La harpie et le conseiller d’Etat

«Le Service public, indépendamment de tout intérêt mercantile ou partisan, se doit d’être une référence de comportement professionnel et moral. C’est tout le but de la charte d’éthique de la TSR.» Ces lignes figurent sur le site internet de la Télévision suisse romande, en introduction à ladite charte d’éthique, laquelle affirme, entre autres choses: «Aucune information essentielle n’est omise ou déformée, par exemple pour accréditer une thèse particulière.» (art. 2.1.1) «Les programmes ne privilégient aucune idéologie, ni aucun parti ou groupe d’intérêts.» (art. 2.1.2) «Les programmes reflètent équitablement la diversité des opinions.» (art. 2.1.3)

Ces extraits sont cités pour la seule édification du lecteur et l’on comprendra qu’ils n’ont strictement aucun rapport avec l’émission Mise au point du dimanche 1er février dernier, au cours de laquelle Mme Audrey Sommer, présentatrice, interrogeait M. Laurent Moutinot, conseiller d’Etat genevois en charge du Département des institutions.

C’était au lendemain de la manifestation altermondialiste contre le Forum de Davos, manifestation interdite par le gouvernement genevois en raison des menaces de violence explicitement formulées par plusieurs groupuscules révolutionnaires. Les manifestants venus braver l’interdiction s’étaient retrouvés bloqués vers la gare et, pendant plusieurs heures, des casseurs avaient affronté les policiers à coups de projectiles de toutes sortes.

A Mme Sommer qui lui demandait s’il ne regrettait pas d’avoir interdit cette manifestation, M. Moutinot répondit très calmement que ce n’était pas une manifestation qui avait été interdite, mais de la casse. La présentatrice attaqua: «Vous ne pouvez pas dire que c’était de la casse. (…) Il y avait septante personnes un peu agitées, mais rien de cassé, pas une vitrine, pas une voiture.» Son invité lui ayant rétorqué que c’était précisément grâce à l’interdiction de défiler et au travail préventif de la police, elle enchaîna: «Vous interdisez 90% du reste de la manifestation à s’exprimer. (...) Pendant combien de temps encore à Genève, les altermondialistes seront-ils les malvenus?» Le conseiller d’Etat affirma que les altermondialistes étaient les bienvenus s’ils défilaient pacifiquement, mais cela ne calma pas la dame: Ça fait quand même un moment que vous interdisez à chaque fois… – A chaque fois? J’interdis quoi? – … de manifester! – Quand? – Il y a eu… – Il y a eu quand? – Ben ça je ne sais plus!» Vexée de s’être fait «moucher» aussi lamentablement, Mme Sommer voulut tenter sa chance dans la direction opposée: «Cela fait trente-cinq ans qu’il n’y avait pas eu une interdiction de manifester!» – «C’est inexact, Madame, nous l’avons interdit après la manifestation du G8 pendant une semaine. Donc ça ne fait pas trente-cinq ans.» La pauvre, on n’aurait pas aimé être à sa place! Pour parachever cette leçon de journalisme empreint d’éthique, de professionnalisme et de haut niveau intellectuel, elle lança enfin: «Certains ont eu des mots très durs vous concernant. J’ai entendu Monsieur Ziegler parler de fascisme quand l’expression des droits populaires était interdite. Vous répondez quoi?»

Nous repenserons peut-être à cette émission lorsque, dans quelques années, nous entendrons Mme Audrey Sommer – comme beaucoup d’autres avant elle – parler de son métier en se lamentant sur le manque d’éthique de ses jeunes confrères et sur le faible sens moral des nouvelles générations.

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