«Chez Germaine»

Imaginez une petite ville qui abrite deux restaurants. Dans l’un d’eux, Au Coq gaulois, le chef est un vrai magicien, la cuisine est succulente, mais l’accueil est déplaisant, la propreté laisse à désirer et les prix sont astronomiques.

Dans l’autre restaurant, Chez Germaine, la patronne aux fourneaux n’a pas le même génie, mais la cuisine est soignée, on privilégie les produits du terroir, l’accueil est chaleureux et le service est parfait. En outre, les prix sont abordables.

Voyant fondre sa clientèle, le patron du Coq n’a pas de mots assez durs pour Germaine, qui lui fait une concurrence déloyale (sic) à cause de ses prix cassés (resic) et il se plaint auprès du maire que depuis le début de l’année, elle lui a fait perdre (re-resic) plus de huitante mille francs.

Comme d’autres l’ont parfaitement démontré avant moi, il n’y a de prétendus paradis fiscaux que dans la mesure où il existe des enfers fiscaux. La presse à sensation a cru découvrir un scandale en publiant que le Grand-Duché du Luxembourg offre des conditions fiscales intéressantes à de grandes entreprises. Presque tous les professionnels savaient cela, mais en faisant mine de dévoiler des accords secrets, on gagne de l’audience. Et alors? Et après?

Le Luxembourg – comme la Suisse – est un Etat souverain. Il édicte ses règles en matière de fiscalité. Il offre à certains clients un accueil personnalisé et des conditions avantageuses, comme Germaine dans son restaurant. Le Grand-Duché ne fait pas perdre un seul centime aux autres pays de l’Union européenne, par plus que Germaine ne frustre le patron du Coq gaulois d’un chiffre d’affaires qui lui échapperait de toutes façons, même si sa concurrente fermait son établissement, car les possibilités d’optimisation fiscale des grandes entreprises sont innombrables, comme les possibilités de se restaurer dans un département.

C’est amusant, cette habitude des imbéciles, principalement en matière fiscale, de décréter que si l’on modifie une variable, toutes les autres variables vont nécessairement rester constantes par ailleurs: si on supprime l’imposition forfaitaire des riches étrangers, ils vont tous rester et payer plus d’impôts, donc les communes et le canton seront gagnants. Si le Luxembourg n’avait pas proposé des conditions favorables aux grandes multinationales, celles-ci auraient maintenu leur siège dans des Etats à la fiscalité confiscatoire, qui sont donc «privés» d’une manne nécessaire et légitime.

C’est un peu la même rhétorique que la formule ressassée partout des cadeaux aux riches, ou plus généralement à tous ceux qu’on tond sans les écorcher. On vous prend 50% de votre revenu. Il suffit que quelqu’un propose qu’on se contente de vous priver de 45% seulement du revenu que vous avez honnêtement gagné et vous entendrez des gorets couiner qu’on se prépare à vous faire des cadeaux!

La pratique de l’optimisation fiscale, parfaitement conforme à la loi, ne serait pas morale. Une conseillère nationale socialiste s’en était prise à M. Schneider-Amann, parce qu’il avait – le plus légalement du monde – placé une partie des bénéfices de son entreprise à l’étranger. Elle subit aujourd’hui la fable de l’arroseur arrosé: son mari a «racheté» des années de cotisation à sa caisse de prévoyance, par un versement unique de 400'000 francs, montant défiscalisé le plus légalement du monde, comme chacun sait, en attendant qu’il touche sa rente et qu’à ce moment le fisc fonde sur lui comme l’aigle sur un lapin. Ce versement a eu pour effet de réduire son revenu annuel à zéro, alors que la fortune du couple est de plusieurs millions.

La conseillère nationale, épinglée par un quotidien tout frétillant de l’aubaine, s’est répandue en excuses lamentables, en avouant qu’elle avait fait une faute morale.

La faute n’était pas d’avoir versé 400'000 francs à sa caisse de pension LPP sur une seule année fiscale et d’avoir réduit à zéro le revenu imposable de cet exercice. La faute est d’avoir critiqué vertement notre ministre de l’économie pour avoir optimisé – tout aussi légalement – la fiscalité de son entreprise. Et sa première faute est d’être socialiste, parti, comme on l’observe en France aujourd’hui, particulièrement imperméable à l’intelligence fiscale.

La morale consiste à se comporter conformément au droit, sans tricher, et non pas de se dépouiller au-delà des exigences légales pour complaire aux imbéciles.

Claude Paschoud

Thèmes associés: Economie - Politique fédérale

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