Arroseurs arrosés

Le journal Le Temps a lancé un gros pavé dans la mare en publiant, le 31 octobre, une longue enquête sur les comportements déplacés et malsains qui semblent avoir eu cours depuis de nombreuses années au sein de la Radio-télévision suisse romande (RTS). L'article dénonce, premièrement, des cas de harcèlement psychologique et sexuel de la part de deux cadres à l'encontre de leurs subordonnées; ces cadres n'ont pas été sanctionnés et ont au contraire été maintenus dans leurs fonctions, voire promus dans des «placards dorés». En second lieu, on nous présente une collection de frasques peu ragoûtantes de l'ex-présentateur vedette du téléjournal, Darius Rochebin, qui aurait multiplié les conversations scabreuses et les gestes déplacés envers quelques dames et surtout envers de nombreux jeunes messieurs, tentant de séduire ces derniers en usant de son aura et en trichant sur les réseaux sociaux.

M. Rochebin a annoncé son intention de se défendre contre ces allégations, affirmant qu'il n'avait jamais commis aucun acte illégal. Ses avocats ont estimé que l'article du Temps mélangeait abusivement des éléments de la vie privée du journaliste avec les cas de harcèlement commis par les deux cadres de la RTS.

Nous n'aimons pas beaucoup M. Rochebin – et maintenant nous savons pourquoi –, mais nous ne pouvons nous empêcher de penser qu'il n'a pas complètement tort. A ce stade des révélations, rien n'indique clairement qu'il aurait abusé de son pouvoir hiérarchique, ni commis des actes pénalement répréhensibles. Ce qu'on peut lui reprocher, et nous le lui reprochons volontiers, c'est d'avoir des mœurs dissolues et contre-nature. Or nous vivons à une époque où tout est permis et où il est interdit d'interdire – à tout le moins en matière de mœurs dissolues et contre-nature. Si les accusateurs de M. Rochebin étaient des gens d'Eglise, on comprendrait; mais l'attaque émane ici de ses confrères journalistes, qui se signalent rarement par leur engagement en faveur de la morale traditionnelle. Faut-il alors voir dans cette affaire une pure hypocrisie? une dénonciation délibérément opportuniste? le plaisir d'un «coup médiatique» fumant? ou seulement la preuve que la morale traditionnelle, bien qu'officiellement honnie par le monde moderne, subsiste discrètement mais obstinément tout au fond de l'âme humaine?

Nous laisserons aux avocats de M. Rochebin le soin de plaider tout cela. Nous n'allons pas nous acharner sur cet homme désormais à terre, mais nous n'allons pas le défendre non plus. Il n'a certainement pas été le pire des journalistes, mais il a participé comme les autres à un système médiatique inquisiteur, qui passe son temps à juger de ce qui est bien ou mal, à distribuer les bons et les mauvais points et à porter des regards soupçonneux sur tout ce qui s'écarte peu ou prou des dogmes momentanés. Aujourd'hui, c'est lui qui en fait les frais.

Surtout, à travers Darius Rochebin, c'est toute l'orgueilleuse RTS qui se trouve aujourd'hui sous le feu de la critique. Les puissants pontifes du service public font désormais face à des «plus purs qui les épurent». C'est un plaisir qu'on ne se refuse pas, une satisfaction presque thérapeutique. Vous aimiez voir les grands de ce monde mordre la poussière? Eh bien! rampez maintenant!

Pollux

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