Infarctus culturel

J’avoue n’avoir pas lu Der Kulturinfarkt, aux éditions Knaus Albrecht, essai collectif de MM. Pius Knüssel, Dieter Haselbach, Armin Klein et Stephan Opitz, essai qui propose une redistribution complète des critères d’attribution des subventions culturelles. Mais j’en ai lu un résumé dans la presse.

Si les trois derniers auteurs cités sont Allemands, le premier nommé est directeur de Pro Helvetia, ce qui a provoqué un certain bruit dans les milieux helvétiques directement intéressés.

Le conseil de fondation de Pro Helvetia s’est empressé de déclarer qu’il se distanciait des écrits privés de M. Knüssel, tout en lui conservant sa confiance.

Parmi les propositions des auteurs: suppression de la moitié des musées, théâtres et bibliothèques, prééminence de la demande sur l’offre, renforcement d’une production nationale, encouragement de la culture immigrée et création numérique, etc.

Ces propositions ont immédiatement suscité des réactions indignées et des tribunes virulentes, notamment dans le Temps, de vieilles gloires caduques, parmi lesquelles Mmes Yvette Jaggi et Anne Bisang.

Les propositions d’«Infarctus culturel» méritent néanmoins plus que l’injure et le dénigrement. Certes, M. Knüssel est un maître dans l’art de la provocation dont il use… et abuse peut-être. Certes, les propositions de renforcement de la production «nationale» conviennent sans doute en Allemagne, mais en tout cas pas en Suisse où la culture (hormis le cinéma) est du ressort et de la responsabilité des cantons et même (financièrement) des grandes villes.

Il n’en reste pas moins que la politique culturelle qui consiste à financer l’offre (entendez : des productions que leurs seuls auteurs peuvent qualifier d’œuvres d’art) au motif que c’est l’offre qui induit la demande, conduit inévitablement au subventionnement d’imposteurs et de charlatans au détriment de ce qui plaît au public.

Sans doute, ce qui plaît au public aujourd’hui a été créé, jadis ou naguère, aux frais d’un mécène public ou privé, car on n’imagine pas une création importante sans une commande, en musique, en sculpture, en création théâtrale ou cinématographique.

La question est pourtant de savoir s’il appartient aujourd’hui au contribuable de se substituer au Prince qui, aux siècles passés, subventionnait Michel-Ange, Molière ou Mozart.

Le versement automatique de subventions à tel théâtre d’avant-garde ou à tel cinéaste engagé crée une routine impropre à la création d’une œuvre de qualité. Servies par des comédiens de grand mérite, des comédies comme Le dîner de cons ou La cage aux folles n’ont pas eu besoin de subventions publiques. A l’inverse, un film aussi mauvais que Vol spécial n’aurait pas vu le jour sans l’appui de la Télévision publique, financée par la redevance, et les beaux-arts n’y auraient rien perdu. Il n’aurait pas eu beaucoup de spectateurs non plus sans diffusion TV et propagande dans les écoles.

Alors, surtout pas d’Office fédéral de la culture, le moins possible de subventions automatiques et régulières, mais un mécénat privé fondé sur le goût du seul donateur, qui pourrait bénéficier de ce fait d’un privilège fiscal.

Bien entendu, suppression de toute contribution fédérale à Pro Helvetia, qui devrait se contenter de distribuer, comme toutes les fondations, le seul produit de sa fortune.

C.P.

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