Lausanne 26e année         «ne pas subir»             Mai 1996 No 255

Sommaire :

Formation professionnelle : on cherche un flic !
Mary Amos est-elle encore vivante ?



 

Formation professionnelle : on cherche un flic !

La plupart des experts sont convaincus qu'une part non négligeable du chômage qui sévit actuellement en Europe (et ailleurs) provient d'une inadéquation entre l'offre et la demande de travail. En d'autres termes, les employeurs ont peine à trouver, sur le marché du travail, des femmes et des hommes possédant les qualifications professionnelles nécessaires à l'emploi vacant.

Cette constatation confère une importance cardinale à la formation et au perfectionnement professionnels, matières qui détermineront demain la compétitivité des entreprises, leur santé financière, l'équilibre de la balance commerciale, le retour à la prospérité des ménages privés, le plein emploi et le redressement des finances publiques.

Puisque la formation professionnelle est largement déterminée par des lois et règlements, lesquels, par nature, ont toujours une ou deux longueurs de retard par rapport à la réalité technique ou économique, il est indispensable que les chef des services de la formation professionnelle, au niveau de la Confédération ou dans les cantons, soient des personnes exceptionnellement ouvertes à la nouveauté, sachant
en amont influer sur la formation des lois et règlements dans le sens d'un étatisme minimum, en aval déléguer jusqu'au plus bas niveau de compétences, aux directeurs d'établissements de formation, à raison des filières très diverses et des spécificités de chacun.

Jusqu'à présent, ces directeurs d'établissements, conscients des mutations technologiques et économiques, ont mis sur pied, de leur propre initiative, de nombreuses formations nouvelles, ont noué des contacts avec des établissements comparables, en Suisse et à l'étranger, ont développé des centres de recherche et développement en collaboration avec le secteur privé. Pour ne prendre qu'un exemple, l'Ecole
d'Ingénieurs de Lausanne a inauguré des cours de perfectionnement dans le domaine de la conception et fabrication assistées par ordinateur, des cours postgrades en informatique, ainsi qu'en collaboration avec l'Union technique suisse, des cours postgrades d'ingénieurs de gestion. L'EIL collabore avec des centres et entreprises régionales, nationales ou internationales (p. ex. l'Ecole centrale de Paris et celle de Lyon, l'Institut supérieur industriel de Lièges, l'Université de Kalrsuhe, l'Ecole supérieure d'Ingénieurs en électrotechnique et électronique d'Amiens etc.). Le centre CFAO de l'Ecole d'Ingénieurs de Lausanne jouit d'une réputation flatteuse dans toute l'Europe dans son domaine de compétence particulier, soit la méthodologie de conception des produits mécaniques, la création des bases de données industrielles pour la CFAO et l'ingénierie simultanée.

Ces développements ont pu être réalisés non pas grâce au soutien de l'Etat, mais plutôt malgré l'esprit tatillon et souvent borné de l'appareil étatique.

Les défis qui se préparent, notamment le projet de Haute Ecole Spécialisée (HES) de Suisse occidentale, qui devrait regrouper une vingtaine d'établissements d'enseignement professionnel supérieur, rendent indispensable, à la tête des services, de hauts fonctionnaires de carrure exceptionnelle, fonctionnant comme coordinateurs des initiatives individuelles, et avocats des génies locaux auprès de l'administration
cantonale ou centrale.

Le poste de chef du service de la formation professionnelle du canton de Vaud est actuellement vacant, son titulaire actuel ayant choisi une autre voie. C'est l'occasion inespérée de remplacer cet homme charmant, courtois... et terriblement fonctionnaire par le leader rassembleur d'énergies que nous décrivions plus haut.

Or, que lisons-nous dans l'annonce destinée à susciter les candidatures ?

Le cahier des charges est celui d'un gendarme. Son premier objectif est ainsi rédigé :

"Garantir l'application des dispositions légales et réglementaires, fédérales et cantonales, en matière de formation et de perfectionnement professionnels".

Sa deuxième tâche serait-elle de canaliser les enthousiasmes, d'insuffler à ses partenaires un esprit prospectif, de favoriser la recherche, d'être à l'écoute des entreprises privées et de traduire leurs besoins en programmes enseignables ? Non point, mais seulement de "gérer les moyens mis à disposition", ce qu'on requiert même d'un simple apprenti et d'"assurer le développement des formations OFIAMT...", bref, d'être un parfait fonctionnaire, comme son prédécesseur.

Le pire est plus loin :

"Vous apportez une ténacité suffisante dans le domaine de la formation afin d'asseoir votre autorité dans un contexte fortement décentralisé".

