Lausanne 26e année        «ne pas subir»           Janvier 1996 No 251

Sommaire :

Avis important à nos abonnés
Doublepensée
Réforme de la Constitution fédérale : un projet ambigu
François Mitterrand
US go home... US come back !
 


AVIS IMPORTANT
À NOS ABONNÉS
 
Comme vous l'avez appris par la presse quotidienne, et comme nous vous l'avons laissé entendre dans notre dernier numéro, la décision des PTT, approuvée par le Conseil fédéral, de procéder dès le 1.1.96 à une réadaptation des frais de transport des journaux, a des conséquences très différentes pour certains éditeurs.

Jusqu'au 31 décembre 1995, le tarif spécial JAB était applicable à tout éditeur déposant au moins 100 exemplaires au moins du même tirage, triés et enliassés par numéro postal, avec étiquettes bleues par liasse et bordereau, selon des prescriptions très précises. A ces conditions, le tarif applicable à notre périodique était de 12,5 centimes par exemplaire.

Dès le 1.1.96, ces tarifs sont notablement augmentés. Mais surtout, le nombre d'exemplaire minimum déposé du même tirage doit être égal ou supérieur, non plus à 100 mais à 1000 ! C'est dire que tout périodique dont le nombre d'abonnés est inférieur à mille se voit tenu de payer, pour chaque exemplaire, la taxe entière du courrier B, soit 70 centimes. Les frais de port augmenteraient ainsi, d'un seul coup, de 460% !

Une telle augmentation n'est évidemment pas supportable pour un périodique au budget limité au strict minimum. Toute récrimination paraissant d'emblée vouée à l'échec, le but avoué des PTT étant de réduire de 95 % le nombre des bénéficiaires du tarif préférentiel, il ne nous restait qu'un nombre limité de solutions : au moment où la modification nous a été communiquée par la direction des PTT, soit à mi-décembre, il était trop tard pour proposer à nos abonnés de faire passer le prix d'abonnement de Fr. 30.- à Fr. 35,75. En outre, il nous semblait absurde de payer à la Poste chaque mois, pour 700 exemplaires transportés, Fr. 490.- alors que 1400 exemplaires, au tarif réduit (quoiqu'augmenté) de 15 centimes, nous coûterait Fr. 210.-

C'est pourquoi il est indispensable de trouver, dans les prochains mois, 300 abonnés supplémentaires et de veiller à maintenir, pendant toute l'année, à mille au moins le nombre d'exemplaires expédiés par la poste.
Nous y parviendrons, avec votre collaboration, en deux phases :

1. dans un premier temps de trois mois, nous considérons que l'abonnement que vous avez payé (ou que vous allez payer, en renouvellement de l'abonnement précédent) vous donne droit à deux exemplaires du Pamphlet. Il ne s'agit pas, cependant d'exemplaires "à l'essai" ou d'exemplaires "de lancement", lesquels sont limités à 25 % des exemplaires en abonnement qui ont été transportés par la poste pendant l'année en cours, selon l'art. 52 de l'Ordonnance fédérale 783.011. Il s'agit d'exemplaires compris dans l'abonnement de base. Pour s'exprimer différemment, dans le prix de votre abonnement est compris l'envoi d'un exemplaire du journal, mais des trois premiers numéros à double exemplaire.

2. dans un deuxième temps, soit jusqu'au 15 mars, chaque abonné reçoit mission de convaincre un ami, un parent, un collègue, de conclure un abonnement. Certains d'entre vous nous ont déjà fait savoir, et nous leur en sommes infiniment reconnaissants, qu'en cas d'échec dans cette tentative, ils s'engageaient à assumer eux-mêmes le second abonnement 1996, qu'ils garderaient à leur nom ou qu'ils feraient transférer au nom d'un tiers bénéficiaire.

