Editorial

Jusqu'il y a peu de temps, le mot «hybride» avait une connotation positive. Les voitures ainsi qualifiées, fonctionnant à l'essence ou à l'électricité selon les circonstances, allaient sauver la planète – car l'électricité est réputée être une énergie propre, même si les écologistes s'opposent systématiquement à tout ce qui est susceptible de la produire.

Pourtant une autre expression, inquiétante celle-ci, s'est répandue au cours de ces deux dernières années: guerre hybride. Intensément propagée par les officines de propagande atlantistes, elle désigne presque exclusivement la riposte stratégique russe à la suite des troubles qui ont fait éclater l'Ukraine. On tente ainsi de nous convaincre que le génie du Mal qui hante les sombres couloirs du Kremlin se lance à l'assaut du monde occidental en recourant à des tactiques inédites, sophistiquées et sournoises, alliant opérations militaires classiques, guérilla menée par des mercenaires et autres groupes armés non identifiés, colonnes de blindés déguisées en convois humanitaires, déstabilisation financière internationale et désinformation massive inondant les médias mondiaux.

Cette description contient sa part de fantasmes, mais aussi, peut-être, de vérité. La réalité commande cependant d'admettre qu'il n'y a là rien d'inédit, et encore moins de spécifiquement russe. N'est-ce pas exactement ainsi que les Américains et leurs alliés ont agi en Ukraine, non pas pour réagir à la révolution du Maïdan mais pour la susciter? N'y a-t-il pas guerre hybride lorsqu'on déstabilise un pays en excitant et en orientant la contestation populaire, en accordant des soutiens financiers et logistiques aux manifestants, en s'alliant avec des milices nationalistes qui, partout ailleurs, auraient été jugées infréquentables, en incrustant une vision unilatérale des événements dans les médias occidentaux, puis en débarquant avec des conseillers militaires une fois le régime renversé?

D'autres pays et d'autres régions du monde ont fait les frais de tels agissements, qui semblent désormais constituer la norme des conflits modernes – même si la sournoiserie est au moins aussi ancienne que le cheval de Troie. La déstabilisation du pourtour sud et est de la Méditerranée, qui a fait sombrer nombre d'Etats dans le chaos et la guerre civile et a entraîné de graves répercussions pour l'Europe, illustre aussi la notion de guerre hybride, avec ses fausses informations, ses vraies bombes et sa manipulation massive des populations.

Si notre continent redoute des formes non conventionnelles de guerre, ce n'est pas vers la Russie qu'il devrait regarder, mais plutôt du côté de la Turquie. Alors que les Etats-Unis déstabilisent l'Europe de manière indirecte et à moyen terme (ce qui nécessiterait évidemment aussi qu'on s'en préoccupe), le gouvernement turc, lui, menace directement et immédiatement l'Europe en déclarant que, si l'on refuse ses exigences, il ouvrira toutes grandes les vannes de l'immigration vers les Balkans. Près de trois millions de migrants sont déjà sur le territoire turc, prêts à servir – involontairement – d'armes de destruction massive. Les commissaires européens, qui craignent désormais que la moindre surdose d'invasion ne soulève une révolte qui anéantirait leur règne, rampent à tour de rôle aux pieds du président Erdogan, promettant d'ajouter des milliards d'euros supplémentaires à ceux que la Turquie touche déjà depuis des années grâce à son éternel statut de «candidate à l'adhésion»1. Mais qui nous dit que le maître chanteur se contentera de notre argent?

Pollux

 

1 Voir notamment Le gang d'Erdogan, article de Romain Edessa publié le 9 février 2016 sur le site Causeur.fr (http://www.causeur.fr/erdogan-migrants-turquie-europe-36681.html).

Thèmes associés: Armée - Immigration - Politique internationale

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