La bonne Télé

Est-il raisonnable de dire ici du bien de quelque média et de quelques journalistes? On s’y risquera exceptionnellement, tant on est «déçu en bien» des premières semaines d’émission de La Télé.

C’est sous ce nom – un peu trop générique il est vrai – que sont diffusés depuis cet été les programmes de la nouvelle télévision régionale Vaud-Fribourg, issue de plusieurs anciennes chaînes locales vaudoises et de l’absence de télévision fribourgeoise. Le regroupement des deux cantons en une seule entité audio-visuelle est un artifice déplaisant, imposé depuis Berne, d’un trait de crayon rouge distraitement porté sur une carte d’état-major par un fonctionnaire fédéral alémanique fatigué d’élaborer son Fernsehgesamtkonzept et pressé de terminer sa journée à 16h15. Les responsables des anciennes télévisions locales vaudoises ont unanimement contesté cette zone imposée; mais comme l’administration fédérale ne comprend pas le français, le découpage de la Suisse romande a été maintenu tel quel, sans un mot d’explication; le gouvernement vaudois n’a pas osé faire de scandale et chacun a fini par hausser les épaules.

A défaut d’une légitimité territoriale irréprochable et d’une dénomination qui lui correspondrait explicitement, on peut donc saluer aujourd’hui le niveau tout à fait honorable des émissions de La Télé. On n’est plus dans la catégorie des anciennes télévisions locales où un journaliste stagiaire se faisait accompagner de sa cousine qui avait reçu une caméra pour Noël afin de réaliser un reportage gentiment maladroit sur la vendeuse de macramé du quartier, émission qui tournait en boucle durant toute la soirée, entrecoupée d’un peu de publicité et d’un peu de musique.

De fait – et sans doute à cause de son ambiguïté géographique –, La Télé n'apparaît guère locale, ni même vraiment cantonale; régionale tout au plus, mais avec des thèmes de discussion souvent fédéraux, voire internationaux. Par là même, elle se présente davantage comme une concurrente de la Télévision suisse romande. Et c'est précisément de cette comparaison avec la TSR que La Télé tire ses charmes.

Car ici, pas de présentateur benêt ayant toujours l’air de vouloir être copain avec tout le monde. Pas de présentatrice qui se force à faire des «grimaces citoyennes» pour souligner ses préférences idéologiques. Pas d'austère procureur du Politburo chargé de tourner en ridicule les suppôts de la réaction. On y voit des débats sur des sujets généralement intéressants, avec des invités variés, parfois avec des personnalités éminentes – par exemple des conseillers fédéraux, mais aussi un ancien ministre de la culture français – en face desquelles les journalistes qui les interrogent – principalement Fathi Derder [1] et Pascal Décaillet – ont l’air au moins aussi compétents.

Qualité technique, qualité intellectuelle, honnêteté intellectuelle aussi: les émissions ne trahissent aucun parti pris; les présentateurs ne laissent pas transpirer leurs convictions politiques par tous les pores de leur peau; le téléspectateur qui ne baigne pas dans le «politiquement correct» ne se sent pas insulté ni méprisé.

Sans vouloir idéaliser excessivement les choses, on dira que La Télé est un média «normal», ce qui constitue une grande qualité par les temps qui courent, et ce qui contraste plaisamment avec la soupe que nous sert habituellement la télévision d’Etat du bout du lac, très abondamment financée par nos redevances obligatoires.

NOTES:

[1] Très médiocre dans ses contributions écrites au journal 24 heures, mais de bonne tenue intellectuelle lorsqu’il apparaît à La Télé.

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