui d'un prêtre du diocèse de New York et qui, de surcroît, ne se penche aucunement sur le fond du litige doctrinal et liturgique entre Ecône et Rome ! Pour ce qui concerne la question plus précise du schisme et de l'excommunication, cette thèse en nie l'existence pour le présent, mais son auteur ne l'exclut pas pour l'avenir...: "Pour autant que je puisse en juger, à moins qu'il n'y ait d'autres négociations, ce mouvement va probablement continuer à s'éloigner de l'Eglise. Il le doit, afin de justifier son existence propre." Il sera donc schismatique s'il ne l'est déjà ? demande Roger Mac Caffrey, de la revue américaine : "The Latin Mass". Voici la réponse de l'abbé Murray : "Oui. -- C'est peut-être un mouvement schismatique mais qui n'a pas été frappé de sanctions canoniques pour schisme tout simplement parce que la nouvelle loi exige que nous examinions l'état subjectif de Mgr Lefèbvre au moment des consécrations, selon ce que prescrit le nouveau code de droit canonique".

Comme on peut le constater, la thèse est prudente. Elle ne reproche à Rome qu'un vice de pure forme pour que soit ou devienne objectivement fondé le "Motu proprio Ecclesia Dei adflicta" de juillet 1988 du pape Jean-Paul II. Et c'est sans doute dans ce sens-là, savoir d'un examen plus attentif et approfondi par Rome des dispositions subjectives de chacun des prélats consécrateurs, qu'il faut comprendre l'initiative du Vatican de casser une sentence d'excommunication prise par un évêque d'Hawaii, Mgr Ferrario, il y a deux ans, à l'encontre d'un groupe de laïcs "parce qu'ils fréquentent un schismatique", les déclarant eux-mêmes schismatiques. Le Préfet de la Congrégation romaine pour la Doctrine de la Foi a
formellement reconnu dans son décret d'annulation de la sentence épiscopale que ces fidèles n'étaient pas schismatiques.

Dont acte.

Toutefois si, à Rome, on ne veut décidément toujours pas voir le problème de fond - seul un jugement sur la doctrine professée et développée par Mgr Marcel Lefèbvre, par Mgr Antonio de Castro-Mayet et à leur suite, par les prêtres de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, depuis la fin du dernier Concile oecuménique du Vatican, serait à même de désamorcer ce conflit intérieur à l'Eglise catholique romaine (1) - il semblerait qu'également à l'intérieur de cette Fraternité sacerdotale on ne veuille pas voir non plus que les sacres épiscopaux du 30 juin 1988 posent un réel problème à la conscience catholique, car il s'agit là d'un fait absolument nouveau dans toute l'histoire de l'Eglise. Après le ton conciliant et amène de l'abbé Michel Beaumont dans son article : "La Fraternité dans l'Eglise : l'aveu de Rome" (Ibid., p. 41 à 46).

Il me serait en principe d'autant plus délicat de prendre position dans ce conflit que je ne suis totalement d'accord avec l'avis d'aucun des protagonistes ! Rome se trompe depuis trente ans, c'est une évidence que même des incroyants peuvent constater honnêtement; il suffit pour cela d'une analyse strictement objective et littérale des documents contradictoires antérieurs et postérieurs au dernier Concile tant sur
l'œcuménisme que sur la liberté religieuse au for civil externe, sans même parler de la liturgie. Ecône, de son côté, élude un point absolument central de la doctrine catholique depuis les fameux sacres de 1988, et il n'est pas nécessaire, en effet, d'avoir une formation intellectuelle supérieure pour comprendre, avec l'aide de la foi, que, sans la volonté explicite ou implicite du pape, il n'y a plus d'Eglise catholique, il y a
rupture du lien de charité, qui est tout pour le salut. Pas d'évêque catholique sans le pape, un point c'est tout. La proposition, claire et tranchante, ne nécessite aucun commentaire. L'envoi en mission canonique par l'évêque de Rome détermine absolument la licéité du ministère épiscopal. Aucune suppléance à l'énoncé de cette libre volonté papale n'est tolérable.