A fin mars, nous tirerons le bilan. Soit l'opération aura réussi, nous pourrons nous prévaloir d'un nombre d'abonnés payants dépassant mille, et nous pourrons poursuivre la publication aux mêmes conditions, soit elle aura échoué et nous devons nous résoudre vraisemblablement, et tristement, à poser la plume.
Deux mois pour recruter un nouvel abonné. C'est le défi que nous lançons à chacun d'entre vous. Et notre originalité par rapport au TCS ou à la carte Visa, c'est que nous n'offrons même pas de cadeau...

Claude PASCHOUD
éditeur
et toute l'équipe du PAMPHLET



Doublepensée
 
Les réactions indignées que la presse quotidienne a pieusement recueillies, après les révélations sur les mensonges de François Mitterrand et de mère Sofia ont permis de constater, une fois de plus, que la plèbe est si amoureusement attachée aux mythes auxquels elle a cru que la vérité lui fait horreur.

Le public réclame une presse honnête, objective, curieuse, des femmes et des hommes publics sincères, probes, transparents. Mais elle a besoin aussi de héros, de saints, de martyrs, d'idoles.

Dès qu'il a promu une crapule au rang de vedette, le vulgaire n'en voudra plus démordre, même si les preuves de l'ignominie surabondent. A cet égard, l'insolente popularité dont jouit encore M. Bernard Tapie est proprement ahurissante.

Je me souviens encore de mon indignation, alors que j'étais petit garçon, lorsque mon père observa un jour, incidemment, que les cow-boys n'étaient, somme toutes et littéralement, que des garçons vachers. Je ne le crus pas. De même, la multiplicité des Pères Noël publicitaires, dans tous les grands magasins, ne me faisait pas douter qu'il existait un vrai Père Noël qui venait réellement m'apporter des cadeaux dans la nuit du 24 décembre.

L'homme simple a besoin d'images, d'où l'importance quasi-mystique de la querelle suscitée par les empereurs iconoclastes. Le briseur d'images, même s'il a raison, est un salaud, un charognard, un fouille-merde, dans les cas les plus graves un révisionniste.

Le président de la République française a menti pendant quinze ans sur son état de santé. On peut légitimement se demander si c'était nécessaire, d'une part, et dans quel autre domaine il s'est cru autorisé à travestir la vérité qu'il s'était pourtant solennellement engagé à révéler. Mère Sofia s'était "construite" un passé imaginaire. Etait-ce bien utile ? Les mérites de l'un et de l'autre auraient-ils pâti de la stricte réalité ou, s'ils l'avaient préféré, du silence ?

Les révélations récentes ont suscité la consternation, ce qui est compréhensible, mais aussi la haine, ce qui est plus curieux. On croyait révolu le temps où l'on mettait à mort un messager de mauvaises nouvelles.
Il faudra s'accommoder de cette ambiguïté : l'une des faces du peuple-Janus crie qu'il veut la vérité et l'autre s'indigne qu'on la lui révèle. Dans son célèbre roman "1984", George Orwell a parfaitement décrit le phénomène de la doublepensée : La doublepensée est le pouvoir de garder à l'esprit simultanément deux croyances contradictoires, et de les accepter toutes deux. Un intellectuel du Parti sait dans quel sens ses souvenirs doivent être modifiés. Il sait, par conséquent, qu'il joue avec la réalité, mais, par l'exercice de la doublepensée, il se persuade que la réalité n'est pas violée. Le processus doit être conscient, autrement il ne pourrait être réalisé avec une précision suffisante, mais il doit aussi être inconscient. Sinon, il apporterait avec lui une impression de falsification, et, partant, de culpabilité. La doublepensée se place au coeur même de l'Angsoc, puisque l'acte essentiel du Parti est d'employer la duperie consciente, tout en retenant la fermeté d'intention qui va de pair avec l'honnêteté véritable. Dire des mensonges délibérés tout en y croyant sincèrement, oublier tous les faits devenus gênants puis, lorsque c'est nécessaire, les tirer de l'oubli pour seulement le laps de temps utile, nier l'existence d'une réalité objective alors qu'on tient compte de la réalité qu'on nie, tout cela est d'une indispensable nécessité".

