Schengen, faux coupable

L’accord de Schengen, qui consacre un espace européen sans contrôle des personnes aux frontières, semble aujourd’hui se désagréger face à la soudaine explosion de l’immigration nord-africaine qui déferle sur les côtes italiennes et que les autres Etats redoutent de voir se répandre sur leur territoire.

En Suisse, l’UDC, seul parti à s’être toujours opposé à Schengen, en profite pour parader sur l’air du «On vous l’avait bien dit!» L’actualité conforte sa position: les braquages proches de la frontière se sont multipliés au cours de ces derniers mois et, pour couronner le tout, on vient d’apprendre que l’adhésion à l’Espace Schengen, censée nous valoir des économies, nous coûte en réalité plus de 40 millions de francs par année. La conclusion coule de source: l’accord de Schengen est nuisible et il convient de le dénoncer.

Et pourtant… On ne va évidemment pas faire ici de l’anti-UDC primaire! Mais une réflexion autre que purement électorale amène néanmoins à penser que le combat contre Schengen est politiquement assez peu utile. Sortir de Schengen, ce serait se mettre à dos quelques pays voisins qui n’attendent que cela; on peut s’y risquer si c’est nécessaire; mais est-ce nécessaire?

Il faut tout d’abord admettre que, avant Schengen, nos frontières étaient déjà largement autant ouvertes qu’elles le sont aujourd’hui. L’étroitesse de notre territoire et l’intensité de nos relations avec nos voisins ne permettaient pas de verrouiller nos frontières comme cela se fait encore dans d’autres pays. La plupart des postes-frontières n’étaient donc pas surveillés en permanence, les contrôles d’identité étaient sporadiques et l’on entrait en Suisse presque comme dans un moulin. Aujourd’hui, la situation n’a que peu changé; des garde-frontières continuent à être présents aux principaux points de passage pour le contrôle des marchandises. Les bandes de la banlieue lyonnaise qui viennent faire fortune à Genève profitent de la coordination imparfaite des différents corps de police, et non de l’absence de personnel en uniforme devant quelques barrières rouges et blanches. Ces dernières représentent certes un symbole marquant notre territoire, mais pas un gage d’efficacité policière.

Ensuite, il faut garder à l’esprit que Schengen accorde un droit de passage, pas un droit de séjour ou d’établissement. Or, c’est le droit de séjour qui constitue l’enjeu essentiel par rapport au problème de l’immigration extra-européenne. Si l’on voulait avoir le courage de concevoir ce droit de manière restrictive, de l’appliquer avec sévérité, de mener des contrôles policiers efficaces à l’intérieur des frontières et de renvoyer effectivement et sans états d’âme les personnes en situation irrégulière, alors la partie la plus importante du problème serait résolue, indépendamment d’une certaine liberté de passage à la frontière.

Quant aux surcoûts récemment révélés, ils semblent surtout dus à la somptuosité de certains équipements informatiques et de la dotation en fonctionnaires de certaines ambassades; on pourrait sans doute y remédier sans toucher aux grandes options stratégiques de notre politique étrangère.

C’est vrai: Schengen ne nous est pas d’une très grande utilité et, comme tout le droit international, il ne repose que sur la loi du plus fort. On l’a vu au moment de la crise entre la Suisse et la Libye, à un moment où le gouvernement français était encore ami du dictateur qu’il bombarde aujourd’hui. Mais Schengen n’est pas non plus responsable de tous nos problèmes actuels – ce d’autant moins qu’il n’est jamais difficile de rétablir certains contrôles plus ou moins discrets lorsque c’est nécessaire. On devrait donc éviter de gaspiller temps, énergie et argent dans cette vaine bataille.

Pollux

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