Editorial

L'initiative populaire dite d'autodétermination déposée par l'UDC, Le droit suisse au lieu de juges étrangers, suscite de bien plaisants commentaires sous la plume d'exégètes qui protestent eux-mêmes de leur orthodoxie démocratique, mais qui sont contraints à des contorsions intellectuelles pour nous démontrer qu'en réalité la démocratie n'est pas – ou ne devrait pas être – le régime où le peuple a le dernier mot.

Dans un article récent de Domaine public1, M. Jean-Daniel Delley nous affirme que «les sociétés démocratiques modernes n'ont pas substitué le pouvoir absolu du peuple à celui du monarque» et que la conception qui voudrait que, «lorsque le peuple a parlé, il n'y a dès lors rien à discuter, manière de voir qui prévalait dans les démocraties antiques et les communautés alpestres du Moyen Age, est un archaïsme qui néglige les acquis de la philosophie libérale britannique et des révolutions américaine et française: la reconnaissance des droits humains universels et imprescriptibles».

Il est assez divertissant de lire dans l'hebdomadaire de la gauche intellectuelle vaudoise un coup de chapeau à la philosophie libérale britannique et d'apprendre que la Terreur et le bilan de la Révolution française doivent être portés au crédit des droits humains universels et imprescriptibles.

Ce que M. Delley n'ose pas dire, peut-être parce qu'il n'en a pas encore pris conscience lui-même, c'est que la démocratie est un régime absurde dans son essence, qui aboutit toujours à la tyrannie d'une partie du peuple et à l'asservissement de la minorité ou des minorités. Dans un tel régime, il n'y a personne pour concilier sur un plan supérieur les intérêts divergents des divers groupes de population et pour tirer de cette conciliation des solutions intelligentes et avantageuses pour tous.

Sans avoir procédé à ce constat fondamental, il est relativement vain de jouer la voix du peuple contre les traités internationaux, car même ces traités ont été ratifiés au nom du peuple si ce n'est avec son accord exprès. Et si ces traités, ou certains d'entre eux, ne reflètent pas, ou plus, le sentiment du peuple, ils peuvent être dénoncés. Si un Etat est vraiment souverain, il n'est même pas lié par ce qu'on nomme le droit international impératif, soit la prohibition de la torture, de l'esclavage, ou le principe de non-refoulement dans un Etat qui ne respecte pas l'intégrité corporelle des individus2.

Nous avons déjà exposé ici3 que les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, même ceux qui condamnent la Suisse, sont généralement justifiés non seulement par une violation de la Convention mais aussi par des entorses à notre propre législation interne. Il est donc illusoire de croire qu'en dénonçant la CEDH (si tel est bien le but recherché par l'initiative), on fera l'économie d'une réflexion sur les droits humains fondamentaux.

Nous observons en passant qu'un des droits fondamentaux essentiels de la personne humaine, celui de n'être pas tué avant sa naissance, mobilise beaucoup moins les intellectuels de gauche que celui de pouvoir se vêtir dans la rue à son gré d'un niqab ou d'une burqa.

Mais nous soutiendrons néanmoins cette initiative, pour une raison que Domaine public a bien vue: la suprématie du droit national empêcherait la reprise du droit européen au rythme de son évolution. Si l'article constitutionnel proposé n'avait qu'une seule vertu, celle d'empêcher la soumission au droit évolutif des instances européennes, il serait justifié de l'adopter.

Nous ne nous faisons pas d'illusion sur la portée du sursaut d'indépendance et de souveraineté attendu des nouveaux articles 5 al. 1 et 4 ou 56a de la Constitution proposés par l'UDC. Aussi longtemps que la Suisse n'aura pas claqué la porte de l'ONU, dont la Charte a la primauté sur tout autre accord international4, nous ne serons ni indépendants ni neutres, et notre conduite ne sera pas dictée par des juges étrangers mais par des fonctionnaires étrangers anonymes, dont la légitimité est – pour le moins – largement plus discutable que celle des juges de la Cour européenne.

Claude Paschoud

 

1 DP 2131 du 15 août 2016.

2 L'initiative prend bien soin néanmoins de réserver le droit international impératif (art. 5 al. 4 et art. 56a al. 3).

3 Le Pamphlet n° 440 (décembre 2014), page 4; Le Pamphlet n° 435 (mai 2014), page 4.

4 Art. 103 de la Charte des Nations Unies.

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