François Mitterrand, mère Sofia, aussi bien que les contempteurs du Dr Claude Gubler ou des rédacteurs de l'Illustré, tout comme les historiens spécialistes de l'histoire contemporaine furent, sont, par la volonté populaire, des adeptes pratiquants de la doublepensée.

La saisie judiciaire du "Grand Secret" et l'article 261bis du Code pénal sont là pour nous rappeler qu'il est malséant de rétablir les faits lorsque le public veut croire à des fables et que les menteurs sont morts.

Claude PASCHOUD


Réforme de la Constitution fédérale
Un projet ambigu
 

Dans sa collection Etudes & Enquêtes, le Centre patronal vient de publier une étude de M. Christophe Reymond remarquable à plus d'un titre.

Après un brève introduction historique rappelant que la revision de la Constitution est à l'ordre du jour depuis plus de trente ans, l'auteur a choisi d'articuler son étude, de façon formaliste, sur le modèle du "questionnaire" expédié, par les services de M. le Conseiller fédéral Koller, aux destinataires de la consultation. C'est ainsi que la prose de M. Reymond se lit fort aisément, malgré la compexité du sujet : elle est construite en réponses données aux 28 questions posées par l'administration fédérale en annexe au texte même du projet. La première de ces questions étant : "Une révision constitutionnelle vous paraît-elle nécessaire", il était relativement aisé à M. Reymond de montrer que cet exercice ne correspond à aucune vague de fond, à aucun élan, qu'il n'est réellement appuyé par aucun parti, aucune organisation d'importance, et que les véritables réformes constitutionnelles nécessaires (désenchevêtrement des compétences, restitution de tâches aux cantons par la voie du fédéralisme différencié, partage des ressources fiscales) ne sont pas abordées par le projet, et que dès lors, la révision de la Constitution n'est pas nécessaire.

On aurait pu s'en tenir là. Mais M. Reymond, tout en reconnaissant les mérites stylistiques des auteurs du projet, a patiemment disséqué, dans le texte soumis à sa sagacité, les dangers d'une entreprise qui va bien plus loin qu'une simple révision formelle : la tentation de faire passer, dans la foulée, certaines réformes dont quelques unes "dans une phase ultérieure", le retour par la fenêtre de certains dadas de l'Etablishment fédéral que le peuple avaient renvoyés par la porte, comme la consécration de la liberté de la langue ou la compétence fédérale en matière de culture etc.

Sur plusieurs points, l'auteur reconnaît les mérites du projet : peu de dispositions qui pourraient être renvoyées au rang législatif, possiblité d'étudier l'extension de la juridiction fédérale administrative à une juridiction inférieure, ainsi que de limiter l'accès au Tribunal fédéral, sous certaines réserves, possibilité également d'attribuer au TF un rôle de Cour constitutionnelle, chargée d'examiner la compatibilité d'une loi fédérale avec la Constitution.

Mais, dans l'ensemble, toutes ces réformes peut-être souhaitables ne nécessitent nullement de révision totale de notre Charte fondamentale, qui donne globalement satisfaction grâce, notamment, aux 136 modifications intervenues depuis 1874.

C.P.



François MITTERRAND
 
"Il y a un pacte millénaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde"
Charles de Gaulle
"C'est une accablante entreprise que d'expliquer un peuple, surtout quand il n'existe pas"
Charles-Ferdinand Ramuz
 
Il est convenu dans certaines familles bien pensantes, dans des sphères libérales de droite et dans des cercles religieux conservateurs ou "intégristes", pour une fois réunis, de porter un jugement sévère sur l'ancien président de la république. Cette sévérité m'a toujours agacé, quoiqu'elle ne fût pas sans fondement. Parmi ces austères censeurs, je citerai le chef du "Mouvement pour la France", M. Philippe de Villiers, répétant que cet homme avait été "le grand corrupteur de la société française". On s'est moqué aussi, à droite, de ses grands travaux, qualifiés de pharaoniques, sans même parler des sinuosités de son trajet politique où, du reste, la droite nationale exprimait dans ses invectives autant d'amertume que de critiques... C'est à croire qu'avec un tel personnage "de roman" (selon Jean d'Ormesson), nous serions tous forcés de prendre, à son sujet, non point seulement parti, mais un parti.

