Le roseau pensotant

    M. Olivier Delacrétaz, dans la Nation1, a parfaitement raison de motiver comme il le fait la conclusion des critiques adressées au ministre de l’intérieur français au sujet de sa déclaration sur l’inégalité des civilisations. Contrairement à la grande presse, qui prétend à l’objectivité et à l’impartialité mais dont il est facile de démontrer qu’elle n’a aucune de ces qualités… M. Delacrétaz fit une citation complète de cette déclaration, rendant ainsi évidentes ses propres contradictions. La référence de M. Claude Guéant aux incontournables droits de l’homme comme critère moral universel enferme et enlise la réflexion et l’idée même de la supériorité de la civilisation occidentale moderne dans un cercle justement qualifié de «vicieusement contradictoire» par M. Delacrétaz, puisque rejeter cette supériorité revient effectivement à nier le dogme égalitaire proclamé initialement. En conséquence, la conclusion de M. Delacrétaz s’impose: «Ce genre de débat ne relève pas de la philosophie, mais du combat électoral.»

    Et qui donc a, plus récemment encore, donné raison au chef de la Ligue vaudoise? M. Claude Guéant  en personne, lorsqu’il a déclaré ultérieurement que le Front National était un parti «nationaliste et socialiste»!... On ne se donne même plus l’apparence de penser; on joue avec les mots, leur évocation historique et idéologique, avec pour dessein aussi inavouable qu’effectif de pratiquer l’exclusion que l’on dit abhorrer. Le mensonge est consubstantiel à ce genre de propos et cet incident nous le prouve. Mais qui peut encore s’étonner qu’un ministre aussi conformiste confonde sciemment le débat d’idées, cher à Edgar Faure, et le ring où tous les coups sont permis?

    C’est bien cette manière de galvauder la pensée, la morale, la science, la philosophie, l’étude des civilisations et des cultures qui caractérise désormais le langage politique en Europe. Un jour, M. Mélanchon reproche à Marine Le Pen de ne pas avoir quitté une assemblée où l'on a cité Robert Brasillach et le lendemain, nous apprenons que François Mitterrand avait pour livre de chevet l’une des œuvres de cet écrivain… ce qui n’empêche nullement le virulent moraliste d’extrême gauche d’appeler ses compatriotes à voter François Hollande au second tour des élections présidentielles si lui-même devait en être écarté après le premier tour! Or M. Hollande appartient au même parti politique que François Mitterrand de son vivant…

    Que tout ceci est insignifiant! Le bavardage des politiques finira par tuer la démocratie française. Est-ce un mal? La seule question sérieuse qui se pose est celle-ci: jusqu’à quand faudra-t-il attendre pour qu’une majorité d’électeurs français prenne conscience que son personnel politique n’est majoritairement ni sérieux ni même responsable et qu’un coup de balai s’impose. Là où la démocratie directe ne correspond à aucune tradition historique comme c’est le cas dans les pays suisses, il semble de plus en plus évident que la démocratie partitocratique livre personnes et biens à des bonimenteurs.

    Parmi ces bonimenteurs – et ils agissent aussi en Suisse, nécessairement contre la Suisse –, il y a ceux qui se servent du prétexte de la force dérogatoire des engagements internationaux de notre pays, en particulier de la Convention européenne des droits de l’homme, pour limiter l’exercice du droit d’initiative populaire en Suisse. Or dans les trois cas récents où ce prétexte a été invoqué, la mauvaise foi de ces personnes est prouvée:

1. L’affaire des minarets: le droit international ne peut avoir aucune incidence sur le mode d’exercice public d’un culte dans un Etat souverain si le culte lui-même n’en subit aucune atteinte. Or l’appel public à la prière chez les musulmans peut être assujetti à un mode de diffusion, notamment par la presse écrite, conforme aux us et coutumes d’une société non musulmane dans son immense majorité.

2. Le renvoi des délinquants étrangers: il est parfaitement licite et équitable d’en prévoir la possibilité, puisque celle-ci est de nature à préserver de bons rapports entre la Suisse et les pays d’origine de ces délinquants, prioritairement responsables des effets sociaux liés au comportement gravement délictuel de leurs ressortissants en Suisse.

3. L’internement à vie de certains criminels: l’ordre international ne pourrait plus porter ce nom s’il aboutissait à favoriser l’insécurité des personnes et des biens à l’intérieur des Etats. Ce serait porter impunément atteinte à l’une des fonctions premières de la souveraineté étatique. En fait, cet argument dissimule hypocritement une volonté de destruction lente et progressive des Etats comme entités réellement souveraines et dépositaires, à ce titre, de la confiance de leurs peuples. La hiérarchie des normes de droit est ici odieusement dénaturée au profit d’une idéologie mondialiste aux desseins plus qu’obscurs.

Michel de Preux

1  Editorial du no 1935 du 24 février 2012: M. Guéant et les contradictions de l’égalité, p. 1.

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