Neutralité active

Dans notre ancienne Constitution fédérale, la neutralité n’était pas proclamée expressément mais citée en passant, à l’occasion du descriptif des compétences du Conseil fédéral (art. 102 ch. 9 a Cst.) et des attributions des deux Conseils du Parlement (art. 85 ch. 6 aCst.). La Constitution actuelle n’a pas modifié fondamentalement ces deux occurrences, mais la mention de la neutralité a grimpé dans l’ordre des missions de l’Assemblée fédérale (art. 173 al. 1 litt. aCst.) et elle devrait être la préoccupation n° 1 du Conseil fédéral en matière de sécurité extérieure et intérieure (art. 185 al. 1 Cst.).

Cette neutralité, qui nous a été reconnue par le Traité de Paris et par le Congrès de Vienne, à la chute de Napoléon, et qui était supposée intégrale et perpétuelle, dans l’intérêt de toute l’Europe, est aujourd’hui bafouée par la complaisance du Conseil fédéral à l’égard des sanctions internationales décrétées par l’ONU, l’OSCE ou par ses «principaux partenaires commerciaux» comme l’énonce avec une franchise désarmante la loi fédérale du 22 mars 2002 sur l’application des sanctions internationales (RS 946.231).

Cette loi, entrée en vigueur au 1er janvier 2003, est la base des ordonnances que le Conseil fédéral prend pour instituer des mesures à l’encontre d’une foule de personnes, qu’elles soient «liées à Ossama Ben Laden ou aux Talibans»(1), ressortissantes de la République d’Irak (2), de l’ancienne République fédérale de Yougoslavie (3); ou à l’égard d’Etats comme le Zimbabwe (4), le Bélarus (5), la République démocratique du Congo (6), la République populaire démocratique de Corée (7), la Côte d’Ivoire (8), la République arabe d’Egypte (9), l’Erythrée (10), la Guinée (11) et la Guinée-Bissau (12), la République islamique d’Iran (13), la Libye (14), Myanmar (la Birmanie) (15), le Liberia (16), la Somalie (17), la Syrie (18), certaines personnes originaires de Tunisie (19), ou le Soudan (20).

Comment voulez-vous que la Suisse puisse conserver un statut de neutralité lorsqu’elle s’associe à des embargos économiques ou à d’autres sanctions contre ceux qui ont été déclarés mauvais élèves par des cénacles grotesques, par des assemblées ayant vocation affirmée à préserver la paix sans avoir jamais été capables d’éviter aucun conflit, et dont les interventions sur le terrain ont toujours aggravé les tensions et prolongé les affrontements?

On observera que ni l’ONU ni l’OSCE n’ont émis la moindre critique sur l’action des Etats-Unis dans les Balkans, en Irak ou en Afghanistan, ni n’ont condamné les meurtres de civils par des drones ou tancé Israël pour ses exactions dans la bande de Gaza. La Suisse a pu prudemment s’abstenir de prendre par voie d’ordonnance des mesures contre les assassins responsables.

Dans très peu de temps, M. Didier Burkhalter, en sa qualité de président de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, condamnera la Russie pour son intervention en Ukraine et priera M. Didier Burkhalter, en sa qualité de président de la Confédération, de s’associer aux mesures ordonnées par la communauté internationale (et nos principaux partenaires commerciaux) contre M. Vladimir Poutine.

Restons en dehors de l’Union européenne, sortons vite de l’ONU et proclamons une neutralité intégrale, passive et sans faille!

Claude Paschoud

NOTES:

1 RS 946.202;
2 RS 946.206;
3 RS 946.207;
4 RS 946.209.2;
5 RS 946.231.116.9;
6 RS 946.231.12;
7 RS 946.231.127.6;
8 RS 946.231.13;
9 RS 946.231.132.1;
10 RS 946.231.132.9;
11 RS 946.231.138.1;
12 RS 946.231.138.3;
13 RS 946.231.143.6;
14 RS 946.231.149.82;
15 RS 946.231.157.5;
16 RS 946.231.16;
17 RS 946.231.169.4;
18 RS 946.231.172.7;
19 RS 946.231.175.8;
20 RS 946.231.18.

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