Objection de conscience

Emmanuel, vingt-huit ans, père depuis peu, chrétien évangélique et facteur a perdu son emploi à la poste pour avoir refusé de livrer des publicités émanant d’ Erotik-Markt, entreprise qui, comme son nom l’indique, ne propose pas des modèles de tricot. Il dit qu’il aurait agi de même s’il s’était agi de promotion de l’homosexualité ou de l’avortement, et estime que le travailleur a le droit d’avoir un problème de conscience. Il réclame à son ancien employeur deux ans de salaire pour ne pas avoir été averti, lors de sa formation, qu’il pourrait être amené à distribuer des documents heurtant sa sensibilité. Il est facteur depuis dix ans, soit depuis 2000. La photo publiée par la presse le montre présentant fièrement une bible.

N’ayant moi-même que peu d’inclination pour l’apostolat, j’admire les zélateurs prêts à souffrir pour leur foi, les martyrs qui subissent sans broncher les pires avanies. Mais je suis déjà beaucoup plus sceptique quand le persécuté alerte ou fait alerter la presse et réclame des sous.

Le 2 juin 2002, les Suisses ont accepté le régime des délais en matière d’avortement. Le 5 juin 2005, ils ont adopté le partenariat enregistré pour les homosexuels. Emmanuel, qui a pourtant dû distribuer un certain nombre de documents prônant la libéralisation de l’avortement et le «mariage» des couples de même sexe, ne s’est pas signalé à l’attention du public. Il faut croire que sa conscience s’est éveillée tardivement. Après tout, c’est possible.

Pourquoi donc notre si sensible employé postal n’a-t-il pas simplement cherché un autre emploi quand il a compris que sa conscience ne lui permettait pas d’exercer son métier à satisfaction? Le marché du travail n’est tout de même pas à ce point saturé qu’il ne soit possible à un facteur convenablement recyclé de se reconvertir dans une autre branche où il serait moins exposé aux conflits intérieurs. La poste suisse n’est tout de même pas l’armée de grand-papa qu’un objecteur de conscience ne pouvait quitter sans être accusé de désertion et sans se voir lourdement condamné.

Je n’ai jamais reçu de publicité d’Erotik-Markt. Je ne suis donc pas en mesure d’évaluer le traumatisme que ce genre de documentation peut créer chez un jeune homme impressionnable. Mais je ne peux m’empêcher de penser que si tous les facteurs invoquaient leur conscience quand un dépliant ou un journal – par exemple un périodique comportant, ô rage ô désespoir, une rubrique révisionniste – ne leur plaît pas, il n’y aurait plus dans la poste helvétique que des objecteurs, au grand dam de la population, qui se moque comme d’une guigne des états d’âme du facteur, pourvu que le courrier arrive dans sa boîte aux lettres.

Et puis, je dois le dire, cette histoire de fric m’inspire quelques doutes sur la pureté des intentions du martyr.

J’espère que Michel de Preux me le pardonnera (cf. ci-dessus).

M.P.

Thèmes associés: Coups de griffe - Humeur

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