L’abus d’Etat nuit gravement à la santé
La chaîne de télévision française Planète+ a consacré une récente soirée à un reportage en plusieurs épisodes sur les «tueurs de la République». On a beau avoir déjà lu et entendu toutes ces informations, on n’en reste pas moins frappé par la désinvolture avec laquelle la grande république voisine, tout au long de son histoire moderne, a mené (et mène certainement encore) des campagnes d’assassinats ciblés à l’encontre de ses «ennemis», «neutralisés» en dehors du territoire français et en dehors de toute procédure judiciaire.
On parle évidemment d’individus peu sympathiques et peu recommandables, généralement des terroristes éliminés en représailles de leurs actes. Mais quand on pense aux eaux troubles et aux affaires louches dans lesquelles ont toujours pataugé les «services» de l’Etat français, quand on voit comment les «forces de l’ordre», en France, sont détournées de leur mission pour devenir des gardes prétoriennes du pouvoir, quand on voit aussi le mépris habituel des élites politiques de l’Hexagone pour la sécurité de leurs concitoyens et leur désintérêt envers la pérennité de leur pays, on devine que certains de ces assassinats ordonnés aux plus hauts niveaux de l’Etat «pour la sécurité de la France et des Français» n’ont pas forcément une motivation aussi morale qu’on le prétend.
Et puis, on sourit légèrement lorsque la «raison d’Etat» est présentée comme une zone d’ombre inévitable et acceptable dans les seuls régimes démocratiques. En quoi l’élimination des ennemis des présidents français est-elle plus légitime que celle des adversaires de Vladimir Poutine ou de Kim Jong-un? En réalité, les grandes puissances occidentales (les Américains et les Anglais sont probablement très en avance sur les Français) font exactement ce qu’elles condamnent avec fermeté chez leurs adversaires. (On parle ici d’assassinats politiques, mais on pourrait en dire autant en matière de crimes de guerre.) La seule différence est que, comme on le sait, «les nôtres» agissent pour le Bien cependant que «les autres» sont au service du Mal.
Ces reportages sur les «tueurs de la République» ont le mérite de mettre en évidence des attitudes très différentes au cours de ces dernières décennies. On apprend que Jacques Chirac, dont on s’est beaucoup moqué, mais qui a sans doute été le dernier véritable chef d’Etat français, était défavorable aux assassinats politiques, par principe, mais aussi par méfiance envers les manipulations, erreurs ou ratages de ses services secrets; et également par une volonté toute gaullienne de se démarquer de la politique américaine et des morts qu’elle laisse dans son sillage. A l’opposé, Nicolas Sarkozy se comportera ensuite comme un pion de Washington (ce qui rend d’autant plus louables ses récentes déclarations sur la Russie, si tant est qu’elles soient sincères). Quant à François Hollande, dit Flamby, avec son air de petit notable de province besogneux et craintif, on le découvre paradoxalement en enragé du dézingage à tout va, alignant un tableau de chasse à faire pâlir un tueur en série.
On n’imagine guère cela en Suisse. Bien sûr, on ne peut pas exclure qu’il y ait eu une fois ou l’autre un petit «accident»; mais dans un petit pays doté d’une structure fédérale, avec un pouvoir réparti entre vingt-six cantons et une présidence de la Confédération réduite à sa plus simple expression, le risque est faible. Et les journalistes qui adorent critiquer la complexité helvétique feraient bien de se demander si, tout compte fait, ils n’y vivent pas plus en sécurité que dans un beau grand Etat centralisé où le sommet du pouvoir élimine qui il veut, discrètement et à discrétion.
Pollux
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