Je vais tenter ici un essai plus difficile : me distancer, malgré la pression constante et diffuse d'un univers politico-médiatique désespérément clos sur lui-même, de tous les partis, pour mieux comprendre les motivations d'une action publique d'envergure conduite jusqu'à son terme par un homme qui avait épousé la politique plus que la France, d'où son heurt fatal avec de Gaulle, lequel discréditait la politique au nom de la légitimité de son union personnelle avec la France.

En ce siècle de scepticisme métaphysique, ce n'est pas le moindre paradoxe de constater que les querelles de cet ordre non seulement subsistent, mais restent absolument déterminantes dans la vie publique en France. En devançant l'histoire par une correcte intuition des rapports de force dans le deuxième conflit mondial, dès juin 40, de Gaulle n'a pas seulement vaincu Pétain et son régime par une vision initiale dont Pétain et ses lieutenants étaient totalement dépourvus - il n'aurait dans ce cas laissé que la mémoire d'un stratège plus lucide que ses supérieurs - il a restauré, raffermi, sauvé et revitalisé la conscience nationale des Français, conscience sans laquelle toute révolution nationale était d'avance vouée à l'échec. La voix du sacrifice n'était pas, (contrairement à un trouble contresens vichyste, générateur de consciences malheureuses jusqu'à maintenant dans la droite française, dite extrême), l'abandon même provisoire de la vocation à l'indépendance de la France, vocation d'ailleurs liée à l'application loyale de nos traités internationaux, par un moralisme faux, mais le report de toute reconstruction nationale intérieure après l'issue de l'affrontement avec les forces armées du IIIe Reich, depuis la métropole ou depuis les territoires de l'empire. C'est quand un homme est à terre qu'il lui est moralement interdit de transiger sur son honneur. Une nation réduite en mois par une attaque foudroyante de blindés doit, non pas négocier des avantages matériels, mais préserver son âme.

Et comme les peuples ne pensent jamais que par leurs chefs, ceux de France pensèrent d'abord comme Pétain, puis comme de Gaulle. Cependant, la victoire du Général à titre provisoire sur le Maréchal de France, vainqueur de Verdun, portait en elle toute la tragédie de la France contemporaine. Car cette victoire reposait sur une forme de falsification de notre histoire : le refus d'admettre que les peuples de France n'étaient point entrés en résistance tout en maintenant le mythe "légitimiste", soigneusement entretenu par de Gaulle, selon lequel le chef de cette résistance ne pouvait trouver que dans l'expression du suffrage universel la ratification de son initiative salvatrice. Au fond, de Gaulle, qui agit seul à Londres, avec le concours de quelques Anglais, n'a cessé de demander à ses compatriotes de se déjuger pour se réhabiliter. Tout le malaise gaulliste vient de là. François Mitterrand y fut toujours superbement étranger et le prouva à la fin de son second septennat, avec quelle magnifique indépendance d'esprit ! Ce fut là son premier gage de victoire sur l'homme du 18 juin. Et il n'était pas mince. Bien des Français l'avaient compris.

L'effort gaullien d'imposer un sens à l'histoire de France, en partie démentie par l'histoire de la France, permit néanmoins un nouveau déploiement de la force vitale du pays, mais les Français ne prirent garde au fait que cette force était non plus terrienne et politique, mais essentiellement littéraire et idéologique. De Gaulle, sous la Ve République qu'il créa, persistait à nourrir le mythe résistancialiste, l'adaptant à la décolonisation, c'est-à-dire tournant le dos à la reconstruction nationale mal engagée par Vichy mais qui, après la guerre, aurait pu retrouver un sens dans la défense d'un espace impérial français afro-asiatique, dans une lutte aussi réelle que réaliste contre les deux seuls blocs qui comptent véritablement dans l'ordre international : le bloc, non point occidental mais anglo-saxon, et le bloc russo-communiste. J'ai la conviction que François Mitterrand a parfaitement saisi cette faille du gaullisme et qu'il tenta de la réparer par l'affirmation d'une présence culturelle de la France dans le monde et par les grands travaux qu'il favorisa, tant à Paris qu'en province. Il était en cela un authentique continuateur idéologique et littéraire du gaullisme, mais il consacrait en même temps la rupture de celui-ci avec la politique terrienne de Vichy, dont toute l'actuelle crise agricole est née, qui lui échappa totalement aussi bien dans ses causes profondes que dans sa portée. Précisons ici que la ruine de la paysannerie française avait été une opération gaullienne délibérée, opération qui s'appuyait sur l'Europe et dont Mitterrand, avec les socialistes, acceptèrent l'héritage sans état d'âme.

