Lausanne 25e année        «ne pas subir»         Décembre 1995 No 250

Sommaire :


Orchidée : l'impasse
Rodéo politique
Question naïve


Orchidée : l'impasse

Pour nos lecteurs domiciliés hors du canton de Vaud, l'orchidée ne représente vraisemblablement qu'une fleur zygomorphe à trois pétales et trois sépales pétaloïdes. Pour les Vaudois, Orchidée est l'opération visant à diminuer de façon drastique le déficit de l'Etat, lequel, malgré les économies prévues, s'élève à 418,4 millions au budget 1996, dont 286,2 millions pour le service de la dette.

Cette situation n'est pas tolérable. Il fallait d'urgence "faire quelque chose". Le Conseil d'Etat a donc mis en route un plan d'économies visant premièrement les Hospices cantonaux (Orchidée I), puis l'ensemble de l'administration cantonale ainsi que l'Ordre judiciaire (Orchidée II).

Pour ce faire, il a fait appel à un consultant extérieur qui fut chargé, non point de déterminer où les économies seraient possibles, mais uniquement de veiller, dans le cadre de la démarche dite "participative", à ce que chaque unité d'analyse ait bien rempli sa mission, soit présenter des propositions d'économie pour un montant égal à 18 % du budget pris en compte.

Les collaborateurs de Bosshard consultants n'étaient donc que des gardes-chiourme, ne comprenant rien aux missions de l'Etat ni au travail des fonctionnaires, mais chargés exclusivement de ramasser les copies à la fin de l'heure.

On observera avec quelque ironie que le premier souci d'un spécialiste de la communication devrait être de convaincre ses partenaires de sa propre utilité. Or, sur ce plan, il eût été difficile d'être plus nul. Le seul numéro réussi de la "Serre aux orchidées", petit journal destiné à justifier la démarche participative auprès des collaborateurs de l'Etat, fut un numéro pirate rédigé avec finesse et humour par les adversaires du projet.

On observera ensuite que les fonctionnaires de l'Etat et les étudiants commettent la même erreur lorsqu'ils descendent dans la rue, lancent des mots d'ordre de grève, ou, pire, lorsque les enseignants incitent leurs élèves à des débrayages. En pays de Vaud, les grèves ne sont guère populaires. Mais lorsque ce sont les agents des services publics et notamment les enseignants qui menacent de faire grève, leur capital de sympathie risque de fondre comme neige au soleil. En période de crise, et alors que n'importe quel salarié du secteur privé se demande s'il ne va pas recevoir sa lettre de licenciement pour la fin du mois, il est maladroit que des enseignants, qui donnent de 25 à 28 heures de cours hebdomadaires et jouissent en outre de 12 semaines de vacances payées par an, chipotent pour une augmentation de 0,49 élève de l'effectif moyen par classe primaire (0,23 élève pour le secondaire et 0,47 pour le secondaire supérieur).
Le Conseil d'Etat a donné l'assurance qu'aucun fonctionnaire ne serait licencié pour des raisons économiques. Sous la pression des organisations syndicales, il a ajouté que les collaborateurs engagés à titre temporaire verraient leur contrat renouvelé pourvu qu'il l'ait été pendant deux ans déjà. Malgré ces concessions, la "plate-forme inter associations", lors de son assemblée du 1er novembre, a ajouté in extremis à ses revendications, sous la pression de quelques excités, l'exigence que le nombre de postes ne soit pas diminué. Une telle position est économiquement indéfendable et discrédite ses auteurs.

UNE DÉMARCHE FAUSSE

Cela dit, la démarche mise en place par le Conseil d'Etat était, dès l'origine, fondamentalement fausse, pour plusieurs raisons.

Comme l'a relevé M. François Besson, directeur d'une institution subventionnée, dans une lettre ouverte au Conseil d'Etat en juin 1995, Bosshard consultants aurait pu s'attacher à analyser les prestations de l'Etat, comme le fait, par exemple, la Fédération romande des consommatrices lorsqu'elle compare entre eux certains produits offerts sur le marché. La méthode eût présenté l'avantage de la transparence, de la prise en considérations des facteurs qualitatifs et de la clarté des critères d'évaluation. En lieu et place, on s'est attaché à estimer les structures de production !

