Profits et prudence

L'avantage des événements tragiques, c'est qu'on peut en tirer des bénéfices répétés. On commence par exploiter l'émotion du moment, puis on commémore l'horreur ad aeternum.

C'est ce qu'ont bien compris les «élites» françaises, François Hollande en tête, lors des fusillades qui ont, notamment, décimé l'équipe de Charlie Hebdo en janvier de l'année dernière. Après les manifestations organisées dans tout le pays en 2015, on a eu droit le 10 janvier 2016 à des commémorations solennelles et bruyantes, qui, selon toute probabilité, se répéteront d'année en année, pour permettre au président actuel et aux présidents futurs, ainsi qu'à leurs proches collaborateurs, de remonter dans les sondages, au moins pour quelque temps.

On ne saurait donc reprocher à l'équipe de Charlie Hebdo d'imiter si bel exemple et de profiter de l'occasion pour remplir les caisses du journal et démontrer qu'il est toujours aussi drôle et avisé.

Le 14 janvier 2015, une semaine après l'attentat, l'hebdomadaire prétendument satirique, alors au bord de la faillite, procédait à un tirage exceptionnel de plus de sept millions d'exemplaires. Grâce au bon cœur de dizaines de milliers d'âmes sensibles transformées en «Je suis Charlie», il voyait s'éloigner de lui le spectre de la déconfiture, le nombre de ses abonnés passant en moins de trois semaines de dix mille à deux cent mille. L'histoire ne nous dit pas combien se sont désabonnés en cours d'année ni combien ont renoncé à renouveler leur abonnement en 2016.

Quoi qu'il en soit, le numéro anniversaire du 6 janvier a été tiré à plus d'un million d'exemplaires, qui se sont bien vendus, paraît-il. L'opération sera un peu moins lucrative que l'an dernier, mais il n'y a pas de petits profits.

Fidèle à sa vocation blasphématoire, le journal a publié en page de couverture un dessin, désopilant bien sûr, qui représente un personnage à moustache et barbe blanches, vêtu d'une robe, blanche également, tachée de sang, portant un fusil et la tête surmontée de symboles qui échappent à ma compétence. Le génial dessin porte un commentaire des plus amusants: «L'assassin court toujours.» Cet assassin, c'est Dieu ou Allah ou Yahvé.

Charlie Hebdo, qui pratique le culte de la laïcité avec autant de zèle agressif que ceux qu'il décrit comme des «fanatiques abrutis par le Coran» et des «culs-bénits venus d'autres religions», a tout de même veillé à ce que la caricature de sa couverture ne ressemble pas à l'image d'un islamiste radical. On n'est jamais trop prudent: le pape François n'est pas content, mais il est douteux qu'il envoie un commando de gardes suisses fusiller les blasphémateurs. Avec le calife Abû Bakr al-Baghdâdi, il vaut mieux faire attention: la liberté d'expression, ce n'est pas son rayon.

M. P.

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