«Vol spécial»

La police est intervenue dans un foyer pour requérants d’asile déboutés, a contrôlé nonante et une personnes et constaté que quarante-quatre d’entre elles s’étaient vraisemblablement rendues coupables de différents délits: vol, recel, trafic de stupéfiants. On a saisi 232 grammes de cocaïne, 22 grammes d’héroïne, 60 grammes de marijuana, 42'000 francs, près de 3000 euros, vingt faux billets de 100 francs, deux cent seize téléphones portables (une des personnes contrôlées en détenait vingt-trois à elle seule), vingt-huit ordinateurs, des appareils de photo, des caméras, des baladeurs numériques, des montres et des bijoux.

Ce coup de filet rallume la polémique suscitée par la sortie en salles de Vol spécial, film très médiocre, sur lequel je me suis exprimé ailleurs1 et dont l’un des héros n’est pas la blanche colombe qu’on nous présente complaisamment, mais un condamné pour trafic de drogue avec récidive et blanchiment d’une importante somme d’argent, qui usait aussi de huit identités différentes et qui avait essayé de se marier à trois reprises.

Le film de M. Fernand Melgar a été le prétexte à des prises de position aussi intéressantes par ce qu’elles révèlent de leurs auteurs qu’indéfendables pratiquement.

Certains réclament l’interdiction du film, au motif qu’il véhicule des mensonges. Grands dieux! S’il fallait interdire la diffusion de toutes les œuvres fondées sur une supercherie, je ne sais pas s’il subsisterait grand-chose de l’art contemporain, des livres d’histoire du XXe siècle ou des promesses électorales! A l’évidence, les ciseaux d’Anastasie décuplent l’intérêt pour les œuvres censurées.

Mais cette indignation contre la diffusion de mensonges est le signe, anachronique mais sympathique, d’un fond de rectitude morale qui subsiste chez les anciens, chez les personnes d’un certain âge, qui sont convaincues qu’on ne pourrait pas dire ceci ou cela dans les journaux si ce n’était pas vrai. A d’autant plus forte raison dans un film. Charmante et désuète naïveté.

Dans l’autre camp, il y a ceux qui ont été bouleversés par le sort de ces pauvres étrangers qu’on allait reconduire chez eux de force après les avoir détenus à Frambois, alors même, disaient-ils, qu’ils n’avaient commis aucun crime et que même les animaux étaient mieux traités qu’eux.

Un des requérants détenus s’indigne que son renvoi va le séparer de sa femme et de ses enfants. Le spectateur s’émeut, bien entendu, parce qu’il ignore que la femme et les enfants de cet individu n’avaient plus eu de nouvelles de lui pendant les deux dernières années.

Le crétin à qui on offre un vol régulier, et un pécule, refuse obstinément de rentrer chez lui à Pristina, au motif qu’il va être tué à son arrivée.

Le spectateur ignorera toujours quelle entourloupe ce ressortissant des Balkans à jouée à ses commanditaires ou à ses complices restés au Kosovo pour mériter une punition aussi grave.

Le directeur du centre de détention de Frambois, qui surjoue dans la bienveillance sirupeuse, proclame que lui-même et ses collaborateurs sont tristes au départ du vol spécial. C’est absurde. C’est un autre discours qu’il fallait tenir: «Mes chers amis, je me réjouis avec vous que votre détention à Frambois prenne fin aujourd’hui. Dès ce soir, vous serez à nouveau des hommes libres, dans votre pays, et non des détenus dans un Etat dont vous haïssez les institutions et les habitants!»

Mais les assistants de Monsieur le directeur ne se font aucune illusion sur l’efficacité du vol spécial, puisqu’en prenant congé des expulsés, ils leur font l’accolade en leur disant: «A bientôt!»

Une pétition circule pour l’annulation de ces vols spéciaux. Fort bien, mais allons interroger ces bons apôtres. Que proposent-ils pour ceux qui n’ont pas obtenu l’asile après avoir épuisé toutes les voies de recours ordinaires et extraordinaires, qui doivent donc quitter la Suisse, à qui on propose une aide au retour, un voyage payé et une somme d’argent pour se refaire une situation dans le pays d’origine, et qui refusent de partir volontairement?

Si on renonce à la contrainte et au vol spécial, que reste-t-il? La constatation que l’Etat n’est pas en mesure de faire exécuter des décisions de justice, et la distribution automatique de permis de séjour à tous ceux qui n’ont pas envie de partir?

Mais alors, pourquoi les étrangers seraient-ils les seuls bénéficiaires de cette démission étatique? Pourquoi le chauffard qui roulait à 325 km/h devrait-il rendre son permis? Pourquoi le violeur devrait-il entrer en prison? Pourquoi le contribuable serait-il tenu de payer des impôts? Se priver d’une part importante de son revenu en faveur de l’Etat, être privé de liberté ou de son permis de conduire sont des contraintes désagréables.

Les pétitionnaires n’aiment pas les contraintes, et s’indignent des règles de comportement imposées aux pensionnaires de Frambois.

J’aimerais que tous ceux qui s’engagent politiquement en faveur de la régularisation globale des «sans papiers» s’annoncent disposés à accueillir l’un d’eux dans leur foyer.

J’observerai ensuite avec intérêt les règles de fonctionnement de cette nouvelle petite communauté, et la liberté de comportement laissée à l’hôte exotique.

Je suis assez sûr qu’une nouvelle pétition serait lancée parmi les familles d’accueil, au bout d’un mois, pour le rétablissement immédiat des vols spéciaux.

Claude Paschoud

1 www.claude-paschoud.ch

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