Ici cependant nous apparaît le premier paradoxe de François Mitterrand : cet homme du terroir, de qui la culture littéraire épousait si docilement les contours du pré carré qu'en mille ans dessinèrent avec patience et ténacité les prince de la troisième dynastie, au nom de la rupture sans cesse proclamée avant son arrivée au pouvoir, avec un ordre traditionnel des choses, rupture dont le parti socialiste avait été pour lui l'instrument de réalisation politique idéal, présida donc sans scrupule, avec détermination même, à la mondialisation de l'économie française, après un bref intermède de nationalisations, concédées comme un dernier tribut à une pensée caduque du siècle dernier. Mitterrand ne se sentit pas longtemps lié par de tels dogmes séculiers, jusqu'en 1983 et, par réalisme autant que par intérêt, regagna bien vite la social-démocratie, qui le récompensa en lui offrant la durée politique, sans pareille dans les annales républicaines en France. Aussi ne faut-il pas s'étonner si le mérite que la classe politique établie lui reconnaît n'est point la cohérence de son discours de gauche libéral, ni même la continuité de sa politique économique avec le gaullisme pompidolien, qui libéra l'esprit spéculateur des chefs d'entreprise en admettant la délocalisation de leur main-d'oeuvre dans le tiers-monde, mais l'incohérence pacificatrice de la normalisation politique par l'acceptation de l'alternance, malgré le grief du "coup d'Etat permanent" porté naguère contre le fondateur de la Ve République. Mais il s'agit bien d'une "normalisation" selon le schéma de pensée collectiviste, car elle implique en permanence la marginalisation des nouveaux dissidents du Front national.

La passation des pouvoirs du 17 mai 1995 illustra le plein succès de ce processus en même temps qu'il enlevait un dernier argument à l'orléanisme politique. De la part d'un ancien royaliste, cette ultime légitimation du choix républicain ne manquait pas de piquant. Mitterrand fut, après Mac-Mahon, le second royaliste d'origine à consolider les institutions de la république en France.

En république, en démocratie, tous les citoyens sont égaux et, selon leur force groupée, appréciée par l'élection, mènent comme ils l'entendent une politique intérieure et extérieure que le suffrage universel est seul à sanctionner dans les limites d'alternances partisanes prédéfinies de manière quasi-occulte, compte tenu des origines révolutionnaires et sectaires de la république en France. Qui, dans ces conditions, peut faire grief à François Mitterrand d'avoir suivi de Gaulle en dominant ses compatriotes par le verbe et de s'être vengé de lui en épousant la politique sans cesser de conserver, à l'arrière-plan, comme dans ses affiches électorales (qui ne mentaient pas, quoi qu'on dît), une "certaine idée de la France" ? Cette idée n'était pas orgueilleusement appropriée par un combattant solitaire; elle était tendrement caressée par un homme de lettre convivial, nostalgique d'une civilisation sans doute à jamais perdue, qui était aussi un politicien volontaire et ambitieux.

Au fond, Mitterrand, n'était-ce pas aussi, un peu, la vengeance secrète de Vichy contre de Gaulle, celle d'une France vaincue et occupée qui prenait son parti d'une autre défaite et d'une autre occupation, pour se tourner vers son passé littéraire comme vers sa seule identité véritable ?
 