Le chef actuel de la formation professionnelle avait dû constater qu'il n'existait pas beaucoup de points communs entre une Ecole d'Ingénieurs du soir et une Ecole de fromagerie du jour, et que d'ailleurs il n'avait aucune notion quelconque ni de l'ingénierie ni de la fromagerie. Ce "contexte fortement décentralisé" faisait obstacle à son esprit schématique, rendait compliquée l'édiction de règlements simples, applicables à tout le monde, et finalement nuisait à son autorité. Partant du schéma que les différents établissements d'enseignement professionnels doivent être mis au pas, selon le principe militaire bien connu : "Je n'veux voir qu'une tête", il a fait glisser cette sottise dans le descriptif de son poste,
pour rendre service à son successeur.

J'ai de bonnes raisons de m'intéresser à la formation professionnelle et j'apprécie en outre M. Jacques MARTIN, le chef du département de l'agriculture, de l'industrie et du commerce, à qui il faut écrire "si cette opportunité de carrière intéressante correspond à vos attentes". Je me permets dès lors de lui glisser un conseil amical : toutes les candidatures qui lui parviendront, basées sur le descriptif dont je viens de traiter devront impérativement être mises à la poubelle, ou retransmises au Commandant de la police cantonale, ou au directeur de l'arrondissement des douanes, ou à l'administration pénitentiaire, pour suite utile. L'annonce, telle que rédigée, ne peut en effet susciter l'intérêt que d'un flic, d'un gabelou ou d'un maton.

Ensuite, il faudra songer à récrire l'annonce, cette fois ci avec l'aide de vrais professionnels de la matière, par exemple la conférences des directeurs des Ecoles concernées.

Claude PASCHOUD


Mary Amos est-elle encore vivante ?

 

Mary AMOS a vingt-six ans et son père vient d'être tué lorsqu'elle fuit le Liberia, le 30 novembre 1992, et qu'elle parvient en Suisse pour y requérir l'asile "jusqu'à la fin des combats".

L'Office fédéral des réfugiés (ODR), considérant qu'une situation de guerre civile ne saurait justifier l'octroi de l'asile et que d'éventuels préjudices personnels issus d'événements de guerre - telle la mort de son père - ne peuvent être considérés comme refus de la protection étatique puisque, dans de telles situations, l'Etat n'est pas en mesure d'exercer son obligation de protection, refuse de lui accorder l'asile et
prononce son renvoi.

L'ODR expose en outre que la guerre civile ouverte ne règne plus au Liberia, malgré la résurgence de quelques escarmouches meurtrières visant, ici ou là, à plaider le contraire, que la région de Monrovia est sous contrôle des autorités et qu'aucune violation grave des droits de l'homme n'y a été signalée.

Le 19 avril 1995 paraissait dans tous les quotidiens une information faisant état de "massacres à la machette au Liberia" où une soixantaine de personnes, principalement des femmes et des enfants, avaient été tués.

Le 8 septembre, la décision de l'ODR était annulée et l'instruction de la cause reprise. Mais l'instruction de la cause est reprise en allemand, alors que Mary AMOS ne parle que son dialecte local et l'anglais, et que son conseil, dont le Cabinet est à Lausanne, s'est toujours exprimé en français.

Le 20 octobre 1995, nouveau refus d'asile, refus d'admission provisoire et renvoi fixé au 3 novembre (!), assorti d'un retrait (prononcé par l'ODR) de l'effet suspensif au recours éventuel.

Recours contre le retrait, jugé abusif, de l'effet suspensif rejeté le 1er novembre 1995, au motif notamment que "le dossier n'apporte aucun indice fiable d'une situation de persécution menaçante dans le pays d'origine, et que l'intérêt public à une exécution immédiate paraît plus important que l'intérêt privé de la recourante à rester en Suisse".

La recourante est invitée à déposer Fr. 900,00 comme avance de frais pour qu'il soit statué sur son recours, "qu'elle peut, sans inconvénient, poursuivre en étant dans son pays d'origine".

Mary n'avait pas les Fr. 900,00 : elle vivait grâce à la générosité du Foyer Bernadette Carmen, à Martigny, dont je salue amicalement les responsables.

Elle a été expulsée au Liberia à la fin de l'année et on n'a plus aucune nouvelle de sa part.

Les combats à la roquette ont repris dès le 6 avril à Monrovia, aujourd'hui presque entièrement détruite. Les morts se comptent par milliers. Venue sur place "renforcer le processus de paix" comme elle en a l'habitude, la diplomatie américaine, en la personne de M. George Moose, est repartie sans avoir pu entrer en contact, même par téléphone, avec les factions rivales.

Si elle vit encore et qu'elle entend s'écraser les obus des armes lourdes autour d'elle, Mary doit penser à la sûreté des informations dont dispose l'Office fédéral des réfugiés, selon lesquelles la guerre civile ouverte ne règne plus au Liberia, malgré la résurgence de quelques escarmouches meurtrières visant, ici ou là, à plaider le contraire.

C.P.