Votes et revotes

Beaucoup d’étrangers, en particulier en France, nous envient avec raison notre système de démocratie directe. Ils admirent aussi qu’une population puisse être dotée d’un esprit démocratique tel que, votation après votation, la minorité s’incline sportivement devant la majorité même en cas de résultat extrêmement serré. Ils s’imaginent également que les autorités politiques s’empressent de concrétiser la «volonté populaire» en cas de succès d’une initiative ou d’un référendum. Or rien n’est moins vrai, ainsi qu’on peut le voir après la victoire de l’initiative de l’Union démocratique du centre contre l’immigration de masse et la défaite des partisans d’une caisse maladie unique.

Dans le premier cas, le Conseil fédéral, dont personne ne peut ignorer qu’il était opposé à l’initiative, tente de résoudre la quadrature du cercle en essayant de concilier la réintroduction des contingents d’étrangers avec le sauvetage des accords bilatéraux, qui ont permis notamment l’introduction de la libre circulation des personnes désormais en péril. Inutile de dire que les travaux n’avancent pas vite. D’autre part, le Parti démocrate-chrétien et le Parti bourgeois démocratique – ce dernier fondé suite à la trahison de Christoph Blocher par Evelyn Widmer lors de l’élection au Conseil fédéral de 2007, trahison qui valut à l’actuelle «ministre» d’être éjectée de l’UDC – lancent des initiatives parlementaires visant à ancrer la voie des négociations bilatérales avec l’Union européenne dans la Constitution, entre autres pour «faire taire l’UDC et sa remise en question des bilatérales» et parce qu’ils «ne [croient] pas que le peuple [ait] dit non à la voie bilatérale».

Il se peut en effet que le peuple soit majoritairement favorable aux bilatérales, mais utiliser l’initiative, qu’elle émane du Parlement, d’un canton, d’un parti ou de la population, comme arme de combat politique en vue de contrer le résultat d’une votation ou de «faire taire» un autre parti, constitue un usage abusif de la démocratie directe et contribue à affaiblir cette dernière; un comble de la part de partis qui se proclament démocrates jusque dans leur propre nom.

Pour ce qui est de la caisse unique, à peine les résultats étaient-il connus que certains de ses partisans romands cherchaient un moyen de contourner la volonté de la majorité, pourtant exprimée sans équivoque (61,9%), sous prétexte de clivage – d’ailleurs tout relatif – entre cantons francophones et cantons suisses allemands. Puisque nous avons perdu à l’échelon fédéral, disaient-ils en gros, il faudrait lancer une initiative populaire proposant d’introduire des caisses uniques cantonales. On pouvait même lire sur le site du Nouvelliste au soir du 28 septembre que «des cantons alémaniques, avec leur fibre fédéraliste, pourraient être davantage séduits par un projet cantonal».

L’idée de donner aux cantons des compétences en matière d’assurances sociales ne serait pas pour me déplaire, mais des caisses maladie uniques cantonales auraient les mêmes défauts que leur défunte sœur fédérale et l’idée que de mauvais perdants soi-disant démocrates et pas fédéralistes pour deux sous prétendent utiliser, par pur opportunisme, ce qu’ils appellent avec condescendance la «fibre fédéraliste» me hérisse.

Je ne crois pas aux vertus du système démocratique, mais j’attends de ceux qui y croient religieusement qu’ils agissent en accord avec leur foi et qu’ils cessent de tricher quand les urnes leur donnent tort.

Mariette Paschoud

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