Intrinsèquement perverse

La démocratie moderne n'est pas un régime politique. Si tel était le cas, on pourrait la préférer à d'autres ou non. Or cette liberté de choix ou d'opinion à son sujet est, de fait, proscrite. La démocratie moderne se présente elle-même comme l'unique forme de gouvernement compatible avec ce qu'elle considère comme sa norme fondamentale:  le respect de la dignité humaine, sans référence religieuse transcendante. Dans ce régime, la loi n'est légitime qu'acceptée par une majorité de ses membres et pour le temps que dure cette acceptation. Ne nous faisons cependant aucune illusion sur la seconde des conditions évoquées ici. Les démocrates modernes, qui sont en réalite des fanatiques qui s'ignorent, savent distinguer entre les revendications tolérables et celles qui ne le seraient pas et, par ce moyen, ils s'autorisent à disqualifier tous les défenseurs de droits ou de libertés tacitement proscrites par eux. D'où l'importance que prend dans ce régime l'ostracisme des opposants indésirables.

 

Essayez de réhabiliter la peine de mort pour les crimes de sang particulièrement odieux: ils maintiendront que cela est contraire à la dignité humaine, qui requiert inconditionnellement la possibilité légale de réhabiliter quelque criminel que ce soit. Parler de préférence nationale, quand bien même celle-ci s'appliquerait à des nationaux actuels de toutes origines, vous vaut malgré cela le grief de racisme et de xénophobie. Cette accusation se fera même obsédante, continue, relevant de l'acharnement plus que de la raison et de la vertu de prudence.

 

Mais ce qu'il y a de plus grave encore, c’est que  l'esprit démocratique moderne est parvenu à maîtriser la droite elle-même, dont les adeptes tolérés ont fini par s'imposer à eux-mêmes, s'ils veulent accéder à la vie et à l'audience publiques dans les grands moyens d'information, une autocensure, voire une altération de leur mode de penser qui les rend compatibles avec le totalitarisme de ce régime. Prenons deux exemples, ils sont éloquents:

 

1. Il y a l’initiative visant à rejeter le remboursement de l’avortement par l’assurance-maladie au motif que l’avortement serait une affaire strictement privée. Cet argument n’est rien d’autre qu’un sophisme pervers. En effet, les initiants concèdent tacitement que l’avortement n’est pas en soi un crime, que cette question ne relève que du registre de l’opinion de chacun, mais qu'au nom de la protection de leur opinion à ce sujet, et pour donner une efficacité légale à cette opinion-là, personne ne peut être contraint de participer au financement de cet acte par son affiliation à une assurance-maladie. Si les initiants ont tout à fait raison de rappeler que la grossesse n'est pas une maladie et que par conséquent aucune assurance-maladie ne saurait être concernée par cet acte,  il n'en  reste pas moins que ce qui objectivement est un crime, outre sa propre dépénalisation, ne p eut bénéficier d'un traitement totalement arbitraire tant par le corps médical que par les assurances-maladie. Dans ce cas, c'est la nature même de l'acte qui est niée dans et par une fausse loi. Ce déni est en soi intolérable, quand bien même un «cardinal de l'Eglise romaine», Henri Schwery, énonça publiquement à ce sujet le scandaleux sophisme suivant: «Je m'oppose  à l’initiative qui veut supprimer le remboursement de l'avortement par les caisses-maladie. Il ne m’appartient pas de juger le pécheur, cela se fera au jugement dernier.»1

 

Renvoyons donc le jugement pénal de tous les crimes au jugement dernier, quelles qu'en soient les conséquences ici-bas pour la vie en société! C'est à la fois absurde, idiot et totalement irresponsable, plus même: c'est proche de la démence.

 

2. Une autre affaire animait encore récemment l’actualité: un spectacle de Dieudonné «opportunément» transgressif, pourrait-on dire. Pourquoi? Parce que le régime démocratique moderne ne repose sur aucune norme morale objective en dehors de la dignité de la personne humaine, c’est un aveu de sa part. L’intolérance à l’égard de l’antisémitisme fait naturellement partie de ce credo socio-politique. La censure du spectacle en question paraît donc ne poser aucun problème. En réalite, ce fantaisiste est tombé dans un piège assez grossier. On ne joue pas à l’impertinent sur des causes perdues d'avance, causes qui, au demeurant, ne se prêtent ni à la polémique ni au rire des foules. C'était de sa part un manque d'intelligence et de maturité d'esprit.

 

Cela dit, la respectabilité des autorités répressives n’y gagne absolument rien: quelle autorité morale peut avoir un interdit opposé à la liberté d’expression quand, pour un enjeu similaire – et j’insiste sur ce qualificatif –, l’avortement, la pratique du crime est non seulement tolérée mais admise jusque dans son principe au nom de cette même liberté d’opinion?

 

Qui sont les hypocrites?

 

 

Michel de Preux

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NOTES:

1 Nouvelliste du jeudi 1 9 décembre 201 3 en page 5.

Thèmes associés: Politique générale - Religion

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