La démarche blanche

«De quoi s'agit-il?»

Maréchal Foch à son état-major, quand se posait un problème épineux.

Le texte de l'initiative «Pour que les pédophiles ne travaillent plus avec des enfants» paraît, à première vue, des plus judicieux et semble se fonder sur un principe de bon sens: on n'admet pas un pyromane chez les sapeurs pompiers, ni ne donne un permis de port d'arme à un meurtrier! Mais si on a pour objectif de placer dans la Constitution une mesure qui, normalement, devrait figurer dans le code pénal, toute contraignante qu'elle soit pour le juge, le destinataire de cette initiative est en droit de disposer d'un texte sans équivoque, ne comportant aucun risque de dérapage, voire d'injustice flagrante dans son application, faute de quoi la démarche des initiants, quoi qu'ils disent par ailleurs, servirait à long terme la cause scabreuse des pédophiles eux-mêmes!

Or c'est bien ce qui se passe avec le texte des initiants. Celui-ci envisage de créer un interdit professionnel définitif à l'encontre de toute personne condamnée pour atteinte à l'intégrité sexuelle d'un enfant ou d'une personne dépendante. Comme le remarque opportunément le chef de la Ligue vaudoise, M. Olivier Delacrétaz1, «l'initiative place dans la même catégorie un pervers qui s'en prend à un enfant de sept ans et un jeune homme de vingt-deux ans qui aurait eu une relation sexuelle avec une jeune fille de quinze ans». Le scandale qui résulterait inéluctablement de l'application d'un tel texte, et quoi qu'en puissent penser les initiants car leur texte les lie, discréditerait durablement dans l'opinion publique ce genre de mesure; et qui profiterait en définitive d'un tel discrédit, sinon les pédophiles eux-mêmes?

Nous avons là affaire à un mal sous apparence de bien (en référence à une règle de discernement des esprits de saint Ignace de Loyola). Qu'une mesure de cette nature lie le juge n'a en soi rien de choquant et, contrairement à ce qu'en pense Mme Sommaruga, cette contrainte ne serait pas, en soi, contraire au principe de proportionnalité, et elle ne serait pas non plus attentatoire à l'indépendance de la justice, à condition de ne viser effectivement que les personnes réellement condamnées pour crime de pédophilie. En effet, toute mesure assurant opportunément la sécurité publique des personnes face à des mises en danger réelles est en soi légitime. Ne pas donner cette fonction au droit, particulièrement au droit pénal, revient à dénaturer la fonction même du droit.

Mais à l'inverse, se servir du problème de la pédophilie pour établir une mesure qui entacherait gravement, dans son application, la réputation de personnes qui ne sont pas pédophiles est en soi et en toute bonne justice inadmissible. Le procédé disqualifie totalement la crédibilité des initiants. Dans une question  aussi grave, le souci de clarté, la pertinence du but recherché et sa définition irréprochable sont des exigences élémentaires d'acceptabilité. Or ces exigences ne sont pas remplies dans le cas d'espèce. Ce texte est en définitive plus nuisible qu'utile à la cause que les initiants prétendent défendre.

Michel de Preux

 

1 La Nation no 1990 du 4 avril 2014, p. 1, L'initiative blanche.

Thèmes associés: Politique fédérale - Société

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