La chronique irrégulière du libéral
Nul besoin d’envahir l’Ukraine pour réveiller la peur en Occident. La lecture d’un article paru dans Le Temps du 21 février 2023, en page 19, est amplement suffisante. On y apprend que les romans pour enfants de Roald Dahl ont subi une réécriture par, je cite, «un collectif spécialisé dans l’inclusion et l’accessibilité dans la littérature enfantine».
C’est parfaitement effrayant: les ayants droit ont accepté de modifier certains passages des romans de Dahl dans le but de mieux correspondre à la norme actuelle. Ainsi, afin de «mieux coller aux sensibilités contemporaines», le terme «extrêmement gros», qui désignait un personnage dans Charlie et la Chocolaterie, se retrouve remplacé par «énorme». Ne me demandez pas en quoi ce serait plus acceptable, et quand bien même ce le serait: comment peut-on admettre la réécriture d'un roman? La réédition interdit la cape «noire» (mon Dieu, horreur, Dahl a osé qualifier ainsi cette cape!) et on nous explique que, à la suite d’un choc terrifiant, l’on ne devient plus «blanc», mais que l’on «pâlit». Blanc et noir sont devenus des mots interdits, hautement séditieux. Nos pauvres enfants, présumés incultes, ne sauraient lire que les fameux «Oompa Loompas» pussent être décrits par l’auteur comme des pygmées noirs. Raciste, évidemment. Je vous épargne la liste des modifications imposées par les censeurs, tant elles sont hallucinantes, mais ne résiste pas à une dernière: une héroïne ne lit plus du Rudyard Kipling, remplacé, pourquoi pas, par du Jane Austen. Il s’agit ici, nous explique-t-on, de promouvoir la représentativité des auteurs féminins plutôt que masculins. Logique.
Cet article apparemment anecdotique et fort discret n’est pas à prendre à la légère. Je pensais naïvement que la littérature, fût-elle pour enfants, était éternelle. Je considérais comme un acquis définitif que ce qui avait été écrit demeurerait fixé à jamais, témoignage préservé d’une époque, d’un style, d’un auteur. Mais c’était sans compter que notre civilisation, qui se dit bien-pensante, s’arroge des droits inédits sous couvert de la doxa du politiquement correct. Terrible constat: on s’autorise à s’attaquer au permanent.
La gravité de cette réécriture dépasse le simple respect que l’on devrait accorder à l’auteur. Un «collectif» (quel mot merveilleux!) prétend décider de quelle manière les enfants sont censés être instruits. Alors qu’il y aurait lieu de se réjouir du simple fait qu’ils lisent, on préfère les prendre pour des abrutis en dénaturant au passage les œuvres d’un écrivain qui n’est plus là pour se défendre. Cette censure exclut toute possibilité de se forger une libre opinion sur les écrits de ce brave Dahl, en admettent que ce soit vraiment nécessaire, qui a commis le crime de ne pas être suffisamment inclusif.
Les dictateurs communistes ou nationaux-socialistes du vingtième siècle avaient la décence de brûler les livres qui ne correspondaient pas à leur idéologie. Notre temps fait mieux, il les réécrit.
Lamentable.
Arnaud Etienne
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