Ce qui intéresse le consommateur, d'un bien ou d'un service, ce n'est nullement qu'il ait été produit grâce à telle ou telle structure dans une entreprise de telle ou telle organisation. Ce qui intéresse le consommateur, c'est que la prestation qui lui est offerte le soit, à qualité constante, au prix le plus bas. L'Etat fournit des prestations. Certaines d'entre elles donnent lieu à rétribution directe (émoluments) qui est réclamée à celui à qui la prestation est fournie : édition d'un passeport, octroi d'un permis de conduire. D'autres sont facturées un prix plus ou moins fictif (journée d'hôpital) et payées par un assureur. D'autres encore sont financées presque exclusivement par l'impôt (enseignement primaire).

Ce qu'il aurait fallu faire pour commencer, c'est de repenser le rôle de l'Etat. "Il est évident que la révision à la baisse des financements directs ou des subventionnements imposera un réexamen des méthodes de production du service public, tant par l'Etat que par les organisations privées, écrit M. Besson. Qui est le mieux à même de décider quelles méthodes d'organisation sont à la fois les plus adéquates et les plus économiques ? On aura compris qu'à mon avis, ce n'est en tout cas pas l'Etat, d'une façon centralisée, ni pour lui-même, ni pour les autres. L'Etat doit fixer l'objectif, non les moyens. C'est sa première tâche. La seconde, c'est de convaincre les intéressés qu'il est nécessaire d'adopter ces mesures d'austérité. Comment y parvenir ? en mettant l'accent sur les prestations et en exigeant de tous ceux qui les produisent d'en établir clairement les coûts et les composantes qualitatives.

La deuxième erreur du Conseil d'Etat fut de prescrire, dans la démarche participative, un objectif d'économies linéaire de 18 % pour tous, tout en annonçant que le choix des propositions retenues (grosso modo : la moitié) le serait au niveau des chefs de service, des chefs de département et du Conseil d'Etat, selon des critères politiques. Personne n'a été dupe : le gouvernement manifestait précisément, de cette façon, son absence de courage politique. S'il en avait eu un atome, il aurait proclamé d'entrée de cause, et avant le début de l'expérience : "La sécurité publique* et le fonctionnement de la justice* sont, pour le Conseil d'Etat, des objectifs prioritaires : objectif d'économies : zéro pour cent. La santé publique* mérite une cure d'amaigrissement : objectif : 25 % d'économies. L'enseignement* ..."

La troisième erreur fut d'exiger des économies de 18 % par rapport à une année de référence unique, soit l'année 1995. Il tombe sous le sens que, dans la mesure où aucune analyse n'avait été entreprise de la valeur des prestations étatiques, une telle méthode a le grand défaut de pénaliser les services de l'Etat qui avaient déjà entrepris, jusqu'à l'année de référence, le plus grand effort de rationalisation et d'économies.
La quatrième erreur fut de négliger, en amont, les économies considérables qu'on pourrait atteindre en faisant pression sur l'autorité fédérale afin qu'elle calme le zèle intempestif de ses différents départements et offices, lesquels, par leurs directives, augmentent et compliquent inutilement le travail des fonctionnaires cantonaux. L'idéal serait bien entendu de calmer d'abord la frénésie législative du Parlement. Mais même sans changer le nombre de lois fédérales, on pourrait économiser plusieurs dizaines de millions chaque année dans chaque canton suisse en restreignant les ordonnances du Conseil fédéral et en limitant le nombre des directives au strict minimum.

Pour couronner le tout, le Conseil d'Etat a décidé de récompenser, par un chèque de mille francs et par une semaine de vacances supplémentaires, tous les responsables d'unité d'analyse, soit les fonctionnaires qui ont coordonné le travail de toute une équipe. Dans son numéro de décembre 1995, le rédacteur de La fonction publique écrit : on reste pantois devant le peu de jugeote de nos autorités.

Le gouvernement vaudois est mal parti. Croyant bénéficier du soutien de la population, généralement assez mal disposée à l'égard des manifestations de rues, des grèves... et des fonctionnaires, le Conseil d'Etat campe sur ses positions et ne reverra pas sa copie. Le petit Ruey veut jouer à Juppé, refusant de négocier sous la pression de la rue. Soit.