Michel de PREUX



US go home... US come back !
 
La présence de troupes américaines en Europe remonte à présent à plus d'un demi-siècle. Leur installation actuelle en Europe centrale portera officiellement leurs effectifs à plus de 200'000 hommes. Si j'osais employer le terme de "Monde libre", je rappellerais que les accords de Yalta, qui sont restés lettre morte pour Staline, ont fait suivre l'ère des conflits ouverts par l'état de "guerre froide" entre Alliés d'idéologies opposées.

Il n'a pas fallu longtemps à Staline pour imposer le communisme à toute la partie centrale et occidentale de l'Europe, installer le Rideau de fer, lancer des campagnes de subversion à travers l'Europe en voie de reconstruction, créer des Etats satellites, former une république "démocratique" allemande, construire à Berlin un mur séparant les deux communautés (le blocus de l'ancienne capitale datait de 1946 déjà). Des entreprises d'espionnage et de subversion troublèrent l'ordre public en Europe occidentale. Les troupes russes écrasèrent, en Tchécoslovaquie et en Hongrie, les révoltes populaires anticommunistes.

Les grandes parades des mois de mai et d'octobre confirmèrent, avec l'aide de la propagande, la puissance militaire de l'URSS et un climat de peur d'une invasion de l'Occident se répandit dans l'opinion lorsque, face à l'OTAN, se créa le Pacte de Varsovie groupant l'URSS et les pays satellisés derrière des kilomètres de barbelés, de miradors et d'ouvrages fortifiés, qui empêchèrent la libre circulation et les échanges entre l'Occident et les pays communistes.

L'Europe était en pleine reconstruction, et la démobilisation des esprits, las de la guerre, empêchait une attitude ferme et décidée à l'encontre de la propagande subversive et des actions téléguidées par Moscou. Mais la crainte d'une invasion bolchevique possible alerta quand même les Etats occidentaux qui entreprirent alors leur réarmement et conçurent des plans de défense et de résistance. Les stratèges et spécialistes militaires conservaient une vue plutôt pessimiste en déclarant que les armées russes mettraient 10 jours pour arriver de Moscou à Cherbourg, mais en même temps, leur sagacité avait découvert le talon d'Achille de l'énorme puissance militaire soviétique : on nous apprit que le soutien logistique ne serait pas en mesure de suivre, de sorte qu'après leur offensive, les troupes russes n'auraient eu d'autre alternative que de vivre en pays conquis sur les ressources destinées à la population civile indigène : un vrai cauchemar !

Dans ce contexte de peur devenue universelle, la France et la Grande Bretagne se hâtèrent de fabriquer des forces nucléaires, implantèrent des missiles, et créèrent, surtout en Grande Bretagne, des unités légères, rapides, spécialisées sur terre et dans les airs dans la lutte antichars. Avec les missiles soviétiques pointés sur l'Occident, tous les pays se sentirent concernés, même menacés. Vint la période du "téléphone rouge" entre Moscou et Washington, et en Europe les murs s'ornèrent de graffiti : "US go home". La Suisse n'avait aucune raison de croire à l'abri lors d'une éventuelle invasion soviétique. A cette époque parut le manuel "La résistance totale" du capitaine von Dach.

Mais en Europe, les dissensions perduraient. Hautain et orgueilleux, le général de Gaulle décidait de soustraire les troupes françaises, puisqu'elles détenaient la bombe, au commandement américain et allié. La force de dissuasion était née : des rampes mobiles Pluton et Hades stationnèrent en Alsace; des silos avec missiles enterrés s'implantèrent sur les plateaux d'Albion; Dans ses laboratoires, la Grande Bretagne mit au point de nouvelles armes ABC. Les stratèges affirmèrent que l'Allemagne présentait, grâce à la Bundeswehr, le terrain idéal dans le déroulement d'un futur conflit. Avait-on encore besoin de la présence militaire américaine ?

