Alice Coffin «agressée»: les fleurs du mâle
Texte pamphlétaire sur les journalistes publié par Polémia le 7.2.2022, peu avant la cérémonie des Bobards d'Or, au cours de laquelle sont récompensés les gens de presse ayant pratiqué la désinformation avec un talent particulier.
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Je trouve de très mauvais goût de rire des journalistes, et de les accuser de mentir alors qu'ils ne mentent jamais, ne falsifient rien, ne tronquent pas les citations ni les images pour leur faire dire le contraire de ce qu'elles disent. Quand M. Edwy Plenel écrit, à propos d'une manifestation anti-vaccinale: «Des nazis ont défilé en plein Paris ce samedi», il ne ment pas. Il a vraiment vu la Wehrmacht marchant en rangs serrés dans le Ve arrondissement. C'est son opticien qui est en cause, pas lui. Quand M. Jean-Michel Aphatie dit: «Dans l'expression “nettoyer au Kärcher”, il y a un contenu raciste parce que le Kärcher ça blanchit tout», il confond le nettoyage et la peinture. Il ne ment pas, il n'est pas bricoleur, c'est tout.
Ceux dont vous riez nous informent au péril de leur vie. Un célèbre reporter de guerre, M. Claude Askolovitch, n'hésite pas à témoigner de l'horreur, régulièrement. «Rue Polonceau dans le 18e, a‑t-il écrit, une association fait des petits bacs végétalisés pour égayer un peu le paysage, et des pauvres types pissent dessus.»
Non, on n'a pas le droit de rire de gens qui prennent tant de risques pour nous alerter sur le drame des petits bacs végétalisés.
Mais il y a plus grave. Les risques encourus par nos héros du quotidien sont parfois à peine imaginables. L'été dernier, Mlle Alice Coffin a ainsi été victime d'une violente attaque homophobique. Pour ceux qui l'ignorent, Mlle Coffin est une journaliste et une militante LGBT (comme elle a des journées de soixante-douze heures, elle est aussi conseillère de Paris, professeur de journalisme, auteur, conférencière, et elle représente Paris dans trois conseils d'administration: comme il y a les intermittents du spectacle, elle a choisi d'être spectaculaire d'intermittences).
C'est une éco-féministe, Mlle Coffin. L'éco-féminisme est une secte dont les adeptes ont des slogans intéressants:
«Pubis et forêts, arrêtons de tout raser»
«Ma planète, ma chatte, sauvons les zones humides»
Quand elle ne sauve pas les zones humides, Mlle Coffin est oppressée. L'oppression, c'est sa fonction, sa raison sociale. Ceux qui l'oppressent, ce sont les hommes, évidemment, et pas seulement ceux qui font pipi sur les bacs végétalisés de M. Askolovitch. Or, et j'en reviens à la violence, Mlle Coffin a été victime d'un attentat. Ça s'est passé à Rouen, le 16 juin, pendant une conférence. Elle était tranquillement en train d'expliquer la meilleure façon de lutter contre le patriarcat, quand, soudain, s'avança vers elle un terroriste lesbophobe. Un genou à terre, le malfaisant lui tendait un bouquet de roses rouges – les fleurs du mâle.
Aussitôt, tout l'appareil politico-médiatique témoigna de son émotion. On assura Mlle Coffin, je cite, de son soutien face à «la violence de l'idéologie raciste et masculiniste»; on parla d'une «agression inadmissible [qui devait] être durement sanctionnée». «Combien encore de victimes? Combien encore de passages à l'acte?» se demanda même un célèbre député. «Des passages à l'acte, écrivit un essayiste, qui laissent craindre le pire.» (Nous ne pouvons malheureusement citer tous ceux qui ont été horrifiés par cet attentat aux fleurs et se sont levés pour faire barrage et dire «Non à la haine».)
Et que l'on ne me réponde pas avec la publicité pour les déodorants Impulse des années quatre-vingt: «Soudain, un inconnu vous offre des fleurs.»
A l'époque, les femmes ignoraient qu'un bouquet était une agression, un passage à l'acte. Elles ne savaient pas, les malheureuses, que les roses portaient en elles les épines de la haine.
Voilà pourquoi, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, je trouve de très mauvais goût les accusations portées par les Bobards d'Or contre ceux qui se dressent pour dire «plus jamais ça», «stop à la haine», oui au barrage, contre ceux qui, tous les jours, luttent contre les fleurs.
Prune Lahourcade
N. B. Je précise à ceux qui s'en inquièteraient que Mlle Coffin a survécu à son attentat.
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