Mais le litige liturgique et doctrinal demeurant non traité, la Fraternité Saint-Pierre, ralliée à Rome (mais à quelle Rome ?...) a pris sur elle de gommer petit à petit ces divergences de fond. C'est et ce n'est jamais qu'une troisième impasse à mi-chemin entre le déni de justice permanent et une certaine violence morale contre la personne du Saint Père.

L'abbé Beaumont, légèrement, s'en amuse dans "Fideliter". Il joue avec des symétries aussi faciles que radicalement fausses. Puisqu'il est évident, nous écrit ce prêtre, que Michel de Preux ne gomme pas les divergences relevées avec constance par Mgr Marcel Lefèbvre, rallié, je serais tout simplement plus hardiment absurde que les catholiques dits "Ecclesia Dei"; je suivrai donc les papes successifs même s'ils nous enseignaient que le Christ n'était plus Dieu... (Fideliter, no. 111, p. 46), car il me prête cette formule reprise de mon ancien évêque, feu Mgr Nestor Adam: "Il vaut mieux se tromper avec le pape qu'avoir raison contre lui." Cette formule n'est pas si anti-catholique que l'imagine témérairement et précisément l'abbé Beaumont. La treizième règle "pour sentir avec l'Eglise" s'énonce ainsi : "Pour ne s'écarter en rien de la vérité, nous devons toujours être disposés à croire que ce qui nous paraît blanc est noir, si l'Eglise hiérarchique le décide ainsi." Perinde ac cadaver...

Mais encore faut-il que l'Eglise le décide ! Tant qu'elle ne le fait pas, et de la manière qui convient à la nature de l'enseignement contesté de bonne foi, avec science et prudence, toute liberté demeure de voir blanc ce qui est blanc et noir ce qui est noir, et d'y rendre les autorités ecclésiastiques attentives. Ce que, pour notre part, nous n'avons cessé de faire, négligeant toutes les susceptibilités, d'où qu'elles vinssent,
pour ce seul intérêt majeur.

On peut polémiquer, même dans l'Eglise. La polémique est un bon combat lorsqu'elle est pratiquée loyalement. Telles ne sont, hélas, pas les moeurs de l'abbé Michel Beaumont, qui pousse la caricature vers la manipulation de texte et le travestissement de la pensée d'autrui. Où a-t-il lu, sous mon nom, qu'il faille "obéir au pape en toute quiétude, car il est en mesure de décider (sous-entendu par un acte de juridiction) que le blanc est noir." (Ibid.). J'ai écrit que la volonté particulière du pape, dont la liberté intérieure et extérieure lui est un droit propre et inaliénable, étant souveraine, nul ne peut lui en substituer une autre, notamment pour le choix d'un évêque lorsque lui-même a exprimé la sienne dans un
sens. Cette vérité de droit canonique demeure même au péril de l'Eglise, péril qui n'est jamais qu'apparent de notre point de vue humain. Et je serais disposé à défendre cette liberté d'action de Jean-Paul II jusqu'au sang, quoi que ce Pontife ait pu écrire par ailleurs, qui heurte la foi catholique. mais je serais également prêt (et je l'ai d'ailleurs signifié à Rome), si ce pape ou un autre après lui, imposait l'erreur en matière de foi par un jugement d'apparence solennel mais faux, à le dénoncer publiquement aussitôt comme Antéchrist, Suppôt de Satan, usurpateur de la Chaire de Pierre, hérétique, schismatique et scandaleux. Dans le premier cas, je défends le droit d'autrui, qu'Ecône n'a pas totalement respecté,
même si sa violence est explicable et réparable; dans l'autre, je défends mon propre droit, qui me vient certes de l'Eglise, mais qui n'en est pas moins désormais, depuis mon baptême, le mien, dont l'intégrité est à ma garde personnelle et sur la défense de laquelle Dieu m'interdit de faire aucune concession, aucune édulcoration mondaine, aucun accommodement de complaisance politique, faisant mienne la condamnation de la dernière proposition du Syllabus : "Le Pontife Romain peut et doit se réconcilier et composer avec le progrès, avec le libéralisme et avec la civilisation moderne."

Qu'ont fait d'autre les derniers papes depuis Paul VI ? et la majorité des Pères du IIème Concile oecuménique du Vatican ? Il y a cependant la promesse du Christ que la foi de Pierre ne faillira point. Celle de Pierre, non de son simulacre éventuel. Tout est là.

