Gérontophobie

Nous lisons dans 24 heures du 3 octobre une «interview politique» de deux politologues alémaniques au sujet des «enjeux majeurs» des prochaines élections fédérales. L’article a été rédigé et publié en allemand par deux journalistes alémaniques du groupe Tamedia, puis traduit en français pour alimenter les titres francophones du groupe. Cette pratique est désormais courante.

L’interview contient à boire et à manger. Des banalités et des énormités. M. Adrian Vatter, directeur de l’Institut de sciences politiques de l’Université de Berne, tient des propos relativement mesurés. A côté de lui, Mme Rahel Freiburghaus, diplômée en sciences sociales et science politique de l’Université de Berne, chercheuse dans cette même université et récemment nommée professeure assistante à l’Université de Lausanne, enchaîne les provocations. Elle est évidemment épaulée dans cette tâche par les journalistes de Tamedia, dont la première question commence par une affirmation: «Les résultats des dernières votations suggèrent qu’une mentalité égoïste se développe au sein de la population.»

Trop de vieux

La discussion s’oriente sur le constat que les jeunes votent moins que leurs aînés. «Deux tiers des personnes âgées se rendent aux urnes, deux tiers des jeunes restent chez eux.» Les journalistes demandent alors si «la Suisse évolue vers une gérontocratie», donnant à Mme Freiburghaus l’occasion de surenchérir: «La génération plus âgée est également bien mieux représentée dans les gouvernements et les parlements que les jeunes.» Et c’est là qu’elle livre le fond de sa pensée: «Pour ralentir l’évolution vers la gérontocratie, nous devrions intervenir plus tôt dans le processus politique. Donner plus de poids aux jeunes voix, voire supprimer le droit de vote à partir d’un certain âge, permettrait de briser la domination des seniors. Le fait que de telles possibilités soient à peine débattues découle de la représentation inégale des générations.»

Nous disons que cette dame «enchaîne les provocations», mais il n’est pas sûr que ce soit le fruit d’une volonté délibérée. Dans le contexte idéologique actuel, il semble tout à fait naturel à certaines personnes de réclamer la suppression de la liberté d’expression, et à plus forte raison la suppression du droit de vote, pour ceux de leurs concitoyens qui entravent la marche du Progrès, ou qui incarnent simplement un passé dont on veut faire table rase. Dans un contexte idéologique, la suppression des droits est une mesure assez courante. Et si cela ne suffit pas, on peut supprimer la vie; c’est aussi une mesure assez courante. Il ne faut voir aucune méchanceté dans cette volonté d’éliminer les gêneurs: il s’agit seulement d’écarter les facteurs d’obstruction ou de ralentissement afin de permettre l’avènement d’une société meilleure, telle que la définissent les experts, telle que la définit la science.

Trop d’intellectuels

Il se trouvera des lecteurs pour penser que nous exagérons. Pourtant, ce dont nous parlons ici s’est déjà produit au cours de l’histoire, et il n’y a donc aucune raison pour que ça ne se reproduise pas. Aujourd’hui, l’euthanasie apparaît d’ores et déjà comme un acquis social; le pas suivant sera vite franchi. Ces mêmes lecteurs n’auraient-ils pas aussi crié à l’exagération si on leur avait prédit, il y a quelques années, que des intellectuels bon chic bon genre – qui s’étrangleraient si on proposait de réserver les droits civiques aux propriétaires terriens, aux pères de famille ou aux hommes portant une arme – allaient revendiquer publiquement et candidement la suppression du droit de vote pour les seniors?

Si les propositions cyniques de Mme Rahel Freiburghaus nous choquent, admettons cependant qu’elles nous séduisent aussi. Une étude de l’Université de Lausanne révèle que les jeunes apprentis se désengagent de la politique parce qu’ils s’y sentent mal à l’aise et dévalorisés. «Ils ont l'impression que la politique est réservée aux experts, aux personnes qui ont fait de grandes études, qui ont de grandes connaissances.» Peut-être serait-il temps de limiter le droit de vote – et donc le pouvoir de nuisance – des trop nombreux intellectuels qui traînent dans les universités.

Pollux

Thèmes associés: Egalité, discriminations - Médias - Politique fédérale

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