Il n'empêche que, sans étude sur la valeur des prestations de l'Etat, sur les priorités, sur les gains de rentabilité possibles, toute mesure d'économie linéaire aura vraisemblablement pour effet un transfert de charges (aux communes, notamment) ou une diminution des prestations aux particuliers.

Dès qu'ils en auront mesuré l'ampleur, - trop tard - ces "particuliers" risquent de manifester leur solidarité avec les agents de l'Etat, qu'ils accusaient trop vite de défendre leurs seuls intérêts corporatifs.

Claude PASCHOUD
 
* ou n'importe quel autre, à votre choix.



Rodéo politique

Au rodéo, fameuse compétition nord-américaine, le cavalier monte un animal indompté et n'a que ses jambes et ses bras pour se maintenir en selle !

Il en va de même en politique : dans les situations difficiles, les appuis manquent toujours et ce n'est pas l'extravagant costume de cavalier, y compris le chapeau, qui vous retient. Il en est ainsi pour notre Bill saxophoniste qui a enfourché la politique, malgré sa stature qui ne le prédisposait point à cette tâche.

Mais comment est-il arrivé jusqu'à ce poste ? D'abord, les élections américaines sont d'un genre folklorique, et ressemblent à l'élection de "Miss Machin" où le physique médiatisé à outrance favorise la sélection; ici : l'élection. Dans la course à la candidature, Bill saxophoniste restait le plus jeune et le plus présentable des candidats : les deux autres accusaient déjà un âge avancé qui ne les favorisaient pas sur le podium, malgré leur expérience politico-économique. Bill, élégant démagogue, s'est métamorphosé en jazzman populaire, en faux coureur et jogger à casquette de base-ball, et hop ! la foule se laissa séduire.

Cependant, il faut retenir deux faits au départ :
1. le désistement de deux candidats, avant les résultats, laissait la place vide : personne à l'époque ne manifestait plus d'engouement pour la fonction présidentielle,
2. malgré cela - ou plutôt à cause de cela - désintérêt massif, incroyable aux Etats-Unis, des électeurs et des mandataires du pouvoir, dont les statistiques démontrent que seulement 46 % ont voté.

Mais quels changements allait donc apporter Bill à la politique américaine, encore traumatisée par la guerre perdue du Vietnam, trente ans plus tard ? A cette politique intérieure sclérosée par les problèmes socio-économiques, avec dix millions de chômeurs et de sans-abri, une criminalité galopante et une surconsommation de drogues ? A cette politique extérieure marquée par les multiples essais ratés d'intervention dans le processus du maintien de la paix mondiale, avec la présidence d'un Boutros Ghali que les politologues américains accusent d'être à la botte de Clinton ?

Ajoutons que cette Amérique, gendarme du monde, et qui se veut championne des échanges commerciaux internationaux, doit toujours des millions de dollars de contribution au fonctionnement de l'ONU.

Et lorsque nous abordons la supervision des affaires économiques américaines, débutons avec le Traité de l'Alena, qui devait favoriser les échanges, tout spécialement avec le Canada et le Mexique. Or, ces deux pays rechignent à présent, n'ayant pas trouvé le bénéfice escompté après la conclusion du traité. Pire : Bill Clinton n'arrive pas, depuis des années, à échafauder un véritable traité commercial ni avec la Chine, ni avec le Japon. Actuellement, en Chine, l'Allemagne du chancelier Kohl a réussi à sa place. En Indonésie, ses amis anglais lui ont enlevé à ras du nez une grosse affaire sur le marché de l'armement. Et voici que les pays riverains du Pacifique mettent aujourd'hui sur pied des traités commerciaux entre la Chine, le Japon, la Malaisie, l'Indonésie et, lisez bien, l'Australie et la Nouvelle Zélande ! Le Japon, qui était resté imperméable aux négociations dans les affaires du Pacifique, face aux USA, réduit de 30% les taxes douanières pour les importations ! Le grand rêve américain du développement du Pacifique est donc mort, ce qui n'arrange pas du tout la balance commerciale américaine. Peu importe si Coca-Cola s'implante à Moscou, ou au Népal, au Maroc ou ailleurs, les affaires continuent de péricliter, d'où la fureur du président (américain) du GATT à Genève, qui cherche à imposer de manière dictatoriale ses directives aux Européens.

