L'opéra pour les ploucs

Après s'être moqué de son public pendant vingt-deux saisons, et après avoir constaté, ce qui me semble normal, la lente désaffection du public irrité des annulations de concerts sans remboursement, la direction du Festival d'opéra d'Avenches se recycle dans l'Opéra pour les ploucs.

En 2016, on avait décidé de supprimer l'édition 2017 au profit d'un festival biennal. La saison 2018 devrait inaugurer la nouvelle formule. Mais au lieu de monter une œuvre lyrique complète, la direction a opté pour un florilège d'airs célèbres d'opéras.

Merveilleuse idée pour tuer le Festival.

Imagine-t-on un directeur de théâtre qui aurait l'idée saugrenue de mettre en scène des citations extraites des comédies du théâtre français, à raison de trois ou quatre répliques par œuvre, un bout du Songe d'Athalie, un extrait de la Tirade des non merci, quelques vers du Cid?

L'Opéra en fête qui est annoncé en juillet prochain à Avenches sera une bouillie pour les ploucs, ceux qui croient que la musique classique, c'est André Rieu, ou que Johann Strauss n'a composé que la marche Radetzky, ceux qui applaudissent après l'atterrissage de l'avion ou qui disent «Monsieur le Docteur» à leur médecin.

Un opéra est une œuvre. Certains sont d'accès plus aisé que d'autres. Certains ne se laissent apprivoiser qu'après plusieurs auditions. Certains requièrent quelques lectures préalables. D'autres charment dès la première audition et plaisent même aux adolescents qu'on avait dû traîner de force au théâtre et qui croyaient que l'opéra est une musique barbante pour vieillards caducs.

Le climat d'Avenches n'étant pas toujours clément, la direction du Festival avait pris l'habitude, en cas de pluie, de faire jouer quatre mesures à l'orchestre avant d'annuler la représentation, ce qui permettait d'éviter de restituer aux spectateurs le prix de leur place. Cette règle parfaitement inique n'a pas été pour rien, sans doute, dans la diminution, année après année, du nombre des courageux disposés à se faire tondre.

Pour 2018, la direction annonce fièrement qu'un dôme transparent protégera l'orchestre, de sorte que la représentation ne sera pas annulée en cas d'intempéries: seul le public se fera doucher. On espère que le bruit de la pluie sur le dôme n'empêchera pas d'entendre les instruments et les voix.

Mais finalement qu'importe? Les vrais amateurs d'opéras n'iront pas, de même qu'un véritable fin palais ne se contenterait pas, si on lui annonçait un dîner gastronomique, d'un apéritif dînatoire constitué de petits canapés arrosés d'un blanc du Mandement. Et c'est tant pis… ou tant mieux.

Claude Paschoud

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