La réponse reste affirmative. La subversion souhaitée et orchestrée par Moscou n'a pas gagné nos mentalités, malgré le slogan des pacifistes allemands : "lieber rot als tot" et il faut attribuer surtout à l'IS britannique de notables succès dans le domaine du contre-espionnage. Les agences pro soviétiques ont été littéralement "écrémées", même si les rivalités anglo-américaines, dans ce domaine, se sont malheureusement trop manifestées.

Reste la grande question : pourquoi l'URSS, le plus grande puissance militaire du monde, n'a-t-elle point déclenché une véritable guerre ? Pour concrétiser la Guerre froide ? La Russie était en réalité ce colosse d'airain cité dans la Bible. Il y eut rupture des relations sino-soviétiques après la mort de Staline et même menaces de la part de Mao, après certains incidents de frontières : "Votre bombe ne nous fait pas peur, affirmait le Grand Timonier, nous avons un milliard et plus de combattants !" En cas de conflit en Europe, la menace chinoise aurait pesé lourd sur l'URSS. Ensuite, ce monde islamique que nous connaissons aujourd'hui hantait déjà, en 1926, les Etats et républiques communistes en Asie centrale et au sud-est du Caucase. Un irrédentisme dangereux, car l'idéologie n'a eu qu'une prise superficielle sur les populations de ces grandes régions. La guerre en Afghanistan attisera encore la haine, non seulement du communisme, mais surtout des Russes. Reste un troisième aspect important : le pacte de Varsovie a englobé une série de pays satellisés, mais certains d'entre eux, comme la Pologne, la RDA ou d'autres, auraient peut-être profité d'un conflit ouvert pour changer de camp et faire cause commune avec la résistance occidentale : les violentes répressions de Prague et de Budapest restaient dans les mémoires.

Mais, encore une fois, la présence armée des Etats-Unis en Europe, avec son artillerie et ses mines atomiques, restait tout de même rassurante et dissuasive. L'Europe seule se serait pas parvenue facilement à endiguer une invasion soviétique.

Les changements importants intervenus auraient-ils modifié la situation, avec la chute du Mur de Berlin, la Glasnost et la Perestroïka ? C'est en Europe centrale, en Yougoslavie (seul pays ayant tenu tête à Staline et proclamé une organisation de "pays non alignés" sous la houlette de feu le petit tyran Tito) qu'un nouveau foyer de guerre a éclaté. La Russie, devenue un Etat démembré et chaotique, avec une armée désorganisée et une économie désastreuse, pourrait, ne nous leurrons point, constituer une aire de retournement en faveur du communisme militant et conquérant et constituer, malgré les efforts des Occidentaux pour son intégration dans l'OTAN, un partenaire peu sûr, aux plans des politiques européenne et internationale.

Les contingents américains sont arrivés en Bosnie, et en passant par la Suisse ! Les antimilitaristes genevois ont dû en piquer des crises d'hystérie. Quant à nous, nous constatons qu'il est bien triste et lamentable que les Européens ne soient pas arrivés eux-mêmes à résoudre cette crise. Appuyé par la puissance des multimédia, Bill Clinton tentera d'effacer ses innombrables revers sur le terrain militaire pour les GIs. Déjà, la TV américaine célèbre la prouesse technique consistant à construire un pont flottant sur la Save et Bill se rend à Sarajevo. Il n'a pas clamé "I am a Bosniac" comme jadis Kennedy s'était senti ein Berliner. Manquant de culture générale, et ignorant les sinistres événements à l'origine de la Première Guerre, il s'est aventuré sans crainte en des lieux malsains.

Mais ce qui importait à nos yeux, c'était de constater que nous sommes à présent inféodés aux Etats-Unis, où un sondage récent effectué par une équipe de politologues a permis de mettre en évidence que 70% de l'opinion américaine est restée indifférente aux événements extérieurs. Nous sommes inféodés sur le plan des affaires par le diktat de l'OMC (ex-GATT) et militairement par la soumission au commandement de l'OTAN et la dépendance de l'ONU à laquelle la Suisse échappe de moins en moins.
C'est la troisième fois que l'Europe fait appel à l'Amérique. Alors ?

TRIBOULET
(fou du roi)