 

Michel de PREUX
 

1) "Le Dicastère sur l'Œcuménisme n'est pas concerné par la Fraternité Saint-Pie X. La situation des membres de cette Fraternité est une affaire interne à l'Eglise catholique. La Fraternité n'est pas une autre Eglise ou une communauté ecclésiale dans le sens qu'utilise ce Dicastère". Edward, Card. Cassidy, président du Conseil Pontifical du Mouvement pour l'Unité des Chrétiens. Cette lettre est datée du 3 mai
1994.

Elle confirme les conclusion formelles de la thèse soutenue par le Rd Père Murray, sans plus. Mais la Fraternité Saint-Pie X constitue tout de même une "affaire", même si celle-ci est intérieure à l'Eglise catholique romaine.

Qui porte la responsabilité principale de cette "affaire", de son pourrissement ou de son enlisement ? Ecône a-t-il sa part de responsabilité dans la complexité croissante des difficultés de Rome à trancher ? Je ne le sais pas et cela n'est du reste pas de mon ressort. Je sais néanmoins que j'use d'une vraie liberté en assistant aux offices des prêtres de cette Fraternité, sans considérer qu'elle est seule catholique romaine.

MP

 



 
Les larmes de Moscou
ou
la fête des mères

 

Plus rose que jamais, Boris arbore les rues de Moscou, danse sur la Place Rouge, et se fait couvrir de fleurs, juste un mois avant les élections. Oubliés les jours dans les hôpitaux pour de soi-disantes crises cardiaques, dont personne à l'étranger ne fut dupe, en observant à des intervalles répétés les débats clownesque d'un chef d'Etat devant micro et T.V., dus à la surconsommation de Vodka !

Un mois, donc, avant les élections, le président russe aura toutes les chances de les remporter. Ajoutons que les contributions en dollars, et en Ecus, se chiffrant par milliards, lui auront fourni l'aide la plus efficace.

Un défilé, dépourvu du grandiose de jadis, pour commémorer la fin de la Seconde Guerre Mondiale, mais une démonstration favorable à l'Armée Rouge ! Du point de vue de la publicité officielle, voilà qui ajoute à la campagne électorale, dans laquelle Boris apparaît toujours flanqué des hauts dignitaires du Clergé orthodoxe, ce qui influe grandement la mentalité russe, favorable à sa réélection proche.

Mais il y a à Moscou, dans la rue Loutchnikof, un bureau minuscule et modeste, qui ne désemplit pas de la journée. Ses murs sont couverts de petites annonces manuscrites, et les gens qui y défilent sont les mères des soldats disparus qui cherchent à obtenir des nouvelles de leurs fils affectés au service militaire; savoir s'ils sont encore vivants, et souvent apprendre dans quelles circonstances ils sont morts. Car les mères des soldats incorporés ont créé un "Comité des mères des soldats disparus". Il siège en plein centre de Moscou. Il y a une année encore, les familles se pressaient autour de listes imprimées fournissant des renseignements par catégories : décès, disparitions, prisonniers. Maintenant, le Comité est informatisé, et ne publie plus aucune liste. Notre souci est devenu la précision et le contact direct ! Même avant la guerre en Tchétchénie, les mères avaient déjà commencé à se mobiliser. La fondatrice est Mme Lioubov Lydmar, dont le fils serait mort lors d'une tentative de "suicide". Mais quand le corps de la victime a été rapatrié, on a décelé de nombreuses lésions, et il y manquait encore la tête ! La jeune recrue
n'était donc pas morte lors d'une opération militaire, mais de sévices au cours de son service national. Les démêlés juridiques ont duré deux ans, avec comme suite un nouveau rapport d'autopsie et la restitution des restes de la victime dans une boîte en carton. Une autre mère, dont officiellement le fils se serait également suicidé, a retrouvé le corps de son fils, avec le sexe coupé, les doigts mordus, et le dos troué par une baïonnette. La hiérarchie militaire admet actuellement l'existence en temps de paix de morts violentes, meurtres déguisés en suicides, viols, tabassage, malnutrition, vrais suicides, et véritables désertions.

