Deni de réalité

Ah! qu'il est agréable de voir les choses comme on voudrait qu'elles soient et non point comme elles sont.

Nos industries d'exportation et le secteur du tourisme étaient fiers de leur réussite, de leur taux de croissance, de l'absence de chômage et avaient pris l'habitude d'attribuer ces brillants résultats à l'excellence de leurs produits et services comparés à ceux de nos voisins de l'Union européenne.

Il n'était nul besoin, pourtant, d'avoir fréquenté les grandes écoles pour constater, chez la plupart de nos hôteliers, la piètre qualité de l'accueil, l'exiguïté des chambres, le caractère lamentable du service et même des prix surfaits. Sachant que la Banque nationale, depuis trois ans, croulait sous une avalanche d'euros, il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre que la monnaie européenne était surévaluée ou que le franc suisse était trop bon marché.

Le taux plancher de 1,20 franc pour un euro ne pouvait plus être maintenu. Bien entendu, si l'on voulait éviter, autant que faire se pouvait, des gigantesques mouvements spéculatifs, il fallait nécessairement que la BNS proclame, jusqu'à trois jours avant, qu'elle maintiendrait le cours plancher. Il faut être un crétin inculte pour ne pas savoir que tous les ministres des finances, la veille des dévaluations, sont toujours venus proclamer publiquement qu'ils ne dévalueraient pas. Il faut être un âne bâté, comme le chroniqueur de 24 heures, pour estimer qu'«un enfant de 5 ans aurait mieux géré la chose».

Il est vrai que l'abandon brutal du cours plancher va créer de graves difficultés, une forme de récession, des faillites et du chômage, mais guère plus que ce que nous aurions enregistré ces trois dernières années si la BNS avait laissé flotter les changes.

Le choc, c'est la confrontation brutale avec la réalité, alors qu'on était si heureux de vivre dans une situation faussée, dans la surprotection d'un taux de change artificiel.

Si les prestations hôtelières subissent aujourd'hui, pour les clients européens, une augmentation de prix brutale de 20 %, c'est nécessairement parce qu'elles étaient vendues, jusqu'à la semaine passée, avec un rabais de 20% offert par la Banque nationale.

Aujourd'hui, plus de rabais. Les prix redeviennent «normaux», conformes à la réalité des marchés, ce qui fait hurler tous ceux qui, ces trois dernières années, ont bénéficié d'une rente fondée sur le déni de réalité.

* * *

Ce n'est pas seulement en matière économique que nous aimons voir le monde à travers les lunettes roses de l'optimisme.

Nous aimerions tellement croire que l'islam est une religion de paix et d'amour, que les terroristes qui se réclament du Prophète n'ont strictement rien à voir avec la religion musulmane, que les centaines de milliers de jeunes chômeurs sans qualification des banlieues françaises sont de braves citoyens qui cherchent activement du travail, que les millions de pauvres d'Afrique vont trouver chez nous un toit, un emploi et la sérénité pourvu qu'on les accueille avec générosité et qu'on fasse taire les méchants xénophobes; nous aimerions tellement croire à ces belles fables que la brutale découverte que le Père Noël est une légende nous plonge dans le désarroi.

Des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue pour affirmer leur solidarité avec Charlie Hebdo, publication sectaire et souvent vulgaire, dont le rédacteur en chef avait chassé l'immense dessinateur Siné, il y a quelques années, au motif infamant d'antisémitisme, pour une allusion au prochain mariage du fils Sarkozy avec une jeune fille juive riche.

Le bon peuple aime à croire que nous vivons dans des Etats qui protègent la liberté d'expression. La réalité est tout autre. La liberté d'expression n'est protégée que si vous exprimez ce que tout le monde pense, ou que vous exercez votre satire contre le catholicisme, ou l'islam ou le bouddhisme. Si vous sortez de cette bande étroite, vous n'exprimez plus une opinion, vous commettez un délit. C'est ce que répète depuis des années l'insupportable Brunschwig-Graf.

Il faudra un jour que le peuple se réveille!

Claude Paschoud

Thèmes associés: Economie - Politique générale

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