Rehausser le prestige des USA en jouant les rôles de gendarme et de négociateur dans les affaires historico-politiques à l'échelle mondiale. Envoyer les GIs sur les champs de bataille étrangers ?

Aujourd'hui, le Congrès s'y oppose, appuyé par l'opinion qui a créé des organisations anti-intervention militaire hors frontières. Les échecs au Koweit, où la démocratisation promise à la population ne sera jamais possible, en Somalie, où le débarquement si formidablement médiatisé s'est achevé par un départ discret et nocturne, après que les indigènes eurent abattu des hélicoptères avec des lance-pierres.

Débarqué en Haïti, après la grand-messe démocratique, Aristide se trouve à nouveau seul, et la population est toujours dans la misère générale. Malgré le blocus, Saddam Hussein est toujours en place et à Cuba, le dernier représentant du "Socialismu" tient toujours des discours : avocat roué, il a allégé quelques directives permettant aux dollars de circuler et renoué avec la nouvelle Russie. Il sait bien que si le blocus était levé, le système castriste tomberait en 24 heures et que lui-même disparaîtrait comme Ceausescu. Rivalisant avec le cirque Barnum, Clinton a joué sur le fil dangereusement tendu du conflit israélo-palestinien. Les clowns politiques se sont serré les mains, embrassés et ont échangé des stylos. A l'annonce de la mort violente et planifiée de l'un des protagonistes, Bill a dû faire une crise de dépression. Mais jouant sur la puissance des médias, il a coiffé en vitesse une kippa pour prouver la profondeur de son deuil. En vérité, Bill passe pour le protecteur le plus puissant du lobby juif mondial. Mais on sait, du moins en Amérique, que Yassir Arafat n'a pas signé sans emporter une part du gâteau : 400 millions lui ont été consentis, et il compte les utiliser pour mettre sur pied de guerre une armée de maintien de l'ordre, toute logistique fournie par Israël. Tout le monde désapprouve les expériences atomiques françaises dans le Pacifique, sauf John Major et Bill, qui se disent neutres. Bill, d'ailleurs, n'a pas refusé d'accueillir Chirac à la Maison Blanche, au lendemain de la première explosion.

L'opinion américaine déclare ne plus faire confiance à la justice après l'issue du procès Simpson. On observe d'ailleurs que 70 % des Etats américains ont refusé l'abolition de la peine de mort et exécutent les condamnés selon les vieilles traditions : fusillade en Utah, et pendaison dans les Etats du sud. Selon des experts, il resterait actuellement encore 35'000 condamnés à exécuter.

Ces jours, pour la première fois dans l'histoire des USA, 800'000 fonctionnaires fédéraux font grève pour empêcher l'adoption du budget 1996, à l'appel de Newt Gingrich, le nouveau leader républicain ennemi de Clinton. Ses entretiens avec le Pape lors de sa visite aux Etats-Unis ont laissé entendre qu'il partageait certains points de vue défendus par la politique mondiale du Vatican. Ses idées de redressement moral et matériel des USA ont certainement réjoui les oreilles de Woltjila. Une erreur médiatisée fut jadis l'adhésion aux principes du New Age. Erreur non répétée en public. Bill assiste maintenant visiblement aux cultes catholique ou autre, pour donner le bon exemple. Mais il a aussi collectionné une belle série d'attentats, qui l'ont obligé à réorganiser sa protection à la Maison Blanche et permettre d'imposer un couvre-feu aux adolescents de moins de 19 ans, dans certaines villes ! Le règne de Bill ressemble donc à un méchant rodéo, promettant des chutes graves en tous lieux et à tout moment. Enfourcher la politique US, actuellement, c'est cela.

TRIBOULET
(fou du roi)



Question naïve

Et si c'était M. Juppé qui avaient succombé sous les balles d'un fanatique, pensez-vous que ses obsèques auraient attiré la présence de tous les chefs d'Etat du monde, y compris le président des Etats-Unis ? M. Clinton, d'ailleurs, a-t-il déjà entendu parler de M. Juppé ?
Et si M. Izaac Rabin était tombé sous les coups d'un Palestinien ? Celui-ci serait-il vivant aujourd'hui, prêt à répondre de son acte devant un tribunal ?
Le seul élément positif, pour les journalistes : l'assassin est un extrémiste de droite. Fâcheux : Rabin aussi, jadis...