Au sein de l'Armée russe règne le climat de la "Diédovchtchina" ce qui signifie : la terreur exercée par les anciens (1 an de service sur les "bleus" qui arrivent de tous les coins du pays. Cette tendance, passée sous silence par les autorités militaires remonte aux années 1980, quand l'Armée russe admit en son sein les condamnés de droit commun. Quant à l'envoi sur le front de Tchétchénie, Boris Eltsine et son ministre
Gratchev avaient annoncé à la cantonade qu'aucun appelé ne serait plus envoyé au front. Or, à la même époque, une lettre d'un jeune soldat racontait : "On nous avait déclaré rejoindre un certain régiment; or, on nous a fait monter dans l'avion à Moscou et fait débarquer à Grosny en pleine offensive de décembre 1994".

Les mères des soldats n'ont pas seulement un comité à Moscou, mais des sections locales. Les parents des disparus sont régulièrement éconduits; mais à la morgue de Rostov 226 cadavres de soldats non identifiés s'entassent depuis une année. Mais les mères de victimes, dont l'association ne reçoit ni subsides, ni subvention, ni mécénat, ne sont pas restées inactives. La fondation allemande Heinrich Böll leur est venue en aide, et elles ont ainsi multiplié les consultations juridiques, avec plus ou moins de succès, ouvert des asiles de bénévoles, et publié un manuel "à l'usage des insoumis".

Mais leur initiative et leur détermination sont allées beaucoup plus loin. La mère d'un jeune appelé, Flora Salkikhovskaia, a organisé en pleine guerre de Tchétchénie, un véritable rapt de recrues avec l'aide des rebelles tchétchènes. Voici le récit d'une mère : "C'est un chef indépendantiste qui m'a signalé qu'il détenait mon fils. Il s'est engagé à me le restituer si je me rendais sur place. Il a tenu parole, il nous a
aidé à franchir les lignes russes et nous a donné 100 dollars pour le retour". Les statistiques officielles bien sûr n'inspirent guère la confiance, elles déclarent environ 3'000 morts, alors que les observateurs neutres et étrangers, s'ils ont accès au terrain, estiment les pertes russes, au moins à 8'000 morts sans compter les blessés et mutilés; les civils, eux, auront eu de leur côté probablement environ 30'000 victimes.

Un soldat a raconté le 31 décembre 1994 : "on nous a fait entré à Grozny, nous étions 446; tout de suite nous fûmes encerclés, et réduits à 84 individus valides. On dénombra 138 blessés, 74 hommes furent portés disparus, dont le commandant d'unité dont on ne retrouva le corps qu'une année après".

L'administration militaire fait des siennes. "Porté disparu" signifie pour une mère russe : ne pas toucher d'indemnité, qui se monte à environ 600 francs de notre monnaie, et en plus, lors de l'érection du monument aux morts à Maïkop le nom de son fils disparu ne figure pas.

Dans une armée en décomposition, la malnutrition a fait son apparition et des Tchétchènes racontent que des soldats d'une unité d'élite lors de l'encerclement d'un village, étaient, heureusement plus préoccupés à poursuivre les vaches destinées à les nourrir, depuis quelques jours ils ne vivaient plus que de la neige ! Aucun chien errant n'échappe à la boucherie pour nourrir les hommes. Même dans les régions proches de
Moscou !

Et le journal "Novaïa Gazetta" relève la mort par inanition d'un jeune soldat de 21 ans, 1m80, qui pesait encore 41 kilos lors de son autopsie !

Voilà donc les parents des victimes des sévices au sein de l'Armée Russe, mobilisés cotre le silence de la hiérarchie militaire et sa complicité.

Mme Carrère d'Encausse, aujourd'hui académicienne, avait prédit avec des années d'avance la décomposition de l'ex-URSS. Elle pourrait de nos jours annoncer la future décomposition de la Communauté Russe présidée par Boris. Rien ne manque apparemment à cet aspect futur.

Quelle réflexion reste à faire à ce minable professeur de l'Histoire russe, qui, il y a une dizaine d'années, insultait Mme Carrère d'Encausse, en la traitant d'idiote, et cela devant le parterre d'un amphithéâtre d'université à Genève ?

TRIBOULET

(fou du roi)