Editorial

Il faut rendre cette justice aux promoteurs de l’initiative fédérale «Oui à l’abrogation du service militaire obligatoire» qu’ils n’avancent pas masqués. Ils auraient pu constituer un comité d’initiative ad hoc et se baptiser le Groupe pour une armée moderne et crédible, ou encore le Comité pour une armée du XXIe siècle, professionnelle et efficace. Non! Ils s’avancent, sans fausse barbe, sous leur vrai label, en affichant leur but véritable, celui du Groupe pour une Suisse sans Armée (GSsA).

Les initiants proposent de modifier l’article 59 de la Constitution fédérale1 par un texte de quatre paragraphes, dont les deux premiers seraient les suivants:

1Nul ne peut être astreint au service militaire.

2La Suisse a un service civil volontaire.

Quoique la rédaction de ce deuxième paragraphe soit un peu curieuse, on comprend qu’en cas d’acceptation de cette modification, les habitants de notre pays, hommes et femmes, suisses et étrangers, seraient libres de choisir un service militaire, un service civil, ou de s’abstenir de tout service.

En supposant que le service militaire soit tout de même réservé aux citoyennes et citoyens suisses, ce pourrait être une armée de milice, comme c’est le cas aujourd’hui, ou une armée de professionnels dûment rétribués. Dans tous les cas, les experts estiment que ses effectifs ne pourraient guère excéder vingt mille hommes, cadres compris. Encore faudrait-il les trouver.

Une telle «armée» suffirait-elle à remplir la mission ? Si la mission reste celle qui a été assignée à l’armée ces septante dernières années, certes non. Mais cette mission doit être adaptée à la situation géostratégique actuelle et aux menaces prévisibles.

Le conseiller d’Etat genevois Pierre Maudet, membre d’un parti bourgeois et capitaine d’infanterie, a rédigé un fort intéressant rapport sur la sécurité de la Suisse2 de sa propre initiative et à compte d’auteur. Cette contribution au débat nécessaire postule, comme les auteurs de l’initiative, qu’une menace de guerre terrestre «classique» est très improbable ces cinquante prochaines années, que les menaces sont essentiellement cybernétiques et terroristes et enfin que la neutralité n’est plus défendable. Dans une telle perspective, une armée de milice de vingt mille hommes devrait suffire, formée de spécialistes hautement compétents.

On abandonnerait la conscription obligatoire et la neutralité et on adapterait l’organisation de l’armée et l’ordre de bataille aux menaces identifiées.

Le travail de M. Maudet est fort intelligent, et se distingue des arguments simplistes et des slogans éculés qui font la pensée du GSsA et de ses amis. Constitue-il cependant une base de réflexion utilisable?

Ce qu’il y a de fâcheux, avec l’ennemi, c’est qu’il ne dit pas dix ans à l’avance où il va attaquer et comment. Après la Grande Guerre, les Français étaient sûrs que c’était la der des ders et que les conférences organisées par la SdN allaient préserver l’Europe de tout conflit pour l’éternité. Sous l’influence des Gauches, le budget militaire fut largement amputé et on sait l’état de la défense hexagonale en mai 1940.

Aujourd’hui, c’est encore pire, car on ignore même qui sera l’adversaire. Des groupes islamistes radicaux? Les Chinois qui achètent l’Europe après avoir acheté l’Afrique? Les Etats-Unis qui supportent de plus en plus mal la puissance financière de la Suisse? Des voisins, membres de l’UE, jaloux de notre prospérité après l’effondrement de la zone euro? Ou encore: plus personne, si on supprime les armées au profit de mesures de promotion de la paix.

Une constante, cependant, est incontestable: lorsqu’on a abandonné la conscription, il est pratiquement impossible d’y revenir; les régiments ont été dissous, les casernes vendues ou affectées à d’autres fins, les matériels et les armes ne sont pas livrables, les cadres prêts à former la troupe n’existent plus.

Il faudra voter NON cet automne!

 

Claude Paschoud

 

_________________

1 Actuellement : 1Tout homme de nationalité suisse est astreint au service militaire. La loi prévoit un service civil de remplacement. 2Les Suissesses peuvent servir dans l’armée à titre volontaire

2 http://www.pierremaudet.ch/2011/01/17/politique-de-sle-vrai-rapport/

 

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